VARENNE Alexandre, Claude

Par Justinien Raymond

Né le 3 octobre 1870 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), mort le 18 février 1947 à Paris ; avocat ; journaliste ; militant et député socialiste pendant une partie de sa vie ; gouverneur général de l’Indochine (1925-1928) ; ministre.

Alexandre et Jean Varenne à Bellerive-sur-Allier en 1923
Alexandre et Jean Varenne à Bellerive-sur-Allier en 1923
Fonds d’archives - Fondation Varenne

Alexandre Varenne naquit dans une famille de petits commerçants d’origine paysanne. Fils de gens modestes mais établis, il était issu du peuple, mais non du prolétariat. Par l’étude, il allait gravir un nouveau palier dans l’échelle sociale. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, il fit ses humanités au lycée Blaise Pascal de Clermont où il eut comme maître Bergson. Bachelier, il s’initia pendant trois ans à la pratique du droit comme clerc d’avoué, puis, après avoir accompli son service militaire, gagna Paris, conquit la licence en droit et s’inscrivit au barreau de sa ville natale.

Dès ces années, Alexandre Varenne se lança dans l’action politique par le journalisme, collabora au Petit Clermontois, puis au Stéphanois. En 1896, il retourna à Paris pour poursuivre sa formation juridique : tout en étant employé de commerce, il prépara une thèse de doctorat qu’il soutint en 1897. Il s’inscrivit alors au barreau de Paris et collabora à la presse de la capitale, à La Revue blanche, à La Volonté pendant quelques semaines en 1898, à L’Action, enfin à La Lanterne dont il fut secrétaire de rédaction au temps d’Aristide Briand* et de René Viviani* et où il revint après sa candidature malheureuse de 1902. Acquis aux idées socialistes, il s’attacha à les répandre dans son département natal. En 1897, il adhéra au groupe socialiste de Clermont alors membre d’une fédération départementale qui, par le canal de la fédération du Centre, était liée au PSR. Il l’en détacha peu à peu, notamment sur la question de la participation ministérielle qu’il lui fit admettre et, en 1900, elle se constitua en fédération autonome. En 1902, il l’entraîna au PSF de Jean Jaurès*, tandis que quelques groupes s’érigeaient en fédération socialiste révolutionnaire adhérant au PS de France. En 1904, Alexandre Varenne entra à l’Humanité, mais, même comme journaliste, il gardait un pied dans le Puy-de-Dôme. Le 2 octobre 1904, il y lança L’Ami du Peuple qui parut jusqu’au 2 août 1914 et, de modéré qu’il était, en fit un hebdomadaire mordant et combatif. Dans le n° 4, il attaqua violemment Doumer, l’accusa d’avoir trahi le radicalisme, de s’être vendu aux partis de droite pour obtenir une haute fonction en Indochine, haute fonction que Varenne devait lui-même occuper plus tard. En 1913, il mena contre la loi des trois ans une campagne si vive qu’elle lui valut une perquisition dans les bureaux du journal.

Sa première candidature aux élections législatives, en 1902, dans la 2e circonscription de Riom, suscita quelques difficultés entre socialistes de tendances rivales : Alexandre Varenne fut néanmoins investi et battu honorablement avec 7 818 voix contre 9 586 à l’élu républicain. Alors, fidèle disciple de Jaurès, son collaborateur à l’Humanité, il s’attacha à la réalisation difficile de l’unité sur le plan local. A un premier congrès de fusion à l’Hôtel de Ville de Clermont, le 2 juillet 1905, il fit repousser par huit mandats contre cinq et trois abstentions une motion rejetant toute alliance électorale, même au second tour : alors quelques groupes notamment restèrent hors de la SFIO. A ce congrès, il fit voter un ordre du jour contre la guerre.

