SÉNÈS Henry, Marie, Alphonse

Par Jacques Girault

Né le 17 février 1877 au Muy (Var), mort le 24 mars 1961 au Muy ; sériciculteur ; socialiste SFIO. ; maire du Muy (1912-1940, 1944-1947) ; conseiller général du canton de Fréjus (1925-1945) ; sénateur du Var (1935-1940) ; président du conseil général du Var à partir de 1936.

Henry Sénès appartenait à une vieille famille républicaine. Son grand-père avait été victime du Coup d’Etat du 2 décembre 1851 et son père fit partie de la délégation municipale nommée le 4 septembre 1870. Ce dernier, marchand de tissues et propriétaire de terrains, put envoyer son fils au lycée de Toulon où il obtint le baccalauréat. Adhérant au Parti ouvrier français en 1899, il revint s’installer au Muy où il se maria en août 1902. Le couple eut un garçon.

Henry Sénès exploitait une propriété viticole et se livrait à la sériciculture (élevage et commerce de la graine pour vers à soie). Il présida le syndicat des éleveurs de vers à soie en 1931 quand la crise rendit cette activité précaire.

Henry Sénès fut mobilisé au début de la Première Guerre mondiale dans un régiment d’Infanterie coloniale et participa aux combats sur les fronts de Champagne et de la Somme.

Henry Sénès, élu conseiller municipal en février 1907, puis le 3 mai 1908, devint deuxième adjoint au maire. Une crise interne affecta la vie du conseil municipal en 1910. A propos d’un accord avec la commune de Trans concernant le partage des eaux de Vallauris, Sénès estima que les intérêts de la commune n’étaient "pas garantis". Il démissionna de son poste d’adjoint le 3 février 1910. Puis, après le vote par le conseil municipal, le 13 mars, d’un projet d’emprunt "qui ne repose sur aucune base certaine", avec trois autres élus membres du cercle de l’Alliance républicaine, il démissionna du conseil municipal. Des élections complémentaires, le 29 mai, leur permirent de mobiliser les électeurs (Sénès recueillant personnellement 370 voix). Or, pendant la campagne électorale, la majorité du conseil municipal s’empressa de ratifier l’emprunt dénoncé par une majorité d’électeurs. Ce vote ne reçut pas l’approbation préfectorale. Sénès en tira argument pour demander la dissolution. Le 14 juin, le maire radical-socialiste confirmait au Préfet la démission collective des édiles, effective depuis huit jours, accusant le Préfet de faire le lit du socialisme. Le 7 août 1910, une liste "d’union républicaine et d’intérêts locaux", ne comprenant pas Sénès était élue. Simple transition avant les élections municipales générales de mai 1912. Sénès, à la tête d’une liste sans étiquette, était élu avec 322 voix sur 911 inscrits. Deux semaines plus tard, il devenait maire de la commune. Dès lors, il fut confirmé chaque fois par les électeurs :
- 30 novembre 1919, 494 voix sur 819 inscrits,
- 3 mai 1925, liste du "Cartel des Gauches", 538 voix sur 778 inscrits, démission du poste de maire le 18 octobre 1927, réélection le 30,
- 5 mai 1929, liste d’ "Union socialiste", 467 voix sur 811 inscrits,
- 5 mai 1935, 488 voix sur 854 inscrits.
Cette pérennité se traduisit par la pose, le 20 novembre 1935, lors d’une séance du conseil municipal d’un portrait de Sénès dans la salle de délibérations après son élection comme sénateur.

L’étiquette socialiste SFIO ne fut pas immédiate. Longtemps qualifié de "républicain-socialiste" par la Préfecture, encore en 1925, Sénès était présenté comme "socialiste indépendant". Pourtant la fédération socialiste SFIO le revendiquait parmi les maires dès 1919. Président du cercle de l’Alliance républicaine, il intervint au rassemblement de Saint-Raphaël, le 13 mai 1923 au nom des cercles rouges. Dans la préparation des élections législatives de 1924, lors de l’assemblée générale constitutive de la fédération des cercles rouges, il fit partie du bureau provisoire pour la circonscription de Draguignan. Devenu vice-président de l’organisation, il présida son congrès des cercles rouges au Luc, le 9 mars, qui désigna les candidats. Membre de la commission d’initiative pour l’élection rouge, il fit partie de la commission exécutive du Comité général varois pour l’élection rouge. Il devint par la suite secrétaire de la section socialiste SFI. du Luc, fit partie des comités de soutien aux candidats socialistes SFIO aux élections législatives. Membre du comité fédéral, il participa régulièrement aux congrès fédéraux et à diverses tournées de propagande dans l’Est du département.

