SUSINI Toussaint (ou SUZINI Toussaint)

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

Né le 11 juin 1892 à Porto-Vecchio (Corse), mort le 13 octobre 1959 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; docker à Marseille ; syndicaliste et militant communiste, puis PPF (parti populaire français).

Toussaint Susini (parfois orthographié Suzini), docker à Marseille (Bouches-du-Rhône), était membre de la CGTU et du Parti communiste. En 1928, il fut désigné par la Région méditerranéenne du PC pour mener en Corse l’action unitaire des dockers de son port natal.
En 1929, après une très brève incursion à Port-de-Bouc, Toussaint Susini s’établit à Dunkerque (Nord) et devint le 1er mai 1930 l’un des secrétaires permanents du syndicat local CGTU des inscrits maritimes, fonction qu’il conserva jusqu’au 31 mai 1932 en qualité de secrétaire de la Fédération des marins du Nord. Il appartenait à la tendance minoritaire de la CGTU.
Son séjour et son activité à Dunkerque furent relatés par Rouge-Midi : élu secrétaire du syndicat unitaire des marins de Dunkerque, Toussaint Susini monta une clinique à Dunkerque. Il fut accusé de malversations financières.
« Démasqué », il dut regagner Marseille où il intrigua à la fois du côté de Simon Sabiani et de la CGT confédérée. Quant à cette dernière, un rapport de police signale que Toussaint Susini était en procès avec le secrétaire du syndicat des inscrits maritimes, Pierre Ferri-Pisani, en juin 1933. D’après Rouge-Midi, il entra en contact avec Durand, un syndicaliste confédéré « vendu aux armateurs » et condamné par son propre syndicat. Le procès aurait porté sur une affaire de construction d’escaliers en ciment armé, entreprise de fabrication que Susini aurait créée, avec les subventions de la ville qui lui aurait ainsi obtenu des marchés. Ce qui supposait donc, à l’époque, une collusion avec Sabiani. Il fut secrétaire général du syndicat unique des marins de Marseille, installé 2 place de la Joliette, de juillet 1932 à mars 1936. Rouge-Midi présentait Toussaint Susini, le 24 mars 1934, comme un dirigeant du « syndicat fantôme des inscrits qui n’est qu’un pantin aux mains de Sabiani et des armateurs », et en novembre-décembre, comme le domestique de Sabiani, et un « sbire » méprisable. Ce syndicat unique des marins était destiné, d’après le périodique communiste, à empêcher l’unité et à permettre aux « armateurs-négriers » Fraissinet et Fabre, de recruter des marins français à bas tarif pour concurrencer les armateurs étrangers. Susini fut également accusé de faire imprimer, de nouveau, des fausses cartes syndicales, au nom de la CGT cette fois. Il disposait d’un petit journal la Bataille du marin et revendiquait 600 adhérents. Bien qu’autonome, le syndicat unique aurait été dissous, d’après Susini, suite à la réunification de la CGT. Il aurait alors recommandé aux inscrits de rallier « leurs syndicats respectifs réguliers » et lui ne se serait plus occupé de questions syndicales. C’est du moins ce qu’il déclara dans le mémoire qu’il rédigea après la Libération pour se défendre devant la cour de justice de Marseille devant laquelle il avait été déféré. Sans travail, inscrit au chômage plusieurs mois, il fut embauché par la Société générale de transbordements maritimes comme pointeur sur les quais. Le syndicat des agents de maîtrise du port aurait refusé son adhésion en octobre 1938 et il fit quelques réunions pour se défendre mais, toujours d’après lui, sans se mêler de questions syndicales. Il reconnut cependant avoir suivi l’évolution de Sabiani jusqu’au PPF auquel il adhéra d’emblée et dont il approuvait le programme social. Cette adhésion, la première à un parti politique toujours d’après ses dires, fut effective en novembre 1936 après le congrès de Saint-Denis auquel il assista. Il fut désigné comme délégué régional aux sections d’entreprises. Le discours qu’il tint à ce titre à Toulon (Var), le 11 juillet 1937, sur « Le Parti populaire français et la politique ouvrière », lors de la conférence ouvrière des secrétaires de section de la région Sud-Est, fut reproduit en fascicule par la Fédération varoise du PPF. Mais, toujours selon lui, ayant été mis en cause par les responsables des sections professionnelles, il aurait démissionné lors de la conférence de la Fédération des Bouches-du-Rhône en novembre 1937. Selon Charles Tillon* (op. cit., p. 219), il aurait envoyé des « moniteurs » armés à Jacques Doriot* pour lutter contre le PC dès l’automne 1936. En 1938, il dirigeait le comité des employés municipaux du PPF, avec Lucien Mangiavacca, le lieutenant de Sabiani, comité qui regroupait environ 1 500 municipaux.
Étant de la classe 12, il ne fut pas mobilisé. Prompt, avec le syndicaliste docker sabianiste Noël Ciavaldini*, à profiter de l’élimination des militants communistes, il suscita, le 9 octobre 1939, la formation du syndicat unique des agents de maîtrise et assimilés du port de Marseille. Toussaint Susini était le secrétaire général de ce syndicat qui avait été autorisé à s’attribuer les biens du syndicat CGT dissous en application du décret-loi du 26 septembre 1939. Il justifia cette création par la nécessité de lutter contre les patrons qui profitaient de la situation pour bafouer, dira-t-il, les conventions collectives. Il fut nommé membre de la commission mixte du Port, chargée de régler les différends, le 30 janvier 1940. Il affirma n’avoir cessé de se heurter au directeur du Port, Peltier, allié du patronat, cherchant à liquider les agents de maîtrise en les faisant travailler comme docker, réduisant les horaires de gardiens de quarante à trente-deux heures, tant et si bien qu’il entama une action en justice. Le patronat