Par Nicole Racine
Né le 4 février 1908 à Paris (XVIIIe arr.), fusillé comme otage le 23 mai 1942 au Mont-Valérien à Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; physicien ; membre du Parti communiste (1934-1942) ; résistant du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France.
Fils du docteur Iser Solomon, radiologue des hôpitaux de Paris, et d’Alice Habib, arrêtée en mars 1943, déportée à Lublin-Maïdanek, après des études au lycée Rollin, Jacques Solomon, continuant la tradition familiale, entreprit des études médicales et devint externe des hôpitaux de Paris (1928-1929) ; attiré aussi par les sciences physiques, il obtint la licence en 1927. À Pâques de cette année-là, il rencontra Paul Langevin au congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences à Constantine où l’avait emmené son père. « L’insatiable curiosité d’esprit de Jacques m’avait frappé », écrivit Langevin. En juillet 1929, Jacques Solomon épousa Hélène Langevin* et s’installa auprès de son beau-père, rue Vauquelin.
Il abandonna la préparation du concours de l’internat pour se consacrer à la physique théorique. Il soutint sa thèse de doctorat ès sciences, L’électrodynamique et la théorie des quanta, en octobre 1931, devant un jury présidé par Jean Perrin*. Nommé boursier de la Fondation Rockefeller en 1931-1932, il travailla à Copenhague sous la direction du physicien danois, Niels Bohr et à Zurich puis séjourna à Berlin en 1932-1933 où il assista à l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Il poursuivit ses travaux sur la théorie des quanta et aborda la théorie des phénomènes nucléaires.
Après son service militaire dans l’administration des services de Santé, Jacques Solomon fut nommé chargé de recherches à la Caisse nationale des sciences (1934-1937). Il publia ses travaux sur la mécanique quantique dans le Journal de Physique (1934-1935), sur la Théorie du passage des rayons cosmiques à travers la lumière (1936). En 1937-1938, il fut chargé du cours de la Fondation Peccot au Collège de France, et en 1939, fit paraître ses leçons, Protons, neutrons, neutrinos. Le Conseil Solvay lui confia, pour le congrès de 1939, le rapport sur le noyau atomique.
Parallèlement à son activité de chercheur, Jacques Solomon milita au Parti communiste. Il y adhéra en août 1934, au retour d’un séjour en Allemagne, et devint membre de la cellule 426-428 du Ve arrondissement dont André Parinaud était le secrétaire ; en 1935-1936 il devint, avec ce dernier, secrétaire du rayon. Il participa à la campagne qui aboutit le 12 mai 1935 à la victoire de Paul Rivet comme candidat unique de la gauche aux élections municipales dans le quartier Saint-Victor. Selon A. Parinaud, Jacques Solomon et lui-même furent chargés par le parti de convaincre le candidat communiste Émile Nédelec de se retirer au second tour en faveur d’un candidat plus à même de faire l’union sur son nom ; il fut également chargé de convaincre P. Langevin de se présenter, puis après le refus de celui-ci, de solliciter Paul Rivet. Il fut membre du comité de la région Paris-Ville dès sa création.
Jacques Solomon milita aussi à l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (ITE) et la représenta le 25 avril 1937 à Barcelone avec Pierre George*. Il se préoccupa du développement et de la politique de la recherche (« Pour le libre développement de la science », Cahiers du bolchevisme, octobre 1938). Il donna à La Vie ouvrière un billet hebdomadaire sur les problèmes économiques.
Jacques Solomon assista au congrès du Parti communiste en janvier 1936, à Villeurbanne. Après la victoire du Front populaire, il fut envoyé à Londres par Jacques Duclos pour y étudier, selon le témoignage d’A. Parinaud, le système fiscal anglais ; il y rencontra le dirigeant communiste Harry Pollitt. En 1937, il participa aux Journées françaises pour la paix et l’amitié avec l’URSS, avec un exposé sur « L’industrialisation soviétique et son développement actuel ».
Jacques Solomon enseigna à l’Université ouvrière constituée en 1932. En 1935, Étienne Fajon, responsable des écoles du parti, s’assura la collaboration de Georges Politzer et de Solomon ; celui-ci eut en 1937 la responsabilité de l’enseignement de l’économie politique à l’école centrale d’Arcueil. Il collabora aux Cahiers du bolchevisme auxquels il donna des études consacrées non seulement aux problèmes scientifiques mais encore aux questions économiques et sociales ; en janvier-février 1938, il y publia des « Remarques sur la main tendue » fondées sur le matérialisme historique.
