ROUSSET David [ROUSSET Élisée, David]. Pseudonymes : GEORGET, LEBLANC

Par Rodolphe Prager

Né le 18 janvier 1912 à Roanne (Loire), mort le 13 décembre 1997 à Paris (XIIIe arr.) ; journaliste et écrivain ; dirigeant du mouvement trotskyste de 1935 à 1943 ; résistant et déporté ; fondateur de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire et de la Commission pour la vérité sur les crimes de Staline.

Issu d’un milieu familial protestant très croyant, David Rousset apprit à lire en déchiffrant la Bible ; cette lecture qui avait nourri son imaginaire, lui donna une vision du monde plus large. Plus tard, la lecture des Nourritures terrestres d’André Gide fut pour lui la découverte de nouvelles références existentielles. Ayant quitté son milieu d’origine tout en restant croyant, son père effectua son Tour de France puis devint ouvrier métallurgiste qualifié et s’embaucha aux usines Citroën, à Paris. David Rousset entreprit des études de philosophie et de littérature à la Sorbonne.

En 1931, il adhéra aux Étudiants socialistes rattachés à la Ve section socialiste où les leaders du parti intervenaient souvent. En accord avec les positions développées par les trotskystes de la Ligue communiste, il entra aux Jeunesses socialistes, tout en étant membre de la Ligue, pour y poursuivre un travail de fraction. Profondément sensibilisé à la situation allemande par un voyage à Prague et la fréquentation des réfugiés allemands venus à Paris après la prise du pouvoir par Hitler, il préconisait la formation de milices antifascistes et l’unité d’action des partis ouvriers. C’est dans ce sens qu’il devait intervenir en 1933 au congrès national des JS (Tours, 25 et 26 décembre 1933). Devenu à ce moment-là secrétaire des Étudiants socialistes, il était également membre de la commission exécutive de l’Entente de la Seine des JS. David Rousset quitta alors son poste d’enseignant dans une institution privée pour devenir permanent.

Opposé à l’adhésion des trotskystes à la SFIO proposée en 1934, il modifia son attitude après sa rencontre avec Trotsky, trois jours durant, dans sa résidence surveillée de Domène (Isère) où il avait été conduit par Raymond Molinier*. Lors du congrès fédéral extraordinaire des JS de la Seine, en octobre 1934, il présenta la motion trotskyste et devint l’un des principaux porte-parole, chez les jeunes, du Groupe bolchevik-léniniste qui l’élut à son comité central. Avec Fred Zeller*, Michel Braudo* et Mathias Corvin*, il signa pour le congrès national des JS (Pré-Saint-Gervais, 21 octobre 1934), une motion qui regroupa plus du quart des mandats. Elle développait des positions popularisées par la suite par le journal Révolution dont David Rousset fut l’un des dirigeants au nom de sa tendance. Participant, en 1935, au comité de coordination des JS et des Jeunesses communistes pour la région parisienne, il fut également candidat socialiste dans le XVIIe arr. (quartier des Ternes) aux élections municipales de mai et recueillit 347 voix.

Il signa un texte préparatoire au congrès national de Mulhouse du Parti socialiste pour « un gouvernement ouvrier et paysan ». A la conférence nationale des JS, réunie à Lille les 28, 29 juillet 1935, à laquelle il fut l’un des principaux orateurs de sa tendance, David Rousset fut exclu avec les autres dirigeants de la Fédération de la Seine. Partisan de la réintégration, il chercha à trouver un compromis en négociant directement avec Léon Blum*, puis participa, avec Fred Zeller, à la constitution de la Jeunesse socialiste révolutionnaire en janvier 1936. « Le Front populaire représente le rassemblement des forces ouvrières et petites-bourgeoises qui, sous la poussée de la crise, se prononcent pour des solutions révolutionnaires », écrivait-il à cette époque, critiquant son caractère « d’union sacrée », et reprenant le mot d’ordre pivertiste de « Front populaire de combat ». Exclu de la SFIO en octobre, il chercha à réaliser un regroupement large autour de Révolution et s’opposa à Pierre Frank et Raymond Molinier.

