THIRION André dit MARTIN Raymond

Par Nicole Racine

Né le 18 avril 1907 à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), mort le 4 janvier 2001 ; actuaire à la France mutualiste (1932-1945) puis gérant de sociétés ; responsable du Parti communiste à Nancy puis à Paris (1927-1932) ; membre du groupe surréaliste ; conseiller municipal de Paris (1945-1953), vice-président RPF du Conseil municipal de la Seine (1950-1951).

Fils du compositeur lorrain Louis Thirion, républicain et libre penseur (mais organiste titulaire de l’église de Baccarat), André Thirion fut, à sept ans, témoin de la déroute des armées françaises en août 1914, de l’entrée des Allemands dans la ville puis de sa reprise. Son père ayant été nommé après l’armistice, directeur du Conservatoire de Nancy, la famille s’y installa. Le jeune André, intéressé par les arts, fonda en classe de cinquième et de quatrième un club littéraire ; en 1922, en classe de seconde, il fit connaissance de Georges Sadoul* alors étudiant en première année de faculté de Droit ; leur amitié ne devait cesser qu’en 1932 lors de la rupture de Sadoul avec le groupe surréaliste. Ce fut durant son service militaire en 1924-1925 que G. Sadoul apporta à Thirion le premier numéro de La Révolution surréaliste. André Thirion prit en charge le programme musical du groupe « Nancy-Paris » fondé par Sadoul et fit venir à Nancy, H. Sauguet, D. Milhaud, F. Poulenc. L’année 1925 fut décisive pour l’évolution politique et intellectuelle de Thirion. Sympathisant du Parti communiste, converti au marxisme par la lecture de Marx et Engels, il adhéra au parti après avoir organisé sa première manifestation politique dans les rues de Nancy contre les Camelots du Roy et fondé une Union des étudiants antifascistes. Ébloui par les premiers textes surréalistes d’Aragon, Breton, il pressa G. Sadoul d’entrer en contact avec les surréalistes qui « apportaient tout ce que nous demandions à l’expression littéraire et bien au-delà ».

De 1925 à 1927, André Thirion milita activement à Nancy ; communiste en 1926, rédacteur à l’hebdomadaire la Lorraine ouvrière et paysanne, sous le pseudonyme de Raymond Martin, il devint en 1927 secrétaire du rayon de Nancy. Désireux d’approfondir la doctrine marxiste-léniniste, il noua des liens avec Charles Hainchelin*, qui était en liaison avec D. Riazanov, directeur de l’Institut Marx-Engels de Moscou. Un rapport de police du 8 avril 1927 (publié dans l’édition définitive de Révolutionnaires sans révolution) le décrit comme un « propagandiste ardent » particulièrement dangereux. Son militantisme intense le conduisit à délaisser ses études ; après une année de mathématiques spéciales au lycée, il échoua au SPCN à la Faculté des sciences de Nancy.

André Thirion décida de partir en 1927 pour Paris, avec l’idée de devenir un « révolutionnaire professionnel ». Il s’installa avec Sadoul et sa future femme Katia à Vanves, consacrant tout son temps au parti. Il devint le numéro 2 du Ve rayon qui englobait la moitié de la banlieue Sud ; il multiplia les réunions à la sortie des usines, à Issy, Villejuif, Malakoff, rédigea La Plate-forme du Ve Rayon. Depuis l’automne 1928, il travaillait avec Charles Hainchelin à un projet de revue marxiste qui devait s’appeler le Devenir social ; mais l’apparition de La Revue marxiste (1929) ruina ce projet. Fin avril 1929 André Thirion partit pour le service militaire après avoir démissionné de toutes ses responsabilités au Ve rayon. En 1930, Maurice Thorez le chargea de remonter la cellule Plaisance (VIe rayon) et d’y ramener les membres du parti éloignés par le sectarisme de la période précédente ; il y redonna vie aux organisations annexes du 14e arrondissement, SRI, AUS, CDH. Pierre Darnar*, secrétaire de la commission centrale d’Agit-prop le chargea d’organiser à la Bellevilloise l’exposition que le bureau politique avait décidée pour la célébration du 10e anniversaire du parti (mais début 1931 le parti fit arrêter les travaux).

