SCHULHOF Catherine

Par Yves Verneuil

Née le 4 octobre 1885 à Paris (IVe arr.), morte le 2 juin 1960 à Cahors (Lot) ; professeure agrégée de sciences ; présidente de la Société des agrégées ; militante syndicaliste du S3 puis du SNES.

Catherine Schulhof
Catherine Schulhof
Photo publiée dans L’Agrégation

Son père, Léopold, était un juif d’origine hongroise. Né en 1847 dans l’Empire autrichien, il était astronome à l’observatoire de Vienne, lorsqu’en 1875 celui de Paris fit appel à ses services, comme calculateur au bureau des longitudes. Il fut naturalisé français en 1884 et devint un patriote souhaitant avec ferveur la victoire de la France, contre son pays d’origine, pendant la Grande Guerre. L’Académie des Sciences lui décerna sept prix. Ce scientifique fut par ailleurs décoré de la Légion d’honneur en 1914. Il eut quatre enfants, dont deux connurent la réussite universitaire, puisqu’ils furent reçus premiers à l’agrégation : Catherine et son frère Ezio Schulhof, futur professeur au lycée Louis-le-Grand.

Catherine Schulhof accomplit toutes ses études au lycée Fénelon à Paris, dès les classes primaires. En octobre 1904, elle entra à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, dans la promotion scientifique. Elle y trouva des maîtres éminents : Jean Perrin, Paul Langevin et surtout Marie Curie, dont l’enseignement et la personnalité l’impressionnèrent profondément. L’accession de cette femme à une chaire de l’enseignement supérieur représentait pour elle un modèle. En 1906, Catherine Schulhof obtint le certificat d’aptitude en sciences, et l’année suivante, fut reçue première à l’agrégation de sciences physiques et naturelles.

Nommée au collège de filles de Poitiers (Vienne), en octobre 1907, Catherine Schulhof était toutefois fort déçue. Elle ne pouvait prétendre à la préparation d’une thèse, car le ministère n’accordait pas de détachement aux agrégées, alors qu’à l’issue de sa scolarité à l’ENS, son frère Ezio avait été nommé élève à l’École d’Athènes. De plus, elle n’avait pas été nommée dans un lycée, comme l’aurait l’exigé son statut car, après une période d’expansion, les carrières de l’enseignement secondaire féminin étaient embouteillées ; si bien qu’elle ne recevait pas un traitement d’agrégée, ni même l’indemnité d’agrégation, situation à ses yeux injuste et humiliante. Comme beaucoup d’anciennes normaliennes, elle était impatiente d’être nommée à Paris, mais l’inspection lui fit comprendre que son espoir était prématuré.

En 1912, elle fut enfin nommée dans un lycée, à Besançon (Doubs). Elle fit bonne impression à l’inspecteur d’académie : « tempérament précis et clair », « une physionomie expressive d’énergie », « une franchise d’allure qui prédispose en sa faveur », mais le recteur pointait en 1913 que « son enseignement en mathématiques laisse à désirer au point d’avoir suscité les plaintes de certains parents ». Elle n’avait demandé Besançon qu’à contrecœur, pour ne plus être dans un collège, était amère, déçue du sort qui lui était réservé. C’est ce qu’elle expliqua sans ambages en 1913 à l’inspecteur général que cela irrita : « Elle appartient à cette catégorie de jeunes fonctionnaires qui n’ont jamais rencontré dans leur carrière de difficultés sérieuses, et qui se figurent aisément que tout doit toujours marcher en fonction de leur désir ». L’inspecteur jugea néanmoins son enseignement satisfaisant, et, en octobre 1913, elle fut nommée à Bordeaux, comme professeur déléguée. Mais un inspecteur général vint presque aussitôt l’inspecter le 13 décembre, et à nouveau deux jours plus tard, la surprenant dans une leçon d’astronomie mal préparée. Dans son rapport il estima que « Mademoiselle Schulhof n’est plus à sa place à Bordeaux et qu’elle ne mérite pas un lycée voisin de Paris ». Humiliée, elle fut nommée provisoirement à Nîmes (octobre 1914-janvier 1915) puis, en février 1915, toujours comme suppléante, au lycée de garçons de Bourg (Ain), pour remplacer un professeur mobilisé. Elle fut appréciée par son proviseur et par le recteur : « c’est certainement un professeur de grande valeur, ayant de l’avenir ». Son inspection fut cette fois si satisfaisante que l’inspecteur jugea son vœu d’obtenir un lycée dans les environs de Paris à retenir, d’autant plus qu’elle acceptait éventuellement un lycée de garçons.