Comme tous les membres du Parti socialiste SFIO, Sénès, avec l’étiquette "candidat de concentration républicaine et socialiste", se présenta au deuxième tour seulement, pour le Conseil général, dans le canton de Fréjus, le 21 décembre 1919, et obtint 893 voix sur 4 398 inscrits. Auguste Reynaud, devenu député, renonçant à son mandat de conseiller général, Sénès affronta seul les électeurs qui le désignèrent, le 9 août 1925, avec 1 882 voix sur 4 691 inscrits. Il resta en place jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale :
- seul en lice à nouveau, le 14 octobre 1928, il recueillit 2 207 voix sur 3 251 inscrits,
- élu dès le premier tour contre deux candidats, le 7 octobre 1934, avec 2 116 voix sur 6 041 inscrits.

Au Conseil général, avant de devenir président en 1936, Henry Sénès fit partie de la commission départementale (1927, 1931, 1933, président) et des commissions des finances (1928, 1930, par tirage au sort). Il appartint, dès 1925, aux commissions de l’agriculture (à partir de 1925, président à partir de 1931), des transports (secrétaire en 1931), à partir de mai 1926, à la commission des incendies de forêts et de 1928, à la commission de visite des bâtiments départementaux. D’autres délégations s’ajoutèrent en 1931 (Conseil départemental des allocations militaires, syndicat des communes du littoral, commission des l’assistance publique) et en 1934 (commissions des bourses scolaires, du service des enfants assistés, de l’Office départemental agricole, de propagande collective, puis touristique de la Côte d’Azur, Conseil départemental de l’Instruction primaire) entre autres. En outre, Sénès était membre du Conseil de famille des enfants assistés auprès du Juge de paix de Draguignan et siégeait à la Chambre d’Agriculture dans les années 1930.

Franc-maçon (Grand Orient de France, surveillant de la loge "L’Egalité" de Draguignan en 1931), Henry Sénès, lors d’une réunion du Conseil général, en septembre 1927, déposa un vœu politique concernant l’affaire Sacco-Vanzetti. La question préalable ayant été rejetée, le Préfet quitta la séance. Il présenta à nouveau en octobre 1934 le vœu politique. Dans le Parti socialiste SFIO, il se distinguait par des positions peu favorables aux analyses de la majorité de la fédération acquise aux conceptions de Renaudel. Il fut notamment particulièrement actif dans le comité d’action pour la défense de la viticulture qui apparut en 1933. Plus tard, le 15 mai 1938, il présida le rassemblement paysan de Brignoles. Lors de la scission de la fin 1933, il fut un des rares élus à demeurer fidèle au Parti. Le congrès fédéral du 3 décembre 1933 le confirma comme membre du comité fédéral et comme membre du comité fédéral mixte des jeunes. Par la suite, il se distingua par son accord constant avec les positions de Léon Blum. Orateur dans plusieurs réunions publiques, par exemple le meeting du 12 février 1934 à Draguignan, il fut dans un premier temps la cible de la presse communiste qui le dénonça comme "l’ami des curés et des bourgeois" (Rouge-Midi, 27 janvier 1934). Le dirigeant communiste Antoine Foucard, qui habitait la commune ne le manquait pas. Il en résulta un fossé mal cicatrisé par l’unité du Front populaire. Pourtant, il fut un des principaux responsables parmi les élus socialistes de la dynamique unitaire en signant par exemple une lettre commune avec le communiste Charles Gaou destinée aux conseillers généraux en septembre 1935.

Henry Sénès fut choisi par le congrès de la fédération socialiste SFIO des Arcs, le 1er septembre 1935, comme candidat pour les élections sénatoriales. A la suite d’une forte campagne électorale du Parti (il s’agissait de concurrencer le poids du Parti socialiste de France parmi les grands électeurs), le 20 octobre 1935, après avoir obtenu 175 voix sur 510 inscrits au premier tour, il l’emporta au deuxième avec 260 voix. Au Sénat, membre de trois commissions dont celle de l’agriculture, il fut le rapporteur sur la viticulture. Il intervint sur différents sujets (projet de loi sur les droits des ouvriers agricoles lors des conflits collectifs, sur la nécessité de créer dans les halles un marché aux fleurs, pour défendre la viticulture varoise).
Le 11 mai 1936, Gustave Fourment, président du Conseil général, informa ses collègues de sa démission. Partagés entre la désignation immédiate ou l’intervention auprès du sénateur pour le faire revenir sur sa décision, les conseillers décidèrent de se réunir en commission plénière, procédé habituel pour débattre de certaines questions délicates. La délégation décidée échoua dans sa mission. Le 13 mai, Sénès fut désigné par 20 voix sur 25 votants. Le lendemain, prenant officiellement ses fonctions, il dit sa confiance dans la majorité qui venait sortir des urnes aux élections législatives, faisant le parallèle entre l’accession de deux socialistes à des postes dirigeants, lui sur le plan départemental, Léon Blum à la tête du gouvernement qui impliquait une correspondance entre la politique du Conseil général dans le cadre d’un état gouverné par le Front populaire. Il engagea notamment la politique future du département dans la voie de l’ouverture accentuée à l’activité touristique.

Le 10 juillet 1940, Henry Sénès refusa de voter la délégation de pouvoirs au maréchal Pétain. Le 22 novembre 1940, le conseil municipal du Muy fut "suspendu jusqu’à la cessation des hostilités". Le Conseil général, sans être révoqué, ne fut plus réuni. Le journal du Parti populaire français, L’Emancipation nationale l’attaqua violemment. Le président de la délégation spéciale put écrire, dans un rapport au début de 1941, qu’il était un "irréconciliable qui ne se ralliera jamais à la politique gouvernementale actuelle". Localement, Sénès adhéra à la Légion des combattants avant d’en être exclu peu après. Il fut démis d’office de l’Ordre de la Légion d’honneur en novembre 1941. Après avoir participé au congrès du Comité d’action socialiste à Lyon en 1941, par la suite, il garda des distances vis-à-vis de "Combat" et de l’Armée secrète, attitude qui choqua certains dirigeants socialistes. Selon un rapport du Comité local de Libération en novembre 1944, il aurait répondu à un dirigeant clandestin venu lui demander d’organiser la résistance : "laisse faire les communistes et les Anglais, ils travailleront pour nous". Henri Michel s’en fit l’écho dans son roman à clef 4 années dures en le brossant sous les traits de Ramon, replié dans sa propriété du quartier d’Endre, profitant de sa situation avantageuse de producteur, ne songeant qu’à reprendre son pouvoir, méfiant à l’égard des "émigrés de Londres" qui ne sont que des "exaltés" (p. 176), ne reprenant une activité politique que vers la fin en se plaçant dans le regroupement unitaire dirigé par De Gaulle. En liaison avec un réseau britannique, Sénès prêta sa villa de Saint-Aygulf pour des opérations marines en 1943-1944 et participa à la reconstitution clandestine du Parti socialiste SFIO.

