Par Robert Estier
Né le 21 juillet 1877 à Roanne (Loire), mort le 9 mai 1961 à Roanne ; avocat ; maire socialiste de Roanne (1919-1940) et député SFIO de la Loire (1924-1940) ; ministre du Travail dans le deuxième gouvernement Blum ; ministre de la Justice et garde des Sceaux dans le gouvernement de Paul Reynaud (23 mars-10 juillet 1940).
Fils d’un avoué, Albert Sérol se fit d’abord un nom dans le barreau roannais avant de se lancer dans la politique. Après de brillantes études au lycée de Roanne et à la faculté de Lyon, où il obtint une licence en droit, il s’inscrivit le 26 janvier 1899 au barreau de Roanne où il devait à plusieurs reprises être nommé bâtonnier de l’Ordre. Conférencier apprécié à l’université populaire de Roanne, dans les organisations ouvrières et coopératives, il devint vite au tribunal le défenseur éloquent et dévoué des travailleurs poursuivis pour faits de grèves, et, après avoir adhéré à la Ligue des droits de l’Homme et du citoyen, il entra au Parti socialiste autonome de la Loire.
Lorsqu’il commença sa carrière politique aux élections municipales de 1908 à Roanne, la rupture était déjà consommée entre le Parti socialiste SFIO et les socialistes indépendants. Deux listes socialistes concurrentes s’affrontèrent et Albert Sérol, socialiste indépendant, s’allia cependant au second tour avec les socialistes unifiés ; leur liste commune devait l’emporter avec 400 voix d’avance sur la liste conservatrice, Sérol devant pour sa part se contenter de la place d’adjoint. L’entente d’ailleurs ne dura pas et les élections législatives virent à nouveau face à face un socialiste unifié Charles Fouilland* qui recueillit 2 405 voix, et le socialiste indépendant Albert Sérol qui obtint un beau succès personnel avec 7 146 voix, mais fut battu dès le premier tour par le candidat conservateur. Il était alors présenté par le sous-préfet de Roanne dans une lettre au préfet, comme un homme dont le socialisme « n’avait rien qui pût effrayer les habitants des campagnes ». Il ne tarda pas d’ailleurs à démissionner de la municipalité, le 10 mars 1911, ne fut pas candidat aux élections de 1912 et, accentuant son glissement au centre, fut, aux élections législatives de 1914, le candidat désigné lors d’un congrès tenu à Roanne le 5 avril par les élus républicains et les délégués des groupes radicaux, radicaux-socialistes et républicains-socialistes, face au socialiste Terrenoire. Il perdit cette fois des voix parmi les socialistes, recueillant 5 491 suffrages contre 4 557 à Terrenoire et 10 392 au conservateur élu à nouveau au premier tour.
Après avoir servi sur le front d’Orient pendant la Première Guerre mondiale, il adhéra, dès sa démobilisation, au Parti socialiste SFIO qu’il ne put toutefois représenter aux élections législatives de 1919, car il fallait trois ans de présence au parti pour être candidat. Cependant les socialistes roannais le choisirent pour les conduire aux élections municipales de 1919 où sa liste d’union de la gauche, incluant des radicaux, triompha difficilement au deuxième tour de la liste de droite, qui obtint deux sièges sur 33. Il fut élu maire le 10 décembre 1919, et peu après, conseiller général le 14 décembre, après son succès sur Bonnard par 4 558 voix contre 4 205. Dès lors il domina la vie politique roannaise, ne subissant aucun échec électoral, avec une phase ascendante jusqu’en 1932 et des triomphes plus modestes par la suite, en raison de la concurrence communiste.
