ROUS Jean [Pseudonyme militant : CLART ; pseudonymes dans la presse : CIVIS, Jean PRADES, ROUCLÈS, ROUGLAS]

Par Pierre Chevalier

Né le 24 novembre 1908 à Prades (Pyrénées-Orientales), mort le 21 février 1985 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; avocat de 1932 à 1938, commissaire répartiteur de la ville de Paris de 1938 à 1968, journaliste ; dirigeant du mouvement trotskyste de 1935 à 1939 ; résistant, interné ; membre du Comité directeur de la SFIO après la Libération ; secrétaire général du Congrès des peuples contre l’impérialisme (1948-1956) ; cofondateur du Parti socialiste autonome puis du Parti socialiste unifié ; conseiller du président du Sénégal, Léopold-Sédar Senghor (1961 à 1968) et à nouveau membre du Comité directeur du PS (1973-1977).

Jean Rous en 1938, photo d’identité pour le dossier du concours de commissaire répartiteur de la ville de Paris
Jean Rous en 1938, photo d’identité pour le dossier du concours de commissaire répartiteur de la ville de Paris
archives Pierre Chevalier

Jean Rous était issu d’une famille d’industriels et commerçants aisés du côté paternel et de petits paysans propriétaires du côté maternel. On pourrait ajouter que c’est son grand-père paternel qui fit admettre la famille parmi les notables de Prades, sous-préfecture des Pyrénées-Orientales. Il était resté républicain, laïque et radical, tout en épousant une jeune fille de bonne famille aux références religieuses et politiques opposées. Le mariage des parents de Jean fut consacré dans une chapelle attenante à la propriété de ses grands-parents maternels et lui-même fut baptisé, concession du grand-père, qui venait d’appliquer avec le conseil municipal la loi de séparation de l’Église et de l’État. Son éducation bourgeoise, censée assurer son avenir de commerçant comme son grand-père et son père ou d’avocat comme son oncle, reposait entre autres sur la pratique de la langue française, même si en famille, entre adultes, on ne parlait que catalan. Les influences familiales furent multiples entre un grand-père, Louis, élu municipal puis maire, un grand-oncle, Émile, administrateur colonial scrupuleux après avoir été écrivain de marine, puis professeur à l’école coloniale, un oncle, Joseph, avocat, élu municipal, départemental et enfin député et un autre oncle, Louis, sympathisant communiste et commercial pour les usines Violet de Thuir. Ces deux derniers furent, par ailleurs, héros de 14-18. On pourrait ajouter un oncle maternel, Jean, qu’il a peu connu car porté disparu pendant les combats en 1916. La place des parents paraît effacée par ces fortes personnalités.

À l’issue de la Grande Guerre, Jean Rous quitta Prades pour suivre des études au petit lycée (de la 6e à la 3e) puis au lycée Lakanal de Toulouse (aujourd’hui Pierre de Fermat). Il gardera le souvenir de quelques personnages. Un surveillant, ancien secrétaire de Jaurès, un jeune lycéen admirateur de Lénine, un Sorèzien, G. d’Arboussier qu’il retrouva après la guerre et quelques rugbymen, toulousains ou catalans, formeront cette galerie de souvenirs. Ses études secondaires terminées en juillet 1926 avec un baccalauréat de Philosophie, il s’en alla à Paris faire du droit à la Sorbonne, puis à Lyon pour se spécialiser en fiscalité et enfin revint à Paris, finir la licence en Droit et entrer comme avocat stagiaire en 1930 chez Ernest Lafont, adhérant du PC au congrès de Tours mais exclu en 1923 comme franc-maçon et socialiste SFIO, lorsque Jean Rous vient travailler chez lui. Son parrain au barreau était maître Moro-Giafferi, qui comme Ernest Lafont participa au pool d’avocats de l’Association juridique internationale. Ce fut durant la fin de ses études secondaires et universitaires que Jean Rous se créa de nombreux liens affectifs et politiques. En 1925, d’abord, il participa aux premières campagnes électorales victorieuses de son oncle Joseph. Il revenait spécialement de Toulouse pour accompagner son oncle dans ces combats politiques. En 1928, Jean Rous organisa, avec l’aide de Louis Chauvet rencontré à Paris, un hommage au philosophe pradéen Louis Prat, disciple de Charles Renouvier. Il parvint à faire dire l’éloge de Louis Prat par Han Ryner qu’il put voir à Paris et qui lui accorda un entretien pour la presse catalane. À son grand regret, Jean Rous ne put cependant pas être présent à cet hommage. Mais ce sera le début de relations épistolaires avec le philosophe. Enfin, c’est entre 1925 et 1930 qu’il entra en contact, à Paris, avec les Catalans de Paris et ceux, exilés, de Catalogne sud, qui entouraient Francesc Macià. Ainsi, il connut Louis Chauvet, Han Ryner ou Pau Roure, de Catalogne nord, Ventura Gassol, J. Fontbernat, Jaume Miravitlles ou J. Rovira, Catalans du sud. Il côtoya aussi Joseph Delteil. Tous ces gens participent à l’aventure littéraire de La Courte Paille (entre 1929 et 1932).

