ROUVIER Ernest [ROUVIER Thomas, Ernest]

Par Antoine Olivesi

Né le 17 juillet 1884 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 14 février 1961 à Marseille ; directeur des hospices de Marseille de 1913 à 1927 ; militant socialiste ; conseiller général de Marseille.

Ernest Rouvier naquit dans la banlieue marseillaise de Mazargues ; son père, menuisier, et sa mère, lui donnèrent une éducation religieuse. Bon élève, remarqué par le curé de sa paroisse, il fit ses études d’abord à l’école communale de Mazargues puis au petit séminaire de Marseille où il connut Flavien Veyren ; il se destinait à la prêtrise. Mais au bout de trois ans, il fut chassé sous prétexte de lectures pernicieuses.

Selon Le Petit Provençal des années trente, Ernest Rouvier poursuivit ensuite des études à la faculté des lettres de Lille, puis à l’université de Bruxelles. De retour à Marseille, après son service militaire, il obtint, grâce à la protection du curé de Mazargues et de l’élu modéré Joseph Vidal, un emploi de commis expéditionnaire aux hospices de Marseille, le 1er octobre 1908. Il allait désormais y poursuivre toute sa carrière, et en 1913, par concours, il accéda au rang de directeur, fonction qu’il occupa sans discontinuer de 1913 à 1927. Léger Tarnat affirme qu’il fut alors appuyé par Fernand Bouisson et qu’il se serait rapproché de la SFIO par ambition tout en conservant des contacts avec Vidal et les milieux catholiques.

Après la guerre, il soutint Marius Latière, candidat SFIO dans le 10e canton au conseil général en décembre 1919, et adhéra à ce parti en 1922 (selon Tarnat). Devenu très anticlérical, ce que la droite lui reprochera lors des incidents sanglants du meeting à Castelnau du 9 février 1925, il aurait été reçu à la loge maçonnique « Parfaite Sincérité ». A la même époque, il appartenait au groupe « Les Enfants de 93 » et présidait plusieurs comités des Amis de l’instruction publique de son canton.

En juillet 1925, Ernest Rouvier fut élu conseiller d’arrondissement du 10e canton. Il présida le conseil d’arrondissement de Marseille. Trois ans plus tard, il devint conseiller général du même canton. Devenu l’année précédente, receveur des hospices, il administra principalement l’Hôtel-Dieu auprès duquel il résidait dans un appartement de fonction.

Considéré comme le lieutenant de Fernand Bouisson, Ernest Rouvier aspirait à lui succéder comme député de la 8e circonscription si ce dernier, comme le bruit en courait à l’époque, était élu président de la République en 1931. Constamment dénoncé au tournant des années trente par la presse communiste et la presse de droite comme dirigeant des équipes de truands, de gangsters, tel Noël Renucci (voir Rodolphe Carini), « quadrillant » le 10e canton et la 8e circonscription à son profit et au profit de Bouisson en période électorale ou dans toute autre mission, Rouvier était un personnage particulièrement controversé. En contrepartie, chacun s’accordait à lui reconnaître une grande popularité entretenue par des fêtes sportives ou autres, des réunions fréquentes d’associations, activités qui lui permettaient d’avoir une grande connaissance des quartiers.

Le 1er janvier 1931, Ernest Rouvier prit sa retraite en qualité de receveur spécial des finances des hospices. S’étant associé avec un riche fabricant de chaussures dans une affaire privée, la mort brutale de son associé le contraignit à demander à revenir à l’administration des hospices. Il y parvint en 1933 avec l’aide de Bouisson et fut nommé directeur de l’Hôtel-Dieu et de la Maternité. Un incident sanglant allait se greffer sur les rivalités politiques qui entretenaient, à cette époque, à Marseille, un climat assez trouble : ce fut l’affaire Edmée Dijoud*, en août 1933. L’origine en fut une réunion syndicale du personnel des hospices civils de Marseille, pour protester contre la nomination de Rouvier, suivie d’une bagarre dont fut victime Dijoud. Un comité « Edmée Dijoud » (CGTU, PC) fut constitué et réclama l’arrestation d’Ernest Rouvier. Celui-ci répondit par une affiche : « Les communistes hors des hôpitaux », rappelant son œuvre, la création de la maternité de la Belle-de-Mai, les nombreux emplois obtenus grâce à lui, y compris par ses futurs adversaires. Après cette affaire, Ernest Rouvier ne figurait plus, au début de l’année 1934, sur la liste des membres de la commission administrative des hospices que publia Le Petit Provençal du 4 janvier 1934, et Rouge-Midi fit campagne pour qu’il ne s’y fît pas inscrire de nouveau.