Le 7 janvier 1906, à la mairie de Thiers, Alexandre Varenne présida un second congrès d’unité d’où sortit, définitivement organisée, la fédération départementale adhérant à la SFIO. Il plaça sous son contrôle L’Ami du Peuple. Sans occuper aucune fonction au sein du bureau fédéral, il fut un des animateurs du socialisme auvergnat jusqu’à la guerre. Il parut à tous ses congrès, à Saint-Eloy-la-Glacière (30 septembre 1906) où il rallia ses camarades à l’idée de la représentation proportionnelle, à Brassac-les-Mines (1907), à Clermont (1908) où il fit adopter une motion unitaire, à Clermont encore en 1909 et en 1910, à Aubière (1911) et à Saint-Éloy (15 septembre 1913) où il présida les débats de cinquante délégués de 45 sections réunis à l’Hôtel de Ville édifié par la municipalité socialiste. Il n’appartint pas davantage aux organismes dirigeants sur le plan national, mais se mêla activement à la vie de l’ensemble du parti, siégea à tous ses congrès nationaux à l’exception de celui de Brest (1913). Il se rangeait dans son aile modérée et réformiste. « Nous n’attendons le triomphe de nos idées que de l’évolution des esprits et des choses » (Arch. Ass. Nat.), déclara-t-il à ses électeurs en 1906. Au congrès de Nancy (août 1907), sur la politique internationale, il se prononça dans le même sens que Vaillant et Jaurès pour une politique de paix. Attaché à l’Union des gauches, il n’hésita pas à reconnaître avec la presque unanimité du congrès de Toulouse (octobre 1908) que la délégation des gauches était « bien morte » et qu’il devenait « impossible de tracer nettement la frontière qui, au Parlement, sépare la majorité de gauche de l’opposition de droite » (compte rendu du congrès de Tours, p. 147). Il siégea à la commission des résolutions du congrès de Lyon (février 1912) comme il l’avait fait d’ailleurs à Toulouse.

Alexandre Varenne cueillit rapidement les fruits de l’unité dans le Puy-de-Dôme. En 1906, il enleva le siège de député de la 2e circonscription de Riom par 11 149 voix sur 26 063 inscrits, battant le député sortant Laville. Il était le premier député socialiste du Puy-de-Dôme. Le 7 octobre, il accueillit Jaurès venu à Clermont fêter ce succès. A. Varenne s’imposa au Parlement dès cette première législature, par son travail, par sa compétence en matière de droit électoral et de fiscalité surtout, par « son solide et robuste bon sens auvergnat, tempéré de grâce et de malice montmartroises » (P. Ramadier, J.O., 19 février 1947, p. 356). Il siégea aux commissions des Mines, de la Législation fiscale et du Suffrage universel. Au cours de sa longue carrière parlementaire, il présida à plusieurs reprises cette dernière commission. Au cours de son premier mandat, il fut rapporteur de la proposition de loi établissant la Représentation proportionnelle et qui d’ailleurs n’aboutit pas. Il participa, dans le pays, en faveur de ce mode de scrutin, à la campagne menée par les socialistes, les modérés et quelques radicaux. Le 20 décembre 1909, notamment, il parla en un grand meeting au manège du Panthéon avec Louis Marin, Th. Steeg et Marcel Sembat*, sous la présidence de Ferdinand Buisson*.

Alexandre Varenne, qui avait déjà en 1907 échoué au conseil général avec 999 voix dans le canton de Pontaumur, perdit, en 1910, son siège de député. Plus favorisé qu’en 1906 au premier tour, il dut s’incliner au scrutin de ballottage devant le candidat radical avec 8 182 voix contre 9 875. Il reprit sa profession d’avocat, son action de militant et de journaliste. Mais cet échec créa dans la fédération un malaise qu’aggrava en 1912 le problème des relations entre socialisme et franc-maçonnerie. A cette dernière Varenne adhérait depuis 1906. Certains socialistes combattaient cette double appartenance. En un congrès fédéral, il réussit à la faire admettre par 57 mandats contre 9 et 5 abstentions. Ces démêlés locaux ont pu l’inciter à chercher ailleurs une circonscription plus accommodante. En mars 1911, il accepta une candidature dans l’arr. de Saint-Claude (Jura) au siège vacant par la mort d’Ernest Tarbouriech*. Vigoureusement appuyé par Jaurès venu assurer trois réunions publiques, il échoua cependant, au scrutin de ballottage avec 3 118 voix sur 15 408 inscrits contre 4 611 à Aimé Berthod, radical socialiste, élu, et 4 233 à Droz, conservateur.

A la veille de la Grande Guerre, Alexandre Varenne anima contre la loi des trois ans la campagne de sa fédération qui était en plein essor. Il reprit en 1914 la 2e circonscription de Riom en obtenant 7 262 voix au premier tour sur 25 208 inscrits, alors que son vainqueur de 1910 tombait à 1 847, et en triomphant au ballottage par 10 332 voix contre 8 550. Il appartint aux mêmes commissions qu’en 1906, sauf qu’il abandonna celle des Mines pour la commission du Budget. A la commission de Législation fiscale, il dirigea les débats suscités par le projet Caillaux d’impôt sur le revenu. