VAGNERON André

Par Jean Charles

Né le 19 août 1925 à Besançon (Doubs), mort le 3 juillet 2013 à Thise (Doubs) ; instituteur ; militant du SNI ; militant socialiste puis communiste ; secrétaire de la section de Morteau puis de Besançon, membre du secrétariat fédéral du Doubs (1965-1975) ; membre du bureau de la Fédération démocratique des communistes de Franche-Comté (1988-1991) ; adjoint au maire de Besançon (1977-1986) ; cofondateur des sections bisontines du MRAP et des « Amis de la maison du peuple et la mémoire ouvrière ».

Fils cadet d’une famille ouvrière de deux enfants, dont le père, Georges Vagneron, ouvrier plombier-zingueur-ferblantier, joua un rôle important dans le mouvement syndical bisontin de 1920 à 1963, André Vagneron fut d’abord élevé par les sœurs de sa mère, car celle-ci, Jeanne Secrétant, née le 3 février 1893, à Conliège (Jura), couturière dans une entreprise de vêtements puis sans profession, séjourna en sanatorium de 1927 à son décès, en 1933. Baptisé par ses tantes, à l’insu de son père, assistant régulièrement à la messe dominicale, il coula à Conliège une prime enfance heureuse.

Après le décès de sa mère, son père épousa en décembre 1933, Louise Munier, tenancière d’un café et le couple reprit en main le jeune garçon de neuf ans, désormais éloigné de toute pratique religieuse et élevé à la dure par sa belle-mère. Ces rudes années eurent leurs compensations : une pratique intense du sport qui lui donna un corps vigoureux ; et, premières échappées sur le mouvement ouvrier, puisque l’adolescent portait à domicile les convocations syndicales. Le Front populaire l’enthousiasma d’autant plus que son père recevait au foyer des dirigeants de la CGT fraîchement réunifiée comme René Arrachard ou Louis Saillant. Par ailleurs un de ses instituteurs lui donna le goût de l’étude et l’amour de l’histoire. La guerre venue, André Vagneron prépara le concours d’entrée à l’école normale d’instituteurs - qu’il rata d’un cheveu - puis le brevet supérieur qu’il décrocha en 1944. À Conliège, où il passait chaque année les grandes vacances, l’arrestation de plusieurs de ses amis le bouleversa.

La classe 45 n’ayant pas été appelée, il ne fit pas de service militaire. Le moment était venu de choisir un métier : il hésita entre le journalisme sportif (il était déjà correspondant de Sport Vu) et l’enseignement. Ce dernier l’emporta, et, sans aucune préparation, il devint, en novembre 1944, instituteur suppléant à Thise ; puis il fut ballotté de poste en poste dans le département, même après sa titularisation en 1949.

À l’instigation de Jean Minjoz, ami de son père, il adhéra en 1946 aux Jeunesses socialistes où il rencontra une militante aussi active que lui, Mauricette Cordier, fille d’un mécanicien, ouvrière décalqueuse dans une petite entreprise horlogère ; il l’épousa à Besançon en février 1948 et trois enfants furent le fruit de cette union. Son dévouement, son activisme militant portèrent rapidement Vagneron à la tête de l’important groupe JS de Besançon, fort de 70 à 80 membres ; en 1946, il rejoignit la SFIO et devint, lors du congrès de Perpignan des JS, membre de leur comité national ; il le demeura jusqu’à l’exclusion des éléments trotskistes de ce comité, dont il faisait partie, en août 1947. En effet les militants de ce courant avaient une très forte influence dans la direction des Jeunesses Socialistes et André Vagneron et sa compagne furent séduits par leur argumentaire au point de présenter à Besançon, aux élections municipales du 17 octobre 1947 une liste d’« Unité révolutionnaire » qui, en obtenant 1,09 % des suffrages exprimés, arracha quelques maigres plumes à la SFIO et au Parti communiste français. À ses dires, André Vagneron conserva quelques années, et malgré des responsabilités sans cesse croissantes à la CGT et au PCF, des interrogations liées à son bref passage chez les trotskistes.

Les grandes grèves de 1947 représentèrent néanmoins un tournant décisif dans son militantisme. Les instituteurs du Doubs rejoignirent le mouvement en novembre et André Vagneron, syndiqué à la CGT depuis 1945, entra dans le comité local de grève. Si la grève enseignante s’effilocha rapidement, Vagneron fut confronté, autrement que de manière hostile, à des militants communistes dont certains continuaient cependant de le regarder avec circonspection. Il décida malgré tout, fin 1947, d’adhérer au PCF et son adhésion fut effective début 1948 ; ses deux "parrains" furent Robert Charles et Louis Garnier qui exerçaient sur lui une forte influence.