André Thirion participa avec d’autant plus de conviction à l’activité surréaliste qu’il était persuadé d’avoir un rôle à jouer dans l’évolution du groupe surréaliste pour l’amener à se mettre au service de l’Internationale et à répudier toute tendance incompatible avec le matérialisme. De là l’action qu’il mena, après l’exclusion d’A. Artaud, P. Soupault, R. Vitrac, pour pousser à la rupture avec les écrivains du Grand Jeu, R. Daumal, R. Gilbert-Lecomte, R. Vailland. Dans sa réponse à la lettre envoyée par R. Queneau en février 1929 et qu’il publia dans le numéro de juin de la revue belge Variétés, Le Surréalisme en 1929, il refusait de collaborer avec tous ceux qui n’acceptaient pas les thèses du matérialisme dialectique et celles du parti. André Thirion publia dans ce même numéro un texte écrit dans une perspective marxiste, « À bas le Travail ». Il était assez proche d’André Breton* pour que celui-ci lui demandât de rédiger avec Paul Éluard* le « prière d’insérer » du Second Manifeste du Surréalisme paru en juin 1930 chez Kra (le Second Manifeste d’abord publié dans le n° 12 de la Révolution surréaliste avait déclenché, de la part des surréalistes mis en cause, le pamphlet Un cadavre). Il donna des « Notes sur l’argent » au n° 12 de la Révolution surréaliste et participa à la brochure-manifeste lancée par André Breton, René Crevel*, Paul Éluard, Louis Aragon* pour la sortie du film de Bunuel, L’Îge d’or, avec un texte « Aspect social, éléments subversifs » (republié dans Éloge de l’indocilité).

Dans Révolutionnaires sans révolution, André Thirion raconta qu’il rédigea en 1930 un projet d’Association des Artistes et Écrivains révolutionnaires (AAER) — qui fut approuvé par Breton et soumis aux membres du groupe surréaliste — et dont les statuts furent envoyés à la section Agit-prop du parti ; ce serait Victor Bauer, membre du Parti communiste autrichien et de l’appareil clandestin du Komintern, connaisseur de S. Freud et de la psychanalyse, qui lui aurait proposé ainsi qu’à Breton de rassembler les artistes révolutionnaires dans une grande association.

Invité par Aragon alors en URSS, avec l’accord des organisateur du congrès des écrivains devant se réunir à Kharkov en novembre 1930 à assister au congrès, André Thirion ne fut pas autorisé par Thorez à s’y rendre. Au retour d’Aragon et de Sadoul, Thirion s’efforça de dissiper les malentendus entre ceux-ci et Breton et de sauvegarder les relations entre le groupe surréaliste et le Parti communiste.

Le 5 mai 1931, Thirion fut convoqué par la Commission centrale de contrôle du parti, sous le coup de trois accusations : avoir accepté l’adhésion au parti de G. Sadoul et d’Aragon (c’est Thirion qui avait proposé à Aragon et Sadoul de les inscrire à la cellule Plaisance et de leur délivrer des cartes du parti) ; avoir collaboré sans autorisation au Surréalisme au service de la Révolution ; avoir accusé M. Thorez de fréquenter un salon bourgeois. André Thirion décida de démissionner du parti tout en continuant son travail de militant et en s’abstenant d’assister aux réunions de sa cellule.

En relation avec Alfred Kurella*, responsable de la Ligue anti-impérialiste, André Thirion se vit confier l’organisation d’une contre-exposition à l’Exposition coloniale de mai 1931 ; ce fut « La Vérité sur les colonies » qui ouvrit ses portes le 20 septembre avenue Mathurin-Moreau dans le Pavillon des Soviets de 1925 transporté sur un terrain appartenant à l’Union des syndicats de la Seine ; Sadoul, Aragon et Éluard y participèrent également.