Dans l’immédiat après-guerre, il s’éleva contre l’intervention en Russie condamnant sévèrement la « presse bourgeoise qui déclarait que le gouvernement des Soviets avait instauré la terreur en Russie ». Il se montra ensuite au sein de la section SFIO de Roanne réticent à l’égard de l’adhésion à la IIIe Internationale et se prononça pour la motion Longuet qui rallia seulement 21 voix contre 180 à la motion dite Cachin*-Frossard*. La section socialiste de Roanne passa alors presque entièrement au communisme, sauf quelques conseillers municipaux, Guillemin, Renaud, Claude Vadon*, Burnichon et Louis Gouttebaron* qui maintinrent alors la seule section socialiste du département. Albert Sérol, quant à lui, adhéra pourtant à la section communiste SFIC et prononça même, à l’occasion de l’anniversaire de la Commune, en mars 1921, un discours jugé plus tard « ultra-révolutionnaire » par le journal communiste le Cri du peuple, qui lui reprocha d’en avoir prononcé un autre différent un peu plus tard dans un banquet : il fut alors désavoué par la section roannaise du PC et Ferdinand Faure*, à un congrès de Firminy, demanda même qu’une demande de contrôle fût lancée contre Albert Sérol, et « rapportée contre toute la section roannaise ». Il fut contraint de démissionner trois mois plus tard à la suite de l’opposition des éléments les plus durs de la section qui lui reprochaient sa participation à la revue du 14 juillet 1921 ; il revint alors à la SFIO.
Devenu le dirigeant de la Fédération socialiste SFIO dont le siège était à Roanne, Albert Sérol fit décider lors du congrès fédéral le 4 mars 1924, la participation des socialistes au Cartel des gauches. Il fut du reste le seul socialiste SFIO pour les élections législatives à figurer sur la liste du Cartel toute entière élue au premier tour. Aux élections municipales de 1925, il se trouva confronté pour la première fois à une liste communiste comprenant plusieurs conseillers municipaux sortants, dont Ferdinand Chevalier* et, après une campagne difficile, il fut réélu au deuxième tour avec toute sa liste composée de socialistes et de radicaux, avant de l’être très facilement aux cantonales de 1925. Aux législatives de 1928, candidat des socialistes et des radicaux dans la première circonscription de Roanne, il l’emporta au second tour par 11 513 voix contre 9 249 à son adversaire de droite, malgré le maintien du communiste Nevers à qui il prit plus de 1 000 voix.
Dans les années trente, son action municipale se traduisit par plusieurs réalisations urbaines, et il créa en faveur des ouvriers d’importantes œuvres sociales, ne rencontrant plus guère d’opposition, ni sur sa droite où les conservateurs ne parvenaient pas à lui trouver un adversaire de taille, ni sur sa gauche, où les communistes ne parvenaient pas à faire admettre par leurs électeurs la tactique « classe contre classe ». Travailleur acharné, très actif à l’assemblée départementale où il était très écouté, Albert Sérol fut à partir de 1925 rapporteur général du budget du département, rapporteur de la question de l’électrification des campagnes, rapporteur des autobus départementaux et des chemins de fer d’intérêt local. Il intervint fréquemment sur les problèmes d’assistance, pour l’enfance et les vieillards, les familles nombreuses, les problèmes de l’instruction. À la Chambre, il intervint très fréquemment dans la discussion du budget de la justice en 1924, lors de la loi sur les loyers de 1925, la loi des finances de 1926, pour la suppression totale des bénéfices de guerre en 1927, comme auteur de l’amendement retenu par la commission dans la discussion sur le recrutement de l’armée en 1927 et, à plusieurs reprises, en faveur des ouvriers et des employés de l’État, et pour l’abrogation des « lois scélérates ». En 1930, il monta à la tribune pour défendre les revendications des commerçants locataires, et porta à la Chambre la question de l’électrification rurale, en dénonçant les exigences des compagnies concessionnaires des réseaux d’électricité. Il acquit enfin, comme vice-président de la commission de la législation civile, une réelle autorité.
Triomphalement réélu, dès le premier tour cette fois, aux élections cantonales de 1931, Albert Sérol le fut de la même façon aux élections législatives de 1932, par 11 484 voix contre 8 604 à son adversaire de droite Fauconnet, et 986 seulement au communiste Nevers. Les socialistes « régnaient » alors sur la ville, et les fêtes socialistes organisées avec éclat, à Roanne, le 30 septembre et le 1er octobre 1933, avec le concours de Vincent Auriol* furent un véritable triomphe personnel pour Sérol. La faiblesse de la CGT très minoritaire face à l’opposition irréductible de l’Union locale unitaire, à laquelle il refusa toujours la moindre subvention de la municipalité, demeurait inquiétante. Sérol se situa alors au sein du groupe socialiste dans la tendance Auriol, mais après le retour à Saint-Étienne du siège de la Fédération SFIO de la Loire, dont il céda la présidence à Ferdinand Faure, son influence sur celle-ci fut un moment discutée. Lorsqu’en mai 1933, il vota avec ses collègues socialistes le budget, le problème de la participation des socialistes au pouvoir provoqua une assez vive discussion dans la section SFIO locale, et Sérol qui exerçait une influence discrète, mais efficace, sur la vie de la section se rallia avec la majorité à une habile motion d’apaisement rédigée par le secrétaire des Jeunesses socialistes Étienne Fournial*, et favorable malgré des réserves au groupe parlementaire ; ce texte fut porté sur la motion Moch-Auriol au congrès de Paris en juillet 1933, mais rencontra au congrès de la Fédération départementale une double opposition de la tendance « La Bataille socialiste » (majoritaire) forte dans la région stéphanoise et de la tendance « L’Action socialiste ».
