SELLIER Louis

Par Michel Dreyfus

Né le 6 novembre 1885 à Dornes (Nièvre), mort le 27 janvier 1978 à Remoulins (Gard) ; conseiller municipal du quartier de la Goutte-d’Or à Paris en juin 1914 ; membre du premier Comité directeur du Parti communiste et du conseil d’administration de l’Humanité, secrétaire général du PC de janvier 1923 à août 1924, membre du CE de l’Internationale communiste de février 1922 à juillet 1924 au moins ; membre du BP du PC du IIIe congrès (Lyon, 1924 à octobre 1928) ; fondateur et secrétaire général du Parti ouvrier paysan (POP) en décembre 1929, dirigeant du Parti d’unité prolétarienne (PUP), de 1930 à 1937. Député du XVIIIe arr. en 1932 et 1936 ; vice-président du conseil municipal de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale.

Louis Sellier
Louis Sellier

Fils d’un cultivateur devenu épicier après avoir épousé une épicière d’origine modeste, Louis Sellier fut baptisé puis aurait reçu de son père « les saines idées de liberté ». Il fréquenta l’école jusqu’à treize ans et, après de bonnes études primaires, emprunta une des modestes voies d’ascension sociale qui s’offraient à lui : il prépara les PTT, fut reçu et vint à Paris en 1904 en qualité de postier. Il obtint une place au bureau de poste du Sénat. Travaillant au quartier Latin, il continua à lire et à s’instruire, aussi put-il préparer le concours de surnuméraire qu’il passa avec succès. Il fut alors détaché au sous-secrétariat des Postes puis appelé au service militaire qu’il fit au 23e régiment de dragons et qu’il acheva fin 1908.

Selon la Vague (27 novembre 1918), Louis Sellier aurait adhéré au mouvement socialiste dès 1901. A son retour du service militaire il fut nommé commis-ambulant sur la ligne du Nord puis peu après commis-ambulant à Paris au tri de la gare du Nord. Bien vite il devint secrétaire général adjoint du groupe des ambulants de la gare du Nord, adhérent à l’Association générale des agents des PTT. Il aurait pris une part active au mouvement de grève effectué par les postiers en 1909, date à laquelle il aurait adhéré à la SFIO selon certaines sources (selon d’autres sources cette adhésion n’aurait eu lieu qu’en 1910).

Dès lors Louis Sellier milita à la section du XVIIIe arr. et tout particulièrement dans le quartier populaire de la Goutte-d’Or ; il devint secrétaire du groupe de ce quartier au sein de la 18e section de la Fédération socialiste de la Seine. En 1912, il fut désigné par la 18e section comme candidat aux élections municipales mais sa candidature ne fut pas ratifiée par la Fédération socialiste de la Seine — peut-être parce qu’il n’avait pas trois années révolues de présence statutaire au sein du parti. Aussi fut-il remplacé par Marcel Cachin* qui conquit le siège. Depuis 1909 Louis Sellier habitait 3 rue de Tombouctou ; il y résida jusqu’en 1913 date à laquelle il partit à Calais pour un an. Il fonda et dirigea le Semeur socialiste de Calais qui contribua à réaliser « l’unité des forces prolétariennes disséminées ». Pour parachever cette unité, il accepta la fusion du Semeur avec l’Avenir social qui lui succéda.

Revenu à Paris en avril 1914, Louis Sellier fut candidat — malheureux — en mai aux élections municipales dans le quartier de la Goutte-d’Or mais réussit en juin au scrutin partiel en remplacement de Marcel Cachin. Devenu ainsi conseiller municipal, il se tailla dans cet arrondissement un fief inexpugnable en dépit de son évolution politique : il le conserva jusqu’en 1940 voire 1944. De 1914 à décembre 1927 il habita 52 rue Myrrha dans le XVIIIe arr. puis, à partir de janvier 1928, il fut propriétaire d’un appartement 14 rue Charles-Nodier dans le même arrondissement.

