SOUVARINE Boris [LIFSCHITZ Boris dit], dit VARINE

Par Jean-Louis Panné

Né le 7 novembre 1895 à Kiev (Russie), mort le 1er novembre 1984 à l’hôpital Necker (Paris, XIVe arr.) ; dessinateur d’art puis journaliste ; membre du Comité de défense du socialisme international, du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) puis secrétaire du Comité de la IIIe Internationale ; fondateur du Bulletin communiste ; membre du Comité directeur de la SFIC, représentant du Parti français à l’Exécutif de l’Internationale, membre du secrétariat et du Présidium ; dirigeant de l’aile gauche du Parti communiste, secrétaire du PC, exclu en juillet 1924 lors du Ve congrès de l’IC ; l’un des fondateurs du Cercle communiste Marx et Lénine (1926-1930) puis animateur du Cercle communiste démocratique (1931-1934) et de la Fédération communiste indépendante de l’Est. Directeur de la Critique sociale ; exilé aux États-Unis (1941-1947) ; collaborateur du BEIPI puis d’Est & Ouest ; fondateur et rédacteur du Contrat social (1957-1968).

Boris Souvarine (vers 1920)
Boris Souvarine (vers 1920)
cc Studio Dorit, Paris

Petit-fils d’orfèvre et fils d’un orfèvre qui s’installa à son compte, Boris Lifschitz avait un frère aîné, Léon, né en 1893. En 1897, ses parents émigrèrent en France, pays qui symbolisait pour eux la liberté et les droits de l’Homme. Installé dans le quartier du Marais à Paris, le couple perdit deux autres enfants nés après son arrivée. En 1904 naquit une fille, Jeanne. Plus tard, la famille déménagea rue Cadet (IXe arr.), en face du Grand Orient de France. Orfèvre-joaillier qualifié (et non diamantaire comme ce fut parfois écrit), Kalman Lifschitz, par son labeur acharné, obtint une certaine aisance. Les deux garçons, Léon et Boris, inscrits à l’école primaire, furent élevés « hors de toute influence religieuse, dans une ambiance d’incroyance » (lettre à A. Soljénitsine). En 1906, les Lifschitz obtinrent leur naturalisation.

Élève de l’École primaire supérieure Colbert, Boris Lifschitz fut renvoyé à la suite d’une farce dont il était innocent. Il ressentit cette sanction comme profondément injuste. Son père le fit embaucher comme apprenti dans une usine d’aviation. Quelque temps plus tard le jeune homme quitta le domicile familial pour s’installer dans une chambre du quartier Latin. Attirés très tôt par la vie politique, les deux frères suivaient les meetings qui se tenaient au Grand Orient. En compagnie d’Henri Suchet, de son frère Pierre Suchet, de René Aperçé (voir René Reynaud), Boris Lifschitz suivit les cours de l’Université populaire « La Coopération des idées ». Ensemble, ils lisaient l’Humanité, La Guerre sociale, La Bataille syndicaliste, Les Hommes du jour. La lecture tenait une grande place dans les loisirs du jeune Boris qui se considérait déjà comme socialiste mais n’était pas insensible aux grands classiques de la littérature anarchiste. Il découvrit également Charles Péguy et étudia peu à peu par lui-même les théoriciens socialistes ainsi que Michelet, Carlyle, Le Bon, Nordau, Descartes, Kant, Montaigne, Voltaire...

En octobre 1910, il sympathisa avec les cheminots en grève ; ce fut son premier contact avec un mouvement social. L’action des socialistes, en particulier celle de Jean Jaurès, l’impressionna beaucoup. En raison d’une erreur de transcription de sa date de naissance (1895 devenu 1893) par les services de l’état civil, Boris Lifschitz fut appelé sous les drapeaux en 1913 et fut incorporé le 26 novembre. Il avait obtenu auparavant son diplôme d’ouvrier d’art de la Ville de Paris. Bibliothécaire au 155e RI de Commercy (Meuse), il commença à apprendre le russe pour se faire envoyer à Paris. A la déclaration de guerre, il accepta l’Union sacrée. Après les combats en Wœvre puis la retraite, il participa à la bataille de la Marne. Après la mort en mars 1915 de son frère Léon qui s’était engagé comme sapeur, Boris Lifschitz fut muté à Paris. La mort de son frère aîné ne fut pas étrangère à la naissance de ses opinions pacifistes.

Affecté dans les services de l’intendance, Boris Lifschitz fit la connaissance d’Alexandre Lavigne, fils de Raymond Lavigne, qui l’introduisit parmi les rédacteurs du Populaire : Paul Faure, Adrien Pressemane, Léon Bétoulle, Jean Longuet, etc. Réformé en mars 1916, il adhéra à la IXe section du Parti socialiste où il fit la connaissance de Marie de Molènes (secrétaire) et de Paul Louis. Dès cette époque, il suivait l’action d’Alphonse Merrheim. Intéressé également par la Société d’études documentaires et critiques de la guerre, il y rencontra Jacques Mesnil et Clara Mesnil. Sa carrière de journaliste commença au Populaire dans lequel il signa pour la première fois Souvarine, pseudonyme tiré de Germinal de Zola.

En octobre 1916, les socialistes « minoritaires de guerre » créèrent le Comité de défense du socialisme international (CDSI) auquel Souvarine adhéra. C’est à cette époque qu’il écrivit l’article « A nos amis qui sont en Suisse » qui lui valut une réponse de Lénine. Souvarine n’y affirmait nullement la nécessité de la rupture avec les « socialistes d’Union sacrée » ; « devoir national » et « devoir socialiste » ne lui semblaient pas incompatibles. La réplique de Lénine lui fit découvrir les partisans d’une nouvelle internationale ; elle ne modifia pas fondamentalement sa manière de voir et ce ne fut que quelques mois plus tard, début 1917, qu’il envisagea la scission comme nécessaire au développement d’un mouvement socialiste dégagé de l’Union sacrée.