aurait refusé de suivre la décision du tribunal qui, d’après Susini, lui donnait raison. Ce jugement fut entériné par la deuxième chambre de la cour d’appel le 20 juillet 1943. Il aurait dénoncé aussi la mauvaise gestion de la Caisse de compensation des congés payés des entreprises de manutention qui multipliait les erreurs dans les décomptes des allocations familiales, des congés payés et de l’allocation de femme au foyer au détriment des travailleurs. Cette situation s’aggravant en 1942, il aurait décidé de la rendre publique en menant une campagne de presse. Seul l’hebdomadaire du PPF, L’Émancipation nationale, aurait accepté de l’accueillir. Il publia à partir du 17 juillet 1943 dix-sept articles portant uniquement d’après lui sur des questions syndicales, mais aux allures de réquisitoire contre les acconiers et la direction du port. Celui qu’il publia le 13 novembre 1943 se terminait par : « A quand le souffle purificateur de la véritable Révolution nationale ? », ce qui correspondait bien à la ligne « révolutionnaire » du PPF. Dans cet article, il attaquait précisément, non seulement la direction du Port, mais surtout son agent, Ciaparra, qu’il accusait d’être le « véritable directeur du Bureau central de la main d’œuvre » (BCMO), contrôlant donc les embauches et délivrant ou renouvelant les cartes professionnelles. C’est dans ce contrôle, celui du pouvoir sur le port, que se situait l’enjeu essentiel du combat qui se livrait sur les quais. Les témoignages recueillis à la Libération associaient Susini et Ciavaldini qui bénéficiaient d’une situation privilégiée, ayant la haute main sur la distribution des cartes de docker. Ils se partageaient d’après eux 15 000 francs mensuels payés par les syndicats patronaux, via la caisse de compensation. Ciavaldini reconnut avoir eu des relations étroites avec Susini qui était, pour lui, membre du PPF « de longue date », mais avec lequel il n’aurait pas été d’accord puisque agents de maitrise et dockers avaient des intérêts différents. Susini se présentait au contraire comme ayant défendu également les dockers. En faire un « valet » du patronat serait sans doute faux. Il défendit les intérêts de sa clientèle et, compte tenu du pouvoir qui lui avait été concédé, rendit de nombreux services. De ce point de vue, il s’insérait dans la continuité corporatiste de son milieu. Il fut comme Ciavaldini pour les autorités portuaires un allié momentané, devenu encombrant lorsque la situation évolua. Il perdit la main sur l’embauche lorsque la commission mixte du port qui était chargée de la surveiller place de La Joliette disparut en décembre 1943. À ce moment-là, plusieurs de ses relations sur le port avaient pris leurs distances avec lui, notamment Jean Corradi, représentant les agents de maîtrise au BCMO, ou Henri Maraval*, qui déposèrent après la Libération contre lui ou contre Ciavaldini. CGT clandestine et syndicalistes non communistes proches des socialistes prenaient en mains les syndicats officiels et tentaient d’écarter les équipes tolérées par les autorités. L’accession de Corradi à la tête du syndicat des agents de maîtrise en janvier 1944 entraina la protestation de Susini dont ses adversaires mettaient en cause les mandats auprès du secrétariat d’État au Travail au motif que l’intéressé ne remplissait pas les conditions fixées - cinq ans d’ancienneté - et bénéficiait d’une carte professionnelle de complaisance. Il siégeait, en effet, à la commission d’organisation des auxiliaires des transports instituée dans le cadre de la Charte du travail. Ses antécédents judiciaires entraînèrent toutefois l’annulation de sa nomination, le 2 mars 1944. Il contesta cette décision et argua de la réhabilitation prononcée, le 4 mai 1937, par la Cour d’appel d’Aix. Le directeur des organisations sociales invoqua l’ancienneté de l’engagement syndical de son protégé qui réintégra la commission. Le 12 février 1944, Susini vota pour la mise en œuvre de la Charte à l’occasion d’une réunion du comité national de la Fédération des Ports et Docks. Il fut proposé par le secrétaire de cette dernière, Le Gall, comme représentant des dockers à la commission médico-sociale du comité social national à la fin du mois d’avril 1944. Figurant sur la liste des personnes à arrêter établie pour le Comité départemental de Libération fin août ou début septembre 1944, Susini fut incarcéré à la prison Saint-Pierre. C’est alors qu’il devait être relâché, fin décembre 1944, que plusieurs plaintes furent déposées contre lui, en particulier par le comité de Libération du Port. Outre ses liens avec le PPF, il lui était reproché d’avoir pris à partie les agents de maîtrise travaillant pour le déchargement de navires de la Croix-Rouge qu’il traitait d’anglophiles et d’avoir favorisé, en revanche, les embauches de dockers pour l’entreprise Besson qui était employée à la construction de la base sous-marine du Cap Janet. Il fut déféré devant la cour de justice de Marseille. Il possédait encore de nombreux soutiens parmi ceux à qui il avait rendu service. Plusieurs témoignages à décharge vinrent attester du caractère purement syndical d’une action qui, selon eux, avait bénéficié aux employés du port (défense des quarante heures et des conventions collectives, opposition à la réduction des équipes et à l’emploi des agents de maîtrise comme dockers, contrôle des restaurants sur les quais, embauche d’agents licenciés, fourniture de travail les jours de pause). Une pétition d’une quinzaine d’agents, datée du 18 octobre 1944, assurait qu’il n’avait jamais fait d’activisme politique. Son dossier fut classé car l’on ne put établir qu’il avait continué à adhérer au PPF pendant la guerre.