En 1938-1939, Georges Politzer et Jacques Solomon revinrent à une réflexion plus philosophique ; ils traduisirent ainsi pour leur propre compte La dialectique de la nature d’Engels ; selon l’expression de Jean Milhau, leurs efforts tendirent à « faire du matérialisme dialectique un pôle d’attraction du rationalisme scientifique » (la Pensée, mai-juin 1979). Le PCF, soucieux de montrer l’enracinement du marxisme dans la tradition matérialiste et rationaliste française, les y invitait. Cette préoccupation se retrouve en effet dans l’étude « La pensée française des origines à la Révolution » que Solomon avait presque achevée en 1939 et qui fut éditée d’après ses notes après la Libération, ainsi que dans son article des Cahiers du bolchevisme sur le matérialisme français du XVIIIe siècle. À l’occasion du 150e anniversaire de la Révolution française, il publia également des études sur les finances de la Révolution (Cahiers du bolchevisme, juillet 1939) et sur la politique scientifique (Commune, août 1939). Jacques Solomon fit partie du Groupe d’études matérialistes qui se réunissait autour de Paul Langevin, rue Vauquelin ; il appartint à l’équipe qui lança La Pensée, revue du rationalisme moderne (n° 1, juin 1939), dans laquelle il tint la chronique « La nature et la technique ». Il collabora aux pages culturelles de l’Humanité en 1938-1939 (rubrique « Les Sciences »).
Après Munich, il fut un des secrétaires de l’Union des intellectuels français pour la justice, la liberté et la paix (UDIF), créée pour s’opposer à l’esprit munichois, qu’il présenta dans Commune (janvier 1939) comme un rassemblement, au-dessus des partis, des intellectuels de toutes opinions.
Mobilisé en 1939-1940 dans les services de santé (il fut gestionnaire d’un hôpital militaire de Rouen), replié successivement à Courseulles (Calvados) puis à Agen d’où il fut démobilisé à la fin juillet, il dut attendre un mois pour regagner Paris (Paul Langevin, « Visage de Jacques Solomon »). On ne trouve pas trace du rôle qu’aurait joué Jacques Solomon dans la transmission des propositions du PCF pour la défense de Paris, le 6 juin 1940, comme intermédiaire entre Politzer et le ministre A. de Monzie. Aragon a évoqué ce rôle de J. Solomon dans la première version des Communistes (1951) en lui prêtant les traits d’un personnage fictif, Philippe Bormann ; dans la nouvelle version du roman (1966-1967), il lui rendit son identité.
En septembre-octobre 1940, en contact avec Politzer qui avait la liaison avec la direction clandestine du parti, Jacques Solomon chercha à toucher et à organiser les universitaires. Pierre Villon qui faisait l’intermédiaire entre la direction et Politzer, a rappelé qu’à la veille de son arrestation, le 8 octobre, il avait discuté avec Politzer, Solomon et Jacques Decour, le projet d’un journal destiné aux universitaires, le futur Université libre. J. Solomon s’attacha à nouer des contacts dans les milieux enseignants, animé, selon les témoins, par un esprit Front national avant la lettre. Son action, comme celle de Politzer et de Decour, rassembla essentiellement des intellectuels communistes ou communisants, et permit les regroupements futurs. Après l’arrestation de P. Langevin par les Allemands, le 30 octobre 1940, Jacques Solomon anima avec G. Politzer et F. Holweck le mouvement de protestation qui se traduisit par des manifestations d’étudiants et de professeurs devant le Collège de France les 5 et 8 novembre. Avec sa femme, il entra dans la clandestinité sous le pseudonyme de Jacques Pinel. Il fut, avec Politzer, un des principaux rédacteurs des premiers numéros de L’Université libre, sortis clandestinement en novembre 1940, après l’arrestation de Langevin et les manifestations du 11 novembre, et dénonçant l’« obscurantisme » et l’antisémitisme de Vichy. Il collabora à la revue La Pensée libre, créée pour prendre la suite de La Pensée de 1939 et dont le premier numéro sortit clandestinement en février 1941. Peu après l’arrestation de G. Politzer, J. Solomon fut arrêté par les brigades spéciales, le 2 mars 1942, dans un café parisien où il tenait une réunion de travail pour L’Université libre avec le docteur J. Bauer, arrêté en même temps que lui. Interné au dépôt jusqu’au 20 mars, à la prison du Cherche-Midi jusqu’au 11 mai puis à la Santé, il fut remis aux Allemands et fusillé comme otage, le 23 mai 1942 au Mont-Valérien, à l’âge de 34 ans, le même jour que G. Politzer et Jean-Claude Bauer.
