Par Yves Le Maner, Claude Pennetier, Frédéric Stévenot
Né le 22 septembre 1889 à Loos-en-Goyelle (Pas-de-Calais), fusillé comme otage le 26 septembre 1941 à Lille (Nord) ; mineur ; militant syndicaliste CGT ; militant communiste ; résistant.
Fils de Léon Turbant, bouilleur, et de Denise Desjardins, ménagère, Fernand Turbant s’était marié le 24 juin 1912 à Lens (Pas-de-Calais) avec Rachel Lerat et était père de quatre enfants.
Mineur (mécanicien de mine) à Hénin-Liétard (Pas-de-Calais), il devint président du syndicat unique des mineurs de Drocourt après la fusion de 1935, et conserva ce poste jusqu’en 1939. En 1938-1939, il fut secrétaire régional du Sous-sol CGT (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Seine-Inférieure, Aisne, Oise) et membre du Conseil national de la Fédération du Sous-sol.
Il refusa de désavouer le pacte germano-soviétique. Dès 1940, il fonda un groupe du Parti communiste clandestin des mines de Drocourt et fut l’un des organisateurs de la grève des mineurs de mai-juin 1941 dans la région d’Hénin-Liétard. C’est dans cette ville qu’il fut arrêté le 22 juin 1941 par la police française, puis interné à la caserne Négrier de Lille, avant d’être fusillé le 26 septembre suivant, comme otage en représailles à un vol d’explosifs et aux attentats dans le Nord. Le vol eut lieu dans la nuit du 22 au 23 septembre 1941, attribué à des « bandits armés – certainement des communistes ». Des attentats furent commis contre des trains de transport militaires et des trains français dans le courant de la nuit suivante, ainsi que dans la journée du 25 septembre. Le lendemain, Heinrich Niehoff, commandant militaire pour la Belgique et le nord de la France, ordonna l’exécution de vingt otages à la citadelle de Lille, « militants communistes particulièrement actifs ».
En septembre 2012, une plaque fut apposée sur les lieux en hommage aux cinq fusillés du 15 septembre et aux vingt du 26 septembre 1941.
L’Humanité du 2 octobre 1941 signala son exécution.
En 2021, Danièle Dessauvages, a retrouvé dans une valise de souvenirs appartenant à un membre de sa famille récemment décédé deux courriers signés Turbant informant sa femme et ses enfants qu’il allait être fusillé. Le courrier est daté du 25 septembre 1941.
Dernières lettresLe 25 septembre 1941, première lettreMa chère femmeet chers enfantsQuand vous lirez cette présente, je ne serai plus, dans quelques heures je serai fusillé comme otage.Sachez que ma dernière pensée aura été pour vous tous, vous que j’ai tant aimé. Je vous laisse un nom propre vous pouvez le porter très hautement.Je meurs sans trop de regret car j’ai conscience d’avoir bien rempli ma vie au service de ceux qui se de ceux qui peinent et qui souffre ent.Je conserve jusqu’au dernier moment ma foi en un Dieu d’amour et de justice, ma foi en la transformation d’un monde meilleur où la guerre et l’exploitation de l’homme n’existera plus et pour lequel j’ai tant travailléChers enfants, aimez bien votre mère, entourez la de votre tendre affection, elle a déjà tant peiné, elle n’a guère connu de jours heureux, je suis fier de vous donner ma vie en exemple : vie de labeur, de sacrifice continu et d’abstinence, ne me pleurez pas trop, vous connaissez mes idées, on ne vit pas avec les morts, vivez et remplissez bien votre vie. À l’heure de la mort je peux regarder en arrière, je ne regrette rien de ma vie. J’ai toujours travaillé avec ma conscience, je n’ai fait de tort à personne, j’ai observé la parole de l’apôtre Pierre :« Ne demandez rien à personne sinon de vous aimer les uns les autres ».Ne manquez pas de remercier le garde de nuit et les gendarmes de Nouméa de m’avoir si lâchement et si faussement dénoncé aux