RICHETTA Claudius

Par Pierre Broué, complété par Claude Pennetier

Né le 24 mars 1881 au lieu-dit « Casse-Froide » à Saint-Vincent-de-Reins (Rhône), mort en février 1935 ; anarchiste, syndicaliste révolutionnaire ; secrétaire du syndicat CGT du Textile de Vienne (Isère), secrétaire de la Fédération CGTU du Textile et membre du comité central du Parti communiste de 1926 à 1929.

Claudius Richetta
Claudius Richetta
Communiqué par Gérard Jolivet

Fils d’un fileur originaire de Turin (un ouvrier exceptionnel dit son fils) et d’une ouvrière du textile, Claudius Richetta avait huit frères et sœurs.
Son père, socialiste allemaniste, militant syndicaliste très actif fut président de syndicats du textile dans le Rhône de 1889 à 1905 et fondateur de coopératives de consommation dont la Solidarité de Villefranche. Victime de la répression patronale, il dut changer à plusieurs reprises de villes.

Claudius Richetta passa son enfance parmi les travailleurs du textile et en apprit le métier. Titulaire du certificat d’études à douze ans, il travailla à treize ans. Anarchiste dès quinze ans, il milita à Villefranche, à Lausanne (Suisse) et à Vienne. Il se réclamait de la "tendance de Pierre Martin". La participation aux Groupes d’étude sociales lui apporta beaucoup. Il lut Proudhon, James Guillaume, Bakounine, Kropotkine, Stirner, Nietzsche, Georges Sorel. Ce n’est qu’après guerre qu’il lut les résumés du Capital par Deville et "avec beaucoup d’attention et de passion les œuvres de Lénine". Il enorgueillissait d’avoir une bibliothèque de 700 volumes "dont la moitié des œuvres de sociologie et de philosophie des sciences".

Le 22 décembre 1899, il s’engagea volontairement pour cinq ans au 8e régiment d’infanterie coloniale et fit pendant son service actif la campagne de Chine et du Tonkin. Il se maria en 1904 avec une tisseuse de Vienne dont il divorça en 1919 à suite de désaccords politique, se remariant ensuite avec une tisseuse qui avait joué un rôle de premier plan dans la grève de 1919. Fileur, puis contremaître fileur en 1904, Richetta quitta cette fonction « volontairement parce que contraire à mes idées anarchistes » (autobiographie de 1933).

Il écrivait en 1933 : « J’ai comme anarchiste joué un rôle actif dans des actes d’action directe (bombe, sabotage des lignes téléphoniques pendant la grève des PTT en 1910). »

Installé à Vienne depuis août 1910, il fut mobilisé le 3 août 1914, puis classé comme auxiliaire, pour paludisme, le 10 octobre 1915, affecté depuis le 25 octobre, en qualité de fileur à l’usine Merlin à Vienne. L’exemplaire n° 1 du tract Le Semeur publié à Genève et adressé à Richetta, fut saisi le 15 juillet 1916 dans un bureau de poste de la Somme et transmis au service de sûreté. Le tract affichait, selon un rapport de ce service, des « idées anarchistes, antipatriotes et antimilitaristes ». Claudius Richetta fut alors étroitement surveillé. Considéré en septembre 1916 « comme se livrant à une propagande antipatriotique », le commissaire de police proposa le 14 octobre 1916 au sous-préfet une perquisition à son domicile et dans les locaux de la Bourse du Travail. Jugeant une descente à la Bourse du Travail « inopportune », la perquisition eut lieu chez Richetta, en sa présence. Des tracts émanant du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI), un tract reproduisant un article de Pierre Brizon interdit dans le Bonnet rouge du 11 juin 1916 et les résolutions de la conférence de Kienthal furent trouvés. Il était secrétaire du groupe local de Ce qu’il faut dire.

Le jeune Richetta témoigna de son expérience de Vienne en 1933 :
"Inscrit au Carnet B j’ai été arrêté le 28 juillet 1914 à la suite d’une tentative de réunion publique contre la guerre mais remis en liberté sur intervention du député socialiste Brenier, maire de Vienne.
En 1917 alors que j’étais comme auxiliaire mobilisé en usine pour la fabrication de drap de troupe, j’étais inculté (sic) de propagande antimilitariste et anarchiste et par décision du général d’Amade, gouverneur de Lyon, punit de soixante jours de prison avec ordre de m’envoyer au front.
L’action extrêmement rapide et violente des travailleurs de Vienne mis les pouvoirs militaires dans l’obligation de me libérer au bout de 24 heures.
En 1918 (février) deux châteaux de patrons sont attaqués par les grévistes, des gendarmes sont blessés, pendant deux jours les ouvriers et ouvrières sont les maîtres de la ville. Nous possédons 3 mitrailleuses, 1000 cartouches, des grenades, des fusils lebel."