À Prades, au sein de la SFIO, à laquelle il avait adhéré en 1928, il soutint l’idée d’unité d’action avec les militants communistes. Il participa à la fondation du groupe de l’Avant-garde de Prades, qui réunissait communistes, socialistes et sans partis, puis en 1932 à la naissance du journal du même nom. Ce groupe, et son périodique, avaient une double fonction d’organe de propagande pour Joseph Rous, lors des élections législatives (1932 et 1936) et de lieu de réflexion politique pour les adhérents et les lecteurs. Outre l’unité ouvrière, les autres campagnes menées par le groupe, le journal et les militants furent essentiellement liées à la lutte contre la guerre et le fascisme. Jean Rous fit adhérer l’Avant-garde et adhéra lui-même au Mouvement contre la guerre et le fascisme. Il fut délégué pradéen en juin 1933 à la conférence de la salle Pleyel. Enfin, il mena le combat pour la « décolonisation » de l’Andorre. Ses articles dans le journal L’Avant-garde de Prades l’amenèrent à écrire dans La Vérité, organe de la Ligue communiste et Le Populaire, quotidien de la SFIO, tandis que ses notes servirent à Gabriel Péri pour appeler à la formation de Soviets en Andorre. Dès 1933, il sympathisa avec les idées développées par le mouvement trotskyste, en particulier celles sur la prise du pouvoir d’Hitler et les erreurs du KPD. Lecteur de La Vérité, et même contributeur (d’articles et de finances) dès septembre 1933, Jean Rous adhéra à Ligue communiste, section française de la Ligue communiste internationaliste (bolcheviks-léninistes) au printemps 1934 et devint membre suppléant du comité central du Groupe bolchevik-léniniste en août 1934, lorsque les trotskystes décidèrent d’adhérer collectivement à la SFIO. Quelques mois plus tard, il devint membre du bureau politique et secrétaire administratif de ce groupe, apparaissant, alors, comme l’un de ses principaux dirigeants. À ce titre, après avoir été désigné comme candidat (avec Pierre Frank pour suppléant) par une commission interne au GBL, composée de Raymond Molinier, Gérard Rosenthal et Ruth Fischer, il fut élu à la CAP de la SFIO lors du congrès de Mulhouse (9-12 juin 1935), qui entérina l’entrée des GBL dans la SFIO. Il ne put assister au congrès car il accompagnait Léon Trotsky, qui partait habiter en Norvège. Jean Rous veilla sur sa sécurité jusqu’à Anvers et reçut quelques conseils sur la façon de pratiquer l’entrisme, tout en préparant la sortie de la SFIO, que Trotsky prévoyait rapide. Il n’exerça pas longtemps son mandat à la CAP, car dès le 2 octobre, par 16 voix contre 7, il fut démis de ses fonctions pour s’être solidarisé avec l’Entente de la Seine des Jeunesses socialistes, exclue en juillet. De plus, les articles qu’il publia dans La Vérité sur les manifestations violentes qui eurent lieu à Toulon (Var), en août 1935, contre les décrets lois Laval ne pouvaient satisfaire la direction socialiste.

La crise, quasi permanente, qui gangrénait le travail au sein du GBL permit à Jean Rous, jeune militant issu de la social-démocratie à l’inverse des cadres français du mouvement trotskyste, généralement issus du Parti communiste, de jouer un rôle tampon entre les tendances dirigées l’une par Pierre Naville, l’autre par Pierre Frank et Raymond Molinier. Ce fut un échec, consommé par le lancement de l’hebdomadaire La Commune, contrairement aux décisions prises. La scission, inévitable, eut lieu.

