STÉPHANY Samuel

Par Pierre Boiteau

Né le 12 janvier 1890 à Ambalamanarivo, près de Betafo (Madagascar), mort en juin 1939 à Antananarivo (Madagascar) ; enseignant, avocat ; membre de la Ligue des droits de l’Homme ; anticolonialiste ; militant socialiste puis communiste et à nouveau socialiste.

Fils d’un des lettrés les plus connus de la région, Samuel Stéphany fut envoyé à l’école officielle de Betafo. Il fréquenta ensuite l’école Le Myre de Vilers. Sa scolarité achevée, il fut nommé instituteur dans sa région natale puis prépara un concours qui le promut au rang de professeur assistant. Anticlérical comme son père et libre penseur, il était membre de l’Amicale des amis laïques où étaient regroupés les francs-maçons de Madagascar.

En 1916, Samuel Stéphany fit partie du premier contingent malgache qui fut incorporé à l’armée d’Orient. Instruit, il partit avec le grade de caporal ; gazé en Serbie, il fut réformé avec une pension d’invalidité de 35 %. Il réussit alors à se faire démobiliser en France où il resta jusqu’en 1932, année où il revint à Madagascar.

Ayant entrepris des études de droit à la faculté de Paris, il enseigna le malgache à l’École des langues orientales pour assurer son existence et payer ses études. A cette époque, il était membre de la SFIO, de la Ligue des droits de l’Homme, de la Fédération des anciens combattants républicains et de l’Amicale J. Ferry.

En janvier 1920, Samuel Stéphany participa activement à la fondation de la Ligue française pour l’accession des indigènes de Madagascar aux droits de citoyen, ligue dont il fut le trésorier et qui envoya Jean Ralaimongo* à Madagascar de juillet à décembre 1921, contribuant ainsi à la naissance du mouvement national malgache.

En mai 1921, Samuel Stephany se maria avec une Française et ils eurent une fille ; en 1922, il obtint sa licence de droit. Il exerça son métier d’avocat à Paris pendant dix ans et défendit de nombreux militants originaires des colonies.

Lors du congrès de Tours (décembre 1920), Samuel Stéphany avait rallié la majorité et fut ainsi un des premiers militants coloniaux du Parti communiste. Son nouveau parti l’avait chargé, avec quelques originaires des colonies dont Ho Chi Minh*, groupés dans le Comité d’études coloniales — dont il fut le secrétaire adjoint — de lui fournir des renseignements, en vue de l’élaboration d’une politique anticolonialiste conformément aux points 4 et 8 des 21 conditions d’adhésion à la IIIe Internationale. C’est ainsi qu’il participa directement à la fondation de l’Union intercoloniale en février 1922, Union qui groupait les militants communistes originaires des colonies.

Samuel Stéphany fut par ailleurs membre du comité exécutif de celle-ci, et rédigea le 1er février 1922, avec Ho Chi Minh, « l’appel du comité d’études coloniales de la section française de l’Internationale communiste », adressé « aux indigènes des colonies » : « Travailleurs indigènes, les communistes de la métropole se rendent compte de vos souffrances [...]. Ayant un peu plus de liberté que vous, nous avons pu nous associer pour lutter contre nos maîtres et nous nous préparons à les renverser pour organiser, au seul profit de tous les hommes, une société universelle plus libre et plus juste où le travail sera souverain. C’est pourquoi nous avons formé, comme dans toutes les parties du monde, un grand Parti communiste, qui lutte pour la délivrance de tous les travailleurs. Il entend exercer son effort en faveur de tous ses frères des colonies ; il vous demande de le renseigner sur tous les excès dont vous êtes à chaque instant les victimes ; il met à votre disposition la publicité de ses journaux et le concours de ses hommes politiques. Il demande que vous lui accordiez votre sympathie active et que, dans les colonies où existent des sections de notre parti, vous considériez celles-ci comme les organes de votre défense [...]. Pour la liberté et le bien-être de tous, exploités de toutes les races, unissons-nous et luttons contre les oppresseurs. »

Cet appel précéda la création de l’Union intercoloniale et de son journal le Paria que Samuel Stephany géra jusqu’à son départ du Parti communiste en 1923 et où il écrivit de nombreux articles. Notons que le Paria était à l’origine une société coopérative groupant la Ligue française pour l’accession des indigènes de Madagascar aux droits de citoyen et l’Association des patriotes annamites fondée par Ho Chi Minh.

