SÉDOV Léon [SÉDOV Lev Lvovitch dit]. Pseudonymes : SCHWARTZ, MARKINE, DURAND, GIL, ALEX, DIX

Par Pierre Broué

Né le 24 février 1906 à Saint-Pétersbourg (Russie), mort le 16 février 1938 à Paris ; fils et principal collaborateur de Léon Trotsky, militant communiste de l’Opposition « bolchevik-léniniste » puis du mouvement pour la IVe Internationale.

Léon Sédov
Léon Sédov
Collection Gérard Rosenthal

La mère de Sédov Lev Lvovitch, en France Léon Sédov, Natalia Ivanovna Sedova, de petite noblesse, étudiante social-démocrate, avait dû quitter la Russie et étudiait l’histoire de l’art à Paris quand elle connut l’homme de sa vie. Son père, Lev Davidovitch Bronstein, que l’univers socialiste commençait à connaître sous le nom de Trotsky préparait alors son procès avec celui du soviet de Saint-Pétersbourg dans une cellule de la forteresse Pierre-et-Paul.

Le père et le fils ne cohabitèrent vraiment qu’après la deuxième évasion de Trotsky de Sibérie et son retour en mars 1907. La famille, accrue d’un autre garçon, Sergéi, s’établit à Vienne. Lev, qu’on appelait Liova, parla russe et viennois et connut une jeunesse libre, ouverte sur le monde, avec des parents soucieux d’« élever » leurs enfants.

La guerre les chassa en Suisse, puis en France au début de 1915. Ils habitèrent rue de l’Amiral-Mouchez (XIVe arr.) puis à Sèvres dans une villa, rue Oudry (XIIIe arr.) enfin. Liova et son petit frère fréquentaient une école russe boulevard Blanqui. Le père, très occupé, s’arrangeait pour être à la maison à l’heure des devoirs qu’il contrôlait. Liova, qui parla vite français, jouait avec des enfants de Paris et rencontrait les amis de son père qu’il respectait profondément, Marcel Martinet*, Alfred Rosmer* notamment.

Fin 1916, ce fut le choc — arrestation et expulsion du père, angoisse sur son sort, séparation dont on ignorait la durée — et le début des « grandes vacances ». Retrouvailles à Barcelone, traversée de l’Atlantique à bord du Montserrat, arrivée à New York et découverte en Amérique d’une technique qui l’éblouit. Avril 1917, ce fut le retour avec l’embuscade des autorités britanniques, l’internement du père à Amherst. Liova, partie prenante, boxa un officier qui maintenait son père.

La révolution dans laquelle ils plongèrent à leur arrivée, c’était l’enthousiasme, mais aussi la peur, c’était l’espérance, mais aussi la haine et la violence. Liova se battit souvent à l’époque de « la grande calomnie » sur les bolcheviks « agents de l’Allemagne ». Il se fit un ami du marin Nikolaï Markine. C’est ce dernier qui calma des voisins un peu trop agressifs. Il fut tué au combat et ce fut le premier vrai chagrin de Liova.

L’enfant ne voulait pas être qu’un simple spectateur, il enrageait que son bulletin de naissance le tienne à l’écart des combats et lui interdise les sacrifices les plus héroïques. Il frauda sur son âge pour entrer au Komsomol, participa en acharné aux « samedis communistes », milita avec les ouvriers boulangers. Il poursuivait ses études, se faisant souvent répétiteur. Plus tard, étudiant à l’Institut des sciences et techniques de Moscou, Léon Sedov alla vivre dans une « commune ». Il admirait et adorait son père mais ne lui demanda jamais que le privilège de l’accompagner parfois au front. Il redoutait par-dessus tout de bénéficier des possibilités dont il jouissait normalement mais qui, pour lui, eussent été des privilèges.

