Par Jacques Girault
Né le 22 avril 1899 à Toulon (Var), mort le 27 janvier 1930 à Toulon ; ouvrier à l’Arsenal maritime ; dirigeant CGTU.
Fils d’un journalier qui avait quatre enfants, Laurent Roubaud entra à l’Arsenal le 5 septembre 1913 comme apprenti chaudronnier en fer et cuivre. Il devint ouvrier chaudronnier immatriculé, le 22 avril 1917 à l’atelier de la grosse chaudronnerie. Il contracta un engagement dans l’aviation (16 avril 1918-6 avril 1921). Après avoir réintégré son atelier, il passa en décembre 1922 à l’atelier des Constructions neuves, puis en juillet 1923 à celui des Bâtiments en fer.
Laurent Roubaud fut élu membre du conseil d’administration du syndicat CGTU des travailleurs de la Marine, le 7 octobre 1922. Le 2 décembre 1924, il fut délégué par le comité d’action pour le relèvement des salaries auprès de Henri Bérenguier* (voir ce nom), représentant la CGT à la commission locale des salaires. Il devint en mai 1925 le secrétaire adjoint de l’Union locale CGTU, puis le mois suivant, secrétaire. Aussi, participa-t-il au congrès national de la CGTU (26-31 août 1925). A la fin de l’année, secrétaire du comité d’action contre la vie chère, il multiplia les actions. Il prit part à une réunion du Comité confédéral national de la CGTU (16-18 septembre 1926) et selon le compte rendu de la Vie ouvrière (24 septembre 1926), ses deux interventions se distinguèrent par un souci de réalisme.
Connu et apprécié pour son sérieux, Laurent Roubaud remplaça Paul Viort* (voir ce nom) comme secrétaire du syndicat, le 24 août 1926. Candidat avec Paul Mazan* (voir ce nom), il l’emporta contre les candidats de la CGT qui détenaient cette représentation lors des élections de la commission locale des salaires le 30 septembre 1926. Il prolongeait cette responsabilité par un mandat de délégué à la sous-commission permanente de la Commission mixte consultative du Travail qui se réunissait régulièrement à Paris. Il eut l’occasion à plusieurs reprises d’être reçu par le ministre de la Marine. En juin 1927, un incident fit grand bruit ; il s’opposa à son agent technique à propos d’un travail qu’il estimait pénible. Le cadre demanda une sanction exemplaire, mais les responsables de l’établissement estimèrent que « la réclamation relative aux travaux pénibles était fondée », que cet ouvrier était « généralement actif et discipliné ». Le préfet maritime proposa un simple blâme.
Parallèlement, Laurent Roubaud intervenait dans la vie politique. Lors des élections législatives de 1924, il fut le secrétaire général du cercle ouvrier et paysan du deuxième canton (centre de la ville où il habitait avec sa mère). Adhéra-t-il vraiment au Parti communiste ? Les témoignages sont fort controversés sur cette question. Le 29 octobre 1925, la police signala sa présence à une réunion du comité du rayon communiste de Toulon. En 1927, quand le comité local du Secours rouge international se transforma en section locale, son secrétaire fut Laurent Roubaud pendant quelques mois.
D’autre part, au titre de la CGTU, il se rendit à Salernes dans le Haut-Var pour essayer de former un syndicat des ouvriers céramistes en grève en juillet 1925. Il participa aux réunions contre la guerre du Maroc dans le début de l’année 1925. En octobre 1925, il proposa en vain à son syndicat de participer à la grève contre la guerre du Maroc. Le 11 novembre 1926, il prit la parole au meeting de Brignoles pour la libération de Charles Gaou*, François Perrin* et Marius Magne* (voir ces noms). Quand il devint secrétaire de son syndicat, en fin 1926, il cessa d’exercer les responsabilités de secrétaire de l’Union locale tout en continuant à participer aux réunions des commissions exécutives locales et régionales.