Henry Sénès reprit une activité plus importante sur le plan local en février 1944. Selon le Comité local de Libération, il accepta des responsabilités "pour faire la preuve devant la population d’une entente entre le Parti communiste et le Parti socialiste". En fait, il n’aurait assisté à aucune réunion importante, se contentant seulement de recruter pour réorganiser le Parti socialiste SFIO. Quand le débarquement se produisit, le 15 août, Sénès se montra plus actif. Quatre jours après la première réunion légale du Comité local de Libération, le 22 août, il en démissionna pour aller reprendre son fauteuil de maire Il en résulta un long conflit local. Le 12 novembre 1944, après plusieurs appels à l’entente et plusieurs mises en demeure au président du Comité local de Libération, le Préfet signa l’arrêté nommant le conseil municipal avec à sa tête Sénès. Un mois plus tard, le calme revint en apparence après la nomination de membres du Comité local de Libération dans le conseil municipal. Il en résulta un climat tendu où les clivages de la fin des années 1930 entre communistes et socialistes trouvèrent de nouveaux arguments. Aussi pour les élections municipales la population fut-elle appelée à trancher. Deux jours avant le premier tour, lors d’une réunion publique, le plancher de la salle s’écroula entraînant une centaine de blessés. D’un commun accord, le premier tour ne fut que de principe. Le 13 mai, au bout d’une campagne prolongée, la "liste socialiste et d’intérêt local" l’emporta, Sénès réunissant 793 voix sur 1 654 inscrits. Il retrouva l’écharpe de maire. Il ne se représenta pas en fin de mandat se contentant de présider la séance inaugurale du 31 octobre 1947.

Le comité fédéral du Parti socialiste SFIO décida son maintien dans les rangs du parti, le 4 décembre 1944. Les attendus furent particulièrement développés :
"N’a jamais appartenu aux organisations vichyssoises. A assisté à constitution du comité fédéral clandestin, a remonté section locale dans la clandestinité. A assisté à toutes les réunions du Parti auxquelles il a été convoqué. Le 15 août, était à sa campagne et a hébergé les Américains dès leur parachutage en attendant qu’ils puissent rejoindre leur poste." Un seul membre sur onze présents vota contre son maintien au Parti et dans ses mandats.

Henry Sénès retrouva son siège de conseiller général après décision du Comité départemental de Libération. Il fut désigné pour choisir les soixante parlementaires devant faire partie de l’Assemblée consultative dont il fit partie.
Pour l’élection au Conseil général, le 23 septembre 1945, Sénès, candidat socialiste SFIO, obtint 3 581 voix sur 13 462 inscrits et fut battu par le candidat communiste. Il exerça des fonctions responsables dans la Confédération générale agricole.

Dernier épisode, lors de la célébration du 14 juillet 1946, le gouvernement souhaita la placer sous le signe de l’unité des forces républicaines et résistantes. Sénès n’accepta pas que la municipalité organise cette manifestation, préférant célébrer "l’anniversaire de la prise de la Bastille […] comme par le passé". Le conseiller général Antoine Foucard interpella le Préfet lors d’une réunion du Conseil général, le 31 juillet 1946. Le Préfet publiquement regretta "qu’un maire du Var n’ait pas célébré la Fête Nationale avec l’ampleur désirable, cela ne peut aller jusqu’à seulement formuler un blâme", précisant toutefois, "En l’état actuel de l’affaire, il ne saurait pas plus être question de blâme que de sanction".

Après la décision du conseil municipal du Muy, le 10 juillet 2000, fut inaugurée une esplanade Henry Sénès.

Homme politique, proche du terrain, aux convictions fermes, Sénès a vu sa carrière écourtée alors que rien n’indiquait qu’il ne pouvait continuer à s’identifier avec le Var rouge, c’est-à-dire modéré, républicain, aux vives controverses. Sa mise à l’écart au lendemain de la guerre constitua une des grandes surprises politiques.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article130984, notice SÉNÈS Henry, Marie, Alphonse par Jacques Girault, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 4 mai 2020.

Par Jacques Girault

SOURCES : Arch. Nat. F7/13021, 13085. — Arch. Dép. Var, 2 M 3 52, 5 242, 269, 278, 286, 292, 7 24 2, 25 1, 28 2, 30 2, 31 1, 32 1, 2, 35 3, 4, 4 M 45, 50, 14 M 7 2, 18 M 14, 86, 94, 3 Z 21 2. — Arch. Com. Le Muy. — Arch. Jean Charlot (Centre d’histoire sociale du XXeme siècle). — Arch. privées, Charles Sandro. — Notes de Jean-Marie Guillon.

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