Louis Sellier se spécialisa dans les questions financières et présenta ultérieurement plusieurs études sur les modifications à apporter au système fiscal des communes, le retour à la collectivité des plus-values immobilières du sol et des immeubles parisiens, sur l’amortissement de la dette de la Ville de Paris, la suppression de l’octroi à Paris, sur le remplacement par des impôts sur la fortune des taxes supprimées, émit des propositions sur la taxation des loyers, etc. Durant trente ans il devait représenter le XVIIIe arr. au conseil municipal.

Durant la Première Guerre mondiale, Louis Sellier partit comme simple soldat au 287e régiment d’artillerie ; transféré au 8e escadron du train des équipages, il fut démobilisé comme sous-officier au début de 1919. De tous les conseillers municipaux de Paris, il fut le seul avec Jean Morin à refuser Légion d’honneur, Croix de guerre et galons d’officier. Pourtant il se rangea parmi les majoritaires de la SFIO et, dans le sillage de Marcel Cachin, fut d’abord favorable à l’Union sacrée quoique de façon moins voyante que ce dernier. A la fin de la guerre il se situait dans les rangs de la tendance centriste, distincte d’une gauche très minoritaire qui revendiquait une paix immédiate et d’une droite beaucoup plus forte, toujours favorable à l’Union sacrée. Cette tendance centriste dont Marcel Cachin fut l’un des principaux animateurs l’emporta au XVe congrès de la SFIO (Paris 6-9 octobre 1918). Ce fut peu de temps après que les responsabilités de Louis Sellier s’étoffèrent.

Dès son retour Louis Sellier étudia les questions financières avec une attention toute particulière et consacra une grande partie de son temps à ses fonctions de conseiller municipal. Il participa à la manifestation du 1er Mai 1919 au cours de laquelle il fut assommé près de la gare du Nord. Réélu conseiller municipal de la Goutte-d’Or en novembre 1919, il commença à collaborer — modestement semble-t-il — à certaines publications de la SFIO. A partir de décembre 1919 il appartint au groupe des « Reconstructeurs » animé par Jean Longuet, Paul Faure*, Louis-Oscar Frossard*, Daniel Renoult*, Amédée Dunois*, Barthélemy Mayéras, André Morizet*, Alexandre Tommasi*, Raoul Verfeuil* et Paul Louis qui dans un premier temps s’assignèrent comme objectif la reconstruction de l’Internationale et qui peu de temps après se prononcèrent pour l’adhésion à la IIIe Internationale dans le respect des traditions nationales et sans briser l’unité du parti. Il appartint au Comité pour la reconstruction de l’Internationale dont il devait rapidement démissionner avec Marcel Cachin et Louis-Oscar Frossard. En février 1920, il signa la résolution Longuet en faveur de la reconstruction de l’Internationale (et non la résolution Loriot d’adhésion à la IIIe Internationale), sans toutefois avoir été délégué au XVIIe congrès de la SFIO (Strasbourg, 25-29 février 1920).

Signataire de la motion dite Cachin-Frossard, Louis Sellier fut délégué de la Seine au congrès de Tours à l’issue duquel il fut élu au premier Comité directeur du Parti communiste ainsi qu’à la commission des finances. Il devait siéger dans les instances dirigeantes du parti durant une décennie. Non réélu à son Ier congrès (Marseille, décembre 1921), il fut membre du conseil d’administration de l’Humanité et aurait appartenu dès novembre 1921 selon un rapport de police à un conseil d’études communistes en compagnie de Renaud Jean*, Ernest Lafont*, Philippe Landrieu*, H. Palicot et Antoine Ker. Du 21 février au 4 mars 1922 il fut avec Marcel Cachin, Daniel Renoult et Roger Métayer, membre de la délégation française qui participa aux travaux du premier plénum élargi du Comité exécutif de l’Internationale communiste. Il y intervint contre Lénine en défendant les positions de la majorité du Comité directeur qui s’était prononcée le 17 janvier 1922 contre la tactique du Front unique, « contre l’accord avec les états-majors dissidents et majoritaires confédérés ». De plus la majorité du Comité directeur s’était prononcée pour une nouvelle orientation du « centre » vis-à-vis du bolchevisme qu’elle voulait adapter aux conditions françaises. Désigné comme membre du Præsidium représentant du « centre » alors que B. Souvarine y représentait la « gauche », Louis Sellier n’accepta cette fonction que pour quelques semaines, en remplacement de Lucie Leiciague à cette date « en route pour Moscou ».