Souvarine avait fait la connaissance de Charles Rappoport. Il fut vraisemblablement initié au mouvement révolutionnaire russe par ce dernier qu’il côtoyait à la rédaction du Journal du peuple. C’est dans ce journal que le 18 mars 1917, il publia un article dans lequel il analysa la chute du tsarisme comme première étape sur le chemin conduisant au socialisme et à la paix. Dès cette époque, une rivalité naquit entre les deux hommes qui s’opposèrent dans l’interprétation de la situation russe.

Début mars 1917, à l’issue du conseil national des Fédérations socialistes « minoritaires de guerre », Souvarine apparut comme l’un des vingt-cinq responsables du CDSI ; il y représentait la Fédération de la Seine dont il devint membre du comité exécutif en octobre 1917. Tandis que Rappoport faisait campagne pour la convocation de l’Assemblée constituante russe, Souvarine plaçait ses espoirs dans le refus des socialistes russes de participer au gouvernement provisoire et sur leur prise du pouvoir. Désigné comme délégué au congrès national de Bordeaux de septembre 1917, il se prononça, à l’inverse de Jean Longuet, contre le vote des crédits militaires. Rédacteur au Journal du peuple et secrétaire de rédaction du Populaire, Souvarine était alors l’un de ceux qui pouvait orienter l’opinion des socialistes face à la prise de pouvoir des bolcheviks.

Le 10 novembre 1917, il célébra « le triomphe des Soviets » (Le Journal du peuple). Mais le 11, il publia dans Ce qu’il faut dire, une critique acerbe des bolcheviks dont l’action minoritaire pouvait faire basculer la révolution dans le « militarisme révolutionnaire » au détriment de la classe ouvrière russe. Cette position, Souvarine l’abandonna assez rapidement sous l’influence de Kemerer, de son vrai nom Victor Taratouta, bolchevik venu de Suisse qui était devenu peu à peu le mentor idéologique de l’équipe du Populaire. Dès le 16 février 1918, Souvarine prit la défense de Lénine considérant qu’au pouvoir « démocratique », son action avait substitué un « pouvoir prolétarien ».

Succédant à Marie de Molènes au secrétariat de la IXe section, il joua un rôle de plus en plus important au sein du CDSI, tout en se rapprochant du CRRI au sein duquel il se lia avec Fernand Loriot, Pierre Monatte, Alfred Rosmer. Le 8 décembre 1918, il prit la parole devant la Commission d’enquête de la Ligue des droits de l’Homme sur la situation en Russie et réfuta les accusations portées contre les bolcheviks, s’appuyant sur un parallèle avec la Révolution française. Fin 1919, il publia un Éloge des bolcheviks où il appelait Lénine « l’incorruptible ».

Approuvant la création de l’Internationale communiste (mars 1919), il milita en faveur du ralliement à cette nouvelle organisation. C’est toujours par le biais du Populaire et de La Vérité de Paul Meunier que Souvarine poursuivait l’essentiel de sa propagande en faveur du bolchevisme. Entré en désaccord avec les leaders du CDSI (dont il était devenu membre du comité central) qui, autour de Jean Longuet, n’avaient pas approuvé la constitution de la IIIe Internationale, il les baptisa du nom de « Reconstructeurs », lorsqu’ils créèrent en décembre 1919 le Comité de reconstruction de l’Internationale. Il cessa d’écrire au Populaire en novembre puis entra à la commission exécutive du Comité de la IIIe Internationale qui avait succédé, le 8 mai 1919, au CRRI.

Délégué au congrès socialiste de Strasbourg (25-29 février 1920), Souvarine y intervint à plusieurs reprises pour contredire L.-O. Frossard et Jean Longuet. Parti en Allemagne en compagnie de F. Loriot et Lorenzo Vanini (Stoïan Mineff), émissaire de la IIIe Internationale, Souvarine établit des relations avec le Bureau occidental de l’Internationale communiste (Amsterdam) et revint pourvu des subsides nécessaires à la création du Bulletin communiste, organe du Comité de la IIIe, dont le 1er numéro parut en mars 1920 avec un appel signé des trois secrétaires du comité : Fernand Loriot, Pierre Monatte, Boris Souvarine.

A la suite de la grève des cheminots de mai 1920, le gouvernement Clemenceau lança des poursuites pour « complot contre la sûreté de l’État ». Après l’arrestation de Pierre Monatte et Fernand Loriot, Souvarine assura seul les tâches de secrétaire jusqu’à son arrestation le 17 mai (voir Jean Ribaut et René Reynaud). Il fut défendu par maître Henry Torrès. Incarcérés à la Santé et bénéficiant du régime politique, les inculpés virent leur action entravée mais tous purent recevoir les visites régulières de leurs camarades et Souvarine poursuivit sa collaboration au Bulletin communiste ainsi qu’à La Vie ouvrière, en signant Varine.

L’absence forcée des leaders du Comité de la IIIe eut pour conséquence de laisser le champ libre aux « Reconstructeurs » de la SFIO. L’émissaire en Russie du Comité de la IIIe, Raymond Lefebvre, ayant disparu sur le chemin du retour, ce furent L.-O. Frossard et Marcel Cachin qui, ayant décidé de rallier la nouvelle internationale au cours de leur voyage pendant l’été 1920, menèrent la campagne pour l’adhésion. Les débats se centrèrent sur les conditions imposées par la direction de l’IC. Des consultations eurent lieu entre Amédée Dunois, Paul-Louis, Boris Souvarine pour adapter la condition concernant les syndicats aux traditions françaises. Daniel Renoult, au nom des « ex-Reconstructeurs » ralliés à la IIIe Internationale, intervint également. Ce fut donc une motion de compromis contenant vingt et une conditions réécrites, dont trois tout à fait différentes de celles voulues par les bolcheviks (Ph. Robrieux, op. cit., t. I, p. 555-556), qui fut présentée aux congressistes sous l’autorité du Comité de la IIIe (la hiérarchie des signatures est significative : Fernand Loriot, Boris Souvarine puis Jean Ribaut, René Reynaud, puis la commission exécutive et les simples membres) et des membres démissionnaires du Comité de reconstruction de l’Internationale (Marcel Cachin, L.-O. Frossard, puis une trentaine de noms).