Communiste convaincu, identifiant la cause du communisme à celle du père, il se lança à corps perdu dans la bataille de l’Opposition avec ses amies d’enfance, Nadejda Joffe, Nina Vorovskaia dont il fut amoureux mais qui lui préféra son ami Tcheslav Kozlovsky, de deux ans plus âgé. Il était à la fois sentimental et coureur, vrai « cœur d’artichaut ». Il n’avait pas vingt ans quand il se maria avec Anna Metallikova, belle ouvrière blonde qui lui donna un fils, Lev Lvovitch Sédov, qu’on appela Lioulik. En 1927, avec l’ancien forçat et chef d’armée S. V. Mratchkovsky, il effectua pour l’Opposition unifiée une tournée dans l’Oural qui l’enthousiasma.

L’exil du père exigeait un choix. Léon Sedov renonça à sa vie personnelle, laissa à Moscou Anna et Lioulik et partit en exil volontaire ; à Alma Ata puis, dans les premières années du séjour en Turquie, il fut l’homme indispensable, à tout faire, secrétaire et adjoint, homme de confiance, technicien, intendant. Il avait avec le père de violents conflits et songea sérieusement en 1929 à rentrer au pays.

C’est avec une Française qu’il connut en Turquie sa grande passion. Jeanne Martin des Pallières* était venue à Prinkipo avec son mari Raymond Molinier* et elle était restée pour aider Trotsky comme secrétaire et Natalia comme aide-ménagère. Bientôt commença entre eux une liaison orageuse, marquée au début par l’angoisse du jeune homme, la peur qu’il éprouvait des entreprises de reconquête et de l’influence du mari, puis par la jalousie ombrageuse d’une jeune femme possessive.

C’est pour reprendre ses études interrompues, mais aussi pour vivre de façon indépendante, qu’il alla se fixer à Berlin en 1931 avec Jeanne. Léon Sedov mena de front ses études, la recherche de documents pour son père, l’activité du Secrétariat international et de la section allemande infiltrée par le GPU et surtout « le travail russe » : organisation de voyages en URSS, collecte d’informations, correspondance clandestine avec anciens et nouveaux contacts, fabrication du Biulleten Oppositsii. L’organisation bolchevik-léniniste en URSS avait été détruite, mais il restait quelques militants, un réseau lâche qu’il joignait avec d’infinies précautions, une « vraie marquetterie ». Il rencontra à Berlin des hommes importants comme IN. Smirnov en 1931, IP. Gaven en 1932. Le contact de 1931 déboucha sur la formation, par le groupe qu’il appelait « trotskystes ex-capitulards » de Smirnov et autres, du « Bloc des Oppositions » de 1932.

À partir de 1932, il eut en outre la responsabilité de sa demi-sœur, Zinaïda, venue habiter Berlin et rejointe par son petit garçon Siéva. Après le suicide de Zinaïda en janvier 1933, Jeanne et Liova recueillirent Siéva. Léon Sédov avait fait un bref séjour à Paris en 1931 pour se faire opérer d’un strabisme gênant et avait eu bien de la peine à obtenir un visa, refusé dans un premier temps par le gouvernement de droite, puis arraché grâce au ministre Anatole de Monzie. En 1932, ce fut sa mère qui obtint d’Édouard Herriot le visa qui lui permit de traverser la France avec ses parents retour de Copenhague. En 1933, c’était plus sérieux : c’était un asile politique qu’il demandait à la France où il comptait achever ses études et continuer de militer. Sa candidature bénéficia de nombreux appuis, depuis Anatole de Monzie jusqu’à Victor Basch* en passant par Madame de Saint-Prix, fille de l’ancien président Émile Loubet.

Installé d’abord dans un hôtel rue de la Sorbonne, il trouva un appartement qui appartenait au peintre André Savanier*, ami d’Alfred Rosmer*. C’est à cette occasion qu’il connut la jeune femme du peintre, Hélène, qui fut sa dernière passion amoureuse. Il vécut ensuite à Paris, rue Lacretelle, toujours avec Jeanne et désormais avec le petit Siéva, revenu de Vienne où il avait été mis en pension chez des éducateurs spécialisés amis.

