SPINASSE Charles, Marie, André

Par Justinien Raymond

Né le 22 octobre 1893 à Égletons (Corrèze), mort le 9 août 1979 à Égletons ; professeur ; militant socialiste ; député ; ministre du Front populaire.

Charles Spinasse
Charles Spinasse

Charles Spinasse naquit dans une famille très chrétienne de la Corrèze. Ses études secondaires achevées, il acquit une formation à la fois technique et économique qui le conduisit à une chaire de professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. Au sortir de la Première Guerre mondiale qu’il fit de bout en bout, il se lança dans l’action politique, par le journalisme et en militant dans sa Corrèze natale au sein du Parti socialiste SFIO. Il n’était nullement marxiste. Le socialisme représentait, pour lui, une organisation dirigée et planifiée de l’économie par les voies démocratique et parlementaire. Il était plus un homme de dossiers et d’études qu’un homme d’action. Il fit en 1926 un séjour aux États-Unis : il en tira une analyse du capitalisme, de son évolution vers la production de masse, analyse qu’il exposa à la Chambre des députés et qu’il reprit dans une conférence donnée le 11 février 1928 sous l’égide de La Vie socialiste, organe de la tendance animée par Pierre Renaudel*. Il affirmait que la production de masse menait à la consommation de masse et que ce qui avait été possible aux États-Unis l’était en France si l’on allait résolument vers l’organisation européenne.

Charles Spinasse était alors entré dans la vie politique locale corrézienne et était devenu député. Dès la fin de 1919, il avait été élu conseiller municipal d’Égletons et conseiller général du canton. En 1922 et 1923, il était rédacteur en chef du Populaire du Centre, imprimé à Limoges et rayonnant sur les départements voisins. Cette position politique locale et régionale peut expliquer qu’en 1924 il fut le représentant de la Fédération socialiste sur la liste du Cartel des gauches menée en Corrèze par Henri Queuille, radical-socialiste. Il fut élu par 31 159 voix sur 83 333 inscrits. Pendant cette première législature, il s’intéressa particulièrement à la politique étrangère.

Aux élections législatives de 1928 marquées par le retour au scrutin uninominal, Charles Spinasse se présenta dans la 2e circonscription de Tulle où il vint en tête au premier tour avec 4 857 voix contre Lafarge, républicain de gauche (3 940), Léon Bossavy*, communiste (3 838) et Vidalin, radical-socialiste (3 616). Bénéficiant du désistement de ce dernier, Spinasse fut réélu député par 7 427 suffrages contre Lafarge et Bossavy (4 897 et 3 949). Désormais, il siégea à la commission des finances et en fut le secrétaire. Il intervint souvent dans les débats budgétaires et se fit le défenseur de l’enseignement technique comme rapporteur de son budget. Mais les problèmes généraux de l’économie retenaient son attention. Il le rappela lui-même dans sa profession de foi de 1932. « Dès 1928, disait-il, parlant à la Chambre au nom de mon parti, j’avais signalé dans l’économie allemande les premiers symptômes de la crise mondiale ; je m’étais efforcé de montrer que l’inflation monétaire et celle du crédit, follement développées depuis la guerre, devaient avoir pour effet d’accroître, de la manière la plus déraisonnable, les moyens de production et de multiplier les dangers des investissements spéculatifs où tous les maîtres du socialisme ont vu l’origine de toutes les crises capitalistes. » Comme remède aux maux et dangers qu’il signalait, Charles Spinasse proposait un « Conseil national économique, émanation d’une série de conseils spéciaux : conseils du charbon, du fer, des transports..., et aussi conseils du blé, de la viande, des bois, des engrais..., constitués par les producteurs eux-mêmes et chargés, d’accord avec les consommateurs ou les usagers, sous l’arbitrage de la collectivité, d’administrer les offices, de fixer les prix et d’assurer, en exerçant le monopole de l’importation des produits étrangers, une juste péréquation entre les prix de revient des différentes régions françaises comme entre le prix moyen intérieur et celui des denrées importées. Certes, ajoutait Spinasse, nous savons qu’un tel organisme n’apportera pas en régime capitaliste un ordre parfait et définitif ; mais nous le croyons de nature à protéger efficacement le producteur... »

En 1929, Charles Spinasse devint maire d’Égletons. Il le resta jusqu’à la Seconde Guerre mondiale puis continua à siéger au conseil général. En 1932, il fut aisément réélu député. Sur 20 101 inscrits et 16 243 votants, il obtint 6 353 voix devant Antoine Bourdarias*, communiste (3 835), Eyrolles, radical-socialiste (2 359), Gasquet, parti agraire (2 334) et Viers, indépendant (1 233). Bénéficiant du désistement d’Eyrolles, Spinasse triompha de tous ses autres adversaires par 7 947 suffrages contre 4 585, 3 404 et 891. Il continua à siéger à la commission des finances et à être souvent le porte-parole du groupe parlementaire socialiste sur les problèmes de son ressort.

