SAINT-PRIX (de) Jean (de SOUBEYRAN)

Par Nicole Racine

Né le 25 septembre 1896 à Montélimar (Drôme), mort le 18 février 1919 à Paris ; écrivain et journaliste pacifiste.

Jean de Saint-Prix était issu d’une famille de vieille bourgeoisie républicaine : son père, magistrat était conseiller à la Cour, sa mère, Marguerite de Saint-Prix, était la fille de l’ancien président de la République, Émile Loubet ; un Ernest de Saint-Prix dirigea la société secrète des Rouges dans la Drôme en 1850 ; le trisaïeul paternel de Jean, Hector de Soubeyran de Saint-Prix, avait siégé à la Convention comme représentant de l’Ardèche, puis au conseil des Cinq-Cents. Emporté à 22 ans par la grippe espagnole, pacifiste, rollandiste, Jean de Saint-Prix apparut « avec la grâce de sa jeunesse et son cœur intrépide » (Marcel Martinet) comme une incarnation de l’idée de révolution.

Membre du groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires dès avant 1914, Jean de Saint-Prix passa sa licence de philosophie en Sorbonne en 1915, soutint quelques mois plus tard un diplôme remarqué d’études supérieures (La Conscience comme principe spirituel, 1916). Le déclenchement de la guerre avait provoqué en lui une profonde crise morale : « Je croyais à la fraternité des hommes, je croyais à la vérité, je croyais à la vie. Le monde me semblait tout proche du but de son évolution [...] Et la réalité m’a répondu par ce cinglant soufflet : la guerre. Ce fut un effondrement. Du jour au lendemain, je ne crus plus à rien. Vérité, Révolution, Idéalisme : mensonges, mensonges, mensonges ! » (lettre à Émile Masson*, 6 août 1918). Il se lança dans le combat pacifiste sans souci de compromettre le nom qu’il portait. En juin 1917, il affirma sa sympathie pour Romain Rolland* dans une petite revue, La Belle matineuse. En août 1917, au plus fort de son angoisse morale, il partit pour la Suisse afin de rencontrer l’auteur d’Au-dessus de la mêlée. Celui-ci, d’abord méfiant envers ce jeune français « d’âge mobilisable, qui passe si facilement la frontière » (de santé fragile, Saint-Prix avait été réformé deux fois), se reconnut en ce jeune homme doué et ardent qu’il allait considérer comme son jeune frère. Jean de Saint-Prix passa trois semaines en Suisse où R. Rolland lui fit connaître le petit milieu pacifiste genevois. Avant de quitter la Suisse, il publia dans les Tablettes de Claude Le Maguet*, une « lettre aux Suisses », signée du pseudonyme de Jean-Louis (R. Rolland lui avait demandé de ne pas se compromettre inutilement) ; il publia à la même date dans Demain d’H. Guilbeaux un texte violent, « À propos des intellectuels français », dans lequel il dénonçait en termes sévères la servilité des intellectuels, « fonctionnaires » de la IIIe République, notamment ses maîtres de l’Université républicaine, Brunschwig, Bergson, Lalande, Durkheim.

À Paris, Jean de Saint-Prix entra en contact avec le petit réseau rollandien français, Marcel Martinet* avec lequel il se lia profondément, Fernand Desprès*, Gustave Dupin*. Il prit la défense de Romain Rolland* (Le Populaire, 29 septembre 1917), celle d’Henri Guilbeaux* (lettre à Ce qu’il fait dire, 28 décembre 1917). Il collabora à L’Avenir international, aux revues pacifistes, Les Cahiers idéalistes français d’Édouard Dujardin*, à La Forge. Il participa aux activités de la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre. Au sein du Groupe des étudiants socialistes révolutionnaires, il se situait, d’après le témoignage d’Émile Chauvelon* à l’extrême gauche, glorifiant la Révolution bolchevique dans ses poèmes. D’après Boris Souvarine, il avait été lié à A. Lounatcharsky (Le Journal du peuple, 20 février 1919). Également adhérent de la Ve section socialiste, il y fit la connaissance de Marcel Ollivier. Critiquant Charles Rappoport* qui avait réprouvé la dissolution de la Constituante par les bolcheviks, il lui envoya une lettre violente lui demandant de la publier dans la Vérité. En fait ses écrits montrent un certain flottement dans sa vision du bolchevisme ; la violence lui répugnait mais il pensait la révolution inéluctable, cherchant à concilier Tolstoï et R. Rolland à Marat et Lénine.

Jean de Saint-Prix fut avec F. Desprès, M. Martinet, G. Dupin, É. Masson l’un des fondateurs de La Plèbe (n° 1, 13 avril 1918) qui n’eut que cinq numéro dont la plupart parurent blanchis par la censure, avant que le journal ne fût interdit après le numéro du 1er mai. Après l’interdiction de La Plèbe, Jean de Saint-Prix revendiqua ses responsabilités et ses amitiés (lettre à F. Desprès, Le Journal du peuple, 5 juin 1918). En juin 1918, il demanda son admission au groupe socialiste de Valence, ce qui, d’après un rapport de police, suscita beaucoup d’embarras. Il ne cessa d’écrire, adressant à R. Rolland de nombreux manuscrits, essais, poèmes, pièces de théâtre que celui-ci recommandait à des revues.

Après sa mort, ses amis lui consacrèrent un numéro de L’Avenir international. En 1924, Romain Rolland préfaça aux éditions Rieder un recueil de ses lettres adressées notamment à F. Desprès, G. Dupin, M. Martinet, É. Masson et à lui-même. En 1980 parurent, sous le titre En plein vol, la correspondance Jean de Saint-Prix-R. Rolland ainsi que de nombreux documents présentés par son frère, Pierre de Saint-Prix.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130252, notice SAINT-PRIX (de) Jean (de SOUBEYRAN) par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 18 août 2020.

Par Nicole Racine

Marguerite Soubeyran avec Jean et Pierre

ŒUVRE : La Conscience comme principe spirituel, Alcan, 1927. — Lettres (1917-1919), Rieder, 1924. — En plein vol, Jean de Saint-Prix et Romain Rolland, lettres 1917-1919, A. Michel, 1980 (Cahiers R. Rolland, n° 25).

SOURCES : Arch. PPo. B/A 1 1562. — Arch. Dép. Drôme, Z 3752. — L’Avenir international, mai 1919. — Andrée Forny, La Pensée et l’œuvre de Jean de Saint-Prix, 1919. — H. Guilbeaux, Du Kremlin au Cherche-Midi, Gallimard, 1933. — R. Rolland, Journal des années de guerre 1914-1918, A. Michel, 1952. — C. Prochasson, Place et rôle des intellectuels dans le mouvement socialiste français (1900-1920), Th., Paris-I, 1989. — M. Ollivier, Souvenirs inédits. — Notes de R. Pierre. — Lettre de Pierre de Saint-Prix, 7 octobre 1991. — Fond Pierre de Saint Prix sur le site des archives de la Drome. — Antoine (Régis), La Littérature pacifiste et internationaliste française : 1915-1935, l’Harmattan. — Journal des débats politiques et littéraires, 15 février 1851, page 2.

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