Laurent Roubaud fit partie de la commission des résolutions du congrès de la Fédération CGTU des personnels civils des établissements de l’État, en juin 1927. Présidant la séance du 15 juin, il fut désigné pour siéger au conseil fédéral.
Son accession au secrétariat correspondit au développement de l’audience du syndicat CGTU qui se distinguait par son opposition à la réforme du mode de calcul des salaires appuyé par la CGT. Le préfet maritime l’estimait « fort intelligent » et reconnaissait qu’il connaissait « bien la question des salaires ».
Toutefois, Laurent Roubaud ne tarda pas à entrer en conflit avec la direction régionale du Parti communiste. Dans le débat sur la place respective du syndicat et du parti, il estimait que le syndicat devait avoir une grande autonomie. Il défendait ses positions aussi bien dans les instances syndicales qu’en présence des responsables communistes. En août 1929, lors d’une réunion de la commission exécutive de la 9e Union régionale CGTU, analysant l’échec d’une grève dans une bouchonnerie, il nia la « radicalisation des masses », montrant que « les mouvements de grève résultaient plutôt du mécontentement particulier à certaines catégories de travailleurs que de l’esprit révolutionnaire des masses » dont il doutait beaucoup. Il refusa d’être candidat aux élections municipales de 1929 sur la liste communiste.
Le comble fut atteint lors du 1er août 1929. Les ouvriers de l’Arsenal n’ayant pas bougé, Laurent Roubaud en fut rendu responsable, nouvelle preuve de « son pessimisme et de son inertie » qu’on lui reprochait depuis quelques mois. Aussi, le 22 août, le représentant de la région marseillaise proposa-t-il une « épuration ». Roubaud fréquenta moins les réunions de la commission exécutive de la 9e Union régionale GGTU. Lors du congrès de cette dernière, le 8 décembre 1929, il montra que la situation des ouvriers de l’Arsenal maritime ne les conduisait pas, faute d’éducation politique suffisante, à suivre les mots d’ordre de la CGTU et du Parti communiste de lutte contre la guerre. Son « pessimisme » lui fut reproché, une nouvelle fois. Depuis quelques mois, il était fait grief aux militants de l’Arsenal de ne pas appliquer les consignes nationales. Certains même affirmaient que puisqu’il n’était plus membre du Parti communiste, il fallait donc lui retirer ses responsabilités syndicales.
Le 26 janvier 1930, la conférence du rayon communiste à Carnoules, après avoir reçu l’accord de Bourneton* (voir ce nom), envoyé national, prit la décision de le mettre à l’écart. Le soir même, Laurent Roubaud se fracturait le crâne dans un accident d’automobile au retour d’une réunion dans l’Est du département. Ses obsèques furent l’occasion d’une importante manifestation ouvrière.
Le commissaire spécial notait peu après : « L’autorité du syndicat unitaire [...] est susceptible de se ressentir sérieusement de la disparition de Laurent Roubaud qui, par sa popularité, avait contribué, dans une large mesure, à la vitalité de ce groupement. »
Peu de militants communistes varois interrogés se souviennent de son appartenance au Parti communiste. Pour lui, en effet, seule comptait son activité syndicale. Jean-Baptiste Bartolini* (voir ce nom), son successeur, dira néanmoins : « Roubaud n’avait pas sa carte mais c’était lui qui faisait la politique du Parti communiste. » Pour la première fois, le syndicat CGTU à l’Arsenal maritime avait une audience de masse qui ne devait pas cesser par la suite. Ultime reconnaissance, pendant quelques années, les responsables CGTU et communistes toulonnais allèrent, après les manifestations du 1er Mai fleurir sa tombe.
Par Jacques Girault
SOURCES : Arch. Nat. F7/12760, 13021, 13118, 13123, 13164, 13588, 13644, 13730. — Arch. Dép. Var, 4 M 46, 55 2, 56 7, 8, 59 4 1, 16 M 19 5, 3 Z 4 21, 22, 29. — Arch. IIIe Région mar., 2 A 1 2081, 2 59, 4 12, 24, registre des matricules 54