Du 7 au 11 juin 1922 avec Joseph Cartier*, L.-O. Frossard*, Lucie Leiciague, Charles Rappoport* et Boris Souvarine, Louis Sellier participa au 2e plénum de l’Exécutif élargi de l’IC consacré au programme de l’Internationale au cours duquel le CE vota le 11 juin à l’unanimité, moins les voix de Frossard, Lucie Leiciague et la sienne, la résolution concernant les structures du parti (professionnalisation totale et ouvriérisation du Comité directeur, création d’un Bureau politique, condamnation des principes du fédéralisme et d’autonomie adoptés par la Fédération de la Seine, mise au point sur la question syndicale, le front unique, la presse du parti, etc). Ces réserves ne l’empêchèrent pas de témoigner dans l’Humanité des 24 et 25 juin de façon optimiste tant sur la situation en URSS que sur les rapports du parti français avec le bolchevisme. En septembre 1922, Louis Sellier fut élu au comité de la Fédération de la Seine, puis lors du IIe congrès du parti (Paris, 15-20 octobre 1922), il fut à nouveau élu au Comité directeur, tout en continuant à exercer ses fonctions à l’Humanité. Il se situait alors dans la tendance du « centre-gauche » du parti avec L.-O. Frossard, Jean Garchery*, Antoine Ker, Georges Marrane*, Edmond Soutif* et Marius Paquereaux*.

Lors du IVe congrès de l’IC (4 novembre-5 décembre 1922), il fut décidé le 2 décembre que le secrétariat général serait « assuré sur la base paritaire par un camarade du centre et de la gauche », les deux titulaires étant L.-O. Frossard et Albert Treint*. Louis Sellier fut désigné comme suppléant de Frossard, mais Treint n’eut pas de suppléant. Dès le 21 décembre, Frossard devant temporairement représenter le PC au Comité exécutif de l’IC, le Comité directeur désigna Louis Sellier pour assurer le secrétariat général par intérim. Mais dès le 1er janvier 1923, Frossard démissionnait de toutes ses fonctions et quittait le parti. Louis Sellier devint secrétaire général intérimaire du PC pour un an après avoir, mais en vain, cherché à ramener Frossard. Dès lors, selon Jules Humbert-Droz envoyé de l’Internationale communiste à Paris, il se montra « très actif et énergique » en assurant le secrétariat général avec Treint tout en se consacrant tout particulièrement à l’organisation qu’il contribua à mettre sur pied en liaison avec les secrétaires fédéraux. Cependant les deux hommes étaient par trop dissemblables sur bien des points et entrèrent en conflit dès juin 1923. Durant cette année 1923, Louis Sellier dirigea le journal communiste du premier secteur de Paris, l’Aurore. Il fut perquisitionné le 12 janvier et inculpé de complot contre la sûreté de l’État. Il ne semble pas que cette affaire ait eu de suite.

Lors du IIIe congrès du PC (Lyon, 20-23 janvier 1924), Louis Sellier fut élu seul secrétaire général avec Jean Crémet* et Georges Marrane comme adjoints. Il combattit ensuite contre la « gauche » et défendit le 18 mars 1924 un texte adopté par le Comité directeur contre Boris Souvarine, Alfred Rosmer, Pierre Monatte. Mais il dut céder sa fonction de secrétaire général à Pierre Semard* dès le Ve congrès mondial de l’IC (17 juin-8 juillet 1924) où il fut réélu à son Comité exécutif. Il appartenait toujours au Bureau politique et fut régulièrement réélu à cette instance aux IVe et Ve congrès du PC (Clichy, janvier 1925 et Lille, juin 1926). Curieusement de 1923 à 1926-1927 son rôle fut des plus importants : avec Albert Treint dont il différait pourtant sur bien des points, il fut un des partisans de la bolchevisation voulue par le Komintern. Treint fut un « bolchevisateur » actif et Louis Sellier dont le passé centriste et la pratique conciliante n’étaient un secret pour personne — il poursuivait sa tâche de conseiller municipal pour laquelle il avait été réélu au second tour en mai 1925 — l’aida en l’occurrence. Cette attitude s’explique sans doute par l’admiration, voire la fascination qu’éprouvait alors Louis Sellier pour la Révolution russe et qui selon certains auraient été suffisantes pour faire agir ainsi ce militant resté fondamentalement social-démocrate de gauche. Dès juin 1923 des divergences puis des heurts apparurent avec Treint.

