VALLOTTON Félix, Edouard [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean-Paul Morel

Né à Lausanne (Suisse), le 28 décembre 1865, mort à Paris, le 29 décembre 1925 ; marié le 10 mai 1899 à Gabrielle Rodrigues-Henriques, née Bernheim (1863-1962) ; naturalisé français le 3 février 1900 ; dessinateur de presse, graveur, peintre, critique d’art et romancier.

Dessin de Félix Vallotton, <em>L’anarchiste</em>
Dessin de Félix Vallotton, L’anarchiste
Jean Maitron, Ravachol et des anarchistes, René Julliard, 1964

Arrivé à Paris en 1882 pour y suivre les cours de l’Académie Julian, il fut initié à la gravure, en même temps qu’à l’anarchisme, par Charles Maurin (1856-1914). Dès ses premières gravures, éditées en 1892, ses sujets ne furent pas anodins : il rendit un hommage personnel au Mur (des fédérés) et s’attaqua à la répression policière - avec La charge (1892), La manifestation (1893), L’exécution (1894). Son recueil Paris intense (Ed. L. Joly, 1894), suivi, en 1896, de l’illustration des Badauderies parisiennes.. Les rassemblements. Physiologies de la rue (collectif d’écrivains, Éd. Henri Floury), sont le reflet de sa collaboration dès lors suivie aux grandes revues satiriques de l’époque : Le Rire, Le Cri de Paris, L’Assiette au beurre (avec le fameux numéro de mars 1902 intitulé « Crimes et châtiments »), Le Canard sauvage. Pour lui, manifestement, la « question sociale », et plus largement la question politique, devait être abordée à partir du plus simple quotidien.

En 1895, en compagnie de Steinlen, Louis Anquetin et Lucien Pissarro, il illustra le récit de la « cavale » de Zo d’Axa, De Mazas à Jérusalem (double édition : Paris, Éd. Chamuel, 1895 ; Bruxelles, Éd. Henry Kistemaeckers, sous le titre Le Grand Trimard, 1895). Pilier de la Revue blanche des frères Natanson, c’est à lui que fut confiée l’illustration de l’ » Enquête sur la Commune » en mars 1897, enquête donc sur les victimes de la Commune, pour laquelle il livra quinze portraits, dont ceux de Louis Rossel, Tranquille Huet, Fortuné Henry, Eugène Varlin. Et c’est avec l’affaire Dreyfus qu’il manifesta plus clairement encore son engagement. Pour Le Cri de Paris, Le Sifflet, La Volonté, il donna, en images, une véritable chronique de l’Affaire, depuis l’appel de Zola en janvier 1898 à l’amnistie du capitaine en octobre 1899, soutenant les dreyfusards, mais ne manquant pas surtout d’épingler les nationalistes et antidreyfusards. Il sera naturellement des artistes qui, sous la houlette d’Octave Mirbeau, rendront hommage au lieutenant-colonel Picquart (Hommage des artistes à Picquart, S.G.D.L., février 1899).

Marié en mai 1899, et bientôt naturalisé français - en février 1900 -, Félix Vallotton, jusque là citoyen suisse, qui, comme Steinlen, risquait à tout moment d’être reconduit aux frontières, put ne plus cacher ses appartenances. Il apporta clairement son soutien à Jean Grave, participant à ses tombolas (au moins en avril 1899), à l’illustration de son choix de textes paru sous le titre Guerre et militarisme en 1902, à son Album de lithographies des Temps nouveaux, sorti en 1903 (avec La débâcle). Il signa également la couverture de la vingt-deuxième des brochures éditées par les Temps nouveaux : L’Élection du maire de la commune par le nouveau conseil municipal, farce électorale (texte de Léonard, 1902) - qui faisait suite à la célèbre Grève des électeurs d’Octave Mirbeau (couverture d’Auguste Roubille).

S’il n’avait pu, comme étranger, signer la liste de soutien au même Jean Grave en 1894 (pour l’affaire de La société mourante et l’anarchie), on trouve maintenant son nom au bas de la pétition en faveur de Laurent Tailhade - dans La Plume, novembre 1901 (pour l’affaire du « Triomphe de la domesticité », contre le tzar Nicolas II) - ; il lui dédicacera aussi un portrait pour l’édition de ses Discours civiques (P. V. Stock, 1902). On le trouve également dans les campagnes lancées, en cartes postales, contre la justice militaire - en 1904, pour la paix - en 1907, et il « s’illustrera » en 1912 en refusant la Légion d’honneur aux côtés de ses anciens camarades nabis Bonnard, Vuillard et Roussel.

Si, pendant un temps, il décida de se concentrer sur sa peinture, la guerre allait l’inciter à reprendre ses crayons. Il participa à la série « La Grande Guerre vue par les artistes » (Berger-Levrault, Nancy & Georges Crès, Paris, 1914-1916), et, avant même d’avoir obtenu une mission sur le front en juin 1917, il publia à compte d’auteur un album de six gravures très édifiantes (C’est la guerre !).