Pour Boris Souvarine, « l’unité mensongère » était définitivement rompue (Bulletin communiste, 6 janvier 1921). Il était partisan de l’entrée des syndicalistes révolutionnaires favorables aux bolcheviks dans le nouveau parti ; en conséquence, l’existence du Comité de la IIIe fut maintenue jusqu’en octobre 1921. Toujours emprisonnés, Fernand Loriot et Boris Souvarine furent présentés aux élections législatives partielles dans le 2e secteur de la Seine les 27 février et 13 mars 1921 par le Comité directeur dont ils étaient membres. Arrivés en tête au premier tour, ils furent largement devancés (environ douze mille voix) au second par les candidats de droite. Le 28 février s’ouvrit le procès du « complot » qui se termina par la relaxe des inculpés le 17 mars.

Libéré, Boris Souvarine prit place dans la direction du Parti socialiste SFIC et fut désigné comme délégué au IIIe congrès de l’IC. Arrivé à Moscou, il rencontra Victor Serge et Pierre Pascal dont il connaissait le rôle au sein du Groupe communiste français et demanda à Pascal de lui procurer la plate-forme de l’Opposition ouvrière défendue par Alexandra Kollontaï au cours du Xe congrès du Parti bolchevik. La délégation française le désigna comme délégué permanent auprès de l’IC alors que lui-même avait proposé Paul Vaillant-Couturier, après le refus de Loriot.

Au cours du IIIe congrès, Boris Souvarine critiqua certaines décisions de l’Exécutif de l’IC (cf. SOURCES, Charles-André Julien) et entra en conflit ouvert avec le « guide » de la délégation française, Victor Taratouta. Il se rendit sans autorisation à la prison Boutyrki où des libertaires faisaient la grève de la faim. Taratouta alerta l’Exécutif et une commission mixte (Olminski, Lounatcharski, Loriot et Vaillant-Couturier) conclut à la bonne foi de Souvarine. Le conflit fut discuté par le Politburo et Lénine décida de coopter Souvarine au secrétariat de l’IC (lettre à A. Soljénitsine).

Devenu le pivot des relations entre l’IC et le Parti français, Boris Souvarine n’eut de cesse de transformer le parti français en Parti communiste sur le modèle bolchevik ; il perdit le contact direct avec le mouvement communiste en France et de nombreux malentendus politiques, entre lui et la direction du PC, naquirent. Au lendemain du IIe congrès de l’IC, il avait été élu au Présidium de l’IC (le « Petit Bureau »). Il y siégea aux côtés de Alexandre Zinoviev*, Karl Radek, Nicolas Boukharine, Béla Kun, Jules Humbert-Droz, etc., et fut chargé de la section de presse qui commença la publication de la Correspondance internationale. Par « lettres-rapports » adressés au Comité directeur, il l’informait des décisions prises. Chargé en outre d’assurer les liaisons entre l’IC et l’ISR (créée à l’été 1921), il put facilement remarquer que les réunions du Présidium de l’IC étaient toujours précédées par celles du Bureau politique du Parti bolchevik et qu’en conséquence, la plus haute instance de l’IC ne prenait ses décisions qu’une fois Zinoviev de retour avec les consignes du PC russe (Est & Ouest, février 1985).

A Paris, le courant conduit par Henri Fabre, Victor Méric, etc., dénonçait dans Le Journal du peuple et La Vague l’intervention de plus en plus contraignante, selon eux, du Komintern dans les affaires du parti français. Boris Souvarine devint d’autant plus la cible de ces attaques que le ton de ses missives heurtait de nombreux membres du Comité directeur. Il entra alors en conflit avec la génération de militants imprégnés des traditions socialistes de l’avant-guerre, conflit qui prit une tournure personnelle entre Méric et lui lorsque vint à se poser la question de la collaboration de dirigeants du parti à des organes échappant au contrôle politique du PCF. La crise éclata au grand jour lors du congrès de Marseille (décembre 1921) à propos du Front unique et provoqua la cristallisation de trois courants : la « droite » (Méric, Raoul Verfeuil, etc), le « centre » (Frossard), la « gauche » (Albert Treint, Loriot). En vain, les délégués du Komintern intervinrent en coulisse. Boris Souvarine ne fut pas élu au Comité directeur. Aussitôt, les membres de la « gauche » démissionnèrent. L’imbroglio était total et l’Exécutif de l’IC dut, le 9 janvier 1922, convoquer les représentants de chaque tendance à Moscou. Le 17 janvier, le CD rejeta le Front unique. « La question française » occupa l’essentiel de la réunion de l’Exécutif élargi de février 1922. Cette première crise jugulée, la situation n’en restait pas moins très fragile. À la réunion suivante de l’Exécutif élargi, Souvarine mit en cause Frossard et Cachin toujours à propos du Front unique (8 et 19 mai, 8 juin 1922). Membre de la commission du programme de l’IC, il fut chargé le 14 juin, avec Charles Rappoport et Lucie Leiciague, de la question française. Il se heurta alors à Jules Humbert-Droz. De retour à Paris en août, il s’efforça d’accroître l’influence de la « gauche ». À l’issue de discussions avec les envoyés clandestins de l’IC, il préconisa un accord entre « gauche » et « centre » sur la base de deux motions communes, l’une sur le Front unique et l’autre de politique générale, au prochain congrès de Paris. Mais la solution proposée pour la répartition des responsabilités échoua en raison du refus du « centre ».

Au IIe congrès du PC (Paris, 15-20 octobre 1922), la motion de la « gauche » obtint 1 516 voix, celle du « centre » 1 686 et la tendance Renoult 814. Le nouveau Comité directeur, exclusivement composé de représentants du « centre », enleva à Boris Souvarine la direction du Bulletin communiste. Plusieurs rédacteurs de l’Humanité démissionnèrent aussitôt. La « gauche » fit imprimer un Bulletin communiste pour en appeler à l’IC puis créa les Cahiers communistes, avec l’appui des envoyés de l’IC. Au IVe congrès de l’IC en novembre, il fut décidé de composer un Comité directeur sur la base de la proportionnelle. Souvarine retrouva alors son siège au Comité directeur et la responsabilité du Bulletin communiste.