Le 1er juin 1936, David Rousset avait participé à la fondation du Parti ouvrier internationaliste. Membre du comité central, il fit, pendant l’été, une tournée en province qu’il prolongea par un voyage au Maroc où existait un groupe trotskyste composé surtout de postiers. Après le déclenchement de l’insurrection franquiste, il contacta les dirigeants nationalistes marocains pour les pousser à agir au Maroc espagnol et prendre les forces nationalistes à revers. Conduisant ces entretiens avec l’aide de Robert Louzon venu de Barcelone où il était en relation avec les organisations anarcho-syndicalistes FAI-CNT, il persuada les délégués du Comité d’action marocaine à se rendre en Espagne pour négocier un traité d’indépendance du Maroc. Un projet de protocole élaboré à Barcelone, en présence de David Rousset, avec la FAI et la CNT fut ratifié par le gouvernement de la Généralité de Catalogne mais le gouvernement central de Madrid conduit par Largo Caballero y opposa son veto sous la pression conjuguée de la France et de l’Angleterre.

David Rousset mena désormais une action anticolonialiste qui le conduisit à participer à plusieurs réunions publiques et à consacrer un long rapport à ce sujet. En juin 1937, il parla, avec Gérard Rosenthal, aux côtés de Messali Hadj et de Tran Van Hao du groupe La Lutte de Saïgon. En février 1938, il prit la parole avec les représentants du Parti du Peuple algérien et du Néo-Destour tunisien.

En juillet 1938, David Rousset représenta son parti, avec Jean Rous, à la conférence nationale du Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert, pour proposer, en vain, la fusion entre les deux organisations. Par la suite, il refusa d’adhérer individuellement au PSOP, contrairement à la décision prise en 1939 par les instances de la IVe Internationale. Il avait représenté le POI à la conférence de fondation de la IVe Internationale, en septembre 1938, et y fit plusieurs interventions. Redevenu enseignant, il collaborait, entre autres, aux publications américaines, Life et Fortune.

David Rousset épousa Sisie Élisabeth Elliot le 25 février 1939 et ils eurent trois fils : Marc, Pierre et Luc.

Ayant perdu un œil quand il était enfant, David Rousset avait été réformé. Au début de l’Occupation, il participa à la reconstitution du POI clandestin et appartint à sa direction. Employé au Bureau universitaire de statistique, il préparait également une revue de presse pour le secrétariat à l’Information. Soucieux de dégager des différentes propagandes une information fiable, il rédigea à partir de 1942 un Bulletin d’information syndicale et ouvrière, publié clandestinement sous le couvert d’un Bureau d’études industrielles et commerciales, fournissant des informations non-censurées. A la suite du travail de désagrégation dans l’armée allemande entrepris par les militants trotskystes à Brest, David Rousset fut arrêté le 12 octobre 1943 ainsi que d’autres dirigeants du POI. Incarcéré à Fresnes jusqu’en janvier 1944, il fut déporté à Buchenwald avec ses amis Marcel Hic, Philippe Fournié* et Roland Filiatre*. Il n’y resta que peu de temps, fut envoyé ensuite aux camps de Porta Westphalica puis de Neuengamme.

Rapatrié en 1945, David Rousset écrivit dès son retour L’Univers concentrationnaire, qui parut en trois livraisons dans la Revue internationale fondée par Pierre Naville*, Gilles Martinet*, Charles Bettelheim*. Publiée sous forme de livre en 1946, cette description analytique de la société concentrationnaire eut un profond retentissement et obtint le prix Théophraste-Renaudot. Son roman, Les jours de notre mort, basé sur la collecte de témoignages sur les camps et leur critique, fit également date. David Rousset avait repris sa place au sein du Parti communiste internationaliste qui regroupait les forces trotskystes unifiées.

Dans un texte d’octobre 1945 signé Leblanc, et intitulé « Propositions pour une nouvelle appréciation de la situation internationale », il exprima des opinions très éloignées de celles du parti. Le comité central et le IIe congrès du PCI, réuni le 2 février 1946, rejetèrent unanimement l’orientation de David Rousset qui défendait l’idée d’une remise en chantier des questions théoriques. « J’éprouvais l’impression désagréable que mes camarades avaient vécu en vase clos le bouleversement de la société... », devait-il écrire dans ses Fragments d’autobiographie. En 1947, dans sa réponse à l’enquête de Roger Stéphane dans sa revue Confluences, David Rousset déplora la « pauvreté de la pensée marxiste actuelle et sa relative disparition ».

Devenu collaborateur de Franc-Tireur, toujours sensible aux problèmes coloniaux et attentif à l’évolution politique qu’imposait l’Union soviétique dans les républiques centre-européennes, il fut à l’origine, avec Georges Altman des initiatives qui aboutirent en février 1948 à la création du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) avec Jean-Paul Sartre. Créé trois jours après le « coup de Prague », le RDR se proposait de réunir « dans l’action tous ceux qui ne pensent pas que la guerre et le totalitarisme sont inévitables ». Se situant en double opposition au Parti communiste et au RPF gaulliste, le RDR connut son apogée en décembre 1948. La recherche d’appuis aux États-Unis (David Rousset appartint à la délégation), conjuguée avec les fractures internes à Franc-Tireur entre pro-communistes et partisans d’une « troisième force », devait provoquer la disparition du rassemblement fin 1949.

A la suite du procès intenté par V. Kravchenko (janvier-avril 1949) contre les diffamations des Lettres françaises, David Rousset auquel les témoignages parus sur les camps soviétiques n’avaient pas échappé, publia le 12 novembre 1949 dans Le Figaro littéraire un appel à tous les anciens déportés des camps nazis pour former une commission d’enquête sur les camps en Union soviétique. Attaqué à son tour dans l’Humanité et traité de faussaire par Pierre Daix dans Les Lettres françaises, il porta plainte. Le procès, décrit dans le livre Pour la vérité sur les camps concentrationnaires, opposa David Rousset aux Lettres françaises défendues par maîtres Joë Nordmann* et Paul Vienney*, du 25 novembre 1950 au 12 janvier 1951. Ceux-ci tentèrent d’empêcher la publicité des débats pour éviter la venue de témoins ayant connu les camps (cf. J. Nordmann, Aux yeux de l’histoire, Actes sud, 1996.).

Le texte de David Rousset fut à l’origine de la constitution le 24 janvier 1950 de la Commission française d’enquête contre le régime concentrationnaire par les délégués des organisations françaises d’anciens déportés. Bientôt la question du travail forcé devint une question internationale à laquelle l’ONU ne put rester étrangère. Le secrétariat de la commission installé chez David Rousset s’assura la collaboration de nombreux bénévoles, tel Armand Robin, et, par la prise de contacts avec les associations étrangères de déportés, prit une dimension internationale. Cette extension de son action amena la naissance de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC), siégeant à Bruxelles, qui publia son premier Bulletin d’information mensuel en décembre 1954. En janvier 1956, ce bulletin devint la revue Saturne qui parut jusqu’en 1959. La CICRC, constituée définitivement le 10 octobre 1950, entreprit des enquêtes sur les situations espagnole, grecque, yougoslave et soviétique. Par un patient travail para-diplomatique, elle réussit à mener ses investigations sur place en Espagne, en Grèce, dont les résultats furent publiés sous forme de livres blancs. En revanche l’Union soviétique refusant catégoriquement de lui ouvrir ses frontières, David Rousset organisa à partir du 1er juin 1951 un tribunal public, le premier du genre, sur les camps soviétiques. Les débats furent publiés par la suite en volume. De 1952 à 1956, il enquêta sur la situation pénitentiaire en Chine, travail qui aboutit à la publication d’un nouveau livre blanc. En mai 1957, la CICRC entreprit l’examen de la politique répressive menée en Algérie. David Rousset participa à la constitution du Comité Audin du nom de cet enseignant communiste qui fut enlevé et exécuté par les groupes spéciaux des forces françaises.

En décembre 1961, il signa l’appel à la constitution d’une Commission pour la vérité sur les crimes de Staline (avec André Breton, Maurice Nadeau, Jean Cassou*, Manès Sperber, etc.) qui fonctionna jusqu’en 1964, publiant un Bulletin d’informations.

Il collaborait alors à l’hebdomadaire Demain, mais aussi à Nouveau Candide et au Figaro littéraire pour lequel il rencontra en 1963 Nasser au Caire. La même année, il fit une interview du leader algérien Ben Bella, publiée par Preuves, et en 1964, interrogea longuement Ernesto Che Guevara à Cuba.