La mention « Mort pour la France » lui fut attribuée par le Ministère des ACVG en date du 22 septembre 1947.
En 1951, un certificat d’appartenance à la Résistance, au titre du Front national, lui fut accordé avec le grade posthume de commandant, après le rapport du liquidateur du mouvement. La commission nationale des déportés et internés résistants lui refusa, pour les mêmes raisons qu’à Georges Politzer, le titre d’interné résistant, ne retenant que celui d’interné politique. En juillet 1956, la commission revint sur sa décision et le ministère des Anciens combattants attribua à Jacques Solomon, comme il l’avait fait pour Politzer, le titre d’interné-résistant (DIR). Il fut décoré de la Médaille de la Résistance à titre posthume le 11 juillet 1958, parution au JO le 16 juillet 1958..
Jacques Duclos rapporte dans ses Mémoires que, le 26 septembre 1944, il reçut, au siège du parti, l’adhésion de Paul Langevin qui lui déclara prendre la place de son gendre.
De nombreuses plaques rappellent sa mémoire : au lycée Jacques Decour, à la Faculté de médecine Paris-Descartes, sur la façade de l’immeuble situé 3 rue Vauquelin, dans le Ve arrondissement, à Ivry-sur-Seine, sur la liste des écrivains au Panthéon, sur le monument cloche du Mont-Valérien.
Par Nicole Racine
ŒUVRE CHOISIE : Les problèmes du marché et la politique commerciale, cours d’économie politique daté du 20 mai 1938, 41 p. (BMP). — Le capital financier et l’oligarchie financière en France, cours d’économie politique daté du 20 mai 1938, 34 p. (BMP). — L’État et la vie économique, cours d’économie politique daté du 16 juin 1938, 39 p. (BMP). — La pensée française des origines à la Révolution, Union française universitaire, 1947, 51 p.
SOURCES : Fonds Jacques Solomon, Arch. Dép. de Seine-Saint-Denis (385 J), inventaire en ligne. — DAVCC, Caen. 21P 539978. — SHD, Vincennes, GR 16P 552440. — Arch. Nat. Cour de justice de la Seine Z 6-119, n° 1727. — Arch. Ministère des Anciens Combattants. — Arch. du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, AN 72AJ57. — RGASPI, 517, 1, 1909. — Deux savants morts pour la France : Fernand Holweck, 1890-1941, Jacques Solomon, 1908-1942, comités de l’Université de Paris du Front national, 1943. — J. G. « Jacques Solomon » la Pensée, n° 1, octobre-décembre 1944. — P. Langevin, « Visage de Jacques Solomon », in J. Solomon, La pensée française des origines à la Révolution, Union française universitaire, 1947. — G. Fournier, « Solomon, un homme des sommets », Lettres françaises, 24 mai 1951. — À la mémoire de quinze savants français lauréats de l’Institut assassinés par les Allemands 1940-1945, 1959. — Jacques Duclos, « Hommage à Politzer, Decour, Solomon », Nouvelle critique, n° 67, juillet-août 1955 ; Mémoires, Fayard, t. II. 1935-1939. Aux jours ensoleillés du Front populaire, 1969. t. III. Dans la bataille clandestine. 1. 1940-1942 ; 2. 1943-1945, 1970. — « À la mémoire de Jacques Solomon », la Pensée, août 1965. — Germaine Willard, « XXXe anniversaire J. Decour, G. Politzer, J. Solomon », id., mai-juin 1972. — Fr. Hincker, « Une génération d’intellectuels mêlée aux combats populaires », Cahiers du communisme, juin 1972. — A. Parinaud, « Jacques Solomon, militant du Ve arrondissement », CIMT, mai-juillet 1972 [Icon.]. — Marie-Elisa Cohen, « Naissance de l’Université libre » in P. Delanoue, Les enseignants. La lutte syndicale du Front populaire à la Libération, Éd. sociales, 1973. — R. Gaucher, Histoire secrète du Parti communiste français (1920-1974), Albin Michel, 1974. — Georges Cogniot, Parti pris, t. I., Paris, 1976. — P. Villon, Résistant de la première heure, Éd. Sociales, 1983. — D. Pestre, Physique et physiciens en France : 1918-1940, Arch. contemporaines, 1984. — Nicole Racine-Furlaud, « L’Université libre. 1940-1941 » in Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), PFNSP, 1987. — Note de Jacques Girault. — Note Céline Largier-Vié. — Photos plaques MémorialGenweb.