SAUTY Joseph, Jean-Baptiste

Par Bruno Béthouart

Né le 25 novembre 1906 à Amettes, mort le 11 juillet 1970 à Méricourt ; mineur de fond ; secrétaire du Syndicat Libre des Mineurs du Pas-de-Calais, président de la fédération nationale des ETAM CFTC, président national de la CFTC de 1964 à 1970.

Tribune du congrès de la Fédération régionale des mineurs de charbon CFTC de Lorraine le 17 juin 1956 avec de gauche à droite :
Émile Engel, Marcel Monnet, Joseph Becker, Robert Mourer, Nicolas Meyer, Joseph Sauty et Alfred Quirin

Natif du pays de Benoît-Joseph Labre, en 1906 l’année de la catastrophe de Courrières qui fit 1 200 victimes, ce fils d’Antoine Sauty, cultivateur puis mineur de fond et de Blanche Beilliard, repasseuse, après des études primaires décida de s’embaucher à la fosse 7 de Maries comme abatteur, à la veille de Noël 1919, alors qu’il venait d’avoir treize ans. Joseph Sauty fut marqué durant sa jeunesse par son curé de paroisse, le chanoine Joseph Rault, abbé démocrate préoccupé des questions sociales et par un milieu familial très pratiquant : quatre cousins germains, les « Beilliard », devinrent prêtres. Cependant comme son père, il adhéra à la CGT en 1920 et connut les affrontements CGT- CGTIJ en 1921-1922. Après avoir fait connaissance de Jules Catoire, secrétaire de l’UD CFTC du Pas-de-Calais, de Félix Pierrain qui, avec Louis Delaby, furent à l’origine du syndicalisme chrétien des mineurs dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais, il décida de rejoindre six ans plus tard le SLM (Syndicat Libre des mineurs) où il approfondit sa culture chrétienne et sa formation sociale au contact de Mgr Hoguet, directeur des œuvres diocésaines, du père Piat, franciscain, aumônier missionnaire du Travail lors de cercles d’études proposés dans le cadre des secrétariats sociaux.

Membre du syndicat des ouvriers mineurs chrétiens, il devint le secrétaire de la fédération de Maries qui se trouva au coeur du combat en faveur du pluralisme syndical en juillet 1936. Devant son refus d’adhérer à la CGT réunifiée, les responsables du puits ordonnèrent la grève à chaque fois que Joseph Sauty se présentait au siège n° 7. La perturbation était telle que l’ingénieur lui acheta une carte syndicale CGT qu’il refusa immédiatement. Les brimades qui s’étendaient jusqu’aux familles des mineurs du SLM cessèrent peu à peu mais alors que la détente s’opérait un peu partout dans le bassin minier, les « rebelles » de Maries furent déplacés de leur lieu de travail habituel et parqués dans « un camp de concentration » pour éviter la contagion selon le vœu de la centrale cégétiste. Grâce aux interventions des responsables nationaux de la CFTC, notamment d’Henri Meck, de Gaston Tessier auprès du Gouvernement de Léon Blum dont le ministre du Travail était Jean-Baptiste Lebas, les syndicalistes chrétiens obtinrent gain de cause. Le 1er mars 1937, le « rebelle », après 18 années de travail au fond de la mine, devint secrétaire permanent du SLM aux côtés de Louis Delaby et Jules Pruvost. Lors du « congrès de la liberté » tenu les 3 et 4 avril 1937 à Lens, il fut chargé de remettre une lampe de mineur à Jules Zirnheld* en présence d’environ 2 000 participants dans la grande salle de l’Alhambra, près de la gare. Henri Meck proposa alors de lui confier le secrétariat fédéral. Le 21 mai 1939 avec Louis Beugniez, Louis Delaby et Jules Pruvost, il fut fait chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand en présence des 50 000 personnes rassemblées à Béthune en l’honneur du Christ-Ouvrier. Le 21 septembre 1939, il épousa en secondes noces Marguerite Deprez née le 10 octobre 1913 à Hornaing dans le Nord après le décès de son épouse Eugénie Dumez, mère de ses deux aînés, Julien et Bernard. Joseph Sauty eut huit enfants de son second mariage, Pierre, Monique, Jean, Bernadette, Thérèse, Gérard, Michel et Marc.