En octobre 1916, elle fut nommée au lycée de jeunes filles de Caen (Calvados) et fut chargée de la préparation au baccalauréat. L’année suivante, elle fut enfin nommée à Paris, au lycée Fénelon, d’abord à titre provisoire puis à titre définitif. Elle ne devait plus le quitter, jusqu’à sa retraite, en octobre 1951, hormis une interruption durant la guerre.

Selon sa directrice, c’était une « femme de caractère, un peu trop peut-être mais une personne sûre et d’une haute intégrité, qui mérite la bienveillance de ses chefs et la confiance des familles ». La préparation des jeunes filles, déjà bachelières ou brevetées, au concours d’entrée à l’École normale technique lui fut confiée. En 1919, elle fut nommée officier d’académie, en 1926 officier de l’Instruction publique. Durant les années trente les éloges étaient unanimes. On la disait diligente et dévouée à ses élèves. En 1938, elle reçut la Légion d’honneur.

Les déboires professionnels de Catherine Schulhof au début de sa carrière jouèrent certainement un rôle important dans la maturation de ses convictions en faveur de l’assimilation de l’enseignement secondaire féminin à son homologue masculin. Cette célibataire à l’abord un peu rude fit de la promotion de l’enseignement secondaire féminin le but de sa vie et s’engagea pour cela dans les groupements corporatifs. Membre du bureau de la Fédération nationale des professeurs de lycée et du personnel de l’enseignement secondaire féminin au début des années 1920 (membre adjoint en 1921-1922, vice-présidente en 1922-1923), elle fut surtout la cheville ouvrière de la Société des agrégées. Membre de son bureau depuis sa fondation en 1920, elle devint secrétaire adjointe en 1926, puis secrétaire générale en 1928. En 1932, elle fut élue à la tête de la Société. Elle était la première présidente pourvue d’une agrégation scientifique.

Catherine Schulhof contribua aux grandes conquêtes en faveur de l’égalité : identification des enseignements secondaires masculin et féminin (1924), élargissement des jurys de baccalauréat aux femmes professeures (1928), ouverture du concours général aux jeunes filles (1930), égalité des maxima de service entre agrégés et agrégées (1931), représentation des femmes professeures au Conseil supérieur de l’Instruction publique (1933). Alors que certaines femmes professeures auraient voulu conserver sa spécificité à l’enseignement secondaire féminin, elle plaida toujours en faveur non de l’égale dignité, mais de l’identité des enseignements masculin et féminin. Après l’identification, elle s’affirma favorable à la disparition de la « section diplôme » (qui menait à un diplôme de fin d’études spécifique à l’enseignement féminin), au motif que cette section servait seulement de refuge aux mal-douées. La Société des agrégées ne se rallia à cette position qu’en 1934. À cette date, Catherine Schulhof présenta par ailleurs au Syndicat national des professeurs de lycée et du personnel de l’enseignement secondaire féminin (dit S3) un projet d’identification complète des agrégations masculines et féminines, avec classement unique, projet qui fut combattu par la Société des agrégés. De tempérament combatif, elle fit voter en mars 1931 par l’assemblée générale de la Société des agrégées, contre l’avis de la présidente, Gabrielle Véroux, plus prudente, l’abstention du personnel lors des fêtes de commémoration du Cinquantenaire de l’enseignement secondaire féminin  : c’est ce vote qui précipita l’acceptation par les pouvoirs publics de l’égalité des maxima de service entre agrégés et agrégées.