Le 2 novembre 1931, le secrétariat du parti exclut André Thirion pour ses actes d’indiscipline, pour avoir écrit dans une revue non soumise au contrôle du parti et avoir formulé des accusations fausses sur le compte des responsables du parti. Il quitta la rue du Château, la cohabitation avec G. Sadoul étant devenue impossible et entra comme calculateur à la France mutualiste, caisse autonome de retraites. Après la rupture d’Aragon avec le surréalisme, il participa à la brochure Paillasse ! (mars 1932). Bien qu’exclu du parti, il appuya le candidat du parti, Eugène Poulet*, dans le XIVe arrondissement et dirigea la campagne d’explication de la ligne du parti. Il milita à la CGTU, partisan de l’entente avec les socialistes, constituant des comités unitaires. Il critiquait de plus en plus la ligne « classe contre classe », mais partageait la position des surréalistes sur le Congrès de la guerre d’Amsterdam et signa le tract « La mobilisation contre la guerre n’est pas la paix » (juin 1933).

En octobre 1932, André Thirion ne se retrouva pas sur la liste des surréalistes admis à l’AEAR, le « communiste de service étant Fréville », écrit-il dans Révolutionnaires sans révolution. « Le parti communiste ne s’intéressait pas à moi en tant qu’intellectuel révolutionnaire, mais comme militant politique et syndical et dans cette catégorie il m’avait assigné une fonction. Pour les surréalistes j’avais perdu les clefs d’une maison dont les portes s’ouvraient toutes seules. »

Ses analyses divergeaient de plus en plus avec celles du PC mais il restait toujours marxiste. Il publia dans Le Surréalisme au service de la Révolution (n° 6) la traduction par Hainchelin des notes écrites par Lénine à la relecture de La Science de la Logique de Hegel. Ayant perdu foi dans le Komintern, André Thirion rejoignit fin 1934 le Parti socialiste SFIO « sous la caution morale de Léon Trotsky » mais sans rejoindre le groupe trotskyste. Il adhéra à la tendance de la Bataille socialiste de J. Zyromski où militait son camarade Marcel Fourrier*. Il partageait les positions de la Bataille socialiste sur le danger hitlérien, la guerre d’Espagne. Il entra en contact avec André Ferrat* après son exclusion du PCF et devint un membre actif du groupe « Que faire ? » Il fut l’un des rédacteurs du journal l’Espagne socialiste.

Participant au mouvement gréviste de mai-juin 1936, André Thirion signa un accord de Front uni dans le XIXe arr. au nom de la 20e Union régionale de la CGTU. Il prit en mains le conflit des chiffons de l’usine Dufour.

Après Munich, il fut partisan d’un accord au sein du Parti socialiste entre L. Blum et La Bataille socialiste pour la conquête de la direction de la Fédération de la Seine et pour un changement de majorité à la CAP afin d’enlever le contrôle de l’appareil à la tendance pacifiste Paul Faure-Séverac. En dépit de ses réserves sur les idées de Trotsky, il adhéra par admiration pour Breton à la Fédération internationale pour un art révolutionnaire indépendant (FIARI) fondée en juillet 1938 par Breton et Diego Rivera et en signa le manifeste.

Après s’être engagé pour la durée de la guerre (dont il passa les derniers mois au Liban et en Syrie), André Thirion arriva à Paris fin octobre 1940. Il renoua avec ses amis politiques, Marcel Fourrier et André Weil-Curiel* qui militait dans le réseau du Musée de l’Homme. Il reprit son travail à la France mutualiste où il rédigea trois tracts anti-Vichy. Il travaillait aux côtés de Maurice Barral, secrétaire-général adjoint de la Confédération nationale des Anciens combattants et des victimes de guerre, qui fut arrêté au printemps 1942 par la Gestapo. Thirion fut accusé d’être le chef d’un noyau de résistance. Le 25 janvier 1943 il comparut devant la 17e Chambre correctionnelle où il fut défendu par M. Fourrier. Il fit publier clandestinement en 1943 Le Grand ordinaire dont des fragments avaient été écrits en 1929-30 et qui demeure son principal texte littéraire.