Mobilisé en 1939 puis mis en affectation spéciale, il revint dans le bassin minier, il soutint Jules Catoire et Louis Delaby dans le combat contre la Charte du Travail, assura le collectage discret des cotisations et la diffusion de journaux clandestins tels que Témoignage Chrétien. Il s’engagea dans les milices patriotiques lors des combats de la Libération. Du ler au 6 septembre 1946, Joseph Sauty participa avec 150 autres syndicalistes mineurs CFTC au « pèlerinage de la Liberté » à la suite du vœu émis par Louis Delaby d’aller à pied jusqu’à Paris après la Libération. À nouveau élu secrétaire général des mineurs du Nord-Pas-de-Calais et de la Fédération nationale des mineurs de la centrale chrétienne avec Félix Pierrain comme secrétaire délégué et Louis Delaby au secrétariat général des ETAM (Employés, techniciens et agents de maîtrise), il se consacra à l’animation de son syndicat par l’entremise notamment du journal l’Écho des Reines imprimé par l’imprimerie de la Centrale née des projets clandestins des militants syndicalistes. Il présida le syndicat régional des mineurs CFTC ainsi que la société de secours minière de Courrières. Après avoir participé à la mise en place des premiers conseils d’administration des Houillères, il en devint vice-président à la suite de Jules Catoire et siégea à la CODER (Commission de développement économique régional) de la région Nord-Pas-de-Calais. Il veilla également à l’application du statut du mineur dont le projet avait été défendu par Jules Catoire et Louis Beugniez devenus députés MRP dès 1945. Présent au comité directeur de la Fédération des républicains populaires du Pas-de-Calais en 1950, il se consacra essentiellement à ses activités syndicales.

Joseph Sauty s’investit dans la Fédération des mineurs CFTC et prit en charge les problèmes de sécurité sociale dans son secteur d’Hénin-Liétard. Il se montra très actif lors dé la période des grèves de 1947 puis à nouveau en 1948 aux côtés de Jules Catoire et Louis Delaby et dénonça les méthodes d’action telles que l’abandon des sécurités essentielles dans les puits de mines. Avec Louis Delaby, président de la Fédération des mineurs CFTC, il travailla à l’instauration d’une politique contractuelle en vue de la signature d’accords de salaires dans la profession minière. La prime de résultats liée à la productivité fut ainsi obtenue. Il mit en place avec l’équipe dirigeante dès 1952 une caisse de résistance, expérience originale en France, permettant d’apporter un soutien financier aux grévistes. Lors des divers congrès nationaux, il défendit l’organisation d’une politique coordonnée de l’énergie, préconisa la nécessité de préparer l’avenir par une diversification des activités minières et une industrialisation de ces régions.

Élu président de la Fédération des mineurs CFTC lors du congrès de Metz en 1962, il joua un rôle décisif en 1963 en s’opposant à l’ordre de réquisition du général de Gaulle. Après avoir rassemblé à Lens les 400 principaux responsables du syndicat des Mineurs CFTC du Pas-de-Calais et les avoir persuadés de la nécessité du combat, il mena la grève qui allait durer 35 jours, du 1er mars au 5 avril 1963 et devint le porte-parole principal des mineurs devant les médias. L’intervention d’une commission des sages dirigée par Jean Massé permit de résoudre le conflit. Fort de ce succès syndical, attaché à la pérennité d’un syndicalisme ayant apporté sa part à l’évolution sociale moderne, il dénonça à plusieurs reprises les tentatives de « noyautage », de « colonisation interne » de la CFTC et réaffirma, à sa manière directe, son attachement à la tradition chrétienne lors du 32e congrès de la CFTC à Issy-les-Moulineaux en juin 1963 : « ceux qui ne sont pas contents peuvent changer de crémerie ! ». En mai 1964, au cours du Comité national de la centrale chrétienne, il insista sur la nécessité d’abandonner les querelles et fit un appel à la réconciliation autour d’un programme d’action. En septembre de la même année, au congrès de la Fédération des Mineurs de Douai, il annonça en clôture des débats sa détermination devant la menace de l’abandon de la référence chrétienne : « nous ne marcherons pas ».