André Vagneron adhéra au Syndicat national des instituteurs, alors syndicat de la CGT, dès la Libération. Partisan du maintien dans la CGT, secrétaire adjoint de la section départementale de la FEN-CGT, il fut membre de la commission administrative de l’UD-CGT du Doubs.

André Vagneron fut très vite happé par de multiples responsabilités : sa femme Mauricette comprenait – avec difficultés parfois —, ce mari à éclipses. Membre de la direction de l’Union des Femmes Françaises - dont elle fut fréquemment secrétaire départementale -, très présente dans la vie politique du couple, elle contribuait fortement à consolider ou infléchir des engagements qu’elle partageait. Mais, dévolue au foyer, elle laissa en friche de prometteuses virtualités militantes.

André Vagneron entra au comité de la fédération communiste du Doubs en 1949. Il participa, avec son épouse, au Festival mondial de la jeunesse à Bucarest en août 1953. Membre du bureau puis du secrétariat de la section communiste de Morteau, il fut membre du bureau fédéral (1955-1965) puis du secrétariat fédéral (1965-1976). Il redevint membre du seul bureau fédéral (1976-1979) et enfin du seul comité fédéral de 1979 à 1989. Il fut membre du secrétariat de la section communiste de Besançon à partir de 1959.

Militant d’envergure, il n’était pas sans défauts. Plein de confiance en lui, un rien cabochard, parfois rugueux, il avait également un sens du contact chaleureux qui le rendait très populaire. Avec courage et modestie, il se qualifiait lui-même « d’activiste qui se pose les questions avec retard » (entretien du 9 juillet 1998). Dans l’avalanche des tâches militantes et professionnelles quotidiennes, les éventuelles réticences politiques qu’il pouvait éprouver passaient souvent au second plan. De sorte qu’il accorda très longtemps une confiance entière à la direction du PCF. Par exemple, ce n’est qu’au moment du comité central d’Argenteuil du PCF en 1967, qu’il comprit – et en partie seulement —, l’apport du XXe congrès du PCUS et les profondes perversions qu’avait signifiées le stalinisme. Et si à l’automne 1956, bouleversé par le drame du peuple hongrois secouant ses chaînes, il ne poussa l’analyse guère au-delà du constat et, bon gré mal gré, comme la plupart des militants, accepta longtemps la version édulcorée des "événements", mise en circulation par la direction du PCF.
Il fut candidat aux législatives : en 1962 il obtint 6,7 % des suffrages exprimés, en 1967, 13,45 %.

Pour les élections municipales à Besançon, il conduisit une liste à dominante communiste, tant en 1965 qu’en 1971 face à la municipalité "3° force", à dominante socialiste, dirigée par Jean Minjoz, laquelle resta en place jusqu’en 1977. A cette date, le parti socialiste rompit avec ses alliés de la 3° force, s’alliant à ses nouveaux partenaires du PC, programme commun oblige.

il fut élu conseiller avec huit autres communistes sur la liste d’union de la gauche, emmenée par le socialiste Robert Schwint. Il devint adjoint aux œuvres périscolaires jusqu’en mars 1978, date à laquelle les communistes perdirent leurs deux postes d’adjoint pour avoir refusé de ratifier une augmentation des impôts communaux en rupture avec les engagements de la liste d’union. A. Vagneron et ses camarades suivaient une consigne donnée par la direction du parti pour "faire la différence". Après la révocation des adjoints à Dreux, la direction du parti inversa sa position et conseilla, à Besançon comme ailleurs, aux minorités communistes dans les villes à direction socialiste de voter les budgets afin de ne pas perdre des positions électives essentielles. Les communistes approuvèrent le budget 1979, qu’ils jugeaient plus équilibré et retrouvèrent leur place au bureau municipal. Vagneron devint alors adjoint à la santé. Mais il fut dès septembre 1980 démis de cette fonction. En effet la direction du PCF exigeait , pour les sénatoriales , un compromis dans les Côtes du Nord, sinon le PCF s’abstiendrait au 2° tour dans le Doubs (140 grands électeurs soit 10%). Cette attitude disciplinée entraina la défaite de 2 des 3 candidats socialistes, Quant au 3°, le sénateur-maire de Besançon, Robert Schwint, il ne fut élu que d’une voix. La sanction fut immédiate pour les adjoints communistes.
Aux élection municipale de 1983, la baisse de popularité de la gauche, après 2 ans de présidence Mitterrand, conduisit Robert Schwint, oubliant les contentieux, à reconduire une liste semblable. La victoire fut plus difficile et André Vagneron hérita cette fois du poste d’adjoint aux sports, pour trois ans.
Mais lors du vote du budget en avril 1986, les élus communistes, se soumettant à un vote interne circonstanciel de la section, dans le cadre du conflit qui opposait les communistes du Doubs à la direction du parti, refusèrent de nouveau de voter le budget, et les adjoints communistes furent totalement et définitivement démis.
On le voit, les rapports communistes socialistes ne furent pas de tout repos et la tendance la plus rigide de la section du PCF accusa fréquemment les conseillers municipaux communistes de trop concéder au maire socialiste. Ils refusèrent à nouveau le budget et furent démis, en avril 1986, de leurs fonctions d’adjoints.