À partir de l’été 1924, L. Sellier fut membre des commissions paysanne et municipale et chargé de la direction des écoles de formation. Il était également administrateur de la Banque ouvrière et paysanne depuis sa création, en mai 1924. En 1927 il fut membre du comité central du Secours ouvrier international (SOI) dont il fut aussi administrateur et appartint également à la Société anonyme cinématographique « Spartacus ». Mais, en octobre 1928, il quitta à sa demande le Bureau politique.

Cette démission qui marquait le terme d’une longue évolution s’expliquait aussi par la permanence de certaines formes d’action politique chez Louis Sellier. Même durant sa période de bolchevisation la plus affirmée, il n’avait pas abandonné ses tendances électoralistes et municipalistes qui en définitive ne cessèrent de le caractériser durant toute sa vie politique. Ce faisant il se rangea de fait à l’aile droite du PC dès la seconde moitié des années vingt. Il avait défini dans l’Humanité du 11 mai 1924 les élections législatives comme « un jour d’espoir pour le parti et la révolution » et se trouvait en cela fort proche de M. Cachin qui s’exprima alors de façon analogue. Ce dernier récidiva d’ailleurs un an plus tard à l’occasion du premier tour des élections municipales en affirmant notamment : « L’an dernier à cette époque le pouvoir central fut vacant le jour du 11 mai. Il dépendait aux travailleurs de s’en saisir pour eux-mêmes, d’y mettre la main afin de devenir les maîtres de l’immense machine gouvernementale qui présentement les écrase. » Lors de ces élections, L. Sellier fut réélu au second tour de scrutin par 4 894 voix contre 3 348 au républicain national Boudierle et la présentation qui en fut faite dans Nos édiles montre combien il prenait à cœur sa tâche de conseiller en participant à de nombreuses commissions.

Dans les années qui suivirent, Louis Sellier et Marcel Cachin continuèrent de se situer à la droite du parti qui, au même moment, fit preuve d’électoralisme et de légalisme dans son ensemble. Cette orientation s’inscrivait mais en la renforçant dans celle suivie plus généralement par l’Internationale communiste. Elle fut tellement appuyée qu’elle imposa à la direction de cette dernière de consacrer une discussion à la question française lors de son IXe Exécutif en février 1928. Cette discussion survint en plein débat mené par le Bureau politique du PC sur la tactique électorale à suivre lors des élections législatives d’avril 1928. Alors que Maurice Thorez* et Pierre Semard partisans de l’orientation la plus dure — refus de désistement au second tour pour des socialistes — se retrouvèrent isolés, Louis Sellier, Jacques Doriot*, Alfred Bernard* et Renaud Jean défendirent, avec des nuances, le maintien de la tactique adoptée lors des précédentes sénatoriales de 1927, beaucoup plus proche de la discipline républicaine voire d’une politique de Cartel des gauches. Marcel Cachin* qui n’intervint pas dans ce débat mais s’exprima dans l’Humanité défendit des positions fort proches de celles de ces quatre dirigeants.

La nouvelle orientation de la tactique « classe contre classe » décidée au VIe congrès entraîna de très nombreux départs du PC français dont les effectifs baissèrent de 83 000 en 1925 à 35 000 en 1929 selon les chiffres officiels de l’IC. Sans doute le déclin fut-il plus marqué encore : on est allé jusqu’à estimer les effectifs du PC en 1930 à un chiffre variant entre 15 000 et 10 000 militants. La CGTU connut une évolution analogue. Cette orientation provoqua également l’exclusion de nombreux militants de cette tendance municipaliste électoraliste « droitière » dont Louis Sellier était le plus important représentant.