Bien que modéré, réformiste, Charles Spinasse n’était pas, dans la SFIO, étroitement lié à la tendance participationniste derrière Pierre Renaudel, et lors de la crise qui conduisit à la scission dite « néo-socialiste » jamais, ni comme élu, ni comme militant, il n’enfreignit la discipline du parti. Quand les problèmes extérieurs prirent le pas sur tous les autres, il lui arriva de laisser paraître des positions personnelles et notamment au cours des débats de ratification du traité d’alliance franco-soviétique : il fit entendre quelques dissonances avec Jean Longuet*, autre porte-parole du groupe socialiste. Le 25 février 1936, ce dernier se félicita que le traité franco-soviétique contredise « la thèse hitlérienne de la localisation du conflit à laquelle nous opposons la thèse de Litvinov : l’indivisibilité de la paix. Nous refusons à l’Allemagne les mains libres à l’Est ». Deux jours plus tard, Spinasse se plaça sur un autre plan. « Toute redistribution coloniale étant considérée comme absurde et vaine, dit-il, il faut créer une communauté économique continentale de la mer du Nord au sud de l’Afrique. » Or, Hitler était alors au pouvoir depuis trois ans.

En décembre 1935, Charles Spinasse avait été battu par H. Queuille, radical-socialiste, lors d’une élection partielle pour remplacer le sénateur Henry de Jouvenel, décédé. Mais en 1936, il fut réélu député pour la quatrième fois. Sur 20 233 inscrits, il obtint 7 495 voix devant Bourdarias, communiste (5 708) et devant le candidat de droite Lafarge (3 629). Il resta seul en lice au second tour et fut réélu par 12 151 suffrages. La victoire du Front populaire le porta au pouvoir à des postes-clés. Il fut d’abord pressenti pour être sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé des relations avec le Parlement, poste purement politique et, somme toute, subalterne. Or, dans le premier cabinet Blum (4 juin 1936-22 juin 1937), Spinasse fut ministre de l’Économie nationale, et dans le second (13 mars-10 avril 1938) il détint le ministère du Budget. Ce n’était guère rassurant sur les compétences économiques de l’entourage de Léon Blum*.

Ainsi Charles Spinasse fut le ministre de la semaine de travail de « quarante heures », des grands travaux, de l’aide aux entreprises, et même de la dévaluation, mesure monétaire aux objectifs économiques qu’il justifia devant le Conseil économique. La semaine de quarante heures, pièce essentielle de la lutte contre le chômage, pouvait être une arme à double tranchant, si elle devait porter un coup à la capacité productive du pays. « Il n’est qu’un moyen pour éviter l’incidence exagérée des projets sur les prix, déclara-t-il au cours des débats, le 12 juin 1936, c’est l’accroissement de la production. » Le 15 mars 1937, devant le Conseil économique, Charles Spinasse lança un cri d’alarme sur le danger de freinage de la production par la loi de quarante heures telle qu’elle était appliquée : « Les bienfaits que la loi de quarante heures tient en germe, affirma-t-il, seraient détruits avant de s’être manifestés si elle contribuait à limiter ou réduire la production nationale au moment même où les besoins se font plus pressants et plus amples, si elle provoquait une augmentation des prix sans proportion avec les moyens d’achat des consommateurs, si elle avait ainsi pour effet d’affaiblir une économie qui doit au contraire former la solide et large assise hors de laquelle elle ne peut s’établir. L’application de la loi exige le maintien et l’accroissement de la production. Intérêt ouvrier, intérêt patronal, intérêt national sur ce point coïncident et appellent un effort unanime. » Était-elle réelle cette coïncidence entre intérêt ouvrier et intérêt patronal ? Tous les patrons virent-ils la loi d’un même œil ? Charles Spinasse répondit lui-même par la négative devant le congrès national de la SFIO à Royan (juin 1938) quand il justifia la « pause » par deux objectifs : montrer au patronat, d’une part, qu’au lieu de bouder les réformes sociales, intangibles, il devait hardiment s’engager dans une transformation des structures économiques ; faire comprendre, d’autre part, à la classe ouvrière que les entreprises moyennes et petites ne pouvaient pas satisfaire toutes ses revendications. C’était reconnaître qu’une contradiction pesait sur l’expérience Blum : les grandes entreprises qui pouvaient assumer la charge des lois sociales n’en voulaient pas, et n’avaient cédé qu’à la pression de la rue et de la loi ; nombre d’entreprises petites ou moyennes, base électorale du radicalisme, qui acceptaient le principe de ces lois sociales, ne pouvaient matériellement les supporter. De cette contradiction, on ne pouvait sortir que par des réformes de structure que le programme du Front populaire ne prévoyait pas. Si Charles Spinasse dénonçait l’application maladroite de la loi de quarante heures, il y voyait une seule excuse, « la déloyauté avec laquelle le patronat avait appliqué la semaine de quarante-huit heures ». Quant aux entreprises, petites ou moyennes, que la législation sociale mettait en péril, dans l’industrie, dans le commerce et dans l’agriculture, une aide sous forme de crédits publics leur fut apportée à l’initiative du ministre de l’Économie, par une loi du 19 août 1936, appelée communément « loi Spinasse ».