autorités allemandes comme meneur alors que je n’ai été qu’un esclave de mon devoir.Remerciez les parents et bons amis qui m’ont témoigné tant d’affection pendant ces derniers temps . Je n’en cite aucun de peur d’en oublier, sachez qu’au dernier moment, je suis assez calme et je me sens fort d’affronter la mort, je pense particulièrement à ma petite pouilette, à mon petit Gérard que je n’aurai guère connu, à mon petit Gilbert que j’aime tant aussi.Hier j’ai été gâté, j’ai en effet reçu 5 lettres qui m’ont fait plaisir, d’Émilienne, de Wavrans, de Tibource, de Fernande, de MartheAu revoir mes bien aimés, je vous quitte pour l’éternité.Rendez-vous là-haut, où la mort et les souffrances n’existent plus, où Dieu essuiera toute larme de nos yeux.Adieu Adrien, par la pensée je vous sers tous sur mon cœur.Au revoir ma bonne petite femme, mes chers enfants et mes bons amis.Turbant2e lettreLe 25 septembre 1941Ma chère femme et enfantsJ’ai encore quelques instants à vivre, je voudrai les passer dans une communion intime avec vous mes bien-aimés, mais je ne sais pas trop quoi vous dire, je souffre tellement à la pensée de la peine que vous allez éprouver lorsque vous apprendrez ma mort.Ma bonne petite femme, nous avons tant souffert dans notre vie pour élever dignement nos enfants et faire honneur à nos affaires, au déclin de la vie nous étions en droit d’espérer un peu plus de repos et de bonheur et voici que brutalement la mort nous sépare, comme je te vois pleurer pauvre chérie, comme j’en souffre, c’est triste pour moi de mourir. Je réalise que c’est toi qui souffriras encore le plus, tu n’auras même plus le plaisir de m’apporter des colis, je ne mangerai plus ce que tu me préparais avec tant de soins.Et toi mon pauvre Jules, toi que j’aime tant aussi, sois fort, courageux, sois un homme accompli, aime bien ta mère, et sois fier de ton père, je te laisse une vie sans tâche et toi ma petite pouillette, toi que j’ai qualifiée d’être mon rayon de soleil, tu n’auras plus mes tendres caresses, je n’irai plus te mettre coucher on t’embrassant et en bordant ton petit lit, pauvre pouillette, et toi, ma chère Bethe, toi aussi que j’ai aimé comme une véritable fille, sois aussi très forte, soutien ta mère, entoure la de ta chaude affection, rend mon garçon heureux quand il reviendra, que nos espérances puissent te servir, élève mon petit bonhomme dans le souvenir de son grand-père qu’il aura si peu connu. J’ai reçu ta lettre hier, elle m’a infiniment réconforté, je viens encore de la lire, que va dire mon pauvre Abel, et enfin ma dernière pensée d’affection pour Émilienne, Liona, Edmond, Radfin, Ebrenance, Carmen, chez Marresse, Wavrant dont j’ai reçu aussi sa lettre et sa chaude affection. Tourbien, Lébert, Tiburce, Vixun, Aumand, Paron, Wagon, Pouillez, Legrand, Chatelain. Et vous Léona que j’aurai tant voulu vous voir avant mon départ de ce monde. Je pense à vous à Pierre, Edith, Jacques, Jérémie, André dont vous êtes si cruellement séparés, soyez aussi forts et continuez d’entourer Rachel de votre amitié.Nous sommes 3 ici dans la cellule qui attendent la mort, Loucheux et Petit Jean de Nouméa. Loucheux est très courageux et me fais du bienAllons, adieu, c’est fini je vous embrasse tousTurbantL’heure de mon départ approche, bientôt- je serai dans le repos éternel auprès de Dieu.
Par Yves Le Maner, Claude Pennetier, Frédéric Stévenot
SOURCES : DAVCC, Caen, B VIII, dossier 2 (Notes Thomas Pouty). – Arch. Dép. Pas-de-Calais, M 5142, 5304, 5417. – J.-M. Fossier, Zone interdite, op. cit. – Site Internet du ministère de la Culture. – Plaque commémorative, citadelle de Lille. – Note et photo d’Evelyne Frion, arrière-petite-nièce. — État civil, Lille.