VALIÈRE Paul, Émile. Pseudonyme : MARTINEAU Désiré

Par Claude Pennetier, Nathalie Viet-Depaule

Né le 4 août 1902 à Buenos-Aires (Argentine), mort le 2 mars 1962 à Paris (XVIe arr.) ; ouvrier métallurgiste ; responsable des Jeunesses communistes ; membre du comité central du PC (1926-1929) ; conseiller municipal de Saint-Denis (1929-1935) ; responsable des syndicats unitaires brestois ; oppositionnel, exclu du PC en 1935.

Paul Valière et Hélène Zalcmann
Paul Valière et Hélène Zalcmann

L’itinéraire mouvementé de Paul Valière, du léninisme à la dissidence, marqué par des accusations infondées mais aussi par des points d’ombre, mérite d’être revisité.

Fils d’un émigré auvergnat en Argentine et de la fille d’un avocat suisse, Paul Valière arriva en France quelques années après sa naissance, avec ses parents alors rentiers d’une entreprise de corseterie. Il fréquenta l’école communale de Figeac (Lot) de 1908 à 1913 puis celle de Saint-Denis (Seine, Seine-Saint-Denis) en 1914-1915 et obtint le certificat d’études primaires. Il faisait alors partie du club sportif ouvrier dyonisien et de la chorale "les enfants de Saint-Denis". Avide de lectures, Paul Valière parlait l’espagnol (sa langue maternelle) et l’anglais. Il fit son apprentissage en 1915 aux fonderies Panhard, acquit son CAP de fondeur-mouleur tout en participant aux grèves. Il retourna en Argentine en 1921 où il passa quatre mois puis, à son retour, travailla chez Félix Potin, chez Debard rue Oberkampf, à l’atelier 48 chez Renault, puis à l’acierie Pavis et Outreau à la Plaine Saint-Denis.

Ouvrier « noyauteur » aux établissements Panhard en 1922, Paul Valière fit son service militaire dans l’aviation en 1922-1924 et obtint le Caducée, diplôme d’infirmier du Service de santé des armées. Libéré le 7 mai 1924, il fut arrêté le lendemain pour distribution de tracts antimilitaristes. En juin, il adhéra au syndicat unitaire des ouvriers sur métaux et, en septembre, à la IVe Entente de la Fédération des Jeunesses communistes. Par la suite, il devint permanent de la Fédération communiste de la Seine comme responsable de la propagande. Le 15 mai 1925, il fut interpellé une nouvelle fois alors qu’il transportait des tracts antimilitaristes protestant contre l’occupation de la Ruhr. Inculpé mais laissé en liberté, il effectua une tournée de propagande en Algérie, de la fin mai au mois d’août. Appréhendé le 12 octobre 1925 devant les usines Getting à Épinay (Seine), son domicile fut perquisitionné. Le 19 octobre suivant, il fut condamné à un mois de prison.

Délégué au congrès de Lille du Parti communiste (20-26 juin 1926), Paul Valière travaillait alors comme mouleur à Saint-Denis (Seine, Seine-Saint-Denis). Élu au comité central, il devint membre le même mois de la commission exécutive de l’Union des travailleurs de la Métallurgie. En octobre 1926, il se rendit en URSS. Il resta un an à Moscou mais on ne sait pas s’il s’agit de ce séjour de 1926 ou de celui de 1928, a moins que l’année se répartisse entre les deux séjours (témoignage de sa fille). Appartenant à la Jeune garde antifasciste, il fut élu le 2 août 1927 au bureau de la 4e Entente des Jeunesses communistes de la Région parisienne (voir Marcel Chavannes). Il était proche d’Henri Barbé.

À l’issue du IVe congrès de la CGTU (Bordeaux, 19-24 septembre 1927), il devint membre suppléant de la commission exécutive sans avoir été délégué au congrès. En fait, Valière avait été arrêté le 4 septembre à Londres alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole au cours d’un meeting de soutien aux mineurs en grève, à Trafalgar Square. Incarcéré, il fut condamné à six mois de prison pour faux et usage de faux en matière de passeport. Expulsé le 11 février 1928, il regagna Paris mais, en juillet, ne retrouva pas ses responsabilités à la tête de la IVe Entente des JC. Par contre, Paul Valière fit partie de la délégation envoyée à Moscou pour le congrès de l’Internationale communiste des jeunes et à celui de l’Internationale syndicale rouge ; il quitta Paris le 14 décembre 1928 et suivit les cours d’Agit-Prop de l’ISR à Moscou. Élu conseiller municipal de Saint-Denis le 5 mai 1929, il revint en France en novembre 1929. Il conserva son siège lors du scrutin du 23 mars 1930 provoqué par la démission générale du conseil municipal, le 15 février précédent.