Son élimination fut engagée au VIe congrès du PC (Saint-Denis, 31 mars-7 avril 1929). Cependant si, suivant les directives de l’Internationale il fallait battre la droite, il était néanmoins nécessaire de faire preuve de prudence dans la mesure où certains de ses dirigeants étaient encore fort populaires : Marcel Cachin tout d’abord mais dans une moindre mesure Louis Sellier et Jacques Doriot. Ce dernier était également critique vis-à-vis de la tactique classe contre classe et ne se privait pas de le faire savoir. Cependant, si Cachin et Doriot furent maintenus au BP, Renaud Jean, Louis Sellier et Alfred Bernard en furent démis alors que cinq dirigeants des jeunesses — Henri Barbé*, Fançois Billoux*, Pierre Celor*, André Ferrat et Henri Lozeray* — y accédaient pour y défendre la ligne de l’Internationale. Dès lors le BP du PC français disposait d’une majorité homogène acquise aux vues des dirigeants du Komintern.

La nouvelle orientation du PC allait aboutir à l’éviction de nombreux militants parmi lesquels L. Sellier. L’épuration commença début septembre par une attaque de la façon trop timorée dont s’étaient défendus les dirigeants de la Banque ouvrière et paysanne (BOP) dont le gouvernement avait ordonné la mise en liquidation à la suite de la journée du 1er août. Le président de la BOP était Jean Garchery* proche de Louis Sellier. Quelques jours plus tard cinq dirigeants syndicaux unitaires mais se réclamant de la minorité de la CGTU (Gabriel Auclerc*, Julien Bonamour*, Henri Boville*, Fournol* et Marcel Poussif*) furent à leur tour exclus. Puis, le 25 septembre, le Bureau parisien du PC s’en prit à deux conseillers généraux de la Seine (Louis Laporte* et Jules Lauze*) et un conseiller municipal de Paris (Louis Duteil), coupables de s’être rendus dans le cadre d’un voyage d’étude en Hongrie « en compagnie des élus bourgeois et socialistes ». Annoncée dans l’Humanité, leur exclusion en préparait de nouvelles. Au même moment éclata l’affaire de la municipalité de Clichy autour de son maire Charles Auffray*, également exclu peu après ainsi que celle de la municipalité du Chambon-Feugerolles autour de Petrus Faure*. Par ailleurs des militants communistes du bassin minier de Saint-Étienne et de La Ricamarie subissaient un sort identique. Enfin n’oublions pas que depuis plusieurs mois, la crise était également aiguë dans les rangs des communistes alsaciens même si dans ce cas précis le refus de la tactique « classe contre classe » s’accompagnait de la défense de positions autonomistes.

Le 5 novembre une nouvelle déclaration du Bureau politique « La discipline du Parti et les élus » attaquait dans l’Humanité les « éléments sceptiques, opportunistes, sociaux-démocrates », visant les six conseillers municipaux de Paris, Louis Sellier, Jean Garchery, Louis Castellaz*, Charles Joly*, Louis Gelis*, Camille Renault*. Ceux-ci ne s’y trompèrent pas et décidèrent de protester officiellement contre ce communiqué à l’occasion de la conférence des élus communistes qui devait se tenir le 10 novembre suivant à la Bellevilloise. Mais le lendemain un article de Cachin reprenait dans les mêmes termes l’argument développé par le BP. Les « Six » décidèrent alors de ne pas se rendre à la conférence et lui adressèrent une lettre, véritable déclaration de guerre constituant de facto la rupture. Tout en dénonçant le dénigrement systématique opéré dans le PC contre les élus depuis 1927, ils critiquaient son mode de fonctionnement, son « esprit anarcho-communiste » et son anti-parlementarisme outrancier. Sans remettre ouvertement en cause l’orientation adoptée lors du VIe congrès de l’IC, ils militaient pour un « redressement » du parti en demandant que leur lettre fût publiée par ce dernier. Dès lors le processus de scission était engagé et rien ne pouvait l’arrêter. Le 20 novembre ils firent publier sur les murs de Paris une affiche annonçant leur rupture avec le PC, appelant au soutien de diverses catégories de la population, s’engageant ainsi dans la voie de la création d’un nouveau parti. Il semble que jusqu’au 3 novembre ils aient espéré rallier Marcel Cachin à leurs vues et que celui-ci se soit montré hésitant jusqu’à cette date mais son article du 6 novembre dans l’Humanité mit fin à ces incertitudes.