En 1984 , alors que le résultat électoral du PC s’effondrait, une contestation générale se développa, laquelle fut majoritaire dans le Doubs. André Vagneron s’y associa.

Pendant trois décennies, André Vagneron fut à Besançon la principale figure d’un parti communiste, au départ faible, mais en pleine croissance, tant en terme d’adhérents que de résultats électoraux. En 1973, lors du conflit LIP, André Vagneron et les communistes et cégétistes dans le Doubs, comme au plan national furent plus que réservés, vis à vis de ce qu’ils estimaient les illusions "autogestionnaires" de la CFDT, largement encensées par les médias, mais dont la popularité initiale s’effilocha.
Avec la gestion de l’affaire Lip, en 1973, le contentieux s’accumula entre les deux courants des communistes du Doubs mais aussi entre la direction du PCF et la majorité du comité fédéral. Ces divergences s’envenimèrent : dès 1984, la majorité des communistes du Doubs mit en cause le mode de fonctionnement du PCF, le « bilan globalement positif » des pays « socialistes », le « glissement à droite » de la société française qui exonéraient la direction du PCF de toute responsabilité dans le recul de l’audience communiste. Dans ces débats, Vagneron occupa une position médiane. Partageant la plupart des critiques de ses camarades, il rejetait néanmoins toutes les démarches publiques qui pouvaient envenimer les rapports avec le comité central. À l’instar de son ami Robert Charles, qui symbolisait la « conscience » des communistes du Doubs, il défendit longtemps l’idée que les désaccords entre communistes ne devaient s’exprimer qu’à l’intérieur du PCF.
Quand intervint, en octobre 1988, la dissolution de la fédération, il adhéra à la "Fédération Communiste du Doubs" que les exclus avaient mis sur pied.

. Il participa momentanément à la direction de la « Fédération démocratique des communistes de Franche-Comté », créée par ses camarades « dissous ». Il conduisait une liste aux élections municipales de Besançon en 1989 avec des communistes exclus du PCF et des militants de la Ligue communiste révolutionnaire. André Vagneron rêva longtemps d’une réconciliation dans le PCF. Il n’en fut rien. Quand cette fédération démocratique abandonna, en novembre 1991, l’appellation de "communiste", Vagneron la quitta sans pour autant réadhérer au PCF.

Militant de la FSU et du MRAP, il fut à l’origine, avec Yvonne Bulher, d’une association de culture militante : les « Amis de la Maison du peuple ». Remarquablement pluraliste, celle-ci, faisant montre d’une belle activité, s’inscrivit durablement dans le paysage bisontin.

André Vagneron, veillant avec un soin jaloux sur de précieuses archives personnelles, écrivit ses mémoires, sous le titre : Souvenirs d’un communiste du Doubs. Expériences croisées. Ce texte s’attache d’avantage au récit de sa jeunesse qu’aux péripéties politiques de sa vie militante. Un tirage en 500 exemplaires fut épuisé en quelques semaines.

L’émotion soulevée par sa disparition et la chaleur des hommages qui lui furent adressés, donnèrent la mesure de sa popularité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article133378, notice VAGNERON André par Jean Charles, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 10 janvier 2024.

Par Jean Charles

SOURCES : Archives du comité national du PCF. — Site Internet. — Vagneron (André), Souvenirs d’un communiste du Doubs, Besançon, Éditions des Amis de la Maison du peuple. Mai 2012. 210 pages. — Archives et interviews de l’intéressé. — Renseignements fournis par Robert Charles. — Contributions de Joëlle Mauerhan et de Michel Pagani. — Notes de Jacques Girault et de Jacques Reigney.

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