Quelques mois après, Léon Sedov retrouva à nouveau ses parents. Il organisa le débarquement à Cassis et le voyage à Royan où il eut avec son père une grande conversation affectueuse, la dernière. Il milita activement en France à la construction de la IVe Internationale, multiplia les contacts internationaux en 1933 et organisa les voyages à Royan, et plus tard à Domène. Il vit aussi d’autres voyageurs d’URSS : ainsi, introduit par Marcel Body* , le Dr Lévine, médecin du Kremlin, qui allait périr dans le troisième procès de Moscou et qui était venu s’enquérir des réactions éventuelles de Trotsky aux projetsiu de Kirov.

À partir de 1935, sa position devint très difficile, Jeanne ayant choisi dans la scission des trotskystes français le groupe opposé à Trotsky et dirigé par son mari Raymond Molinier. Il s’appuya sur deux collaborateurs soviétiques nouveaux, Mordka Zborowski*, dit Marc et Étienne, que Jeanne avait connus dans l’organisation française, et Lola Estrine, qu’il avait rencontrée chez Boris Nicolaevsky*. Il s’efforça d’organiser à Paris un comité de défense des prisonniers politiques : il fallait défendre aussi les prisonniers des capitalistes abandonnés par les staliniens, comme Chen Duxiu et MN. Roy. Il reprit contact avec Marcel Martinet*, Magdeleine Paz*, Henry Poulaille*, avec qui il allait beaucoup travailler.

La lutte contre les procès de Moscou fut son dernier combat, le plus important, le plus difficile, le plus épuisant. Léon Sédov vivait dans des conditions précaires, se sachant épié, suivi, traqué. Il dénonça un jour un homme qui l’avait filé jusqu’au Palais de justice. La police relâcha le suspect, Tchistoganov, dont on sut plus tard qu’il servait le GPU. Zborowski était un agent du GPU qui avait été infiltré chez les trotskystes puis « planté » auprès de lui. Un autre agent du GPU occupait l’appartement contigu au sien rue Lacretelle. Une femme du GPU, Renata Steiner, passa ses vacances d’été à Antibes dans la même pension de famille que lui, tenue par Hélène Savanier. Un commando de tueurs, qui comprenait cette femme, l’attendit plusieurs jours à l’hôtel de la Gare à Mulhouse où il avait rendez-vous avec un avocat suisse, ce dont Zborowski avait informé le GPU. Une maladie l’empêcha de venir.

Léon Sédov avait d’abord été désorienté par les aveux de Moscou. Pourquoi Smirnov ne reconnaissait-il pas ce qu’il avait réellement fait et proclamait-il au contraire des fables insoutenables ? Il songea un moment à dire toute la vérité mais y renonça très vite : trop de vies étaient en jeu. Il fit, ce que son père, réduit à l’impuissance en Norvège, ne pouvait faire. Il éplucha comptes rendus des procès et presse et écrivit son Livre rouge sur les procès de Moscou, solide réquisitoire contre l’imposture stalinienne et base de tous les travaux ultérieurs.

Léon Sédov fut ensuite le principal « enquêteur » de la commission Dewey. Il avait à retrouver ou à susciter documents et témoignages, les reproduire, les organiser, les expédier à son père et à la commission. Il fut l’architecte et le témoin principal de la commission rogatoire parisienne. Il anima à Paris le Comité de défense des accusés de Moscou et de la liberté d’opinion dans la révolution. Le plus gros du travail de la commission Dewey reposa en fait sur ses épaules surchargées. Cet homme courageux et dur avait fondu en larmes dans la rue en apprenant par un journal que les « seize » accusés d’août 36 avaient été fusillés. Chaque information de Moscou était un clou enfoncé dans sa chair. Le vol en novembre 1936 des archives de son père, qu’il avait confiées à B. Nicolaevsky à l’annexe parisienne de l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam, l’atteignit profondément et le culpabilisa au point qu’il cacha à son père l’importance du vol et la nature des pièces volées. Le GPU avait été informé par Zborowski. Ses rapports avec son père qui supportait, lui aussi, une terrible pression étaient de plus en plus tendus, douloureux. Il s’en plaignait à sa mère, conscient que c’était leur lot. C’est peut-être ce qui, autant que sa soif d’action, lui inspira le projet d’aller combattre en Espagne dans les milices du POUM, rêve de retrouver le romantisme de la révolution auquel il fallut renoncer. Il continua, discrètement aidé par les Rosmer et Marcel Martinet, parlant dans des réunions publiques, écrivant dans la presse, menant par exemple une remarquable polémique contre Gabriel Péri* dans Marianne.

