SERRET France [née DÉROURET Émilie, Albertine, Françoise, dite]

Par Vincent Présumey

Née le 16 août 1900 à Grospierres (Ardèche), morte le 2 mars 1979 ; institutrice ; militante syndicaliste ; militante des “Amis de l’École émancipée“ et féministe.

Gilbert et France Serret
Gilbert et France Serret

Fille d’un boulanger, petit exploitant agricole, anticlérical et d’une future épicière, France Dérouret reçut les premiers sacrements catholiques. Elle fit ses études à l’école primaire supérieure d’Aubenas (1912-1916) comme boursière puis entra à l’École normale d’institutrices de Privas en 1916 et en sortit en 1919.

France Dérouret, institutrice stagiaire en Ardèche, à Auriolles puis au hameau de Mauras dans la commune montagnarde de Lespéron, alors un poste « déshérité », exerça en 1921 à Lardy, commune de Lagorce. Elle adhéra au Syndicat des membres de l’enseignement laïc en 1920, futur syndicat de la Fédération unitaire de l’enseignement, poussée par sa révolte contre la guerre, son frère aîné ayant été tué au front à l’âge de vingt ans.

F. Dérouret était alors à l’avant-garde de la constitution de groupes féministes, composés uniquement de femmes, dans le cadre du syndicat : elle y travailla sans doute dés 1921 et fonda en 1923 le Groupe féministe de l’enseignement de l’Ardèche, avec 23 adhérentes, créa aussi celui de la Drôme en 1925, les deux groupes fusionnant en 1928. Elle participa à tous les congrès féministes de la Fédération mais fut « plus syndicaliste qu’étroitement féministe » (lettre de France Serret à Gabrielle Bouët, 14 juin 1971, citée par A.-M. Sohn).

En 1923-1924, pour le congrès national du syndicat, elle fut rapporteur sur les problèmes corporatifs qui se posaient aux femmes et fut chargée en 1924 de la propagande pour la 8e région. En 1927, elle rapporta au congrès de Tours sur la criminalité infantile. À partir de 1925, elle contribua à L’Émancipation, bulletin départemental du syndicat et à la rédaction de la tribune féministe dans L’École émancipée et à sa partie « La Vie scolaire ».

Pendant plusieurs années, elle fut membre du conseil syndical. Institutrice à Saint-Etienne du Serre, elle rencontra au syndicat l’instituteur Gilbert Serret, qu’elle épousa uniquement civilement, le 5 septembre 1925 à Grospierres. Ils eurent un garçon. Elle est alors affectée dans la même école que son mari, au Pouzin, et ils obtinrent par la suite des postes doubles à Vallon, à Saint-Montant et à Lablachère.

On parla désormais du couple militant « les Serret ». L’étroite solidarité et complémentarité qui existait entre eux, véritable harmonie, ne signifiait pas un accord systématique : elle ne voulut jamais adhérer au Parti communiste, dont Gilbert Serret fut un membre actif de 1923 à 1930, et elle était initialement plus proche de la tendance Ligue syndicaliste, syndicaliste-révolutionnaire de la Fédération, représentée en Ardèche par Élie Reynier et Paul Boissel notamment. Mais dès 1929, elle milita dans la majorité fédérale qui s’opposait au Parti communiste. A la fin des années 1920, elle fut active dans la création du groupe des jeunes. Sans doute, elle ne considéra jamais comme insurmontables les divergences entre cette tendance et celle de son mari, et les deux fusionnèrent à la longue. Les principes fondamentaux, moraux, intellectuels et politiques, étaient partagés par tous deux. Il y eut une sorte de division sexuée des activités militantes entre eux, le mari étant plus exposé, plus « politique », et jouant un rôle dirigeant plus affirmé, elle intervenant beaucoup plus dans les groupes féministes, sur les questions pédagogiques ainsi que sur des sujets culturels et littéraires. Mais elle considérait que son activité militante devait comprendre aussi le soutien qu’elle apportait à son mari jusqu’à sa mort en 1943. Lorsque celui-ci fut dirigeant national du syndicat, en 1930-1932, le recopiage souvent nocturne de la correspondance manuscrite en vint à menacer sa santé (lettre de G. Serret à Louis Bouët citée par Loïc Le Bars, p. 418). Lorsque la santé mentale de Gilbert Serret parut un instant ébranlée à la mort de leur fils, René, à l’âge de cinq ans d’une méningite en 1934, elle le préserva.