En accord avec la politique algérienne du général de Gaulle et les orientations de politique étrangère qu’il prenait (Bandœng, Chine), David Rousset, qui souhaitait voir émerger une « troisième force » sur le plan international, lui exprima publiquement son soutien lors de l’élection présidentielle de 1965. En 1967, il fut candidat aux élections législatives à Villeurbanne (Rhône) au titre de l’Union démocratique du travail-Union pour la défense de la République, mais fut contraint de se désister. « Gaulliste de gauche », il appartenait alors au Groupe des « 29 », personnalités de gauche soutenant le général de Gaulle (René Capitant*, Pierre Le Brun*, André Philip*, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, etc.). En avril 1968, il eut une entrevue avec le général de Gaulle. Il soutint le mouvement étudiant. Ses trois fils étaient activement engagés dans ce mouvement et Pierre fut incarcéré avec Alain Krivine. Élu député de la circonscription de Vienne (Isère) en 1968, David Rousset acheva son mandat en 1973 mais ne se représenta pas, s’étant éloigné du mouvement gaulliste dans les années précédentes.

Grand reporter au Figaro littéraire, il quitta ce journal après la mort de Pierre Brisson. Il assura chaque semaine une tribune de politique internationale sur les antennes de France-Culture. Pendant son mandat législatif, David Rousset écrivit La Société éclatée, description et analyse des structures sociales bureaucratiques des pays soumis au capitalisme d’État à la lumière des évolutions scientifiques et technologiques. En 1987, il publia Sur la guerre, ouvrage dans lequel il décrivait « la paix armée » régnant sur le monde. Réfléchissant dans cette perspective aux événements politiques survenus en Europe centrale et en Union soviétique depuis la fin des années quatre-vingts, David Rousset écrit : « Le conflit social peut devenir le conflit majeur de la société planétaire et remplacer le conflit entre États devenus obsolètes. C’est sur ces thèmes que la réflexion doit aujourd’hui porter de façon privilégiée. » (Fragments d’autobiographie, décembre 1990).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article129990, notice ROUSSET David [ROUSSET Élisée, David]. Pseudonymes : GEORGET, LEBLANC par Rodolphe Prager, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 11 novembre 2022.

Par Rodolphe Prager

ŒUVRE : L’Univers concentrationnaire, Éd. du Pavois, 1946 [rééd. Éd. de Minuit, Hachette et "L’espèce humaine et autres récits des
camps" Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade) 2021.]. — Les jours de notre mort, Éd. du Pavois, 1947 [rééd. Ramsay, 1988]. — Pour la vérité sur les camps concentrationnaires, avec T. Bernard et G. Rosenthal, Éd. du Pavois, 1951 [rééd. Ramsay, 1990]. — Le pitre ne rit pas, Éd. du Pavois, 1948 [rééd. Bourgois, 1979]. — « Le Monde concentrationnaire nazi », dans Histoire controversée de la Seconde Guerre mondiale, t. VII, 1967. — La société éclatée, Grasset, 1973. — Sur la Guerre. Sommes-nous en danger de guerre nucléaire ? Ramsay, 1987.

SOURCES : Arch. PPo. carton 45. — Arch. Trotsky, Harvard, documents d’exil, n° 4573. — La Vérité, 1934-1935. — Révolution, 1935. — Bulletin d’information de la CICRC, 1954-1956. — Saturne, 1956-1959. — Bulletin d’informations de la Commission pour la Vérité sur les crimes de Staline, 1962-1964. — L. Trotsky, Le mouvement communiste en France, Éd. de Minuit, 1967. — J. Rabaut, Tout est possible ! Denoël, 1974. — G. Rosenthal, Avocat de Trotsky, R. Laffont, 1975. — J.-P. Joubert, A contre-courant : le pivertisme, Th., Grenoble, 1972. — S. Ketz, De la naissance du GBL à la crise de la LCI, MM, Paris I, 1974. — Rens. de J.-M. Brabant. — Témoignage de David Rousset [mars 1980]. — C. Ronsac, Trois noms pour une vie, R. Laffont, 1988. — É. Copfermann, David Rousset*, une vie dans le siècle, fragments d’autobiographie, Plon, 1991. — Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme. Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris 1950-1975, Fayard, 1994. — Numéro de Lignes consacré à David Rousset, mai 2000. — Les Archives de David Rousset ont été versés à la BDIC.

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