Jean Rous apparaissait pour la première fois dans un compte-rendu de la réunion du 16 avril 1935 du Secrétariat international du mouvement trotskyste (sous le pseudonyme de Clart), aux côtés de Ruth Fischer (Dubois), Alfonso Leonetti (Martin) et Otto Schuessler, ou Rudolf Klément ou Trotsky lui-même (Oscar). Ce fut à ce titre et en raison de ses origines catalanes, qu’il rencontra pour la première fois ses camarades de la gauche communiste d’Espagne (ICE), pour les convaincre de rentrer dans le parti socialiste. L’ICE décida de fusionner avec le Bloc ouvrier et paysan de Maurín pour fonder le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM). Jean Rous laissa une porte ouverte face à un Trotsky dubitatif sur l’évolution de Nin et de la majorité des membres de l’ICE.

Délégué à la conférence internationale du mouvement pour la IVe Internationale, tenue à Paris du 29 au 31 juillet 1936, il y fut réélu membre du Secrétariat international. Il reçut mandat de se rendre à Barcelone et Madrid pour apporter un « soutien politique, matériel et technique » à la révolution et regrouper les trotskystes internationaux dans la milice du POUM. Il arriva le 5 août, accompagné par Benjamin Péret et Léopold Sabas. Pour ce second voyage en Catalogne et en Espagne, il devait reprendre contact avec Andreu Nin et le POUM. Au cours des entretiens, on envisagea, en particulier, la venue de Trotsky en Espagne. Mais il ne parvint pas à rapprocher les positions respectives du POUM et des trotskystes, ni même à établir des relations satisfaisantes. Jean Rous devait ultérieurement écrire dans la brochure, Renaissance et Mission de la catalanité : « Quand je quittais Barcelone pour rejoindre mon poste à Paris, j’avais à la bouche le goût amer de la défaite de la révolution, et je n’osais le dire ». Durant cette mission il participa, avec David Rousset et Robert Louzon, à une tentative d’accord entre la Généralité de Catalogne et les militants marocains du Comité d’action marocain, afin d’organiser un soulèvement sur les arrières des troupes franquistes au Maroc espagnol. Le refus du gouvernement espagnol de conclure un accord, pour des raisons de relations internationales, fit capoter ce projet.

De 1936 à 1939, Jean Rous mena de pair ses activités à la tête du Parti ouvrier internationaliste (POI) et de membre du Secrétariat international de la IVe Internationale, fondée officiellement lors d’une conférence internationale en septembre 1938. Ces fonctions l’amenèrent à entretenir une correspondance très suivie avec Léon Trotsky, séjournant alors au Mexique, et devint son principal homme de confiance en France. Albert Goldman, avocat trotskyste étatsunien, envoyé en France, le confirmait en écrivant en 1939, que Jean Rous « était, malheureusement, le seul camarade en France capable de donner au groupe [trotskyste] une ligne politique correcte ». C’est aussi en 1938, le 28 juillet, que Jean Rous épousa Maria Renucci à la mairie du 14e arrondissement de Paris. En juin 1938, la création du Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert souleva le problème des rapports du POI avec cette formation et celui d’une fusion éventuelle. Les propositions dans ce sens soumises par le POI ayant été rejetées par le PSOP, Jean Rous en vint à souhaiter fin octobre l’adhésion collective des trotskystes au parti de Pivert. Un débat très tendu se développa à ce sujet dans le POI, une forte majorité de sa direction étant hostile à une telle solution. La tendance animée par Jean Rous se trouvant en minorité au congrès du POI du 15 janvier 1939 choisit d’abandonner ce parti pour adhérer au PSOP, soutenu dans cette démarche par la majorité de la IVe Internationale et par Léon Trotsky.

Les entristes regroupés autour de Jean Rous éditèrent la revue La Voie de Lénine, subventionnée par la IVe Internationale. Rous y mena un débat assez vif avec Victor Serge sur la nature du stalinisme. Une alliance entre la minorité révolutionnaire (Daniel Guérin et Lucien Weitz et les trotskystes défendit, au congrès du PSOP de Saint-Ouen (27-29 mai 1939), une motion contre le pacifisme et en faveur du défaitisme révolutionnaire, et soumit, par ailleurs, un texte préconisant l’incompatibilité entre l’appartenance au PSOP et à la franc-maçonnerie qui fut repoussée. Lors de ce congrès, Jean Rous fut élu à la CAP de cette organisation. À ce militantisme, Jean Rous ajoutait encore les interventions comme avocat pour la défense des militants poursuivis devant les tribunaux ou pour d’autres interventions : ainsi il eut à s’occuper avec Gérard Rosenthal de l’enquête sur la mort suspecte de Léon Sédov, le fils de Trotsky, survenue le 16 février 1938 dans une clinique, des suites d’une opération d’apparence bénigne. Il prit la parole, le 20 février, lors de ses obsèques au Père-Lachaise. Il collabora à la mise en place du Comité français pour l’enquête sur les procès de Moscou. Aux côtés de Pierre Naville, il reconnut, en août 1938, le corps de Rudolf Klement, repêché, sans tête ni jambes, dans la Seine.