En février 1918, Claudius Richetta avait en effet signalé par la police comme secrétaire du syndicat du Textile de Vienne. Il assista, ce même mois, pendant deux jours à un congrès inter-régional à Saint-Étienne où il proposa contre Alphonse Merrheim une grève de quarante-huit heures afin que les travailleurs connaissent les buts véritables de la guerre. Sa thèse prévalut à ce congrès et à celui de l’Union départementale de l’Isère.

Le 5 avril 1918, dans une lettre à Charles Benoit, Claudius Richetta expliquait : « Nous avons décidé de mener dans toute la région une active campagne de propagande contre la guerre, en faveur d’une paix juste et durable, sans annexion ni indemnités, selon la formule des soviets russes ». Il s’affirmait internationaliste et se réclamait des principes de Kienthal et de Zimmerwald. Au début de ce mois, une information fut ouverte sur l’ordre du ministre de la Guerre contre Claudius Richetta, Émile Miglioretti et Auguste Herclet, tous militants viennois, sous inculpation de propagande anarchiste et Richetta écrivit à Benoît le 24 (lettre saisie) : « Syndicaliste fervent, mon action a été surtout et avant tout de l’action syndicale ; non pas que je renie mon idéal anarchiste, bien loin de là, mais j’ai pensé qu’il était plus urgent d’organiser les travailleurs sur le terrain syndicaliste... pas à la Jouhaux. » Et Richetta demandait que Benoît lui envoie « tout ce qui te reste de brochures des Temps nouveaux, elles se vendent comme du bon pain ».

Les 19 et 20 mai 1918, il participa, avec Émile Miglioretti, au congrès du Comité de défense syndicaliste, réuni à Saint-Étienne. La grève générale à Vienne y fut décidée et Claudius Richetta fut arrêté le 23 mai ainsi que Miglioretti et Auguste Herclet ; ils furent condamnés le 2 août par le premier conseil de guerre de Lyon à cinq ans de prison et 3 000 F d’amende chacun pour provocation au meurtre et provocation de militaires à la désobéissance. Mais cette condamnation ne fut pas suivie d’effet car le 5 septembre 1919, pendant une grève générale du Textile à Vienne, Richetta fut arrêté avec six autres grévistes et emprisonné pour trois mois. Un an après, les 7-8 septembre, au congrès national du Textile tenu à Rouen, Claudius Richetta fut élu délégué régional permanent en même temps que Désiré Caïti de Romilly et Emile Decock de Roubaix.

Au sein de la CGT, Richetta et ses camarades de la Bourse du Travail de Vienne, hostiles à Léon Jouhaux, se rallièrent à la minorité mais, en octobre 1921, ils proposèrent toutefois, pour tenter une conciliation, la dissolution des Comités syndicalistes révolutionnaires. Après la scission syndicale, Claudius Richetta adhéra à la CGTU et fut un temps, suite au congrès de Saint-Étienne, secrétaire de la confédération avec Monmousseau, Cazal et Marie Guillot. Il donna sa démission au bout de six mois. pour se consacrer à la Fédération du textile.

Il n’avait pas encore rallié les rangs du Parti communiste même si, en 1920, il avait adhéré à l’éphémère Soviet de Vienne.

Le 2 octobre 1922, avec Auguste Herclet, il organisa à Vienne une réunion intercorporative de soutien aux grévistes du Havre. En octobre 1922, Claudius Richetta occupait des responsabilités confédérales : il était secrétaire de la Fédération unitaire du Textile et délégué à la propagande. Le 14 octobre de ce mois, il obtint un passeport et partit pour l’Union soviétique assister au congrès de l’ISR. Il était délégué par la Fédération du Textile au congrès des Fédérations textiles à Moscou, avec voix délibérative. Il assista également avec voix consultative au IVe congrès de l’Internationale communiste et entra également en contact avec les communistes allemands. Il aurait rencontré en URSS Lénine, Trotsky, Boukharine, Radek, Lozovsky, Lounatcharsky et se serait entretenu avec eux.