En 1923, Samuel Stephany quitta le Parti communiste français et retourna à la SFIO ; il devint le secrétaire général du groupe socialiste des originaires des colonies dans lequel il tenta d’entraîner la Ligue française et l’Association des patriotes annamites. Militant actif du Secours rouge international, il fit partie de la délégation française envoyée à Berlin du 8 au 12 décembre 1929 qui comprenait également Edmond Lambert, professeur de droit à la faculté de Lyon, Maître Robert Foissin* qui défendit les manifestants du 19 mai 1929 à Madagasikara (Paul Dussac*, Jules Ranaivo*, Éédouard Planque*, François Vittori*...). Cette délégation participa à la constitution de l’Association juridique internationale, sous les auspices du Secours rouge international ; elle devait fournir une assistance juridique aux militants ouvriers dans le monde, victimes de la répression.

Quoique n’étant plus au PC, Samuel Stephany organisa pour son compte ainsi que pour son propre parti la correspondance et les contacts entre les organisations métropolitaines et les militants de Madagascar. Il entretint des rapports amicaux avec les militants du PC et se retrouva en 1930 dans le comité universel de l’Institut nègre de Paris, fondé par Garan Kouyaté* la même année et dont le but était, d’après l’article 3 des statuts, de dispenser « une éducation intellectuelle professionnelle et artistique aux nègres de toutes nationalités ».

En mai 1925, il se rendit à Madagascar avec sa famille, pour un séjour de six mois en compagnie de Maître Barthélemy Albertini* qui y alla pour s’y établir et remplacer un confrère. Samuel Stephany adhéra également à la Ligue de défense de la race nègre, animée par Garan Kouyaté, qui en janvier 1931 se transforma en Union des travailleurs nègres et organisa en août 1931 une Exposition anti-impérialiste pour riposter à l’Exposition coloniale de Vincennes. Stephany y anima un stand consacré à Madagascar.

Au début de l’année 1932, sur la demande de sa mère, âgée et malade, Samuel Stephany retourna à Madagascar. Il y fut un dirigeant de la section locale de la SFIO, aux côtés de Dartigolles dont il fut un proche et un ami. Il fut aussi le premier avocat malgache à pouvoir exercer dans son pays, Rabeony n’avait pu y parvenir et fut même persécuté. Il ne cessa de militer et fut à l’origine du projet qui devait doter Madagascar de parlementaires ; en effet dans le n° 3 d’avril 1936 de la revue France Outre-Mer, fondée à Marseille par Razafinjaka, il écrivit un article qui préconisait la représentation de Madagascar par trois parlementaires.

Mais les suites de ses blessures de guerre et son inlassable activité de militant affaiblirent sa santé et il mourut en juin 1939. Son éloge funèbre fut prononcé par son ami Joseph Ravoahangy, un des dirigeants du mouvement nationaliste malgache.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131686, notice STÉPHANY Samuel par Pierre Boiteau, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 10 octobre 2022.

Par Pierre Boiteau

SOURCES : Arch. Nat., section Outre-Mer, Aix-en-Provence, série III, cartons 27, 36, 53, 54. — MAD, cartons 354, dossiers 957, 958. — L’Écho malgache, janvier 1937 à juillet 1939. — Le Paria, 1922, 1923. — France Outre-Mer, avril 1936. — Le Cri des Nègres, 1931. — Randrianja Solofo, Courants d’idées et personnalités dans le mouvement anticolonialiste à Madagascar, DEA, Paris VII, 1978-1979.

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