La condamnation de l’appartenance à la Franc-maçonnerie modifia les rapports au sein de la direction française. Prenant connaissance des résolutions du IVe congrès de l’IC, Frossard démissionna le 1er janvier 1923 et avec lui de nombreux partisans qui formèrent un Comité de résistance. Dans le CD remanié, Souvarine était toujours représentant du parti français à Moscou ; il rentra à Paris le 17 janvier et devint membre du Bureau politique nouvellement créé.

Chargé de la Bibliothèque communiste qu’il avait créée, Boris Souvarine se vit confier l’examen de la situation de l’Humanité. Cependant ses relations avec Humbert-Droz restaient difficiles. À Moscou à partir de mai 1923, il intervint dans le conflit naissant entre Albert Treint, secrétaire du parti, et les autres membres du BP. Réélu au Présidium de l’IC en juin, il participa à la préparation de l’insurrection allemande (octobre 1923) et assista à l’amorce du débat sur le « cours nouveau » du Parti bolchevik engagé à l’initiative de Trotsky d’une part et de quarante-six « vieux bolcheviks » d’autre part.

Très vite, Boris Souvarine prit conscience de l’enjeu de ce débat et de ses implications. La question de la démocratie interne au Parti bolchevik mettait en cause le fonctionnement même du pouvoir. Cela induisait la réévaluation des rapports entre le parti russe et les sections de l’IC. Lénine malade, un sourd conflit de succession opposant Trotsky d’une part et Zinoviev-Kamenev-Staline de l’autre, se greffa sur les questions de stratégies rendues encore plus aiguës par l’échec de l’Octobre allemand. Début 1924, Souvarine suggéra que les sections de l’IC devaient rester neutres. Il s’opposa à Zinoviev qui s’appuyait sur celles qui lui étaient acquises pour isoler Trotsky. Le tandem Treint-Girault fournit à Zinoviev le relais nécessaire à son action au sein du PCF. Ses émissaires (Dimitri Manouilski) aidèrent Abert Treint et Suzanne Girault, devenus « zinoviévistes », à museler peu à peu toute velléité d’opposition. Parallèlement, Souvarine commença la publication des documents Raffalovitch, tirés des archives diplomatiques tsaristes, qui furent rassemblées en 1931 sous le titre de L’Abominable vénalité de la presse.

Au IIIe congrès du Parti communiste (Lyon, 20-24 janvier 1924), A. Treint fut contraint de quitter le BP. Lui et Boris Souvarine furent désignés comme représentants du PC auprès de l’Exécutif de l’IC. La direction du PC semblait avoir trouvé un équilibre. Choqué par les procédés utilisés à l’encontre de Trotsky accusé de préparer un nouveau « Dix-huit Brumaire », Souvarine présenta dans le Bulletin communiste les positions des leaders du Parti bolchevik. Par sympathie intellectuelle, il soutint Trotsky. Encouragé par les réactions des militants à son travail d’information sur la « question russe », il réussit le 12 février à faire voter par le CD une résolution stipulant qu’après l’éviction de la « Vérité ouvrière » et du « Groupe ouvrier » hors du Parti bolchevik, les fractions inassimilables n’existaient plus. Par conséquent, aucune sanction envers Trotsky ne se justifiait. Albert Treint, Suzanne Girault, Pierre Semard votèrent contre cette résolution et le Komintern imposa le retour de Treint au BP.

En guise de protestation, Boris Souvarine démissionna du BP le 22 février. Désormais il livra ouvertement son opinion, suscitant une hostilité toujours plus grande ; ainsi, il écrivit : « Nous avons jugé de notre devoir de défendre le Parti russe contre lui-même, de rendre justice aux uns et aux autres... Le rôle de l’Internationale doit être de maintenir l’unité du Parti russe... » (Bulletin communiste, 7 mars 1924). Le secrétariat imposa un article de Treint dans le Bulletin, mettant en cause Alfred Rosmer et Souvarine pour leur liens avec Trotsky. Ce texte parut suivi d’une mise au point de Souvarine dénonçant les « assertions inexactes de l’auteur » (Bulletin communiste, 14 mars 1924).

Le 13 mars, le BP décida son retour à Moscou et confia la direction du Bulletin à Claude Calzan. Le 18 mars, Albert Treint présenta au CD des thèses qui annulaient les précédentes, prises sous l’impulsion de Boris Souvarine. Elles recueillirent la quasi-totalité des voix sauf celles de Souvarine et de Pierre Monatte (rejoint par Amédée Dunois, alors à Moscou) et l’abstention de Rosmer qui démissionna du BP. Le texte de Treint fut confirmé par une résolution de l’Exécutif de l’IC (l’Humanité, 7 mai 1924). Ultime riposte, Souvarine, quitta aussi l’Humanité, envoyant une lettre aux abonnés du Bulletin communiste dans laquelle il expliquait : « Nous voici désarmé, privé de moyen d’expression et de défense... Celui qui s’est jeté sans réserve dans la lutte,..., qui a toujours parlé sans fard selon ses conviction... qui a heurté les ambitions, déjoué les manœuvres,... celui-là doit s’attendre à la coalition de toutes les rancunes... » Dénonçant les diffamations envers Trotsky ou Radek (et lui-même), il annonça son intention de publier une « revue d’étude et de critique marxiste, traitant de questions de politiques, historiques, économiques, de la vie ouvrière et de la doctrine communiste ».