Comme l’a écrit Octave Mirbeau, Félix Vallotton « n’est point un "idéologue", au sens fâcheux que nous donnons à ce mot, et il ne se dessèche pas l’âme dans les théories, lesquelles sont, en général, la revanche des impuissants, des vaniteux et des sots. Comme ceux qui ont beaucoup vu, beaucoup lu, beaucoup réfléchi, il est pessimiste. Mais ce pessimisme n’a rien d’agressif, rien d’arbitrairement négateur. Cet homme juste ne veut pas se leurrer dans le pire, comme d’autres dans le mieux, et il cherche en toutes choses, de bonne foi, la vérité » (Préface au catalogue de son exposition, Galerie Druet, Paris, 10-22 janvier 1910).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article133563, notice VALLOTTON Félix, Edouard [Dictionnaire des anarchistes] par Jean-Paul Morel, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 2 février 2019.

Par Jean-Paul Morel

Dessin de Félix Vallotton, <em>L'anarchiste</em>
Dessin de Félix Vallotton, L’anarchiste
Jean Maitron, Ravachol et des anarchistes, René Julliard, 1964

SOURCES :
Correspondance, fonds Jean Grave, déposée à l’I.F.H.S.
Félix Vallotton, Documents pour une biographie et pour l’histoire d’une œuvre, éd. Gilbert Guisan et Doris Jakubec, Lausanne-Paris, La Bibliothèque des Arts, t. I, Lettres et documents 1884-1899, 1973, t. II Lettres et documents 1900-1914, 1974, t. III Journal 1914-1921, 1975. À noter en sus dans le tome I, un dossier Charles Maurin, p. 277-304.
Maxime Vallotton et Charles Goerg, Félix Vallotton. Catalogue raisonné de l’œuvre gravé et lithographié, Genève, Éd. de Bonvent, 1972
Vallotton dessinateur de presse, par Ashley St-James, Georges Herscher et André Berelowitch, Paris, Chêne, 1979
Félix Vallotton, collectif sous la dir. de Sasha M. Newman [catalogue de la rétrospective Vallotton, New Haven-Houston-Indianapolis-Amsterdam-Lausanne, 1991-1993], Paris, Flammarion, 1992. Contient notamment : « Extérieurs et intérieurs. L’œuvre gravé de Vallotton », par Richard S. Field (p. 43-91), « Vallotton et la Grande Guerre », par Deborah L. Goodman (p.193-211), et la « Correspondance Félix Vallotton-Jean Grave 1899-1905 » (p. 327)
Le très singulier Vallotton, exposition Lyon - Marseille, fév.-sept. 2001, Paris, RMN, 2001. Contient « Vallotton, dessinateur de presse » et liste des œuvres exposées, par Jean-Paul Morel (p. 184-201), et bibliographie.
Jean Grave, Le mouvement libertaire sous la Troisième République, Paris, Georges Crès, 1930 ; rééd. annotée par Mireille Delfau, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris, Flammarion, 1973
Robert L. & Eugenia W. Herbert, « Artists and anarchism : unpublished letters of Pissarro, Signac and others », The Burlington Magazine, n° 692, nov. 1960, p. 473-482 et n° 693, déc. 1960, p. 517-522 ; trad. frçse, « Les artistes et l’anarchisme », Le Mouvement social, n° 36, Paris, Les Éditions ouvrières, juill.-sept. 1961, p. 2-19
Jacques Lethève, La caricature et la presse sous la IIIè République, coll. Kiosque n° 16, Armand Colin, Paris, 1961 ; rééd. partielle (sans les annexes, sans l’Index...), Paris, Armand Colin, 1986.
Aline Dardel, Étude des dessins dans les journaux anarchistes 1895-1914, maîtrise Sorbonne, Paris, 1970 ; Catalogue des illustrations des Temps nouveaux, thèse Paris IV-Sorbonne, 1980 ; Les Temps nouveaux 1895-1914, dossier-exposition du Musée d’Orsay, n° 17, Paris, RMN, 1987
Philippe Dagen, Le silence des peintres. Les artistes face à la Grande guerre, Fayard, Paris, 1996
L’illustration. Essais d’iconographie, éd. Maria Teresa Caracciolo et Ségolène Le Men, [séminaire CNRS 1993-1994], Paris, Klincksieck, 1999. Contient : « Tradition et modernité : Les Rassemblements, un livre de transition » par Luce Abélès, et « Le type dans les Physiologies » par Nathalie Preiss Basset (p. 311-338).
Aspects de la production culturelle au XIXè siècle, sous la dir. de Dominique Kalifa, Revue d’Histoire du XIXè siècle [ex 1848], n° 19, Paris, 2ème sem. 1999. Contient : « Peindre la foule. Un aspect du dessin satirique fin de siècle et ses relations avec la scène artistique », par Emmanuel Pernoud, p. 105-117.
Jean-Paul Morel, « Félix Vallotton, un dessinateur sous la IIIe République », Le Collectionneur français, n° 403, Paris, juill.-août 2001, p.. 3-6.

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