Envoyé par la CE de la CGTU dans l’Est et intégré à la CE de la IIIe Union régionale unitaire, Paul Valière, alors employé de commerce, organisa la journée du 1er août 1929 contre la guerre. En mars 1930, il devint secrétaire du syndicat régional des Métaux de Longwy (Meurthe-et-Moselle) et s’installa à Villerupt. En novembre 1929, le tribunal correctionnel de Nancy lui infligea une nouvelle condamnation d’un an de prison et 1 000 F. d’amende par défaut, pour « provocation de militaires à la désobéissance », en raison de ses articles parus dans La Lorraine ouvrière et paysanne dont il était alors le gérant. Les 11 et 12 mars 1930, il participa à la Conférence nationale du PC à « La Bellevilloise » et y intervint pour discuter le rapport d’Albert Vassart qui liait la lutte contre la rationalisation à la défense de l’URSS ainsi que pour discuter « les tâches essentielles de l’organisation des cellules ». Arrêté le 25 novembre 1930 à Saint-Étienne (Loire) alors qu’il effectuait une tournée de propagande sous le nom de Désiré Martineau, il fut transféré à Nancy et incarcéré à la prison Charles III. Sa peine accomplie, il s’installa à Brest (Finistère) où il s’était rendu en avril 1928 pour soutenir les candidats communistes aux élections législatives dont Robert Picaud, qui avait été détenu à la prison militaire de Brest. Officiellement, il exerçait la profession de marin-pêcheur à Douarnenez. S’il était bien inscrit au "Rôle", en fait il était en service commandé pour organiser la grève des marins-pêcheurs et des ouvrières des conserveries.

Chauffeur-livreur à l’Union des coopérateurs, société gérée par les communistes, Paul Valière fut candidat communiste dans la première circonscription de Brest aux élections législatives de mai 1932 et recueillit 1 189 voix sur 25 786 inscrits (voir Émile Goude). Il devint le second de Auguste Havez devenu, courant 1933, secrétaire de l’Union régionale unitaire de Bretagne.

Sa compagne Chaja Zalcmann (née le 26 août 1906 à Lodz, Pologne) avait été secrétaire à la Bourse du travail de Brest en 1935 . La police écrivit qu’elle avait épousé Louis Léchaud le 1er juillet 1930 et l’avait quitté le lendemain de la cérémonie ; il s’agissait d’un mariage blanc pour éviter l’expulsion. Le couple Hélène et Paul eut une fille, Marthe-Hélène, en 1932 à Douarnenez. Ils durent attendre la mort de Louis Lécaud pour se marier le 6 mars 1954 à Paris XVIe arr.

Il assuma les fonctions de secrétaire de la Région bretonne du PC mais fut exclu en 1935 pour s’être élevé contre la signature des accords Laval-Staline en mai 1935 (« M. Staline comprend et approuve la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa défense. »). Il collabora ensuite avec le groupe « Que Faire ? » d’André Ferrat (ce que n’ignorait pas le Komintern qui avait introduit une taupe à partir de Bruxelles, voir Jean Jérôme) et fut inscrit sur la liste noire du Parti communiste de 1936.

Lors des affrontements qui opposèrent les travailleurs de l’Arsenal de Brest à la police, en août 1935, Paul Valière joua un rôle important, en tant que secrétaire adjoint de l’Union locale unitaire, en participant à la construction de barricades mais en contribuant à modérer les ardeurs pour éviter un bain de sang. Lors d’une réunion publique, le 30 janvier 1936, organisée par le Comité de défense antifasciste dont il était un dirigeant, son intervention fut interrompue par Soubigou, secrétaire des mutilés du travail, qui déclara qu’il avait la preuve de l’indignité de Valière et qu’il le mettrait un jour en accusation devant ses camarades. René Martin intervint en faveur de Valière et réussit à calmer l’effervescence ; dix minutes plus tard, Valière put reprendre son exposé. La rumeur répandue par la direction communiste locale en faisait un indicateur de police, d’ailleurs il avait été vu parlant à un commissaire de police pendant les manifestations (s’il avait été un indicateur de police, il n’aurait pas parlé en public avec un commissaire !).

Le 6 juin 1937, il fut accusé par le PC d’être un « traître » et de s’être rendu coupable de détournements de fonds. Le parti demanda son exclusion de la commission administrative de la Maison du peuple. Valière fut défendu par ses camarades de « Que Faire ? » et par le comité général de l’Union locale de Brest, groupant vingt-huit syndicats, dont il était le secrétaire adjoint. Il milita dans un comité antifasciste dont il devint le secrétaire, comité qui disparut fin 1937. Sa compagne, Chaja Zalcmann, obtint un rendez-vous avec Jacques Duclos et, selon le témoignage de sa fille, le menaça de livrer à la "presse bourgeoise" ce qu’elle savait sur les affaires secrètes du parti si la direction continuait la campagne contre son mari. L’épouse pensa que cette intervention avait eut un effet.