Ernest Rouvier suivit l’évolution de Fernand Bouisson. Déjà le 22 février 1933, il avait présidé un meeting où Marcel Déat avait pris la parole. Candidat indépendant, il se trouva dans une situation passablement embrouillée, ayant contre lui le candidat de droite, Marcel Grand, soutenu par Marseille-Matin, les communistes, naturellement, la Fédération départementale SFIO qui lui opposa un candidat, Adolphe Giraud, alors que seule la 10e section SFIO lui restait fidèle. Fernand Bouisson, Simon Sabiani et Le Petit Provençal lui apportèrent leur soutien. La campagne fut émaillée de polémiques très vives, de bagarres ; des coups de revolver furent tirés par les hommes de Rouvier contre les partisans de Grand.

De leur côté, les communistes firent du « cas Rouvier » un obstacle à l’unité d’action entre SFIO et PC dans les Bouches-du-Rhône. « Écartons l’obstacle Rouvier » devint l’un des slogans communistes. Mais la 10e section SFIO resta solidaire de son chef qui se proclamait « ni socialiste, ni communiste bolchevisant » au cours de sa campagne contre la réaction et contre le communisme. Il fit placarder des affiches : « Les communistes hors de Marseille. » Le PC affecta de ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires intérieures de la SFIO et affirma que l’unité se ferait d’elle-même.

Au 1er tour de scrutin, le 7 octobre 1934, Ernest Rouvier n’obtint que 2 431 voix sur 15 437 inscrits, contre 5 586 à Grand (URD), 1 448 à Adolphe Giraud (SFIO) et 1 030 à Firmin Félix (PC). Le lendemain, il annonça par lettre le retrait de sa candidature, remercia Le Petit Provençal et Simon Sabiani de leur appui et dénonça la campagne de calomnies dont il avait été l’objet. Grand fut élu au second tour. « Rouvier est fini politiquement », écrivit Rouge-Midi le 27 octobre 1934. Les articles biographiques de Léger Tarnat publiés les 27 octobre, 3 et 10 novembre, se terminaient en annonçant que la SFIO avait fini par exclure Rouvier tandis que Sabiani s’efforçait de le repêcher.

Ernest Rouvier ne joua plus, par la suite, un rôle politique important à Marseille. Amateur d’art, collectionneur de tableaux, déjà avant la guerre, il fut, après 1945, selon le témoignage de Francis J.-P. Chamant, le chroniqueur littéraire et artistique du journal modéré Le Méridional-la France, sous le pseudonyme de « Jean de Morgiou ».

Marié en 1909, veuf, Ernest Rouvier se remaria en janvier 1955 à Marseille. Son fils Camille (1915-1988) fut journaliste et critique d’art au Provençal.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130035, notice ROUVIER Ernest [ROUVIER Thomas, Ernest] par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 26 février 2021.

Par Antoine Olivesi

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, III M/49 et 54 ; V M 2/282 ; M 6/8428 ; M 6/10804. — Arch. Com. Marseille. — Le Petit Provençal, 14 décembre 1919, 20 juillet et 23 octobre 1925, 21 octobre 1928 et 22 octobre 1928 (photo), 4, 5, 7, 8 octobre 1934. — Marseille-Matin, 4 à 10 août 1933, 30 septembre et 8 octobre 1934. — Rouge-Midi, 6 janvier, 28 juillet, 4 et 11 août, 27 octobre et 10 novembre 1934. — Massalia, 26 octobre 1929. — Le Méridional-La France, 18 février 1961 (avis de décès). — Jacques Duclos, Mémoires, Paris, Fayard, 1968-1973, 7 vol.. — Adrien Mouton, Notes d’un vétéran sur les soixante ans du Parti communiste français, 1920-1980, Arles, 1981. — Jean Bazal et J. Baudelaire, Marseille entre les deux guerres, 1919-1939, Grenoble, 1977,. — Témoignage de Francis J.-P. Chamant.

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