TESSIER Jacques, Albert, Marcel

Par Bruno Béthouart

Né le 23 mai 1914 à Paris (Seine), mort le 29 décembre 1997 à Paris (Seine) ; employé ; secrétaire général adjoint (1938-1939), puis secrétaire général de la Fédération des ETAM (Employés, techniciens, agents de maîtrise) CFTC ; secrétaire général de la Fédération internationale des syndicats chrétiens d’employés (1946-1969, avec une interruption entre 1953 et 1956) ; secrétaire général (1964-1970), puis président (1970-1981) de la CFTC ; membre (1969-1974), puis vice-président (1974-1984) du Conseil économique et social ; président de la Commission sociale du Plan (1979-1984).

Fils du co-fondateur de la CFTC, Gaston Tessier, employé de bureau, et d’Amélie Arnoux, couturière, qui fondèrent une famille de neuf enfants dont quatre sont entrés en religion, Jacques Tessier fut plongé dans le milieu démocrate chrétien dès son enfance du fait des engagements multiples de son père comme co-fondateur du Parti démocrate populaire en 1924, puis de L’Aube en 1932. Après des études au petit séminaire de Paris, lors de sa scolarité à l’École commerciale Saint-Roch, il participa aux retraites et recollections de l’Association de Saint-Labre, véritable vivier du syndicalisme chrétien des employés. Après avoir obtenu le Brevet d’enseignement primaire supérieur en 1930, il devint employé de bureau à compter du 1er octobre de la même année et adhéra à la CFTC. En avril 1938, il fut élu secrétaire général adjoint permanent de la Fédération des Employés, Techniciens, Agents de Maîtrise (ETAM). Mobilisé le 27 août 1939 en tant que lieutenant au 170e Régiment d’infanterie de forteresse (RIF), il fut fait prisonnier de guerre en 1940 et passa cinq années dans l’Oflag XIII A puis IV D sans pouvoir exercer la fonction de conseiller municipal du XIe arrondissement de Paris que lui avait attribué le gouvernement de Vichy alors qu’il ne l’avait pas sollicitée. Il profita de cette période pour reprendre à titre personnel des études d’économie politique.

En 1946, il accéda à la fonction de secrétaire général de la Fédération des ETAM jusqu’en 1953 tout en étant choisi comme secrétaire général de la Fédération internationale des syndicats chrétiens d’Employés, Techniciens, Cadres et VRP de 1946 à 1969, exceptée la période 1953-1956. Cette structure interprofessionnelle qui restait dominante se voyait de plus en plus contestée dans son principe par les partisans de la priorité à donner aux fédérations d’industries où se retrouvaient ouvriers et employés d’un même secteur. Très proche de son père dont il partageait les convictions, il se montra comme lui méfiant à l’égard de l’expérience des prêtres-ouvriers. Il envoya en 1953 à Mgr Villot une lettre, qui, parvenue mystérieusement sur le bureau du pape et attribuée par erreur à son père Gaston Tessier, contribua à renforcer Pie XII dans sa propre défiance devant cette expérience. Il mena également le combat au sein de l’Église contre certains aumôniers d’ACO qui professaient selon lui des opinions marxistes. Au sein de la CFTC, il dénonça une tendance animée par les groupes « Reconstruction » qui cherchaient à déconfessionnaliser la centrale en faisant disparaître toute référence chrétienne dans son sigle et surtout dans ses principes.

Dès 1950, pour protester contre l’absence de réaction au sein des organes dirigeants devant ce qu’il considérait comme une tentative de « noyautage », il avait démissionné du bureau confédéral et de son poste de président de la commission des problèmes économiques. En juin 1953, il abandonna, sur l’insistance de ses amis soucieux d’offrir des signes d’apaisement vis-à-vis des « minoritaires », la présidence de la Fédération des ETAM mais participa à la création de la revue Recherches dirigée par Maurice Bouladoux. En 1956, il fut avec Marcel Poimbœuf, le co-créateur du bulletin Équipes syndicalistes chrétiennes dont il assura, en même temps que le secrétariat et la direction, la quasi-totalité de la rédaction des articles de 1956 à 1963. Après avoir refusé en 1958 d’entrer dans des organismes administratifs de la Communauté économique européenne, il participa en octobre 1963 à la création de l’Association des groupes d’études économiques, sociales et syndicales d’inspiration chrétienne (AGESSIC) qui visait à contrecarrer les groupes « Reconstruction » et prit en charge le bulletin Rénovation de la fin 1963 à novembre 1964, date du congrès dit de « l’évolution ».