En février 1938, Léon Sédov dut être hospitalisé d’urgence pour une appendicite devenue péritonite. Le manque d’argent, le goût d’être avec ses compatriotes, les soucis de clandestinité le conduisirent chez un médecin russe, puis dans une clinique russe tenue par le Dr Girmounsky (soupçonné plus tard d’être du GPU) sans en informer ses camarades français. Il mourut dans des conditions d’autant plus suspectes que Zborowski avait là aussi informé ses supérieurs. Comment le GPU aurait-il laissé passer l’occasion de se débarrasser ainsi de celui que ses agents appelaient le fiston » et qu’ils avaient traqué depuis des années ?

À son arrivée à Paris, le Soviétique A. Barmine avait fait sa connaissance et décrit « cet homme jeune encore, négligemment vêtu comme un ouvrier parisien, prématurément fatigué, mais plein de vie, l’esprit aiguisé, le rire prompt et cordial (...), débordant de projets » qui l’interrogea « avidement », plaisantant même sur le thème des procès, « mais avec une immense amertume ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130859, notice SÉDOV Léon [SÉDOV Lev Lvovitch dit]. Pseudonymes : SCHWARTZ, MARKINE, DURAND, GIL, ALEX, DIX par Pierre Broué, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 14 janvier 2012.

Par Pierre Broué

Léon Sédov
Léon Sédov
Collection Gérard Rosenthal

ŒUVRE : Les écrits de Léon Sédov ont été recueillis dans deux numéros spéciaux des Cahiers Léon Trotsky. Dans le n° 13, en particulier Staline et l’Armée rouge ou comment on écrit l’histoire, (1930), réédité à Moscou en 1991 dans l’École stalinienne de la falsification, et dans le n° 14.

SOURCES : Arch. Harvard Université, Houghton Library, les « Trotsky Papers » comportent une importante fraction de sa correspondance, y compris une copie des Lettres à Hélène. — Arch. Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam : le fonds Trotsky comprend une fraction de la correspondance de Sédov. — Arch. Hoover Institution (Stanford) : le « Fonds Nicolaevsky » comprend en réalité le gros des archives de Sédov, notamment toute sa correspondance à propos des procès de Moscou, mais aussi sa demande de retour en URSS en 1929. — I. Deutscher, Trotsky, 3 vol., Julliard, 1952-64. — V. Serge, Vie et mort de Léon Trotsky, Paris, 1952 (avec des extraits des mémoires de Natalia). — P. Naville, Trotsky vivant, LN, 1952. — G. Rosenthal, Avocat de Trotsky, Grasset, 1975. — J. van Heijenoort, Sept ans auprès de Trotsky. De Prinkipo à Coyoacan, LN, 1978.— L. Trotsky, « Léon Sédov, le fils, l’ami, le militant », œuvres, t. 16. — P. Broué, Trotsky, Fayard, 1989. — Cahiers Léon Trotsky, n° 13, mars 1983 et n° 42, juillet 1990. — Pierre Broué, Le fils de Trotsky assassiné, La Part de hommes, Éditions de l’Atelier. — Jean-Jacques Marie, Le fils oublié de Trotsky [Serge], Seuil, 2012.

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