A son retour, il tint, le 4 janvier 1923, un meeting à Vienne pour rendre compte de son séjour. Le rapporteur de la police remarquait une profonde transformation chez Claudius Richetta : « D’anarchiste, il est devenu communiste militant. Il peut donc être considéré désormais comme l’un des champions du communisme mondial. » Il adhéra formellement au Parti communiste en 1924 "au moment de la guerre du Maroc, en même temps que Monmousseau, Dutilleul, Chauvin et quelques militants responsables de la CGTU. Cette adhésion en ce qui me concerne a été donnée à la suite d’une longue conversation avec le délégué du Comintern qui était je crois [...] Krebs que j’avais rencontré à Dresde et à (Chemnuty) dans la période pré-révolutionnaire d’octobre 1923." (autobiographie de 1933)

Il avait en effet été choisi comme délégué en février 1923 à la Conférence des communistes français et allemands à Essen. Mais, le 23 février, il fut arrêté par la police viennoise, en application d’un mandat d’arrêt pour entraves à la liberté du travail lors de la dernière grève des Établissements Diederichs. Le sous-préfet de Vienne, dans un rapport du 18 mars 1923, signalait que Claudius Richetta était susceptible de participer à la conférence de Francfort. A cette époque, le même sous-préfet constatait la baisse de l’influence de Richetta et de Herclet sur la masse ouvrière de Vienne et le renforcement de la CGT et des Sociétés sportives patronales. Les tâches nationales qui absorbaient Richetta n’expliquaient pas tout. Il est vrai que la CGTU se heurtait à des difficultés grandissantes.

Cependant Richetta affirmait qu’il avait rallié au communisme presque tous les militants syndicalistes de Thizy-les-Bourg, de Pont-Trambouze, de Saint-Vincent-de Reins et de Vienne.

Les 1er et 2 avril 1923, Claudius Richetta représenta la CGTU au congrès départemental de l’Isère réuni à Pont-de-Beauvoisin. Il approuva l’attitude de la délégation française qui avait proposé la modification de l’article 11 des statuts de l’Internationale syndicale rouge et avait voté l’adhésion à l’Internationale syndicale. « Ces statuts [les nouveaux] seront appliqués, nous en serons les enfants terribles, [sinon] à ce moment-là il n’y aura pas seulement les opposants qui se dresseront, il y aura nous. » Pour ce qui concerne plus spécialement les rapports parti politique-syndicat en France, Richetta approuvait la constitution d’un comité d’action avec le PC. Il semblait, cependant, se considérer comme extérieur au PC, et l’on peut se demander toutefois si, à cette époque, il était déjà adhérent, lorsqu’il déclarait : « Et je peux vous dire que toutes les fois que l’entente et l’accord qui ont présidé à la constitution de ces comités d’action, ont été écartés, nous nous sommes élevés énergiquement, et nous avons remis le Parti communiste dans le droit chemin. »

Claudius Richetta condamnait les Comités de défense syndicalistes (CDS) qui, sous prétexte d’unité à la base avec les travailleurs confédérés, préparaient la création d’un mouvement autonomiste, d’une troisième confédération syndicale. Ce fut encore en avril 1923 qu’il proposa la création de conseils d’usine, regroupant ouvriers syndiqués et non-syndiqués, qui éliraient leurs délégués et qui s’intéresseraient à « tous les événements dirigés contre nous par la classe capitaliste ». Il soulignait le danger présenté par les comités paritaires.

Au début de novembre 1923, Claudius Richetta revint d’un voyage en Allemagne et voulut organiser, pour le 7 novembre, un meeting à Vienne. Il menaça le gouvernement d’une grève générale si Poincaré donnait l’ordre de mobilisation. Du 7 au 12 décembre 1924, Richetta participa à Paris au second congrès de la Fédération CGTU du Textile : quatre-vingt-trois syndicats y étaient représentés par quatre-vingt-douze délégués. A partir du 6 décembre, le congrès fut commun au Vêtement, à la Chapellerie et au Textile. Furent élus secrétaires : Claudius Richetta, Robert Foulon, Lagrange (vêtement), Édouard Vandewattyne, Joseph Jacob, Alexandre Delobelle (casquettiers).