La présidence de Catherine Schulhof fut au demeurant marquée par un plus grand souci catégoriel, qui se traduisit notamment par l’exigence de priorité des agrégées sur les non-agrégées dans les affectations. Cette orientation conduisit à un rapprochement (limité) avec la Société des agrégés. En 1934, elle signa ainsi avec Pierre Couissin, président de la Société des agrégés, un rapport commun sur le cadre de Paris, qui préconisait le maintien du monopole des agrégés sur les chaires de ce cadre, en se fondant sur l’idée que la compétence des professeurs était d’abord d’ordre scientifique. De fait, elle était moins soucieuse de pédagogie que les premières présidentes de la Société des agrégées. D’ailleurs, plutôt que d’un renforcement de la formation pédagogique à l’ENS de Sèvres, elle prônait une élévation du niveau des enseignements : selon elle, ceux-ci ne devaient plus être des enseignements « secondaires supérieurs », en particulier dans la section scientifique, qui devait être mieux pourvue en laboratoires. Le rattachement de l’ENS de Sèvres à la direction de l’enseignement supérieur fut pour elle un combat constant, qui fut satisfait par le gouvernement du Front populaire. Elle se félicita d’ailleurs des nombreuses mesures prises en faveur de l’enseignement secondaire féminin par Jean Zay, ministre auquel elle rendit un hommage appuyé lors de son départ en 1939.

Au moment du Front populaire, l’équipe dirigeante de la Société des agrégées était proche des partis au pouvoir. Dans les années 1930, Catherine Schulhof adhérait elle-même au Syndicat des professeurs de lycée–FGE (CGT) et fut membre de sa commission des affaires corporatives ainsi que de sa commission pédagogique. Elle était toutefois moins engagée que Marthe Fauré dans le syndicat cégétiste. Comme son frère Ezio, elle redoutait par ailleurs une scission au sein du S3 entre cégétistes et partisans du maintien de l’autonomie. Syndicaliste convaincue, elle était très attachée à la collaboration, au reste statutaire, entre la Société des agrégées et le S3. Elle-même était secrétaire de la section académique (S2) de Paris. Lorsqu’en 1937 les cégétistes fondèrent le Syndicat du personnel de l’enseignement secondaire, elle démissionna du S3. À cette occasion, apparut au sein de la Société des agrégées un groupe contestant la permanence du groupe dirigeant. Mais par-delà la dénonciation de la dérive oligarchique, c’étaient les cégétistes qui étaient visées. Catherine Schulhof se défendit et fut réélue à la tête de la Société, même si la majorité de ses membres étaient politiquement plus modérés.

D’abord réticente, la Société des agrégées avait fini par adhérer en 1929 au Conseil national des femmes françaises (CNFF). Même si elle était moins présente que Marthe Fauré et que Marguerite Schwab-Sommer au sein des organisations féministes, Catherine Schulhof confirma cette orientation. Elle-même était membre de l’Association des femmes françaises diplômées de l’Université. Dans les années 1930, la Société des agrégées défendit ainsi le « travail féminin » contre les menaces de limitation ou du contingentement. Elle agit aussi en faveur de la reconnaissance de la capacité civile des femmes mariées, action qui contribua au vote de la loi Renoult en 1938. Avec le CNFF, elle mena une action en faveur de l’émancipation des femmes d’Afrique du Nord par l’enseignement. En 1937, elle fut membre du comité d’organisation du Congrès international des activités féminines, prévu à l’occasion de l’Exposition universelle.

En 1940, Catherine Schulhof fut repliée au lycée de garçons de Grenoble, puis au lycée de jeunes filles de la même ville. Elle aurait été nommée à Bourg, si elle n’avait pas été écartée de l’enseignement du fait de son origine juive. Elle tenta d’éviter son renvoi d’office en faisant état de ses mérites. Outre son service au lycée Fénelon, sa qualité de présidente de la Société des agrégées, sa fonction, à partir de 1930, de déléguée à titre consultatif de l’Enseignement secondaire féminin au Conseil académique de Paris, elle fit valoir, dans un contexte où on valorisait les anciens combattants, qu’en 1917-1918 elle avait créé l’imprimerie Braille du lycée Fénelon, œuvre destinée aux aveugles de guerre et subventionnée par l’Association des anciennes élèves du lycée Fénelon. À cette occasion, elle avait inventé de nouveaux signes concernant les mathématiques supérieures et, pendant ses vacances, recopié, en les traduisant, des livres qui étaient donnés à la Bibliothèque départementale des mutilés de guerre et à celle de l’Union des aveugles de guerre (et par la suite à toutes sortes de bibliothèques). L’Œuvre Braille avait valu à l’Association des anciennes élèves du lycée Fénelon un prix de l’Académie française, en 1924, et avait été reconnue comme œuvre de bienfaisance en 1928.