Ayant dû effectuer à l’été 1943, pour des raisons d’ordre médical, un séjour de repos de deux mois dans l’Orne, André Thirion noua des contacts avec le mouvement de résistance OCM qui jouait un grand rôle dans le département. Il rejoignit à Paris le petit groupe rédigeant et éditant le mensuel clandestin Libertés, surtout composé d’anciens rédacteurs de « Que faire ? » et dont la cheville ouvrière était Pierre Rimbert* ; il discuta avec ce dernier le projet d’unité politique des partis ouvriers. Dans Révisions déchirantes, Thirion écrit que sa collaboration à Libertés se situait encore dans la mouvance du bolchevisme bien qu’il ne souscrivait plus alors aux thèses de Lénine sur l’impérialisme. Lorsque Libertés fut absorbé par « Ceux de la Résistance » (CDLR), Thirion devint un permanent de l’organisation et l’implanta dans l’Orne ; il fut blessé en juin 1944 dans la vallée de Chevreuse. En août 1944, il représenta CDLR au comité de Libération du XIXe arr. et prit possession de la mairie le 19 août. Il collabora à l’hebdomadaire Volontés dont Michel Collinet* devint rédacteur en chef à la Libération et dont Thirion, jouant le rôle de responsable politique, écrivit presque tous les éditoriaux. Il fut nommé inspecteur général des Milices patriotiques où il opéra en tant que secrétaire de la Commission militaire de CDLR et comme inspecteur du COMAC pour les régions militaires de Cherbourg à Nancy. En avril 1945, il fut élu au Conseil municipal de Paris sur les listes présentées par l’Union des Mouvements de Résistance non communistes. Le Parti communiste tenta de le récupérer mais il s’éloigna définitivement. Il s’inscrivit au groupe RPF du Conseil municipal qu’il présida en 1950-1951.

En 1972, André Thirion publia ses souvenirs sous le titre Révolutionnaires sans révolution qui constituent un témoignage de premier ordre sur le mouvement surréaliste dans les années trente ; il y évoquait quelques-unes des figures du groupe comme G. Sadoul, L. Aragon, A. Breton pour lequel il professa toute sa vie une grande admiration, B. Péret. Il revient sur les positions politiques du surréalisme dans Révisions déchirantes.

Domicilié à Neuilly-sur-Seine, il mourut dans sa quatre-vingt-quatorzième année et fut enterré à Baccarat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article132487, notice THIRION André dit MARTIN Raymond par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 9 janvier 2022.

Par Nicole Racine

œUVRE CHOISIE : Le Grand ordinaire, (rééd. iII. de Oscar Dominguez), E. Losfeld, 1970. — Révolutionnaires sans révolution, R. Laffont, 1972 (éd. définitive, Le Pré aux clercs, 1988). — Éloge de l’indocilité, R. Laffont, 1973. — Révisions déchirantes, Le Pré aux clercs, 1987.

SOURCES : Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle, 1 M 641. — La Lorraine ouvrière et paysanne, 1926-1927. — Textes surréalistes dans Tracts surréalistes et déclarations collectives, t. I (1922-1939), E. Losfeld, 1980. — G. Hugnet, Pleins et déliés. Témoignages et souvenirs. 1926-1972, G. Authier, 1972 (contient une critique de Révolutionnaires sans révolution). Réplique d’André Thirion dans Les Éboueurs ne sont plus en grève, [Circa 1973]. — Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs sous la direction d’A. Biro et de R. Passeron, PUF, 1982. — A. Thirion, « Le Manuscrit de Révolutionnaires sans révolution », Revue de la Bibliothèque nationale, décembre 1982. — Le Monde, 10 janvier 2001. — RGASPI, 495 270 4719, dossier du Komintern à son nom, pas encore consulté.

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