Dès le début décembre les « Six » firent paraître une brochure volumineuse, Le Réquisitoire des « Six » dans laquelle, après avoir retracé l’historique du conflit, ils appelaient à la constitution du Parti ouvrier paysan (POP) et annonçaient la publication d’un nouveau journal, Ça ira, dont le premier numéro parut le 15 février 1930. Le POP fut effectivement créé le 6 décembre 1930 à la mairie de Clichy en présence de 200 personnes et Louis Sellier en fut le secrétaire général ainsi que le gérant de Ça ira. Le principal point de son programme politique — la nécessité de reconstruire l’unité ouvrière rompue dix ans auparavant à Tours — le mit d’emblée sur des positions très proches de celles du Parti socialiste communiste — nouveau nom depuis 1927 de l’Union socialiste communiste constituée en 1923 par L.-O. Frossard, Paul Louis, Maurice Juncker, Jean Gaudeaux, etc... partis avec les « Résistants » aux décisions du IVe congrès de l’Internationale communiste. En dépit du retour d’un certain nombre d’entre eux (Frossard en tête) à la « vieille maison » à partir de 1924, ce groupe avait maintenu une existence autonome et établi des liens avec le Bureau international des partis socialistes révolutionnaires auquel avaient appartenu des groupements allemand, italien, norvégien, polonais, russe et dont Angelica Balabanova était la secrétaire. Dès le début de 1930 des contacts eurent lieu entre le POP et le PSC et sans doute une fusion fut elle assez rapidement envisagée.

Principalement implanté dans l’est parisien, en banlieue parisienne (Asnières, Charenton, Clichy, Colombes, Ivry, Montreuil, Puteaux, Saint-Denis, Villejuif) ainsi qu’au Chambon-Feugerolles, dans la région de Saint-Étienne et dans certaines villes situées pour l’essentiel au sud de la Loire, le POP rassembla quelques milliers d’adhérents à sa constitution. Défenseur acharné de l’unité ouvrière, prônant l’antimilitarisme et le désarmement, partisan de l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des partis politiques, luttant « contre la vie chère », pour l’amnistie, anticlérical, le POP se situa à ses débuts et durant un bref laps de temps sur les positions de la droite du PC russe et de l’Internationale, tout en faisant preuve dès cette période d’un électoralisme et d’un municipalisme affirmés. Critiquant la scission survenue au sein du mouvement ouvrier depuis Tours, il dénonçait dans les colonnes de son journal « dix folles années d’entre-déchirement prolétarien », appelant à la réunification des forces prolétariennes qui seraient ainsi en meilleure posture pour combattre le fascisme et attirer à elles non seulement la classe ouvrière mais aussi la petite bourgeoise. Aussi les discussions avec le PSC, parfaitement d’accord sur ce point essentiel, s’approfondirent-elles, ce qui rendit possible une fusion entre les deux organisation. Ce fut chose faite à Clichy le 21 décembre 1930. Il en résulta une nouvelle organisation, le Parti d’unité prolétarienne (PUP) dont Louis Sellier et Jean Garchery furent membres. Ils appartinrent au Bureau politique avec Paul Louis, Maurice Juncker et Albert Brice* pour l’ancien PSC. Les dirigeants du POP obtinrent le tiers des sièges de titulaires au comité central du PUP qui devait regrouper entre 3 000 et 4 000 adhérents — peut-être le dixième des forces du PC au même moment. Ça ira disparut peu après et fut remplacé par l’Unité ouvrière, puis l’Unité qui parut jusqu’en 1936. À l’échelle internationale, le PUP était adhérent du Bureau international des partis socialistes révolutionnaires : François Chasseigne* et Charles Joly* pour l’ex POP rejoignirent Paul Louis et Marcel Letrange* à la délégation internationale de ce bureau.