Avec sa compagne, Hélène Zalcmann Chaja Zalcmann, Paul Valière tenta de faire vivre un journal, L’Union, avec l’aide des anarcho-syndicalistes, journal qui disparut en 1938. De 1935 à 1939, il fut ouvrier du Bâtiment. Sa fille cite par ses amis d’alors, Jean-Marie Jaouen, Louis Liziar, Alain Le Dem, qui pour certains militaient à Carhaix.


Arrêté le 3 juillet 1941, Paul Valière fut emprisonné au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Inférieure) et interné dans la baraque des otages. Il tenta d’entrer en contact avec les militants détenus mais fut mis à l’index dès son arrivée. Henri Barbé lui suggéra de se déclarer loyal envers le maréchal Pétain. Libéré le 9 avril 1942 "par arrêté du secrétaire général de la police", il fut, sur dénonciation, à nouveau arrêté le 26 avril 1942 au Cloître-Pleyben (Finistère) où sa compagne et sa fille avaient trouvé refuge chez le militant trotskiste Alain Le Dem. Interné à la forteresse de Quimper pendant quatre mois, victime d’un simulacre d’exécution, il fut libéré sur une nouvelle intervention d’Henri Barbé* le 3 août 1942 mais refusa d’adhérer au Parti ouvrier et paysan français de Marcel Gitton. Il se retira un temps à Lambézellec. Il travailla comme inspecteur contrôleur au sein du Comité ouvrier de secours immédiat. Sa compagne, Chaja Zalcmann fut arrêtée en 1944 comme juive malgré ses faux papiers de femme bretonne et conduite à Drancy. Là encore, Henri Barbé intervint et la fit libérer.

Paul Valière fut arrêté en 1945, incarcéré à Fresnes pendant huit mois, accusé de "collaboration" ; il obtint un non-lieu en 1947. Il cessa tout militantisme politique. Il travailla pour le studio Guigné comme courtier en photos, puis comme courtier en tableaux. Lecteur du Figaro, il manifestait des opinions de droite à la différence de sa femme qui resta de gauche.

Souffrant de troubles psychiques profonds (dépression mélancolique), Paul Valière se donna la mort en mars 1962.

Selon sa fille, les rumeurs concernant son père de sont totalement dénuées de fondements, il s’agit bien d’un suicide.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article133498, notice VALIÈRE Paul, Émile. Pseudonyme : MARTINEAU Désiré par Claude Pennetier, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 14 mai 2022.

Par Claude Pennetier, Nathalie Viet-Depaule

Paul Valière et Hélène Zalcmann
Paul Valière et Hélène Zalcmann
La famille de Paul et Hélène
La famille de Paul et Hélène
Cliché fourni par Marthe-Hélène Zalcmann : "Au dernier rang mon père, devant lui Isidore Zalcmann "Wolf" frère de ma mère engagé dans les Brigades Internationales, devant lui Bronka Zalcmann actrice émigrée en Palestine, à Paris pour l’expo universelle de 37- En troisième place devant avec un béret, ma mère- Au premier rang moi- même âgée de 4 ans-"
L’Humanité, 15 février 1928.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13033, 13090 et 13103. — Arch. Jean Maitron (fiche Batal). — Arch. Dép. Meurthe-et-Moselle, 1 M 273 et 10 M 61. — Archives municipales de Brest ; série 2I-46, surveillance des organisations politiques.(documents communiqués par Jean-Yves Guengant). — Arch. Mun. Quimper, fonds Alain Le Grand, 22 J 210. — Arch. Dép. Seine, DM3, versement 10451/76/1. — Arch. RGASPI, Moscou, 495/270/4310. — Le Bulletin de IVe Entente, 1er août 1927. — L’Émancipation, mai 1929. — Le Cri du peuple, 19 octobre 1935. — Le Travailleur de l’État, 1935. — La Vie socialiste, 14 mai 1932. — Drapeau rouge, 15 juillet-1er août 1937. — Liste noire du PC (1936). — Renseignements fournis par la fille du militant en septembre 2015. — Roger Faligot, Rémi Kauffer, Service B, Fayard, 1985, p. 48, note 1, "Après guerre , il se "suicide" en sautant de la Tour Eiffel". — Notes de Jean-Michel Brabant, Georges-Michel Thomas et E. Kagan. — Notice du DBMOF, tome 43, par Claude Pennetier et Nathalie-Viet-Depaule.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable