Par Jacques Girault
Né le 15 septembre 1889 à Joal (Siné, Sénégal, ou à Kaolack selon d’autres sources), mort le 25 novembre 1927 à Fréjus (Var) ; employé des PTT ; militant syndicaliste CGTU ; militant communiste ; animateur d’actions anticolonialistes.
Fils de paysans sérères, Lamine Senghor, après avoir travaillé comme domestique, engagé volontaire, fut envoyé en 1914 avec un régiment de tirailleurs sénégalais sur le front (Verdun, Somme). Selon la police varoise, il aurait été sous-officier au centre de transition des troupes indigènes coloniales (camp du Caïs) à Fréjus (Var). Blessé, gazé, pensionné à 30 %, puis à 100 %, démobilisé comme sergent en 1919, rapatrié au Sénégal, il revint à Paris en août 1921 pour travailler dans les PTT dans le XIXe arr. Il aurait alors suivi des cours du soir à la Sorbonne. Marié à une Française, père d’une fille et d’un garçon, habitant le quartier de la Goutte-d’Or (XVIIIe arr.), il adhéra en 1923 ou en 1924 à la CGTU et au Parti communiste. Membre de l’Union intercoloniale, organisation créée par des communistes, il suivit quelques cours de l’école coloniale (février-avril 1925), devint secrétaire adjoint de l’UIC et membre de la commission coloniale centrale du Parti communiste en février 1925.
Selon la police varoise, Lamine Senghor fut nommé facteur à Roquebrune (Var) pour raisons de santé. Selon P. Dewitte, seule sa famille aurait séjourné dans le Var ; il n’y serait venu que pour se reposer des conséquences d’une tuberculose. Selon S. Randrianja, en raison de sa maladie, il aurait demandé à retourner au Sénégal mais l’administration aurait refusé à cause de son appartenance politique.
L’activité militante de Lamine Senghor se confond avec les tensions internes qui traversèrent le Parti communiste dans sa politique anticoloniale. Il prit la parole au congrès national de Clichy, le 21 janvier 1925, pour apporter « le salut des peuples opprimés d’AOF ». Il fut présenté par le Parti communiste aux élections municipales à Paris en mai 1925 dans le XIIIe arr. (quartier de la Salpétrière). Il choisit, dans un premier temps, de participer à la lutte contre la guerre du Rif. Lors des congrès ouvriers et paysans contre la guerre du Maroc durant l’été 1925, il parla à Lille (13 juillet), à Lyon (9 août) et à Bordeaux (6 septembre). Lors du congrès de la CGTU (26-31 août 1925), il intervint sur les questions de propagande chez les travailleurs coloniaux. Mais il contesta de plus en plus le soutien des communistes au « féodal » Abd-el-Krim qui faisait oublier les luttes nécessaires aux côtés des autres peuples colonisés et particulièrement des autres Africains. Il alla même jusqu’à démissionner du Parti communiste en octobre 1925, démission qui fut refusée, pour fonder un Comité de défense de la race nègre, en février 1926, qu’il présida. Son but était la « mise en place de structures permettant l’autosuffisance de la communauté noire, son insertion dans la vie culturelle, sociale et politique métropolitaine » (P. Dewitte). À la suite de diverses péripéties, Senghor accepta, en janvier 1927, l’aide financière du Parti communiste. Mais très vite, lui et les communistes du comité, furent mis en minorité par les assimilationnistes.
Lamine Senghor voulut alors fonder une association exclusivement africaine en liaison avec la Ligue contre l’oppression coloniale et l’impérialisme, qui tint son premier congrès à Bruxelles. Mandaté par la section coloniale du Parti communiste, Senghor y participa, le 11 février 1927, et y prononça un réquisitoire contre la France colonialiste. Il affirma notamment : « L’oppression impérialiste que nous appelons colonisation et que vous appelez impérialisme ici, c’est la même chose, camarades, tout cela n’est que du capitalisme. » Avec la fraction communiste du CDRN, il créa, le 6 mars 1927, la Ligue de défense de la race nègre et présida cette nouvelle organisation. Il publia alors, avec une préface de Vaillant-Couturier, au Bureau d’éditions, une plaquette La Violation d’un pays. Toujours subventionnée par le Parti communiste (ce qui n’échappait pas à la police qui, en octobre 1927, affirma qu’il venait de recevoir de l’argent envoyé par Célor), l’organisation ne tarda pas à se diviser. Senghor, souvent absent de Paris en raison de sa maladie, fut accusé par ses amis de trop mêler l’argent reçu du Parti communiste avec ses propres deniers, arguments qui reviennent souvent dans la vie clandestine des petits groupes. Le 30 octobre, il démissionna de la présidence de la Ligue pour raisons de santé.
Dans le Var, Lamine Senghor milita peu. La police le signala toutefois dans une réunion communiste à Draguignan, le 8 novembre 1926. On le soupçonnait d’entretenir des relations étroites avec les militaires du camp de Caïs. Après son arrestation à Cannes (Alpes-Maritimes) en mars 1927 et son transfert à la prison de Draguignan, une campagne de protestation fut organisée par le Parti communiste, selon S. Randrianja. Ce fut sans doute durant cette période que se tint une réunion de protestation au Muy, le 15 avril 1927.
Lamine Senghor mourut brusquement au camp de Caïs ; son ami, Diop Youssouffa déclara le décès. La Provence ouvrière et paysanne (3 décembre 1927) et La Race nègre (mai 1928) lui consacrèrent des articles. Les communistes locaux participèrent à ses obsèques. Selon La Vie ouvrière (6 janvier 1928), sa fillette de sept ans, hébergée par les « camarades » de Saint-Raphaël, fut confiée à l’orphelinat de « l’Avenir social ».
Selon P. Dewitte, « Lamine Senghor fut avant tout un ancien tirailleur révolté par les excès de la colonisation, déçu par les promesses non tenues, un militant pour la justice et l’égalité qui se radicalisa au contact des communistes ».
Par Jacques Girault
ŒUVRE : La violation d’un pays, et autres écrits anticolonialistes, L’Harmattan, 2012, présentation de David Murphy.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13090. — Arch. Nat. section Outre-Mer, SLOTFOM. — Arch. Dép. Var, 4 M 26, 46, 59 4 1 — Ph. Dewitte, Les mouvements nègres en France 1919-1939, L’Harmattan, 1985. — R. Cornevin, « Du Sénégal à la Provence. Lamine Senghor (1889-1927), pionnier de la négritude », Provence historique, n° 99, 1975. — Bulletin de la Ligue contre l’oppression coloniale et l’impérialisme, n° spécial, 1927. — Notes de S. Randrianja.