RIEUX Jean, Eugène. Pseudonyme : LE ROUGE Jean

Par Justinien Raymond et Madeleine Rébérioux

Né le 4 avril 1878 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 8 mars 1933 à Toulouse ; militant socialiste ; partisan de l’Union sacrée en 1914 ; maire de Toulouse et député.

Jean Rieux
Jean Rieux

Les parents de Jean Rieux, négociants en drap, appartenaient à la moyenne bourgeoisie toulousaine. Il fit ses études au lycée de Toulouse et prit contact avec les organisations socialistes dès 1892-1893 ; il avait quatorze ans et c’était l’époque de l’essor de la Bourse du Travail, des rivalités entre blanquistes et guesdistes, de la grande grève de Carmaux et de l’immense popularité de Jean Jaurès. Sorti du lycée, Jean Rieux travailla un temps avec ses parents et participa à la fondation de la Fédération des Jeunesses socialistes du Midi. C’est alors qu’on commença à le nommer Jean Le Rouge. Dreyfusard avec passion, il participa en 1898 aux manifestations souvent violentes qui laissèrent des souvenirs durables à Toulouse : lors d’un meeting où parlait Francis de Pressensé, le jeune Le Rouge fut blessé à la tête. En 1902, président de la Jeunesse socialiste de Toulouse, il suivit la première campagne électorale de Bedouce et en fit le compte rendu dans Le Peuple socialiste du Midi.

Jean Rieux quitta à cette époque Toulouse pour Paris où il devait rejoindre pour quelques années l’équipe d’Hubert Lagardelle, Toulousain comme lui et plus âgé que lui de trois ans seulement. En 1903, il devint administrateur du Mouvement socialiste, la revue que Lagardelle avait fondée en 1899 et qui tentait de théoriser, dans une perspective socialiste, le syndicalisme révolutionnaire, et il conserva ce travail jusqu’à la fin de 1904. C’est à Paris que débuta d’ailleurs pour lui « l’action électorale » qui allait plus tard tenir tant de place dans sa vie, alors que l’équipe du Mouvement socialiste faisait profession de mépriser l’électoralisme et le Parlement : il fut candidat — malheureux — du PS de F. en 1904, dans le IVe arr., quartier Notre-Dame (sur 3 293 électeurs inscrits et 2 668 votants, il ne recueillit que 72 voix).

Lorsqu’il rentra à Toulouse en 1905, Jean Rieux se fit désigner pour représenter la Haute-Garonne au congrès d’unité du Globe en avril. Sa « silhouette élégante et fine, très soignée », sa « tête de jeune Christ très expressive, aux yeux noirs et vifs », son « allure un peu raide », son « articulation parfaite, presque exagérée » (Bourniquel, La Cité, 4 mars 1906), tout cela faisait de lui « un intellectuel », espèce encore assez rare dans le socialisme toulousain, mais qui allait y devenir commune. Dès le 24 septembre 1905, il était élu avec Albert Bedouce et Paul Vigneau, lors d’une élection complémentaire, au conseil municipal. Réélu le 18 février 1906 avec la liste SFIO entière, il devenait maire le 5 octobre, Bedouce, qui l’avait précédé dans le fauteuil du premier magistrat toulousain, venant d’être élu député. Il n’avait que vingt-huit ans.

Cette première gestion municipale fut marquée par de violents incidents. Les radicaux, très longtemps maîtres de la municipalité, puissants à la préfecture, dans l’administration locale et la gestion de la police, bien soutenus par la Dépêche, ne pardonnaient pas aux socialistes une défaite qu’ils jugeaient temporaire. Le jeune maire ne put obtenir la révocation du commissaire central Lieux qu’il avait demandée au préfet le 12 juin 1907. Le 4 août 1907, à l’occasion de l’élection de Charles Falandry au conseil général, une violente bagarre opposa les radicaux du café Andrau et les socialistes du café des Deux Mondes ; le capitaine de gendarmerie, Vallin, fut grièvement blessé et La Dépêche en rendit responsable la municipalité, plus particulièrement le maire, Jean Rieux, et l’adjoint à la police, Pinel. Ceux-ci poursuivirent en diffamation le quotidien radical, mais, malgré la plaidoirie de Willm, La Dépêche fut acquittée. Ces incidents, d’autres encore, permirent aux radicaux de mettre en accusation non seulement l’incompétence, mais la brutalité des socialistes toulousains et, en 1908, la liste socialiste aux élections municipales fut battue, à l’exception de deux de ses membres dont Jean Rieux. En juillet 1910, témoignage de sa popularité et, malgré des difficultés passagères, de l’implantation croissante du socialisme à Toulouse, il entrait au conseil général pour y représenter le canton du Centre : il avait eu plus de 1 000 voix de plus que le candidat radical-socialiste, Ournac, lui aussi ancien maire de la ville.