La guerre survenant, Jean Rous proposa à la direction du PSOP une clandestinité rigoureuse, imposée par les circonstances, seule à même de permettre une propagande révolutionnaire en échappant aux arrestations et à la désorganisation. Faute de pouvoir sauver le PSOP d’une désagrégation rapide prévisible, il créa avec Yvan Craipeau, début septembre, les comités de la IVe Internationale, peu de jours avant de rejoindre son unité militaire. Après sa démobilisation, Jean Rous se détacha du courant trotskyste, car il se trouvait en désaccord avec la position trotskyste sur la question nationale (probablement depuis la conférence constitutive de la quatrième internationale de septembre 1938 dans laquelle il était intervenu pour rappeler « l’aspect progressiste du patriotisme des opprimés » en opposition à plusieurs de ses camarades surtout français). En août-septembre 1940, il prit les premiers contacts pour lancer le Mouvement national révolutionnaire et les périodiques La Révolution française et La Liberté syndicale. La Révolution française qui portait la manchette : « Ni Londres, ni Vichy, ni Berlin, ni Moscou », eut trois numéros répertoriés aux archives nationales, entre septembre 1940 et janvier 41. Le programme du MNR affirmait sa solidarité avec le prolétariat britannique, tout en souhaitant en France créer un « mouvement où entrent les trois forces motrices : la bourgeoisie en voie de paupérisation, la paysannerie et le prolétariat lui-même » afin de « construire à l’échelle nationale une vaste équipe d’hommes animés par un programme clair, une volonté ardente de le réaliser, construire une France nouvelle, pilier d’une Europe nouvelle et d’un monde nouveau, débarrassé du capitalisme parasitaire et de l’oppression nationale et basé sur la hiérarchie du travail productif ». Deux tracts parurent sous le titre La Liberté syndicale : dans celui de Juin 41 le MNR rappelait qu’il ne faut avoir confiance ni dans l’Angleterre ni dans l’Allemagne. Cela n’empêchait pas « qu’une collaboration européenne puisse être construite sur l’indépendance des peuples hors de l’hégémonie totalitaire et sur une économie rationnelle harmonisant les rapports entre les nations hors de l’emprise de la haute finance ». Un second tract, non daté, sous-titré Organe des comités de défense des libertés syndicales, titra « Vivent les héroïques combattants du Nord », en référence à la grève des mineurs belges (1er mai-juin 1941) et français (27 mai-9 juin 1941) des bassins charbonniers du Nord. En janvier 1941, Jean Rous fut élu au comité directeur du MNR avec Maurice Jacquier, Henri Barré, Lucien Weitz, Fred Zeller, etc... Bien que non-autorisé, ce mouvement aurait évolué dans une semi-légalité, bien qu’à côté du titre, on pouvait lire : « Distribuez " sous le manteau " comme nos ancêtres du 18ème siècle ». Le 3 juillet 1941, la police arrêta Jean Rous avec d’autres militants (dont Jean Meichler qui n’appartenait pas au MNR et fut fusillé comme otage le 6 septembre 1941), et les remit aux autorités d’occupation. Inculpés pour « propos hostiles au IIIe Reich », Rous assura lui-même leur défense mais il fut condamné à six mois de prison par un tribunal militaire allemand. Libéré en décembre 1941, il se réfugia en mai 1942 en zone sud, où il obtint le poste d’avocat-conseil de l’Association « Les Amis des Maisons des jeunes » laquelle servait de camouflage aux mouvements de jeunesse dissouts par l’occupant et apportait l’aide nécessaire à ceux qui voulaient se soustraire à la déportation et au travail obligatoire. Jean Rous participa au mouvement de résistance socialiste et fédéraliste, « Libérer et Fédérer », qu’il représenta à Lyon. Dès la Libération, il travailla avec André Philip (au nom de l’État et du Gouvernement provisoire de la République française) pour créer en septembre 1944 la République des Jeunes (qui deviendra en Janvier 1948 la Fédération Française des MJC). Il entra en conflit avec les Forces Unies de la Jeunesse Patriotique qui préconisaient la formation d’un mouvement unique de la jeunesse tandis que la République des Jeunes soutenait l’idée d’une fédération de mouvements.