Lors des élections législatives de 1932, le PUP présenta 5 candidats à Paris et Louis Sellier après avoir recueilli 3 962 voix au premier tour fut élu au second par 6 232 voix contre 5 022 à Marcel Cachin. La campagne fut très rude, le PUP étant évidemment pris à partie par le PC dans le XVIIIe arr. comme ailleurs ce qui ne l’empêcha pas d’avoir dix députés élus (et apparentés au sein du groupe de l’Unité ouvrière) ce qui était considérable, compte tenu de ses forces limitées. Rappelons que lors des mêmes élections, le PC eut également 10 élus. Cette sur-représentation parlementaire eut certainement des conséquences au sein du PUP et favorisa les tiraillements entre deux tendances : celle qui dès cette époque sans doute envisageait une « unification » future avec la SFIO (et parmi elle Louis Sellier) et d’autres membres de l’ex-PSC comme Paul Louis désireux de maintenir un parti indépendant, qui tablaient sur la possibilité d’une crise de la SFIO et l’apparition d’une gauche socialiste qui s’en détacherait.

En 1933, Louis Sellier participa à deux manifestations bien différentes, témoignant en cela de la rivalité sous-jacente de ces deux tendances. Ses efforts en vue d’un parti unique du prolétariat aboutirent en janvier à une réunion commune à laquelle participèrent Maurice Thorez et Jacques Duclos pour le PC, Paul Faure et Jean-Baptiste Séverac pour la SFIO. Paul Faure, Maurice Juncker et Noélie Drous représentèrent le PUP aux travaux de cette « commission d’unification » qui restèrent inachevés et qui furent repris en 1935 mais dans un contexte totalement différent. En la circonstance le rôle du PUP fut décrit par Jean Gaudeaux. Par ailleurs, les 27-28 août 1933, le PUP assista à Paris à une conférence internationale à laquelle étaient présentes de nombreuses organisations socialistes et communistes ayant toutes rompu avec les deux Internationales ouvrières. Par la bouche de Paul Louis, le PUP appela à une réunification des Internationales ouvrières et se prononça contre la perspective d’une nouvelle Internationale, la IVe, défendue par certains groupes socialistes de gauche et trotskystes. Il ne semble pas que Louis Sellier ait participé à cette conférence dont le PUP représenta incontestablement l’aile droite. En mai 1935, Louis Sellier fut réélu conseiller municipal de la Goutte-d’Or au premier tour de scrutin. L’année suivante, il fut facilement réélu député du XVIIIe arr. sous les couleurs du PUP avec 7 358 puis 11 416 voix sur 17 516 inscrits. Mais la victoire du Front populaire accentua les forces centrifuges au sein du PUP principalement dans la mesure où l’unité ouvrière voulue par lui dès ses origines se trouvait maintenant mise en œuvre dans un contexte autre et par des forces politiques différentes — et combien plus considérables — qu’il n’était capable d’en regrouper. Dès lors se posa de façon cruciale le problème de sa disparition.

Ce fut chose faite quelques mois plus tard. Sous couvert d’une « fusion » qui ne pouvait masquer une absorption de fait, la majorité du PUP réintégra la SFIO et il n’y avait plus de députés pupistes en juin 1937. Seule une petite minorité maintint son indépendance autour de Maurice Juncker et publia quelques numéros d’un nouveau bulletin l’Unité révolutionnaire. Albert Treint aurait appartenu à ce groupe dont les forces furent des plus réduites. Au sein de la SFIO les anciens militants du PUP, Louis Sellier en tête, n’animèrent aucune tendance et firent preuve de la plus grande discrétion : ils disparurent de la vie politique comme groupement autonome.