Le 25 mars, le CD lui retira définitivement la direction du Bulletin et publia une déclaration condamnant son acte d’indiscipline (l’Humanité, 27 mars). Sur la question russe, Boris Souvarine n’était pas totalement isolé : Pierre Monatte, Alfred Rosmer, Amédée Dunois, Fernand Loriot, Maurice Paz et le délégué auprès de l’ISR, Auguste Herclet, partageaient peu ou prou son point de vue. Le 11 avril, il lança une souscription pour la publication des interventions de Trotsky sur le « cours nouveau ». Préfaçant ces écrits, il fustigea la « tendance déjà apparue de déifier Lénine, de faire du léninisme une religion, de l’œuvre du maître un évangile ». La brochure parut quelques jours avant son départ à Moscou, début mai.

Au cours du conseil national de mai, Louis Sellier annonça que le « cas Souvarine » serait réglé par le Ve congrès de l’IC (17 juin-8 juillet). Pierre Monatte demanda à être blâmé avec Boris Souvarine qui, quelques jours auparavant, le 28 mai, avait pu intervenir devant le XIIIe congrès du Parti bolchevik (Bulletin communiste, 20 juin 1924). À une session de l’Exécutif élargi, la délégation française demanda qu’il cessât de représenter le PC. Le 17 juin, Souvarine présenta sa défense devant la « commission Souvarine », créée par la volonté d’Alexandre Zinoviev*, qui décida son exclusion du PC. Ce dernier se réservait la possibilité de proposer à l’IC sa réintégration s’il montrait « entre-temps une conduite loyale vis-à-vis du Parti et de l’Internationale ». Le 19 juillet 1924, l’Humanité publia la déclaration du secrétariat du PC annonçant cette décision, la justifiant par cette formule : « C’est dans la mesure où toutes les survivances du « Moi » individualiste seront détruites, que se formera l’anonyme cohorte de fer des Bolcheviks français. » Souvarine décida de demeurer en Russie soviétique pour y partager la vie du peuple russe, mais l’arrestation, par le Guépéou, de N. Lazarévitch auquel il était lié, remit en cause ce projet.

Revenu à Paris à la mi-janvier 1925, Boris Souvarine entama une collaboration à La Révolution prolétarienne, signant « Un communiste », décrivant minutieusement l’évolution des conflits au sein du PC russe. Il relança le Bulletin communiste (n° 1, 23 octobre 1925), s’affirmant toujours communiste et dénonçant la soi-disante « bolchevisation ». Pour faire acte de discipline envers l’IC qui semblait vouloir réviser son appui à la direction du PC, Souvarine en suspendit la parution fin janvier 1926 et la question de sa réintégration fut débattue lors de l’Exécutif élargi de l’IC de février 1926. À l’initiative de membres du parti et d’exclus fut fondé le 17 février, avec son appui, un Cercle communiste Marx et Lénine qui se proposait de mener « l’étude critique de l’expérience soviétique » et d’agir pour la naissance « d’un Parti communiste répondant aux définitions que l’Internationale communiste en a donné ».

A l’automne 1926, l’Opposition de gauche se préparait à mener une offensive au cours de la XVe conférence du PCR mais Trotsky et ses partisans y renoncèrent, acceptant de reconnaître leurs fautes envers la discipline. Pour Boris Souvarine ce fut là une première « capitulation » bientôt suivie par la négation embarrassée de l’existence du « testament » de Lénine par Trotsky. Souvarine et Max Eastman, qui avaient reçu le document de la veuve de Lénine, Nadejda Kroupskaïa, avaient décidé de le publier, avec l’aval de Christian Rakovsky, alors ambassadeur en France, à l’occasion de cette XVe conférence. La parution dans la Révolution prolétarienne (n° 10, novembre 1926) eut un retentissement considérable ; l’acte, ayant perdu l’impact politique du fait du recul de l’Opposition, valut à Souvarine son exclusion définitive pour « propagande contre-révolutionnaire » (VIIe session du Comité exécutif élargi, novembre-décembre 1926).

Reprenant la parution du Bulletin communiste en janvier 1927, Boris Souvarine se fit le chroniqueur des luttes des différentes oppositions au sein des partis communistes. Il ne ménagea pas non plus l’Opposition unifiée née du rapprochement entre Zinoviev-Kamenev et Trotsky et s’efforça de produire les outils intellectuels susceptibles de permettre l’analyse du « bolchevisme de la décadence », du « léninisme, opium de l’internationale », de l’Opposition et la transformation du Parti russe en « nouvelle classe privilégiée » (« Octobre noir », Bulletin communiste, octobre-novembre 1927). Cependant, avec le Cercle communiste renforcé par de jeunes militants issus de l’Université « Connaître » (voir Charles Ronsac, René Michaud) et de militants de Lyon (voir Jean-Jacques Soudeille), il mena campagne après campagne en faveur des opposants relégués en isolateurs.

Ses divergences avec Trotsky devinrent irréductibles avec l’arrivée de ce dernier à Prinkipo (Turquie). Un échange de lettres se conclut en juin 1929 par une rupture politique. Cette même année, il rédigea, à la demande de son ami Panaït Istrati , le 3e volume de la trilogie Vers l’autre flamme : La Russie nue, véritable tableau de l’état physique et moral du prolétariat et de la paysannerie soviétiques. Boris Souvarine dénonça ensuite le « bluff » du Plan quinquennal et la « guerre civile » engagée contre la paysannerie avec la collectivisation forcée (Bulletin communiste, n° 31, février 1930). Fin 1930, le Cercle communiste Marx et Lénine devint le Cercle communiste démocratique ; ce qui signifiait la volonté de réintroduire, par la critique du léninisme, une dimension démocratique dans le mouvement communiste. L’influence intellectuelle du Cercle se manifesta par le lancement de la Critique sociale, revue encore située dans une perspective marxiste mais ouverte aux apports des sciences sociales et humaines contemporaines (psychanalyse notamment).