En 1944, Jean Rous rejoignit la SFIO, devint rédacteur en chef du Populaire du Rhône et fonda, un an plus tard, avec André Philip, le journal Cité-Soir, dont il fut rédacteur en chef et éditorialiste sous le nom de Civis. Il écrivit dans la revue Masses de René Lefeuvre. Il participa au congrès socialiste de Paris de septembre 1946, et participa activement à la mise en minorité de la direction sortante (Daniel Mayer et Robert Verdier), qui fut remplacée par Guy Mollet et Yves Dechezelles. Élu au Comité directeur du Parti socialiste, il occupa cette fonction jusqu’en novembre 1948, puis démissionna du parti en raison d’une accumulation de désaccords, dont la politique du Parti vis-à-vis des JS et la politique coloniale. Il fit partie avec Dechezelles, Suzanne Clair et la totalité du bureau national des JS de la fraction PCI au sein du PS, sans pour autant en être un élément actif, selon Yvan Craipeau qui en était responsable. Il dirigea durant cette période la revue la Pensée socialiste, organe de la gauche socialiste et devint, en 1946, l’éditorialiste du quotidien Franc-Tireur. En avril 47, il fut mis à la disposition du ministre de l’agriculture, François Tanguy-Prigent, puis en octobre 1947, à celle d’Édouard Depreux ministre de l’Intérieur ; cette dernière mission ne dura qu’un mois.

Ce fut avec l’équipe de ce journal ainsi qu’avec Jean-Paul Sartre et David Rousset qu’il participa, en 1948, à la fondation du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) dont il fut le secrétaire général. Après la rupture avec Sartre, il tenta en vain de le relancer. Le PCI y jouait un rôle fractionnel. Il fut candidat aux élections législatives du 17 juin 1951 dans le 5e secteur de la Seine avec le Centre d’action des gauches indépendantes, dans lequel militaient des personnes aussi différentes que l’Abbé Pierre, Claude Bourdet, Jean-René Chauvin, Paul Fraisse, Albert Bayet ou le pasteur André Trocmé, Il participa également, avec Auguste Lecœur et Pierre Hervé, à la rédaction de la revue La Nouvelle réforme. En 1956, retournant à la SFIO, Jean Rous s’en écarta très vite en raison de son désaccord sur la guerre d’Algérie. Fin 1958, il rejoignit le Parti socialiste autonome et en devint secrétaire adjoint, chargé de la propagande. En avril 1960, il participa à la création du Parti socialiste unifié (PSU). Membre de son comité politique national, il s’occupa de la commission de la décolonisation et de la coopération, questions qui lui étaient familières.

En effet, de 1946 à 1958, Jean Rous se consacra essentiellement aux problèmes coloniaux, en tant que cofondateur avec Fenner Brockway (député britannique du Labour Party) et secrétaire général du Congrès des peuples contre l’impérialisme (juin 48), mais aussi dans la presse. Une fois encore, on retrouve un grand nombre de militants qu’il a côtoyés auparavant. C’est le cas des militants du POUM ou de sa dissidence (MSC), des militants de la CNT, connus en Espagne, des trotskystes français mais aussi d’ailleurs, des anticolonialistes algériens connus pendant le Front populaire qui entouraient Messali Hadj, ou marocains rencontrés en Espagne, ainsi que de nombreux Africains ou Asiatiques croisés à Franc-Tireur. Outre Messali Hadj, il s’y lia d’amitié avec Nguyen Van Chi, représentant d’Ho Chi Minh, les frères Boumendjel de l’UDMA, Mezerna du MTLD, Ferhat Hached de l’UGT, le Malgache Rabemananjara, le Sénégalais Lamine Gueye et tant d’autres que nous ne pouvons citer . On peut dire qu’à l’exception des communistes, tous ceux qui s’opposaient au colonialisme français se retrouvèrent au sein du Congrès des peuples contre l’impérialisme. Ce n’est pas le cas des représentants des colonies britanniques ou en voie de décolonisation, peu nombreux tant au congrès de fondation qu’au mouvement qui lui succéda. Il écrivit de nombreux documents et articles sur ces problèmes, dont l’ouvrage Tunisie attention ! Ce fut aussi son rôle d’anticolonialiste qui le fit se rendre à la conférence de Bandoeng, en 1955. Ce fut pour lui l’occasion de mêler ses différentes activités. En tant que journaliste, il livra de multiples reportages et des analyses reproduites dans la presse. Il y fut aussi présent au titre de représentant du Congrès des peuples. Enfin, comme homme politique français, il tenta de rallier de nombreux États ou partis à ses vues sur une forme de Commonwealth à la française ; en cela il était soutenu par les Indiens représentés par Nehru, les Nord Vietnamiens et d’autres au Maghreb ou en Afrique. D’ailleurs, il fut vice-président du comité France-Afrique pour l’édification d’une communauté France-Outre-mer, il collabora au comité de rédaction d’Études méditerranéennes, et adhéra au Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer. Il fut ainsi secrétaire de la commission d’enquête pour la révision du procès de Tananarive où il avait témoigné en faveur des députés malgaches emprisonnés (Rabemananjara, Raseta et Ravohangy).