Un an et demi plus tard, Claudius Richetta assista au Ve congrès du PC qui se tint à Lille du 20 au 26 juin 1926 et fut élu membre du comité central. Il était alors favorable à la tendance Humberdot-Maurin. et hostile au "gauchisme" de Treint et de Suzanne Girault. Cette même année, du 28 au 30 novembre, il participa au IIIe congrès du Textile-Vêtement à Paris et y fut réélu secrétaire général. Il avait épousé l’année précédente, le 24 septembre 1925, à Saint-Vincent-de-Reins, Claudia, Thérèse Peuillon.

Mais ses rapports avec le PC se dégradaient : le 29 octobre 1928, le Bureau politique s’inquiéta du « mauvais était d’esprit en ce qui concerne (son) rôle dirigeant » (Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, ex. BMP, bobine 279). Il ne fut pas reconduit au comité central au congrès du Parti communiste de 1929 à Saint-Denis.

Le 1er août 1929, Claudius Richetta présida à Voiron (Isère) avec Antoine Tomasi, un meeting de 3 000 grévistes du Textile et de la Métallurgie et envoya de Voiron un télégramme pour un article à l’Humanité. Le 23 novembre 1930, à la Bourse du Travail de Grenoble, il opposa le Ve congrès de l’Internationale communiste au congrès syndical de Stockholm et attaqua violemment Léon Jouhaux.

Le 1er mai 1931, Le Travailleur du Textile-Vêtement annonça l’arrestation de Claudius Richetta, en pleine grève des textiles de Cours. Il fut emprisonné au régime de droit commun. « Il est de santé délicate, mais a un moral excellent », commentait le journal qui exigeait sa libération. Le Travailleur alpin du 1er mai considérait que « avec Richetta incarcéré préventivement [...] c’est le secrétaire de la CGTU qui est emprisonné ». Le 2 août 1931, Georges Sandra lui adressa à la prison un télégramme de solidarité au nom de la commission exécutive des mineurs de La Mure (Isère). Le 20 décembre 1931, il prit la parole à Vizille, en compagnie de Sandra, à une réunion du Parti communiste.

Il fut envoyé, ainsi que Gaston Monmousseau, par la CGTU, pour animer les grèves de la draperie viennoise du 27 mars au 21 avril 1932. Ce mouvement ample fut spontané au départ. Claudius Richetta y fit preuve d’une grande activité. Le 9 avril, des bagarres opposèrent les grévistes aux gardes mobiles ; cependant, le travail reprit aux conditions patronales.

Les 1er et 8 mai 1932, il fut candidat communiste aux élections générales, dans la 1re circonscription de Vienne et tenta, sans succès, d’utiliser contre Hussel les résultats de la grève d’avril.

En 1933, il affirmait lire toutes les publications du PC et, jusqu’en 1931, "très régulièrement", la Révolution prolétarienne, la Vie socialiste et la Revue anarchiste.

Selon un rapport de police à la Sûreté générale de Paris du 27 décembre 1934, Claudius Richetta n’assistait plus à aucune réunion dans la ville de Vienne. Il était toujours délégué de la Fédération unitaire du Textile. Il mourut en février 1935 après avoir dirigé une grève à Roanne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article128882, notice RICHETTA Claudius par Pierre Broué, complété par Claude Pennetier, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 13 juin 2016.

Par Pierre Broué, complété par Claude Pennetier

Claudius Richetta
Claudius Richetta
Communiqué par Gérard Jolivet

SOURCES : RGASPI, 495 270 703, autobiographie, 22 septembre 1933, Paris, classée A., 12 pages — Arch. Nat. F7/13821. — Arch. Dép. Isère, 77 M 1, 77 M2 (a) et (b), 82 M 3, 52 M 88, 166 M 11, 166 M 12. — Arch. Dép. Haute-Savoie, 268. — Le Travailleur des deux Savoie et de l’Isère, 11 avril 1925. — La Révolution prolétarienne, n° 8, août 1925. — Le Travailleur alpin, n° 134, 1er mai 1931. — Cahiers du bolchevisme, n° 4, 15 février 1935, « Nos morts : Richetta », p. 201-202. — P. Barral, Le département de l’Isère sous la IIIe République Histoire sociale et histoire politique, thèse, exemplaire dactylographié. — Entretien avec F. Ferrand. — Gérard Jolivet de l’IHS CGT signale que les archives de la Bourse du Travail de Vienne contiennent une abondante correspondance de Richetta entre 1913 et 1920. On y découvre aussi la correspondance des autres militants viennois qui ont milité avec Richetta (Miglioretti, Herclet, Mme Coste, etc...).

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