Sur le plan politique, le Cercle se rapprocha de la Fédération communiste indépendante de l’Est créée au cours d’un congrès tenu le 20 novembre 1932 à Valentigney (Doubs) auquel Boris Souvarine assista (voir Louis Renard et Paul Rassinier). Le Cercle, déjà influent dans les milieux enseignants de la Fédération unitaire, trouvait ainsi un nouveau relais. Les colonnes du Travailleur de Belfort furent largement ouvertes aux « parisiens ». Après le 6 février 1934, le Cercle, déjà divisé à propos de la naissance d’un nouveau parti, ne put trouver place dans le mouvement d’unité d’action contre le fascisme, en raison de l’ostracisme des communistes orthodoxes. Pendant ces années, Souvarine se consacra également à la rédaction de son ouvrage Staline, aperçu historique du bolchevisme.

Commencé en 1930, le livre fut achevé au printemps 1934 mais, refusé par Gallimard, ne trouva un éditeur qu’un an plus tard. L’ouvrage reçut un accueil très favorable dans la presse mais son impact politique fut amoindri par le rapprochement entre la France et l’Union soviétique (pacte Laval-Staline, mai 1935) et la montée du Rassemblement populaire, les socialistes mettant en veilleuse leurs critiques de l’URSS. Sur sa lancée, Boris Souvarine qui n’avait trouvé jusqu’ici accueil qu’au Combat marxiste de Lucien Laurat, créa une Association des Amis de la Vérité sur l’URSS qui publia plusieurs brochures qui confirment son constant souci d’informer sur les conditions de vie des ouvriers et paysans soviétiques.

A partir de 1935, il noua d’étroites relations avec Nicolaas W. Posthumus (1880-1960), directeur de l’Institut international d’histoire sociale (IISG) à Amsterdam (Pays-Bas) où furent recueillies les archives de la social-démocratie allemande (Marx, Engels, Kautsky, etc) que Boris Souvarine avait aidé à soustraire aux nazis. Bientôt employé sous la responsabilité de Boris Nicolaevsky à la filiale française (sise 7 rue Michelet), il fut notamment chargé de l’achat des archives de Lucien Descaves. Il obtint en 1937 son diplôme de l’École nationale des langues orientales après avoir suivi les cours de son ami Pierre Pascal.

C’est par un article consacré au second procès de Moscou (23-30 janvier 1937) que Boris Souvarine commença une collaboration au Figaro. Relevant les invraisemblances et les contradictions des « aveux », il insista sur les traits « typiques du bolchevisme » qui s’y faisaient jour et publia deux brochures à ce sujet : « Cauchemar en URSS » (La Revue de Paris) et « Aveux à Moscou » (La Vie intellectuelle). La même année, avaient commencé à paraître Les Nouveaux cahiers (n° 1, 15 mars 1937), qui désiraient offrir une tribune à « la pensée libre », dans la perspective d’une « refonte politique, économique et morale de la société ». Souvarine en fut l’un des secrétaires de rédaction avec Denis de Rougemont. Il donna plusieurs articles dont l’un des plus significatifs porte sur la guerre d’Espagne (À contre courant, op. cit.), dénonçant l’intervention de deux totalitarismes (nazisme, néo-bolchevisme). Parallèlement il tenta de faire libérer son beau-frère, Joaquin Maurin, leader du POUM, alors prisonnier des franquistes.

Rendant compte de l’épuration de l’Armée rouge et de l’assassinat de milliers d’officiers, il s’interrogea sur les intentions finales de Staline (Le Figaro, 24 mars 1938). A la suite des déclarations de ce dernier au cours du XVIIIe congrès du PCUS, du limogeage de M. Litvinov, des négociations secrètes menées à Berlin par l’attaché commercial D. Kandelaki, etc., Boris Souvarine formula dès le 7 mai 1939 l’hypothèse d’un rapprochement possible entre Hitler et Staline. Après cinq années de terreur continue qui avait frappé beaucoup de militants bolcheviks qu’il connaissait (Boukharine, Zinoviev, Radek, etc), d’écrivains amis (I. Babel, B. Pilniak), le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 lui apparut comme la concrétisation d’une parenté fondamentale entre les deux États totalitaires, à la fois complices dans leur action contre les démocraties et dans le partage de l’Europe orientale qu’ils s’accordèrent mutuellement : agression commune de la Pologne, annexion de la Bukovine, de la Bessarabie, des États baltes par l’Armée rouge, agression de la Finlande, en vertu des clauses secrètes du Pacte. Rétrospectivement, Boris Souvarine vit dans la volonté d’accord de Staline avec l’Allemagne hitlérienne la raison des grandes purges, de l’extermination de la « vieille garde » bolchevique et celles des généraux de l’Armée rouge qui n’auraient pu acquiescer à un tel revirement politique. Dès lors, il considéra que l’heure n’était plus à « l’étude critique de l’expérience soviétique » mais au combat contre le communisme soviétique aussi urgent que celui contre le nazisme.

Boris Souvarine quitta Paris en juin 1940. Sa bibliothèque et les archives de l’Institut d’histoire sociale entreposées à Amboise (Indre-et-Loire) furent saisies par les Allemands (elles devaient être récupérées par les Soviétiques). Réfugié d’abord dans le Limousin, il gagna Nice (Alpes-Maritimes) où il épousa Françoise Hauser, le 22 octobre 1940. Arrêté et emprisonné à « l’Évêché », il fut libéré sur intervention de son ami Henry Rollin, capitaine de corvette collaborateur de l’amiral Darlan. Grâce à son inscription sur les listes de personnalités établies par le département d’État américain, il obtint un visa et quitta la France avec sa famille, début août 1941.

A New York, Boris Souvarine renoua avec Karl Korsch, Alfred Rosmer, Max Eastman. A l’époque, Souvarine penchait en faveur du général Giraud tout en travaillant pour le compte de la Direction générale des études et de recherches. L’entrée des communistes au Comité français de libération nationale (CFLN) alimenta son hostilité à la politique du général de Gaulle car il considérait impossible d’effacer l’attitude des communistes pendant la drôle de guerre ; il lui reprochait également de concevoir le « pouvoir bolcheviste » à l’égal des autres pouvoirs connus jusqu’alors. Avec l’effondrement du nazisme, la nécessité de la lutte contre le « nouvel impérialisme russe » lui paraissait devenir prioritaire.