Comme ses anciens camarades trotskystes, Jean Rous soutenait la dissidence yougoslave. Il effectua de nombreux voyages en Yougoslavie où il se lia d’amitié avec le second de Tito, Kardelj. Il en rendit compte dans Franc-Tireur.

En définitive pour Jean Rous depuis la fin de la guerre tous ses combats visaient à la création au niveau national d’un parti ou d’un regroupement de militants ayant rompu avec le Parti socialiste, qui lorgnait trop vers le centre, avec ceux qui rejetaient la version « stalinienne » du communisme. On pourrait retrouver la même définition au niveau international autour du non alignement de Bandoeng.

À partir de 1960, dans l’impossibilité où il se trouvait de jouer un rôle dans la vie politique française, il accepta la proposition de son ami Léopold-Sédar Senghor de le rejoindre à Dakar. Cette proposition le mit en position difficile vis-à-vis de Habib Bourguiba qui lui demandait aussi de venir l’aider à Tunis. Le secrétariat d’État aux relations avec les États de la Communauté lui fit obtenir de la Mairie de Paris, où il travaillait toujours en principe, une « mise à disposition » de la République du Sénégal, dans le cadre de la coopération avec les États africains nouvellement indépendants.

De septembre 1960 à novembre 1968, il séjourna au Sénégal pour y remplir, à Dakar, les fonctions de conseiller du président de la République. Ses attributions l’amenèrent à s’intéresser notamment aux problèmes de développement et aux relations internationales. Il fut particulièrement actif, en décembre 1960, aux côtés de son ancien condisciple de lycée, Gabriel d’Arboussier, dans la délégation sénégalaise à l’ONU, lors de débats sur la question de l’indépendance algérienne. Grâce à ses relations antérieures (CDP, Bandoeng, Franc-Tireur), le Sénégal devint le leader africain d’une position souple, ne gênant pas les négociations franco-algériennes. Pour Rous et la délégation sénégalaise, il paraissait essentiel de « dépasser le débat colonialisme/anticolonialisme pour amener la France et le GPRA à rechercher la véritable voie pour bâtir l’Afrique nouvelle », en y associant les 11 partenaires africains de la conférence de Brazzaville (15-20 décembre 1960). Il intervint pour des raisons humanitaires, ne souhaitant pas s’ingérer dans les affaires intérieures du Sénégal, à l’issue de la grave crise politique (décembre 1962) qui opposa le Président Senghor au président du Conseil M. Dia, qu’il avait accompagné dans plusieurs visites du pays. Il transmit à Senghor divers courrier sollicitant la grâce présidentielle, sans résultat immédiat. Ces courriers émanaient de Daniel Guérin, ancien camarades du PSOP, du PSU, des trotskystes. Il exprima alors son accord pour une libération de Dia. Enfin, il participa à toutes les conférences africaines auxquelles le Sénégal était convié et accompagna Senghor dans toutes ses visites officielles ou officieuses. Il fit paraître à cette époque Chronique de la décolonisation, ouvrage couronné par le Festival mondial des arts africains de 1966. Au Sénégal, il participa aux activités de la Fédération mondiale des villes jumelées, qu’il n’abandonnera pas après son retour en France car il lui semblait que la solidarité Nord-Sud pouvait passer par les actions concrètes de la FMVJ. Sa retraite, qu’il passa dans un premier temps entre Menton et Paris, ne signifia aucunement fin des voyages et repos puisqu’il continua d’écrire dans la presse, en collaborant à Combat, au Monde et fit de nombreux voyages en Afrique auprès de ses amis H. Bourguiba ou L. S. Senghor.