Albert Sérol participa aux côtés des organisations syndicales et politiques au comité antifasciste créé après le 12 février 1934 et ses rapports avec les communistes s’améliorèrent. Il avait d’ailleurs ouvert la voie en présentant comme président de la commission de la législation civile, une interpellation sur les « conditions dans lesquelles le 29 août 1934, onze ouvriers de l’Arsenal de Roanne, dont le leader unitaire communiste Marius Thevenoux* avaient été révoqués » et sur les « atteintes portées à la liberté d’opinion des ouvriers de l’État par le gouvernement ». Le 22 janvier 1935, Sérol déposa un ordre du jour, voté par 336 voix contre 220 : « La Chambre [est] résolue à faire garantir la liberté d’opinion et les libertés syndicales des ouvriers de l’État et à faire réintégrer ceux qui ont été récemment révoqués en raison de leurs opinions. »
Pourtant la proposition par Albert Sérol aux communistes d’une liste commune aux élections municipales de 1935 échoua sur la question de la participation des radicaux que refusèrent catégoriquement les communistes et Sérol affronta encore une liste communiste qui se désista pourtant pour la première fois en sa faveur et permit son élection. Sérol accepta même un peu plus tard de participer à un meeting du communiste Larue qui revenait d’URSS et adhéra même à l’Association des Amis de l’Union soviétique le 21 décembre 1935. Aux élections législatives du 29 avril 1936, il perdit pourtant 1 500 voix au profit du communiste Marius Thévenoux qui, pour la première fois, joua le rôle d’arbitre et se désista en sa faveur. Au deuxième tour, Albert Sérol fut élu avec 11 875 voix contre 9 928 à son adversaire de droite, grâce à l’appoint des voix communistes qui ne se reportèrent toutefois sur lui qu’à 75 %. Aux élections cantonales du 10 octobre 1937, il fut mis en ballottage avec 5 936 voix seulement contre 1 570 au communiste Bonnefille, et 4 780 à Morlot (droite) qu’il battit au second tour grâce aux voix communistes par seulement 7 449 voix contre 7 409. A partir de cette époque, et malgré l’existence au sein de la section de Roanne d’une tendance de gauche minoritaire, il maintint l’unité. Il avait abandonné d’ailleurs pratiquement la direction des affaires municipales à son premier adjoint le radical Fondry, et, président de la commission législative civile et criminelle de la Chambre, il fut désigné président du groupe parlementaire SFIO.
Lors du conseil national de la SFIO du 17 janvier 1938, Albert Sérol suivit Ferdinand Faure et Vincent Auriol, leur motion commune se ralliant contre celles de Marceau Pivert* et de Jean Zyromski*, à la formule proposée par Léon Blum* de constituer un gouvernement de « rassemblement national délimité par les personnalités de Thorez et de Monsieur Reynaud ». Le 14 mars 1938, il devint ministre du Travail dans le deuxième et éphémère gouvernement Blum où, accueilli par une vague de grèves, les ouvriers réclamant la reconduction des conventions collectives, il eut beaucoup de difficultés à obtenir des syndicats ouvriers un accord sur le principe des 45 heures de travail dans les usines d’armement. Après la démission du cabinet Blum (7 avril 1938), il s’aligna encore au congrès SFIO de Royan du 29 mai 1938, avec les autres délégués de la Loire sauf Sagniol (Gauche révolutionnaire) sur la motion majoritaire de Léon Blum*, et se désolidarisa très vite de la politique du gouvernement Daladier. Entre temps, Sérol s’était marié le 5 juillet 1938 à Paris.