Dans le domaine pédagogique, partie intégrante à ses yeux de l’action militante pour changer la vie, mais ne devant pas être séparée des autres domaines d’action et devant donc relever avant tout du syndicat, France Serret développa vivement, dès la fin des années 1920, et dans ses propres classes, des méthodes reposant sur la mise en activité des enfants autour de centres d’intérêt, et fit d’elle-même le même cheminement que Célestin Freinet et Élise Freinet, inventant de façon autonome l’imprimerie à l’école, la correspondance de classe, pratiquant aussi beaucoup d’activités de sorties naturalistes et botaniques, et l’emploi de vivariums et aquariums comme centres d’activité. Aussi, fut-elle membre de la Coopérative de l’Enseignement Laïc, point de départ du mouvement Freinet, de façon définitive à partir d’août 1931, ayant constitué son groupe ardéchois avec Jeanne Pradal et Paul Boissel, étant en correspondance avec les Freinet auxquels elle rendit visite. Mais elle resta réservée sur les affirmations de ceux-ci qu’elle jugeait trop catégoriques, voire dogmatiques, se prononçant pour le pluralisme des méthodes et l’emploi de manuels scolaires, et jouant un rôle de modérateur et d’intermédiaire dans les conflits qui opposèrent, au début des années 1930, les Freinet à la direction de la Fédération.

Après 1936, elle participa à quatre congrès nationaux du Syndicat national des instituteurs dont deux comme déléguée de la section ardéchoise. Gréviste le 12 février 1934, elle adhéra, avec son mari, au comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Tout en partageant le plupart des analyses pacifistes des syndiqués du Rhône, elle fit grève le 30 novembre 1938. Elle aide matériellement et moralement aux Républicains espagnols.

En poste avec Gilbert à Saint-Montan, de 1929 à 1938, elle eut dans les premières années peu d’élèves car, ayant l’école de filles, le poids clérical dans le village s’opposait à leur scolarisation à l’école publique. Elle parvint à faire augmenter peu à peu ses effectifs, militant donc pour la scolarisation laïque des petites filles. Sans doute comme le redoublement d’activité politique chez Gilbert, après la tragédie de la mort de leur enfant, France Serret au même moment intensifia à nouveau son activité pédagogique et culturelle, par exemple dans le domaine de l’enseignement de la botanique, des herbiers, et de la pivoine pélerine, « Pimpanella », terme qu’elle utilisa comme pseudonyme. Dans le domaine des recherches locales, elle correspondit avec le poète régionaliste Charles Forot qui était par ailleurs à l’autre bout de l’échiquier politique.

La mort de Gilbert Serret, après leurs tribulations sous Vichy, marqua évidemment une césure dans la vie de France Serret. Après avoir été en poste avec Gilbert Serret, depuis 1938, à Lablachère jusqu’en janvier 1941, puis déplacée d’office à Romagnac puis en fin d’année à Taulhac (Haute-Loire), de retour en Ardèche à Balazuc fin 1942, elle fut nommée à Ruoms où elle termina sa carrière d’institutrice en 1955. Elle hébergea la petite Carmen Littwack, enfant de militants communistes allemands dont le père était juif, la faisant passer pour sa nièce et l’ayant dans sa classe avec la complicité consciente ou non du village. Les Littwack, ayant survécu, revinrent, la mère d’Allemagne, le père de camp, retrouver leur enfant, durant l’été 1945.