Déjà avec Han Ryner, son oncle Joseph ou ses maîtres de stage d’avocat, Jean était entré en relation avec la franc-maçonnerie et le Grand Orient, en particulier. F. Zeller sera à l’initiative de nombreuses réunions, auxquelles Jean Rous assistera avec d’autant plus de plaisir qu’il y trouvait une ambiance « fraternelle » souvent absente d’autres regroupements. Pour Jean, Rous adhérer à la franc-maçonnerie, pour renforcer les laïques et les libres penseurs, était une forme d’entrisme, déterminé, comme depuis l’époque trotskyste, par ses convictions. Ainsi, en février 1957, il participa à un banquet, organisé par Fred Zeller, au nom de la franc-maçonnerie, avec tous ses anciens camarades de l’époque trotskyste. D’autres réunions eurent lieu, sous le titre de « groupe fraternel d’études et d’action socialistes ». Ce n’est que le 14 février 1972, que Jean Rous prononça donc les phrases rituelles qui le transformèrent de maçon sans tablier en maçon. F. Zeller, absent, lui envoya un message d’amitié pour son initiation. D’une certaine façon, au même moment, il franchissait trois étapes dans sa vie : démission du PSU, dont il était responsable de la commission « décolonisation », ré-adhésion à la 14ème section du Parti socialiste fondé à Épinay, « dans un esprit de renouveau et d’unité », et initiation à la franc-maçonnerie.

Jean Rous restera membre du Comité directeur du PS jusqu’en juin 1977 et participera à la commission « Tiers monde ». Tandis qu’il ne resta pas longtemps franc-maçon.

Ayant quitté la Côte d’Azur en 1976, Il séjourna le plus souvent, au cours des années suivantes à Perpignan. Il fut membre de la Fédération catalane du Parti socialiste, « pour pouvoir mieux [se] consacrer au problème catalan et revenir à [ses] sources, selon son expression ». Après le décès, en 1979 à Perpignan, de son épouse, Maria, il se consacra à la réflexion sur la question catalane au sein du PS et au travers de l’Union pour la région catalane, dont il accepta la présidence d’honneur. Le 20 décembre 1980, il se remaria avec Rokhaya Diop, nièce d’Abdou Diouf, président sénégalais. Il consacra ses dernières forces militantes à la revendication d’un statut spécial pour le Roussillon, en cohérence avec ses convictions internationalistes et fédéralistes qui l’avaient fait considérer comme un ami par Bourguiba, Messali Hadj, Ben Barka, Senghor ou Kenyatta.

Avec la disparition de Jean Rous, le 21 février 1985, c’est un « homme de vigie qui s’est tu », pouvait-on lire dans Jeune Afrique tandis que Le Canard enchaîné écrivait « Rous, éternel minoritaire, fut tout au long de sa vie un homme de conviction, et un cœur pur ». Enfin, François Mauriac voyait en lui « un saint laïc ». Une association des Amis de Jean Rous a été créée à Perpignan. Le collège de Pia (Pyrénées-Orientales) porte son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article129866, notice ROUS Jean [Pseudonyme militant : CLART ; pseudonymes dans la presse : CIVIS, Jean PRADES, ROUCLÈS, ROUGLAS] par Pierre Chevalier, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 25 juillet 2021.

Par Pierre Chevalier

Jean Rous en 1938, photo d'identité pour le dossier du concours de commissaire répartiteur de la ville de Paris
Jean Rous en 1938, photo d’identité pour le dossier du concours de commissaire répartiteur de la ville de Paris
archives Pierre Chevalier
Jean Rous en 1942, photo de la carte d'identité
Jean Rous en 1942, photo de la carte d’identité
archives Pierre Chevalier
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Jean Rous en 1948
archives Pierre Chevalier
Jean Rous et Habib Bourguiba (1951)
Jean Rous et Habib Bourguiba (1951)
Archives Pierre Chevalier
Jean Rous et Pierre Mauroy, 1984. Remise de la Légion d'honneur.
Jean Rous et Pierre Mauroy, 1984. Remise de la Légion d’honneur.
Archives Pierre Chevalier