Pour stimuler la production et soutenir l’exportation, le gouvernement de Front populaire s’efforça de relever le pouvoir d’achat et engagea les grands travaux qu’il avait promis. Il se résigna à une dévaluation du franc. Charles Spinasse défendit les deux politiques. Fin juillet 1936, dans les débats sur le plan des grands travaux, il déclara : « Ce ne sont ni les matières premières, ni les salaires qui grèvent les prix de vente, c’est la charge de l’outillage si l’industrie cesse de travailler à plein rendement. C’est précisément pour que l’outillage travaille à plein rendement que le gouvernement entend augmenter le pouvoir de consommation des masses. » Fin septembre 1936, au cours de la séance inaugurale du Conseil économique, Charles Spinasse donna cette justification de la dévaluation : « Pour l’éviter, le gouvernement eût dû user de moyens qui ne conviennent pas plus aux besoins de notre économie qu’à l’esprit de notre peuple ou au caractère de notre régime politique. Une disparité toujours plus grande entre les prix français et les prix mondiaux isolait notre pays et retenait hors de nos frontières les touristes étrangers ; l’exportation devenait chaque jours plus difficile. » Le ministre de l’Économie rejetait comme alternative à la dévaluation les contingentements, l’isolement économique, le strict contrôle de l’économie, car, disait-il, « on ne fait pas sa part à la dictature. »

Cependant, comme ministre du Budget dans le second cabinet Blum, Charles Spinasse participa à la préparation et à la défense du projet de loi qui devait donner au gouvernement les pouvoirs de contrainte nécessaires pour mettre la nation en état de faire face aux besoins et aux charges financières de sa défense. Le rejet de ce projet par le Sénat, le 8 avril 1938, provoqua la démission du gouvernement mais ne mit pas fin à la carrière ministérielle de Spinasse qui occupa le même poste dans le gouvernement Daladier en 1938.

Ce second cabinet, éphémère, de Léon Blum*, ne proposait pas seulement une orientation nouvelle de la politique financière. Il prétendait pratiquer, au dehors, une politique plus ferme de résistance aux visées des États totalitaires et adopter à l’égard de l’Espagne une non-intervention « relâchée » devant l’aide apportée au général Franco par Hitler et Mussolini. Cette nouvelle orientation était symbolisée par la présence de Joseph Paul-Boncour* au ministère des Affaires étrangères. Il est certain que Charles Spinasse, au fond de lui-même, ne l’approuvait guère. Dans le passé, il s’était déjà bercé de quelques illusions sur les chances d’amener Hitler à la raison : « Nous repoussons la fatalité de la guerre... Nous voulons que la France, qui n’a pas su donner à l’Allemagne républicaine l’égalité dans le désarmement, prenne l’initiative de proposer à l’Allemagne hitlérienne, au nom de la communauté internationale, la première convention de limitation et de contrôle des armements... » Dans un stupéfiant esprit d’abandon propre à encourager toutes les ambitions, il poursuivait : « L’Europe centrale, l’Europe balkanique, l’Italie et l’Allemagne ne peuvent pas vivre longtemps dans la situation que leur ont créée les traités de Versailles et de Trianon... »