Son orientation restait proche de celle de Lagardelle, encore qu’il s’employât assez souvent (surtout dans les conversations officieuses avec le préfet, cf. Arch. Dép. Haute-Garonne, 4 M 110) à se montrer rassurant. « La révision de la société, écrivait-il le 3 juin 1908 dans La Cité, ne sortira pas d’une révolution violente. Je ne crois pas davantage qu’elle s’accomplira par la seule puissance du suffrage universel. Je crois qu’elle s’effectuera par la longue et pénible action d’une classe ouvrière de plus en plus forte physiquement, intellectuellement et moralement, et de mieux en mieux organisée. »

Aux élections municipales de 1912, les socialistes conquirent de nouveau la majorité à Toulouse et Jean Rieux redevint maire de la ville. Il le resta pendant toute la guerre. En décembre 1919, la vague de réaction qui balaya la France emporta aussi la municipalité SFIO de Toulouse. En ballottage aux élections législatives d’avril 1914 dans la 3e circonscription de Toulouse avec 3 486 voix, il fut battu plus nettement encore en novembre 1919 et il échoua également la même année au conseil général.

Dès 1922, la cote des socialistes toulousains remontait. Jean Rieux retrouvait le 14 mai son siège de conseiller général avec 2 000 voix d’avance sur son adversaire radical. En mai 1924, il était pour la première fois élu, à la proportionnelle, député de la Haute-Garonne et, en 1925, il rentrait au conseil municipal, mais sans accepter de fonctions de responsabilité. Battu aux élections législatives en 1928 dans la 3e circonscription de Toulouse — la plus difficile — il était, la même année, le 21 octobre 1928, réélu au conseil général et, en 1929, au conseil municipal de Toulouse dont il devenait le premier adjoint.

C’est alors que commencèrent à se tendre ses relations avec le Parti socialiste. Le 17 novembre 1931, Jean Rieux démissionna et du conseil municipal et de la SFIO, et, aux élections de 1932, il se présenta comme candidat du Parti socialiste indépendant dans la 2e circonscription de Toulouse dont Ellen-Prévot avait été, à plusieurs reprises, l’élu. Mis en ballottage au premier tour par l’adjoint SFIO au maire de Toulouse, Émile Berlia, il fut élu au second tour, Berlia s’étant retiré : la personnalité de Rieux avait acquis finalement une audience suffisante pour conquérir contre un SFIO un siège SFIO. Il mourut l’année suivante et, si ni le Parti ni le maire socialiste Étienne Billières ne prononcèrent de discours sur sa tombe, la municipalité socialiste escorta tout entière au cimetière son ancien maire. La présence de délégués de la Franc-Maçonnerie à son enterrement civil, le 10 mars 1933, souligna son appartenance à cette organisation.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article128939, notice RIEUX Jean, Eugène. Pseudonyme : LE ROUGE Jean par Justinien Raymond et Madeleine Rébérioux, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 2 mai 2013.

Par Justinien Raymond et Madeleine Rébérioux

Jean Rieux
Jean Rieux

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. Dép. Haute-Garonne 2 M 48, 4 M 110 et 111. — Bulletin municipal de Toulouse, mars 1933. — Le Peuple socialiste du Midi, 1902-1903. — La Cité, 1905-1908. — Le Midi socialiste, 1908-1914.
Un poème anonyme publié en octobre 1906 dans Le Midi républicain et reproduit dans La Cité du 18 octobre présente « Jean Rieux, maire de Toulouse ».
Renseignements communiqués par M. de Saint-Blanquat, conservateur des Arch. Mun. de Toulouse.

ICONOGRAPHIE : L’Humanité, 7 juin 1912. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., p. 95.

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