Par Justinien Raymond et Gilles Morin
Né le 6 octobre 1888 à Rouen (Seine-Inférieure), mort le 22 mars 1957 à Paris ; rédacteur au ministère du Commerce ; homme de lettres et journaliste, militant socialiste ; résistant.
Fils d’un professeur de rhétorique au lycée Corneille de Rouen, Jean Texcier retrouvait en famille la haute intellectualité de l’établissement qu’il fréquentait et où il était l’élève d’Alain (voir Émile Chartier*), maître dont il garda toute sa vie l’empreinte et dont il aimait à citer les propos. En seconde il publia un premier journal ronéoté, L’Étudiant de Rouen. Bachelier, Jean Texcier conquit la licence en droit à Paris et passa le concours de rédacteur au ministère du Commerce où il entra en 1909 et où il remplit sa tâche jusqu’à sa mise à la retraite par le gouvernement de Vichy en 1941. À l’âge de vingt ans, il était venu s’établir à Paris (XIVe arr.), qu’il ne devait jamais quitter.
Son père était non seulement un professeur émérite, mais un citoyen mêlé à la vie politique : passionnément républicain, il avait fondé et il dirigea longtemps La Dépêche de Rouen de tendance radicale-socialiste, signant ses articles du pseudonyme « Puck », ouvrant les colonnes de son journal aux « Propos » d’Alain. Jean Texcier marqué par son milieu libéral, universitaire et familial, où il côtoyait aussi Jean Parodi, vint au socialisme très jeune, un choix qui ne devait rien aux impératifs sociaux et qu’il ne tenta pas de justifier par un appareil doctrinal plus ou moins emprunté à la vulgate marxiste. Arrivé à Paris à dix-neuf ans, en 1907, il adhéra à la 5e section socialiste de la Seine, celle du quartier Latin, à laquelle il appartint toute sa vie. Étudiant en droit, il fut, en 1909, un des fondateurs du Groupe des étudiants collectiviste et en fut le secrétaire de 1910 à 1913.
En 1911, Jean Texcier participa à la fondation du Groupe des étudiants socialistes révolutionnaires, dont il rédigea avec Henri Laugier le manifeste publié sous forme de brochure et participa la même année à la création de la troisième École socialiste qui fonctionna jusqu’en 1914. L’idée en avait germé dans l’été 1914, lancée par Alfred Bonnet, elle fut reprise par Texcier qui réussit à réunir des étudiants socialistes régulièrement déchirés par des querelles idéologiques ou des disputes de préséance. Il collabora avant la guerre à l’Humanité, à La Guerre sociale et était critique d’art à La Voix des jeunes. Il milita alors, entre autres, aux côtés de Jean Jaurès* et surtout de Pierre Renaudel*, qu’il connaissait depuis 1903 et dont il resta toute sa vie l’ami, partageant ses conceptions d’un socialisme de réformes et d’évolution. En 1910 il était entré au ministère du Commerce et devint rédacteur deux ans plus tard.
Réformé en 1914, Jean Texcier suivit tout d’abord son ministère à Bordeaux puis, en 1915, s’engagea pour la durée des hostilités. Gravement blessé en Champagne, il servit comme téléphoniste ; volontaire pour les missions dangereuses, il fut décoré à plusieurs reprises. Il en revint pacifiste, se vantant d’avoir fait la guerre sans se servir de son fusil.
A son retour, il continua à militer dans les rangs socialistes, sans ambition d’aucune sorte, appartenant au comité de rédaction de La Vie socialiste. Après l’exclusion des néo-socialistes et de Renaudel, Jean Texcier signa un manifeste appelant à la constitution d’un nouveau parti avec ses amis. Il revint à la SFIO en 1936, après la mort de Renaudel et la victoire électorale du Front populaire.
La peinture fut son activité culturelle principale durant l’entre-deux-guerres, il participa pendant trente ans au salon des Indépendants. Son ami, le peintre Pierre Dumont lui donna quelques conseils initiaux, mais bien vite, il n’eut d’autres maîtres que les grands qu’il allait consulter au Louvre et surtout le paysage habité car ce qui l’intéressait c’était l’homme. Jean Texcier collabora aux Nouvelles littéraires, comme écrivain et comme dessinateur. Il a illustré de croquis savoureux les portraits d’hommes de lettres que présentaient Frédéric Lefevre dans Les Nouvelles littéraires sous le titre « Une heure avec... ». Il suivait le mouvement des idées, la vie du théâtre mais aussi celle du cirque et du music-hall. Il collabora aussi à Triptyque de 1927 à 1939.