Ses activités militantes comportaient toujours l’aspect pédagogique, notamment dans le Groupe français d’Éducation nouvelle depuis sa création. Après sa retraite comme institutrice, elle répondait toujours à toute demande de renseignement ou de causerie, et entretenait une très volumineuse correspondance. Dans la revue Mémoires d’Ardèche et Temps Présent consacrée à Gilbert Serret, nous avons donné un aperçu de cette correspondance avec des veuves de militants de diverses tendances, qui s’adressaient à elle. Abonnée à La Révolution prolétarienne, elle fut aussi en relation suivie avec les animateurs de L’École Emancipée, Maurice Dommanget, Marcel Valière, Gilles Carrez …, avec des militants de diverses tendances à l’exclusion des « staliniens » affirmés, Pierre Naville qui lui rendit visite à plusieurs reprises, Alfred Rosmer, Robert Louzon, avec l’historien trotskyste Pierre Broué. Quand Jean Maitron créa Le Mouvement social et le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, elle soutint l’œuvre dès le début et elle fut la correspondante privilégiée pour l’Ardèche, à l’origine de nombreux articles, tout en gardant une grande discrétion sur elle-même et dans une certaine mesure sur son mari, sur sa mort sur laquelle elle ne put faire la lumière, tout en étant convaincue qu’il avait été tué par la Milice (lettre à René Dazy, citée dans MATP spécial G. Serret).

France Serret aida aussi la reconstruction du SNI en Ardèche après la guerre, et toujours active elle participa aux campagnes de défense laïque. Elle conseilla son équipe d’animation jusqu’à la perte de la direction de la section départementale par le courant des « amis de L’École Emancipée », dans les années 1950. Dans cette tendance, elle se prononça nettement en 1969 contre le courant « Front Unique Ouvrier » lors de la scission de cette tendance, puis observa une certaine distance par la suite.

France Serret, décédée à l’hôpital d’Aubenas, fut inhumée civilement à Grospierres.

Principales féministes dans le Maitron

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131075, notice SERRET France [née DÉROURET Émilie, Albertine, Françoise, dite] par Vincent Présumey, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 8 janvier 2022.

Par Vincent Présumey

Gilbert et France Serret
Gilbert et France Serret

SOURCES : Archives de France Serret aimablement communiquées par Françoise Rochet-Brunel et Claude Brunel. — L’ancienne notice du DBMOF, signée par Jean Maitron, reposait sur un entretien avec France Serret (juillet 1971). — L’École émancipée. — Bulletin des GFEL. — Anne-Marie Sohn, Féministes et syndicalistes, les institutrices de la Fédération unitaire de l’enseignement 1919-1935, Thèse, Paris-X Nanterre, 1975, et « Exemplarité et limites de la participation féminine à la vie syndicale : les institutrices de la CGTU », in Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine de juillet-septembre 1977. — Elise Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire, Paris, Maspero, 1974. — Mémoires d’Ardèche et Temps Présent (MATP) : n° spécial sur Gilbert Serret par Vincent Présumey, 2014 ; n° 61-I du 15 février 1999, en particulier l’article de Jean-Louis Issartel pp. 39-46 qui, sans mentionner France Serret, aborde les rapports entre instituteurs révolutionnaires et régionalistes réactionnaires dans le domaine de l’histoire locale… — Loïc Le Bars, La Fédération Unitaire de l’Enseignement (1919-1935) Aux origines du syndicalisme enseignant, Paris, Syllepse, 2005. — G. Serret, F. Bernard, L. Bouët, M. Dommanget, Le Syndicalisme dans l’enseignement, Histoire de la Fédération de l’enseignement et du syndicalisme universitaire, Avignon, édition de L’École émancipée, s.d. [2 fasc.], réédité en 1966 par l’IEP de Grenoble avec une présentation et des notes de Pierre Broué. — Simone Pétrement, Vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1997, vol. 1, pp. 402-403. — Réponses en 1975 à l’enquête de Jacques Girault.

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