Lors de cette étape décisive, avec Jean Bornard notamment, il soutint Joseph Sauty dans son combat contre la déconfessionnalisation de la CFTC et devint l’animateur de la minorité, forte de 300 délégués, qui se réunit immédiatement dans la salle du Musée social, rue Las Cases à Paris. Sous la présidence de Claude Perrault, responsable de la Fédération des fonctionnaires, les participants, à l’unanimité, décidèrent de maintenir la CFTC et un conseil confédéral provisoire de 42 membres fut aussitôt élu avec l’engagement de préparer la tenue d’un congrès national dans un délai d’un an. Le lendemain 8 novembre, l’instance provisoire se réunit rue de Sèvres pour élire un bureau confédéral. Joseph Sauty, président de la Fédération des mineurs, accepta la présidence malgré un état de santé fragilisée par les effets de la silicose et Jacques Tessier fut élu secrétaire général, assisté de Jean Bornard comme secrétaire général adjoint. Pierre Michon remplit les fonctions de trésorier, Madeleine Tribolati et Maurice Nickmilder furent élus vice-présidents. Parmi ceux qui refusaient « l’évolution » figuraient en sus de la Fédération des mineurs, le SECI (syndicat des employés de commerce et d’industrie) notamment les organisations du commerce de la région parisienne, celles du textile de Roubaix-Tourcoing, les syndicats EGF de Paris, Nantes, Marseille, le syndicat de la Banque de France, celui de la BNP, les cheminots d’Alsace-Lorraine, une partie des syndicats de Moselle, de ceux de l’aviation civile, de l’alimentation, de la métallurgie, de la chimie. La centrale ne disposait en ce lundi matin 9 novembre 1964 que d’un seul bureau, rue Bachaumont, à Paris.

Durant l’année qui suivit, Jacques Tessier coordonna le travail de restructuration interne qui consistait à restaurer un réseau d’organisations au niveau des fédérations, des unions départementales, des unions locales et des syndicats. À la suite d’un comité national extraordinaire élargi tenu en février 1965 et rassemblant 300 délégués des fédérations et des unions départementales, un premier congrès national se tint à Vincennes, en octobre 1965. Jacques Tessier y fut chargé de la présentation du rapport-programme. Devant près de 800 délégués qui avaient ovationné Joseph Sauty lors de son arrivée à la tribune du congrès, Jacques Tessier rappela le sens et la portée des principes du syndicat chrétien en insistant sur l’article 1er des statuts confédéraux qui se référait à la morale sociale chrétienne. Il développa en douze chapitres les objectifs recherchés par la CFTC « maintenue » dans des questions telles que les salaires, les conventions collectives, la sécurité sociale, le logement, la politique de l’emploi, celle de la formation professionnelle et celle du développement des régions. Il insista sur le caractère réformiste de la Confédération attachée à des évolutions structurelles dans l’entreprise facilitant la participation des salariés aux résultats, la mise en place de procédures contractuelles pour réguler les rythmes de progression des rémunérations ainsi que la mise en œuvre d’instances de conciliation et d’arbitrage en cas de conflits collectifs du travail. Jacques Tessier confirma des axes essentiels du syndicalisme chrétien tels que la nécessité d’une restauration de la politique en faveur des familles victimes des effets néfastes de l’inflation ainsi que la défense de la liberté de l’enseignement tout en rappelant le principe de non engagement dans les débats et les compétitions politiques. Jean Bornard, nouveau secrétaire adjoint, fit état de l’existence de 18 Unions départementales, 7 Unions régionales, 27 fédérations et 80 permanents pour la CFTC maintenue. Une association des Amis du syndicalisme d’inspiration chrétienne (ASIC), présidée par Jules Catoire qui avait toujours soutenu ses amis mineurs, rassembla les fonds indispensables pour faire vivre la structure.

Jacques Tessier fut choisi, puis confirmé, comme secrétaire général de la Confédération chrétienne jusqu’en 1970. Lors du congrès de novembre 1969 à Clichy, qui faisait suite à la crise sociale de mai 1968 au cours de laquelle Joseph Sauty et Jacques Tessier participèrent à la conférence de Grenelle, le secrétaire put faire état d’une progression de 42 % du nombre des cotisants. Cosignataire de l’accord national sur l’emploi en février 1969, la centrale chrétienne fut représentée en septembre suivant au Conseil économique et social mais, selon Jacques Tessier, avec un nombre insuffisant de sièges par rapport aux autres organisations. La reconstitution du tissu syndical chrétien se conjuguait impérativement durant cette période avec les combats pour la reconnaissance de la confédération chrétienne vis-à-vis des instances syndicales, politiques, économiques : Jacques Tessier s’y investit totalement. La représentativité de la CFTC fut reconnue lors d’un conseil des ministres en mars 1966, la propriété du sigle était confirmée par la Cour d’appel de Paris en juin de la même année. Le 17 avril 1970, le Conseil d’État rendit un arrêt stipulant que la CFTC « doit être regardée comme l’une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national ». En échange de la conservation par la CFDT du patrimoine matériel de l’ancienne confédération, la CFTC se vit reconnaître l’exclusivité du titre et du sigle.