Toussaint Susini mourut le 13 octobre 1959 à Marseille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131808, notice SUSINI Toussaint (ou SUZINI Toussaint) par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 31 août 2020.

Par Antoine Olivesi, Jean-Marie Guillon

SOURCES : Arch. Nat. F7/13038, Archives nationales (CARAN) : F1a 3774 ; F22 1968, 1972, 1792.. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 6/10809, 11793 (anciennes cotes), XIV M 24, 61, et 62, 54 W 11 (chambre civique, dossier Ciavaldini), 55 W 82 (cour de justice, dossier Susini). — Rouge-Midi, 24 mars, 24 novembre et 8 décembre 1934. — L’Émancipation nationale, 24, 31 juillet, 7, 14, 21 août, 11, 25 septembre, 2, 9, 16 octobre, 6, 13, 20, 27 novembre, 4, 11, 18 décembre 1943. — Congrès de la Fédération nationale des Ports et Docks, les 19-22 mars 1946 (Paris). — Charles Tillon, On chantait rouge, Paris, Robert Laffont, 1977. — Véronique Avellan, Le syndicat des marins de Marseille 1919-1938, Mémoire de Maîtrise, Aix, 1978. — E. Claverie, Les dockers à Marseille de 1864 à 1941 ; De leur apparition au statut de 1941, thèse d’Histoire (dir. G. Chastagnaret), Aix-Marseille, 1996.

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