Après le résultat favorable à « l’évolution » vers la CFDT le 7 novembre 1964 à Paris, le jour même, il fut nommé président du bureau provisoire par les 400 minoritaires réunis au Musée social qui voulaient une « CFTC maintenue ». Le lendemain, malgré une santé de plus en plus fragile, il accepta d’assurer la présidence de la Confédération. S’appuyant sur la solide fédération des mineurs, sur d’autres syndicats tels que celui de la Banque de France, celui de la BNP, sur les cheminots d’Alsace-Lorraine et sur les syndicats de Moselle, épaulé par Jacques Tessier (voir ce nom), secrétaire général et son adjoint Jean Bornard*, il fut l’animateur principal de la reconstruction du syndicalisme chrétien. Il était à la tête d’une délégation de responsables CFTC « maintenue » qui, en janvier 1965, fut reçue en audience par le premier ministre, Georges Pompidou. Alors que Gilbert Grandval, ministre du Travail, se montrait réservé lors d’une rencontre en avril de la même année, le général de Gaulle accorda au président de la CFTC et à son secrétaire général une entrevue qui leur redonna de l’espoir. En mars 1966, un décret installa la CFTC parmi les confédérations nationales les plus représentatives. Avant la promulgation en août 1967 par Jean-Marcel Jeanneney, ministre des Affaires sociales des ordonnances sur le système de participation des salariés aux résultats des entreprises, les responsables de la CFTC avaient été consultés. Joseph Sauty vint s’asseoir à la table des négociations de la conférence de Grenelle en 1968 et ne manqua pas de répliquer avec, humour au porte-parole de la CFDT qui contestait sa présence.

Particulièrement recherché depuis la grève des mineurs de 1963 par la presse écrite et parlée séduite par la personnalité de cet homme de la mine, père de 10 enfants, Joseph Sauty disposait d’un réel crédit dans l’opinion publique. Il marqua de son empreinte les congrès nationaux par ses discours mais également son sens de la répartie, de la formule. Après 44 années d’action syndicale dont 39 à la CFTC, alors qu’il venait d’être promu officier de la Légion d’honneur et qu’il devait assister le 13 juillet à Méricourt à la messe de prémices de l’un de ses fils, Jean, il mourut le 11 juillet, victime d’un problème cardiaque lié à la silicose qu’il avait contribué à faire reconnaître comme maladie professionnelle. Avec son tempérament de feu, ses manières simples, sa foi enracinée, il avait toujours cherché à concilier progrès, justice, indépendance et liberté.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130601, notice SAUTY Joseph, Jean-Baptiste par Bruno Béthouart, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 7 septembre 2015.

Par Bruno Béthouart

Tribune du congrès de la Fédération régionale des mineurs de charbon CFTC de Lorraine le 17 juin 1956 avec de gauche à droite :
Émile Engel, Marcel Monnet, Joseph Becker, Robert Mourer, Nicolas Meyer, Joseph Sauty et Alfred Quirin

SOURCES : Témoignage de Bernadette Sauty, courrier du 17 août 1997, du 24 novembre 1997, du 3 février 1998. — Courrier d’Edmond Szymanski, le 28 janvier 1998. — L’Écho des Mines n° 531, août 1970. — Nord-Eclair, 11 juillet 1970, 14 juillet 1970, 16 juillet.1970. — Le Monde, 14 juillet 1970. — Archives de Jules Catoire, Saint-Nicolas-les-Arras. « Figures de proue du syndicalisme chrétien », Syndicalisme CFTC, novembre 1977. —Supplément à l’Écho des Mines édition spéciale, juillet 1974, « 1924-1974 : un demi-siècle au service des travailleurs des mines, La fédération des mineurs CFTC (ouvriers, ETAM, Ingénieurs, Retraités) », La Centrale, Lens. — « Cent ans de syndicalisme chrétien, 1887-1987 », supplément à Syndicalisme CFTC, n° 229, novembre 1987. — Louis Delaby, La Trouée, Liévin, L’Imprimerie artésienne, 1977. — Jacques Tessier, : La CFTC Comment fut maintenu le syndicalisme chrétien, Paris, Fayard, 1987. — Y.-M. Hilaire, Une chrétienté au XIXe siècle ? La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914), Lille, PUL, 1977. — Bernard Wozniak, La CFTC et le problème des maladies professionnelle dans les mines du bassin Nord Pas-de-Calais (1945-1959), maîtrise, Lille III, 1976. — Bruno Béthouart, « CFDT/CFTC : la rupture de 1964 » in Ruptures dans le religieux contemporain, Cahiers de la Maison de la Recherche, Lille III, p ; 71-85. — Bruno Béthouart, Jules Catoire, Arras, Artois Presse Université, 1996. — Bruno Béthouart, « La naissance du syndicalisme chrétien dans le Pas-de-Calais », in Le Mouvement social, n° 174, janvier-mars 1996, p. 75-95. — Notice de Michel Launay dans le tome 41 du Maitron.

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