À la suite du décès de Joseph Sauty, président de la CFTC, en juillet 1970, le conseil confédéral choisit Jacques Tessier pour lui succéder et Jean Bornard devint alors le nouveau secrétaire général. En avril 1971, la confédération chrétienne s’installa définitivement dans la capitale au 13, rue des Écluses Saint-Martin qui devint son siège national. Reçu en audience privée par le pape Paul VI en mai 1971, Jacques Tessier fut sensible aux encouragements et au soutien pontifical en faveur du maintien du syndicalisme chrétien en France. Après avoir déploré dans les premiers temps de la « rébellion » des syndicalistes chrétiens « maintenus », une réserve, voire un ostracisme de la part de certains évêques français, il constata à partir de 1977 que des rencontres entre des dirigeants de la CFTC et notamment Mgr Etchegaray permettaient une meilleure compréhension réciproque. Une minorité d’évêques avaient soutenu la cause de la centrale « maintenue » : Mgr Guerry notamment avait estimé lors des débats de 1964 que « l’histoire des institutions nous prouve que celles qui ont pu être fondées par des chrétiens et qui pour des raisons de tactique ont commis l’imprudence de devenir neutres, ont peu à peu changé d’esprit et ont été envahis par des ennemis de Dieu et de l’Église ». L’avènement de Jean-Paul II ne fit que renforcer ce retour à la reconnaissance au sein de l’Église de l’importance de la doctrine sociale chrétienne. Marié en avril 1946, père de quatorze enfants, Jacques Tessier a toujours veillé à respecter la distinction entre le syndicalisme et la politique, mais entretenait de nombreuses relations avec des militants du MRP tels que Jules Catoire et Paul Vernayras, puis avec des responsables du Centre démocrate et de Force démocrate.

En novembre 1973, il présenta devant le congrès confédéral un rapport intitulé « l’entreprise au service des hommes » et, en février 1975, en compagnie de Jean Bornard, Jacques Tessier fut reçu par le président de la République qui avait confié à Pierre Sudreau la présidence d’un comité d’étude pour la réforme de l’entreprise. Membre du Conseil économique et social de 1969 à 1984, il en devint le vice-président de 1974 à 1984, présida la Commission sociale du Plan de 1979 à 1984 et fit partie de la délégation française à l’Assemblée générale de l’ONU durant la même période. Administrateur depuis 1960 du journal Ouest-France, chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand, il participa à la fondation en 1975 de l’association Évangile et Société, fit partie du conseil d’administration du Secours catholique de 1958 à 1989, des Amis du Bec-Hellouin, du Comité catholique des amitiés françaises dans le monde, de l’Œuvre des apprentis, association en lien avec le Conseil national de l’enseignement catholique. Jacques Tessier, décédé à Paris le 29 décembre 1997, était membre honoraire du Conseil économique et Social et président d’honneur de la CFTC.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article132234, notice TESSIER Jacques, Albert, Marcel par Bruno Béthouart, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 8 juillet 2016.

Par Bruno Béthouart

ŒUVRE : Rédaction de la quasi-totalité du bulletin Équipes syndicalistes chrétiennes de 1956 à 1963 puis de Rénovation. — Nombreux rapports aux différents congrès de la Fédération des ETAM, de la CFTC de 1963 à novembre 1964. —Comment fut maintenu le Syndicalisme chrétien, Paris, Fayard, 1987. — Marxisme ou doctrine sociale chrétienne, Paris, Fayard, 1992.

SOURCES : Gaston Tessier, L’âme du syndicalisme, Paris, Spes, 1956. — Michel Launay, « Aux origines du syndicalisme chrétien en France : le Syndicat des Employés du Commerce et de l’Industrie », Le Mouvement social, juillet-septembre 1969 ; Le syndicalisme en France de 1885 à nos jours, Desclée, 1984 ; La CFTC Origines et développement 1919-1940, Publications de la Sorbonne, 1986. — Gérard Adam, La CFTC, 1940-1958. Histoire politique et idéologique, A. Colin, 1964. — Robert Talmy, Le syndicalisme chrétien en France (1871-1930), Bloud et Gay, 1965. — Franck Georgi, L’invention de la CFDT 1950-1970, Éditions de l’Atelier/CNRS Éditions, 1995. — D. Cooper-Richet, « Les étapes syndicales des ETAM de la mine », Le Mouvement social, octobre-décembre 1993. — Bruno Béthouart, « Le syndicalisme chrétien en France de 1880 à 1970 », Industrialisation et sociétés en Europe occidentale de 1880 à 1970, Paris, Éditions du Temps, 1997. — Interview de Jacques Tessier avec l’auteur, le 4 mars 1993. — Témoignage de Jacques Tessier, courrier du 21 juillet 1997. — Notice de Jean-Louis Panné, t. 42 du BDMOF, p. 99-100.

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