Le 9 décembre 1938, lors du débat sur la politique générale, Albert Sérol prononça à la Chambre, au nom de son groupe, un long et très important discours où il mit en cause le « revirement complet de l’orientation de Daladier », notamment en matière sociale : « On a voulu reprendre à la classe ouvrière les avantages qu’on lui avait accordés », et il critiqua les décrets-lois et le caractère qu’avait donné de la grève générale du 30 novembre 1938 le président du Conseil : « La grève générale devait être une démonstration dans l’ordre et dans le calme du mécontentement de la classe ouvrière à propos des décrets-lois » en considérant comme « illégales » les réquisitions du personnel de l’État. Il conclut, applaudi par les socialistes et les communistes debout : « Le Parti socialiste continuera à défendre la démocratie, dut-il rester seul. » Il refusa donc avec son groupe et les communistes la confiance au gouvernement accordée par 315 voix contre 241. Albert Sérol se montra de plus en plus inquiet, comme le prouvent ses articles dans la Voix populaire de 1938 et 1939, où il reprenait ses causeries de quinzaine à la radio sur la vie internationale, de la montée du péril nazi. Il compta d’abord sur la collaboration internationale pour enrayer les méfaits des États totalitaires, puis il soutint une motion de fermeté Léon Blum contre une motion pacifiste Paul Faure, lors du congrès de la Fédération de la Loire, du 18 décembre 1938 à Saint-Étienne, mais ne recueillit que 114 mandats contre 176, les socialistes stéphanois et plusieurs roannais, dont Magnier, le lâchant alors. Aussi mettait-il en garde fréquemment ses camarades de la SFIO et la tendance « Syndicats », fortement représentée à la CGT roannaise, contre un pacifisme excessif, notamment dans un article du Populaire du 7 mai 1939 : « Les capitulations conduisent à la guerre. »
A la suite du Pacte germano-soviétique, Albert Sérol condamna sévèrement les communistes et ex-unitaires qui tenaient la Bourse du Travail de Roanne et, en plein accord avec les ex-confédérés et notamment Ernest Gastal* et Pierre Lassaigne*, il adressa une lettre au secrétaire provisoire de la Bourse du Travail de Roanne, Perrier (dont il contestait la nomination), où il demandait de se « prononcer dans les plus brefs délais sur les décisions prises par la CA de la CGT, notamment celle du 18 et 25 septembre 1939, relative au pacte Staline-Hitler, car la municipalité entendait poursuivre sa politique ouvrière en plein accord avec la CGT. » Un peu plus tard, il signa à la Chambre le contre-projet socialiste déposé par François Chasseigne*, « réclamant en plus de la déchéance (des élus communistes) la nomination d’une commission d’enquête pour poursuivre les traîtres ». Il fut chargé comme président de la commission de la législation civile et criminelle de faire appliquer la loi d’exclusion des communistes du 20 janvier 1940 et nommé ministre de la Justice dans le cabinet Paul Reynaud, le 23 mars 1940, ce fut lui qui signa le décret du 8 avril 1940 permettant de condamner à mort « tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale ». « La persistance des menées communistes, déclare l’exposé des motifs, leur dessein évident de miner par tous les moyens le moral de la nation en guerre, témoignent que ceux qui les inspirent se sont fait les partisans d’une véritable entreprise de trahison. »
Albert Sérol fit partie des trente-six parlementaires SFIO qui refusèrent de voter le 10 juillet 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain (il s’abstint) et, destitué de ses fonctions de maire et de conseiller général par le gouvernement de Vichy, il fut même arrêté comme otage par les Allemands peu avant la libération de Roanne. Il avait abandonné toute activité politique pour se consacrer à sa profession d’avocat.
Par Robert Estier
SOURCES : Arch. Dép. Loire, 3 M 67, 70, 71, 77 ; 4 M 110 ; 5 M 164 ; 7 M 184 ; 93 M 65 ; 540 Tr 438/2. — Arch. Com. Roanne, 1 K 4, 5. — Le Réveil républicain, 24 janvier 1923. — La Tribune, 10 décembre 1938. — La Voix populaire, 1937-1938. — Le Populaire, 7 mai 1939. — JO, 22 février 1935, 10 janvier 1940. — La Tribune républicaine, 11 octobre 1937, 11 mars 1938, 10 mai 1961. — Le Cri du peuple, 1er octobre, 5 novembre 1927, 21 décembre 1935, 11 mai 1938. — L’Éclaireur roannais, 22 septembre 1933.