Sous des étiquettes changeantes, Louis Sellier semblait ainsi fidèle à son combat de toujours, lui qui ne voulait qu’être « l’élu des travailleurs » comme il l’avait proclamé en 1932. La Seconde Guerre mondiale remit, partiellement du moins, en cause ce long cheminement. Le 10 juillet 1940, il vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Par décision du 16 décembre 1941 il fut nommé conseiller municipal de Paris et membre de la commission administrative du département de la Seine. Puis en mai 1943, il fut désigné comme vice-président du conseil municipal de Paris. Son nom figure également parmi les dirigeants de l’organisation France-Europe créée en 1941 par Francis Desphelippon* qui en fut le secrétaire général. Cependant son rôle y fut des plus discrets et toute son attitude pendant cette période s’explique par le souci fondamental qui fut toujours le sien durant sa vie politique et qui explique cette dernière : être aux côtés de la population, dont il se considérait à juste titre l’élu, et la servir. Cependant ses prises de position ne pouvaient être acceptées par la SFIO. : aussi en fut-il exclu lors du congrès extraordinaire tenu à Paris du 9 au 12 novembre 1944. Il appartint alors quelque temps — sans doute vers la fin des années quarante — au Parti socialiste démocratique animé par Paul Faure et dont il aurait été un des animateurs puis jouit comme contrôleur principal des PTT d’une longue et discrète retraite. Il mourut, bien oublié, dans sa 93e année.

Louis Sellier avait eu un frère, également nommé Louis Sellier* (voir sa biographie).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130938, notice SELLIER Louis par Michel Dreyfus, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 22 novembre 2021.

Par Michel Dreyfus

Louis Sellier
Louis Sellier

ŒUVRE : Les Finances de la bourgeoisie à l’Hôtel de Ville de Paris, 1925. — La question de l’électricité à Paris. Préface de C. Joly, 1929. — Le Réquisitoire des "Six", Paris, 1929. — Deux discours de Louis Sellier, Éd. du PUP, décembre 1931. — 34 mois de représentation ouvrière à l’Hôtel de Ville de Paris, Éd. du PUP, février 1931. — Un nouveau discours de Louis Sellier, Éd. du PUP, mars 1932.

SOURCES : Arch. de l’Assemblée nationale, dossiers biographiques. — Arch. PPo. non classées VII 62. — Arch. Jean Maitron, fiche Batal. — Archives de Jules Humbert Droz, t. 1 : Origine et débuts des partis communistes des pays latins (1919-1923) ; t. 2 : Les partis communistes des pays latins et l’Internationale communiste dans les années 1923-1927, Dordrecht, Reidel, 1979-1983. — Mémoires d’Albert Vassart, manuscrit inédit. — Politisches Archiv des Auswärtigen Amtes (Botschaft, Paris/1305). — L’Humanité, passim, notamment 24 novembre 1919 et 13 avril 1920. — La Vague, 27 novembre 1919. — Bulletin communiste, passim, notamment 1922. — Cahiers du bolchevisme, passim, notamment 1926-1929. — Le Temps, 3 mai 1925, 7-15 mai 1929, 7-14 mai 1935. — Le Congrès de Tours, édition critique réalisée par Jean Charles, Jacques Girault, Jean-Louis Robert, Danielle Tartakowsky, Claude Willard, Paris, Édit. Sociales, 1980. — Louis Bodin, Nicole Racine, Les communistes..., op. cit.  ? — Nos édiles, 1925, 1933, 1935-1941. — C.r. sténographique du congrès national du Parti socialiste (9-12 novembre 1944). — F. Dabouis, Le Parti ouvrier et paysan. Une scission de droite du PCF pendant la Troisième période, MM, Paris VIII, 1971. — P. Robrieux, « L. Sellier est mort », Le Monde, 19-20 février 1978. — M. Dreyfus, « Bureau de Paris et Bureau de Londres : le socialisme de gauche en Europe entre les deux guerres », Le Mouvement social, n° 112, juillet-septembre 1980. — M. Dreyfus : PCF. : crises et dissidences, Bruxelles, Éd. Complexe, 1990. — L’Unité politique de la classe ouvrière. Les travaux de la Commission d’unification, Paris, Éd. de la Fédération de la Seine du PUP, 1936. — M. Sadoun, Les socialistes pendant l’Occupation, résistance et collaboration, Paris, PFNSP, 1982. — Julien Chuzeville, Un Court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, 2017.

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