Au printemps 1947, Boris Souvarine put rentrer en France. A partir de juin 1948, il publia une « newsletter », l’Observateur des deux mondes, dans laquelle il réfutait les analyses courantes des dirigeants occidentaux à propos de la situation mondiale ; ces derniers s’attendaient alors à une attaque soviétique que Souvarine jugeait improbable. Le non respect des accords de Yalta (élections libres) par les Soviétiques, l’instauration par la force des « Démocraties populaires », avec l’élimination physique des partis démocratiques, socialistes ou autres, la victoire des communistes chinois (1949), suivie bientôt de l’agression contre la Corée du Sud (1950), firent que Souvarine se rangea, comme Raymond Aron qui devint son ami, aux côtés de ceux qui étaient résolus à s’opposer à la progression du communisme dans le monde.

Dans le courant de l’année 1949, Boris Souvarine fut présenté par Maurice Paz à Georges Albertini qui publiait, avec une équipe comprenant Henri Barbé, Pierre Celor, Guy Lemonnier , le Bulletin d’études et d’informations de politique internationale (BEIPI, n° 1, 15 mars 1949), devenu en 1956 Est & Ouest. Souvarine commença sa collaboration quelques temps plus tard et ouvrit cette publication à É. Borschak, Nicolas Volski-Valentinov, Alexandre Kerenski, Isaac Don Lévine, Boris Nicolaevsky, etc. Dans le BEIPI, il tint un « Mémento de la guerre froide » dans lequel il consigna les manifestations d’adulations au régime soviétique triomphant. Dans cet esprit, il participa à la rédaction d’une brochure, Le Monde auxiliaire du communisme, qui critiquait la présentation des problèmes internationaux par ce journal, considérant sa description du régime soviétique et des « démocraties populaires » comme complaisante, relevant aussi son dénigrement des témoins rescapés des camps lors du procès Kravchenko (voir André Pierre). Il fut également l’un des plus constant dénonciateur de l’antisémitisme soviétique, analysant l’exécution des médecins juifs en février 1953 comme la préparation d’une déportation des juifs soviétiques en Extrême-Orient.

Développant une analyse de 1926 (« De telles choses ne sont pas explicables par la seule analyse du contenu social des forces aux prises, des causes économiques de la crise, comme sont tentés de l’affirmer de pseudo-marxistes étroits et simplistes : des phénomènes psycho-pathologiques sont là, qu’il faudra étudier »), déjà reprise dans le chapitre XI (ajouté à l’édition de 1940) du Staline, Boris Souvarine publia une longue étude sur la dérive névrotique du pouvoir stalinien : « Un Caligula à Moscou » (BEIPI, suppl. au n° 98, novembre 1953). Sans se limiter à cet aspect, il tenta d’élucider les mécanismes du pouvoir total de Staline (« Staline, pourquoi ? Comment ? », Est & Ouest, n° 602, 1977). Dans Preuves, il publia une série d’articles sur les écrivains russes et écrivit de nouveau dans Le Figaro, mais aussi dans L’Aurore, L’Écho d’Alger de Jacques Chevallier, maire de cette cité, La Corrèze républicaine et socialiste d’Henri Fabre, Ésope, etc...

Collaborant avec Jean-Paul David, animateur de « Paix et Liberté », Boris Souvarine rédigea en mars 1950 les attendus d’une loi destinée à « prendre toutes mesures urgentes de légitime défense active contre les entreprises antifrançaises d’un parti nationaliste étranger dit « communiste » et de ses organisations et publications satellites... » Pour lui, la politique du PCF, affilié au Kominform, découlait de la stratégie générale du pouvoir soviétique qu’il fallait mettre en échec. Les insurrections de Berlin (juin 1953), Poznan (juin 1956), Budapest (octobre 1956), confirmèrent son opposition irréductible au communisme soviétique qu’il analysa comme un « national-socialisme soviétique », voulant ainsi rappeler sa parenté avec le national-socialisme vaincu (Le Contrat social, janvier 1961).

Avec l’aide de Jacques Chevallier puis de G. Albertini, Boris Souvarine réorganisa un Institut d’histoire sociale, indépendant de celui d’Amsterdam, dont il resta le secrétaire général jusqu’en 1976, fonction rétribuée à laquelle s’ajoutaient ses piges dans la presse et dans les revues. En 1957, constatant « une régression frappante des connaissances dans l’ordre « des sciences morales et politiques », des « philosophies de l’histoire » et de la « physique sociale » », il lança le Contrat social (mars 1957) dont l’ambition était de susciter le « goût à l’étude originale,... la recherche originale » et « stimuler la pensée critique ». Avec Michel Collinet, Kostas Papaioannou, Raymond Aron et d’autres, ce « contemporain de l’édification du « monde nouveau » » (Michel Heller) prit soin de distinguer le « marxisme de Marx » de celui de ses épigones et plus encore le marxisme du léninisme et du stalinisme.

Boris Souvarine participa aux activités de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (voir David Rousset), rédigeant à sa demande un mémoire pour la réhabilitation du maréchal M. Toukhatchevski (1957). Il consacra les dernières années de sa vie à des mises au point sur l’histoire du régime soviétique. Admirateur d’Alexandre Soljénitsine, « le Témoin par excellence », il polémiqua néanmoins avec lui à propos de Lénine à Zurich (1976) qui lui paraissait trop emprunter à la vieille littérature antibolchevique, souvent dénuée de fondement. Pour sa part, il avait dressé depuis longtemps son bilan du léninisme dans Le Figaro littéraire (21 janvier 1939) et reconnaissait les responsabilités de Lénine dans l’émergence de la dictature en URSS. Il publia également des fragments de souvenirs et intervint à propos des relations économiques des pays occidentaux avec l’URSS, soulignant le recours toujours plus grand à l’aide occidentale, notamment dans le domaine agricole (« Globalement positif ! », L’Express, 6 novembre 1981) et dénonçant l’emploi des « Zeks » dans la construction du gazoduc transsibérien (« Du beurre, du blé... et du gaz », Est & Ouest, n° 670, 1er-31 janvier 1983).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131590, notice SOUVARINE Boris [LIFSCHITZ Boris dit], dit VARINE par Jean-Louis Panné, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 28 octobre 2021.