De cet artiste qui était aussi un doux rêveur, la guerre et l’Occupation devaient faire un héros. Jean Texcier fut l’un des tout premiers résistants. Il n’hésitait jamais sur la conduite à tenir : « Ça nous est venu tout naturellement, disait-il, et nous n’y avons eu vraiment aucun mérite. Ce qui eût été drôle, c’est que nous n’eussions pas été des Résistants. Nous l’avons été par fidélité à nous-mêmes. Nous cherchions notre respiration ; nous l’avons trouvée tout de suite. Tant pis pour les autres. » Il écrivit dès juillet 1940, et il publia en août, ses Conseils à l’occupé, destinés à tous les attentistes, à tous les inquiets de cette période troublée, n’incitant pas à la révolte mais au refus de toute compromission avec l’occupant. D’autres libelles suivirent sous les pseudonymes de Serge Boz et Jean Marc, notamment les Lettres à François, Propos de l’occupé et Notre combat.
Mis à la retraite, Jean Texcier pu se consacrer à la Résistance. Rédacteur de Nous les travailleurs avec Christian Pineau*, il fut, avec celui-ci et Henri Ribière*, un des fondateurs du mouvement Libération-Nord. Membre de son comité directeur, il rédigea après l’arrestation de Christian Pineau le journal qui portait ce titre et qui comptait 190 numéros en août 1944. Il participa aussi à la renaissance du Parti socialiste clandestin et collaborait au journal clandestin Socialisme et Liberté. Membre du bureau permanent de la Fédération de la presse clandestine, il appartint à la commission de l’information du Conseil national de la Résistance.
Jean Texcier, délégué à l’Assemblée consultative provisoire par le mouvement Libération, fut une des révélations journalistiques de l’après-guerre. Son activité de journaliste passa au premier plan, au point de lui faire délaisser la peinture. Éditorialiste à Combat au début du journal, il fut le directeur politique du journal Libé-Soir qui succédait au grand jour à Libération. Il dirigea aussi les hebdomadaires Gavroche et Clarté, collabora aux Nouvelles littéraires, au Populaire, aux journaux socialistes régionaux, et surtout au Populaire-Dimanche où sa chronique littéraire était goûtée et où, sous la signature de Jean Cabanel, il suivait le music-hall et le cirque qui eurent toujours sa prédilection (il était un des fondateurs de l’Académie du cirque et du music-hall). Ce petit homme au regard d’un bleu profond, décrit par ses amis comme effacé, timide et modeste, qui était gêné de s’exprimer en public, apportait à son parti une plume brillante et redoutable car c’était un pamphlétaire aux flèches acérées. En 1947, cet enfant adoptif du couple Bracke — ce qui lui valait avec Guy Mollet le surnom « d’Ourson » —, entra au Comité directeur du Parti socialiste où il fut systématiquement réélu jusqu’à sa mort. La même année, Jean Texcier fonda la Ligue du droit des peuples, liée à la British League.
Avec quelques amis, dont le poète Vincent Muselli, il lança en janvier 1946 Les Belles lectures, pour mettre de belles œuvres à la disposition d’un large public en un temps où l’édition était dans le marasme.
Membre de la commission de contrôle de la société coopérative d’information, il était très respecté dans les milieux journalistiques. Après son décès, en 1957, un Comité des Amis de Jean Texcier fut fondé. Il publia un ouvrage, Jean Texcier un homme libre et, avec l’accord du Centre de formation des journalistes, attribua une bourse à de jeunes élèves remarqués pour leurs travaux. Le comité obtint aussi qu’une rue de sa ville natale, Rouen, porte son nom. Beaucoup de ses appels ou articles clandestins ont vu aussi le jour dès la Libération sous le titre Écrit dans la nuit.
Jean Texcier était commandeur de la Légion d’Honneur. Il a aussi été décoré de la Médaille militaire, de la Croix de guerre 1914-1918 et 1939-1945. Il est toujours resté célibataire car, disait-il, il ne se sentait pas « l’étoffe du mari fidèle ».
Par Justinien Raymond et Gilles Morin
SOURCES : J. Texcier, un homme libre, A. Michel, 1960. — M. Sadoun, Les Socialistes sous l’Occupation, PFNSP, 1986. — C. Prochasson, Place et rôle des intellectuels dans le mouvement socialiste français, 1900-1920, Th., Paris I, 1989. — Autobiographie et dossiers personnels, arch. de l’OURS. — Paris-Normandie, 13 avril 1953. — Les Belles lectures, n° 322, 1er-14 avril 1957. — Le Populaire, 23 et 24 mars 1957. — Le Populaire-Dimanche, 31 mars et 7 avril 1957. — Le Monde, 23 et 24-25 mars 1957. — Le Vétéran socialiste, mai 1957. — Le Parisien, 23 mars 1957. — Alfred Costes, « Jean Texcier », La Gazette de Paris [mensuel de sections SFIO de Paris], 5 avril 1957.