Cependant, les espoirs de Catherine Schulhof de ne pas voir appliquer à son encontre le Statut des Juifs du 2 juin 1941 se révélèrent vains : le Commissariat aux questions juives estima en effet que « ses services personnels ne présentaient aucun caractère exceptionnel ». Exclue de la Fonction publique, elle vécut à Grenoble avec son frère Ezio, replié comme elle au lycée de Grenoble. Il n’avait pas été révoqué, car ses services atteignaient quarante ans en décembre 1940, et avec sa pension de retraite, il put aider sa sœur.

Lorsqu’elle revint à Paris, en 1944, Catherine Schulhof ne parvint pas à récupérer son appartement. Elle fut cependant réintégrée dans son poste au lycée Fénelon. L’inspecteur général qui lui rendit visite en février 1947 estima que « sa leçon [était] un chef d’œuvre ». Elle aurait dû prendre sa retraite en 1948, mais demanda à prolonger son activité, en raison du préjudice causé pendant la guerre. L’administration accéda à ce désir, conformément à la loi du 15 février 1946 concernant les fonctionnaires frappés de sanctions par le gouvernement de Vichy. Elle resta donc en activité jusqu’en 1951. À cette date, elle fut promue officier de la Légion d’honneur.

À la Libération, Catherine Schulhof adhéra au Syndicat national de l’enseignement secondaire. Dans L’Université syndicaliste du 25 février 1948, elle signa en deuxième position l’appel « Pour un Syndicalisme indépendant » préconisant l’affiliation du SNES à la CGT-FO. En étant membre de sa commission corporative, bien que non-élue à la commission administrative, elle reprit ses fonctions à la tête de la Société des agrégées. En 1948, en dépit de ses réserves, elle mena à bien la fusion de la Société avec son homologue masculine. Elle négocia la création, à l’intérieur de la Société unifiée, de la Section des intérêts féminins, dont elle devint la présidente. En 1955, considérant que les géminations d’établissements se faisaient au préjudice de l’enseignement secondaire féminin, elle obtint une audience ministérielle, à laquelle elle se rendit sans se faire accompagner par le président de la Société, ce qui lui fut vivement reproché. Elle démissionna alors de la présidence de la Section des intérêts féminins, où elle fut remplacée par Marguerite Schwab-Sommer. Après sa retraite, elle représenta le GRES (Groupe des retraités de l’enseignement secondaire) à la commission administrative du SNES.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130799, notice SCHULHOF Catherine par Yves Verneuil, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 5 février 2021.

Par Yves Verneuil

Catherine Schulhof
Catherine Schulhof
Photo publiée dans L’Agrégation

SOURCES : Arch. Nat. F17/25465 [Catherine Schulhof] ; F17/25086 [Ezio Schulhof] ; AJ16/6154 [Catherine Schulhof] ; LH/19800035/333/44884 [Catherine Schulhof] ; LH/2487/6 [Léopold Schulhof)]. —L’Ère nouvelle, 26 avril 1923. — "In Memoriam" Catherine Schulhof, agrégée de l’Université, présidente d’honneur de la Société des agrégées, professeur honoraire au lycée Fénelon, officier de la Légion d’honneur, Discours prononcés sur sa tombe le 7 juin 1960, Cahors, impr. Coueslant, s.d.. — Yves Verneuil, « La Société des agrégées, entre féminisme et esprit de catégorie (1920-1948) », Histoire de l’éducation, 115-116, 2007, p. 195-224. — Notes d’Alain Dalançon et de Jacques Girault.

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