Par Jean-Louis Panné

Boris Souvarine (vers 1920)
Boris Souvarine (vers 1920)
cc Studio Dorit, Paris

ŒUVRE : Fragments autobiographiques : Présentation de Lénine, Lettre ouverte à Boris Souvarine, Spartacus, juin 1970. — Lettre à Alexandre Soljénitsine, 16 avril 1978. — « Derniers entretiens avec Babel », Contrepoint, n° 30, 1979. — « Panaït Istrati et le communisme », Le Débat, 1981. — Autour du congrès de Tours, Champ libre, 1981. — « Pierre Pascal et le sphynx », Revue des études slaves. — La Critique sociale [Prologue], Éd. de La Différence, 1983. — « Léon Blum, les grandes illusions », l’Express, 3 juillet 1981. — Feu le Comintern. Souvenirs, Réflexions, Documents, 1984 [communiqué par Ph. Robrieux] - publié en 2015 par les éditions Le Passager clandestin.
Textes : Éloge des bolcheviks, Lib. du Populaire [1919]. — La Troisième Internationale, Éd. Clarté, 1919. — Manifeste et thèses de l’Internationale communiste, Éd. Clarté, 1919. — Hommage à la République socialiste fédérative des Soviets de Russie, Lib. du Populaire, 1919. — Cours nouveau de L. Trotsky [Introduction], La Cootypographie, 1924. — La Russie nue, Vers l’autre flamme III, Rieder, 1929. — L’Abominable vénalité de la presse, Librairie du Travail, 1931. — Staline, aperçu historique du bolchevisme, Plon, 1935, 574 p [rééd. augmentée d’un chapitre inédit (« La Contre-révolution », mars 1939) et d’un post-scriptum (« La guerre », mars 1940), Plon, 1940, 677 p. Rééd. augmentée d’un « Arrière-propos », Champ libre, 1977, 639 p.]. — Les Amis de la vérité sur l’URSS : La Peine de mort en URSS (textes et documents), 1936 ; Bilan de la terreur en URSS (faits et chiffres), 1936 ; Ouvriers et paysans en URSS, 1937. — « Cauchemar en URSS », la Revue de Paris, 1937 ; réédition Agone, 2001 ; réédition augmentée, Smolny, 2021. — « Aveux à Moscou », la Vie intellectuelle, 10 avril 1938. — M. Ceyrat (M. Coquet), La trahison permanente [Préf.], Spartacus, 1947. — Le Communisme et les Juifs [signé Gédéon Haganov], suppl. à Contacts littéraires et sociaux, mai 1951. — Le Monde auxiliaire du communisme [p. 3-39], suppl. au BEIPI, 16-31 octobre 1952. — « Une controverse avec Trotski », Contributions à l’histoire du Comintern, Genève, Droz, 1965. — M. Gorki, Pensées intempestives [Avant-propos et annexes], Livre de poche, 1977. — Le Stalinisme, ignominie de Staline, Spartacus, 1977. — Staline, pourquoi et comment, Spartacus, 1978. — L’Observateur des deux mondes et autres textes, Éd. de la Différence, 1982. — À Contre courant, Écrits 1925-1939 (Introduction et notes de Jeannine Verdès-Leroux), Denoël, 1985. — Controverse avec Soljenitsine, Allia, 1990. — La Contre-révolution en marche. Écrits politiques (1930-1934), Smolny, 2020.

SOURCES : Archives : Arch. Jean Maitron (fiche Batal). — Arch. PPo., dossier CRRI. — Arch. M. Paz, dossier du « Complot ». — BMP (Paris), Arch. du Parti communiste, microfilm n°1 à 8. — Arch. Alfred Rosmer (Musée social).
Ouvrages : H. Goldberg, Jean Jaurès, Fayard, 1970. — Jean Jaurès, La Classe ouvrière, F. Maspero, 1976 [Présentation de Madeleine Rebérioux]. — H. Bourgin, Le Parti contre la patrie, histoire d’une sécession politique (1916-1917), Plon, 1924. — Bulletin de la Ligue des droits de l’Homme, n° 3, n° 4 et n° 5-6, 1919. — Cahiers Georges Sorel, n° 2, 1984 et n° 3, 1985. — C.-A. Julien, « Souvenirs de Russie », Le Mouvement social, n° 70, 1970. — Ve congrès de l’IC, compte-rendu analytique, Lib. de l’Humanité, 1924. — Annie Kriegel, Aux Origines du communisme français, 1914-1920, 2 tomes, Paris, Mouton, 1964. — Ph. Robrieux, Histoire intérieure du Parti communiste, Paris, Fayard, t. 1, 1980, t. 4, 1984. — Syndicalisme révolutionnaire et communisme. Les Archives Monatte, F. Maspero, 1968 — Jeannine Verdès-Leroux, « Souvarine le premier », Esprit, mai 1984. — Autour de la Critique sociale (dir. Anne Roche), La Découverte, 1989. — Ariane Chebel d’Appolonia, Histoire politique des intellectuels en France, 2 vol., Bruxelles, Éd. Complexe, 1990. — Jean-Louis Panné, Boris Souvarine, Le premier désenchanté du communisme, Paris, Robert Laffont, 1993.
Presse : La Vie ouvrière, n° 27, 5 novembre 1910 (la grève des cheminots). — Est & Ouest, février 1985. — Le Matin, 20 décembre 1983. — La Quinzaine littéraire, n° 409, 16/31 janvier 1984. — Libération, 19 décembre 1983 et 10-11 novembre 1984 (Jeannine Verdès-Leroux). — Le Monde, 25 novembre 1983 (Nicole Zand) et 25-26 novembre 1984 (Philippe Robrieux).

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