Quand le danger de guerre provoqua au sein de la SFIO l’opposition entre « partisans des concessions et de l’apaisement » groupés autour de Paul Faure, et ceux qui, autour de Léon Blum*, pensaient qu’après avoir stoppé le fascisme à l’intérieur on ne pouvait tout lui abandonner au dehors, Charles Spinasse se rangea parmi les premiers, ceux qui dénonçaient le « bellicisme » de Blum et de ses amis, dénonciations qui avaient parfois des relents d’antisémitisme. Il fut un des rédacteurs du Pays socialiste, expression de cette tendance. La débâcle venue, il fut le chef de file des parlementaires socialistes qui non seulement refusaient toute idée de résistance à l’ennemi mais qui apportèrent au maréchal Pétain et à Pierre Laval leur caution d’élus socialistes, d’élus du Front populaire, pour l’abolition de la République et l’instauration d’un régime autoritaire. Le 18 juin 1940, dans une école de Bordeaux, devant un groupe de députés, il déclara, ce qu’il a rapporté lui-même : « Regardons-nous et dites-moi s’il y en a un seul parmi nous qui se sente qualifié pour parler à cette heure au nom de la France ? », mais aussi selon le rapport désapprobateur de Vincent Auriol* : « Nous n’aurions pas dû faire cette guerre. Nous l’avons perdue. Inclinons-nous. Maintenant, déchirons les pages du passé. Construisons un régime d’autorité et un monde nouveau. Plaise à Dieu que nous en ayons la force. »

Le 6 juillet 1940, au casino de Vichy, son intervention domina la séance d’information de la Chambre des députés. Qu’il ait prononcé exactement les paroles que lui prête le compte rendu de Jean Montigny ou celles qu’il a rapportées lui-même à Georges Lefranc*, Charles Spinasse proposa la rupture avec le passé, l’abdication des élus détenteurs de la souveraineté nationale et le ralliement au maréchal Pétain. Le 10 juillet 1940, devant l’Assemblée nationale, Spinasse vota l’octroi des pouvoirs constituants au maréchal Pétain. Il soutint ensuite, comme journaliste, le gouvernement de Vichy et la politique de collaboration dans Le Rouge et le Bleu qu’il fonda à Paris le 1er novembre 1941 et dirigea jusqu’en août 1942, puis, en zone non occupée, dans L’Effort.

Le congrès de rénovation du Parti socialiste, tenu à Paris (novembre 1944) prononça son exclusion de la SFIO. Le 20 janvier 1945, il fut arrêté à Paris. Il devait être jugé et acquitté le 22 octobre. À la Libération, Charles Spinasse se retira provisoirement de la vie politique. En 1958, il tenta en vain sa chance aux élections législatives : il n’obtint que 5 360 voix sur 36 958 votants. Il fut plus heureux à l’élection cantonale du 29 octobre 1961 : comme « socialiste indépendant », il obtint 2 242 voix contre 845 au candidat communiste Martinié et fut élu conseiller général d’Égletons dont il redevint maire de 1964 à 1976. Mis en ballottage aux élections municipales de 1976, Spinasse se retira au second tour de scrutin et renonça définitivement à l’action publique. Il lui restait trois ans à vivre.
Il avait été titulaire de la chaire d’histoire du travail au CNAM avant que Georges Friedmann ne lui succède en 1946

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131617, notice SPINASSE Charles, Marie, André par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 20 juin 2022.

Par Justinien Raymond

Charles Spinasse
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SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — J. Jolly, Dict. parl. — Raymond Abellio, Les Militants (1927-1939. Ma dernière mémoire II, Paris, Ramsay, 1975, p. 266. — Les dossiers de l’histoire, n° 7, avril-mai-juin 1977, p. 33. — Georges Lefranc, Le Mouvement socialiste sous la Troisième République, Paris, Payot, 1963.. — Georges Lefranc, Histoire du Front populaire (1934-1938), Paris Payot 1965, rééd., 1974. — J. Montigny, Toute la vérité sur un mois dramatique de notre histoire, 15 juin-15 juillet 1940, Clermont-Ferrand, 1940, 157 p. — Michèle Cotta, La Collaboration, 1940-1944, coll. Kiosque, Paris, A. Colin, 1964, p. 316. — C.r. des congrès cités. — Le Monde, 31 octobre 1961, 11 et 12-13 août 1979. — Michel Dreyfus, Notice « Charles Spinasse » dans Les professeurs du Conservatoire national des Arts et métiers. Dictionnaire biographique 1794-1955, tome 2 L-Z, INRP/CNAM, 1994.

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