ŒUVRE : Espagne, 1936-1939, la Révolution assassinée, Librairie du Travail, 1939, 48, p. — Des nationalisations au socialisme, Ed. des jeunesses socialistes, 1944, 26 p. — Pour la Jeunesse de France, Éditions des jeunesses socialistes, 1944. — Les Institutions nouvelles : les Maisons des Jeunes, Éditions des jeunesses socialistes, 1945, 16 p. — Le Congrès des peuples s’adresse aux démocrates de France, SNEP, 1951, 8 p. —Troisième force ?, Éditions de la Pensée socialiste, 1947, 61 p. — Tunisie attention !, Les Deux Rives, 1952, 221p. — Le PSU principes et perspectives, Les Temps modernes, 1960, 16 p. — Chronique de la décolonisation, Présence africaine, 1965,477 p. — Itinéraire d’un militant, Jeune Afrique, 1968, 301 p. — Un président de l’Afrique nouvelle : L.S. Senghor, John Didier, 1966, 163 p. — Habib Bourguiba, l’homme d’action de l’Afrique, John Didier, 1969, 188 p. — Tiers-monde, réforme et révolution, Présence africaine, 1977, 296 p. — Tito, in Les grands révolutionnaires, Martinsart, 1977, p. 309 à 442. — Trotsky, in Les grands révolutionnaires, Martinsart, 1978, p. 159 à 301. — Un homme de l’ombre, Jean Rous, autobiographie recueillie par Dominique Gauthiez, 1983. — Bourguiba, Martinsart, 1984, 311 p. — Amilcar Cabral, in Les grands révolutionnaires, Martinsart, 1985, p. 129 à 218. — Pierre Chevalier (éd.) en collaboration avec l’ Association des amis de Jean Rous, Renaissance et mission de la catalanité. Renaixença i missió de la catalanitat, Canet, Trabucaire, 2015, 152 p. [réédition avec notes et commentaires d’un texte en partie autobiographique publié en 1991 par l’Association des amis de Jean Rous, à l’initiative de Jean Olibo].

SOURCES : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 96 J 7, fonds Jean Rous. — Arch. Jean Maitron. — La Vérité, 8 septembre 1933, septembre 1934, 26 avril, 23 août 1935. — La Lutte ouvrière, 1936-1938. — Quatrième Internationale, 1937 et 1938. — La Voie de Lénine, avril 1939, mai 1939 et juin 1939. — Le Monde, 12 février 1972, 23 février 1985. — La Crise de la section française de la LCI, 1936-1939. — G. Rosenthal, Avocat de Trotsky, Paris, 1975. — J. Pluet-Despatin, Les étapes du mouvement trotskyste de 1929 à 1944, Th., Paris, 1975. — F. Zeller, Trois points c’est tout, 1976. — Les congrès de la IVe Internationale, vol. 1 Naissance de la IVe Internationale (1930-1940), La Brèche, 1978. — Jean-Michel Brabant & Rodolphe Prager, notice "Rous Jean" in DBMOF. — Pierre Chevalier, Jean Rous (1908-1985), une vie pour le socialisme et la décolonisation, Thèse de Doctorat de l’Université de Perpignan, 1999. — Muriel Bot, Jean Rous et la Tunisie, maitrise d’Histoire, Université de Perpignan, 1993. — A. Benjelloun, L’indépendance avant l’indépendance, Jean Rous et le Maroc, 1953-1956, Paris, L’Harmattan, 1997, 284 p. — Pierre Chevalier, "Jean Rous, un militant révolutionnaire en quête de socialisme démocratique", Recherche socialiste, n°11. — Pierre Chevalier, "Le MNR comme tentative d’élaboration d’une théorie sur la construction du Parti révolutionnaire en période d’occupation nazie", Dissidences, n° 12-13, octobre 2002-janvier 2003. — Pierre Chevalier, "Un Nord Catalan dans la guerre d’Espagne", in André Balent et Nicolas Marty, Catalans du nord et Languedociens et l’aide à la République espagnole (1936-1939), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan et ville de Perpignan, 2009, pp. 15-36. — Pierre Chevalier, "Le Catalan Jean Rous (1908-1985) et le Congrès des peuples d’Europe, d’Asie et d’Afrique contre l’impérialisme (Puteaux, 18-22 juin 1948)", Le Midi Rouge, bulletin de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon, 31, 2018, pp. 21-26. — Dominique Gauthiez (dir.), op. cit. dans la rubrique "Œuvres". — Témoignage de Jean Rous recueilli par R. Prager le 18 mai 1978.

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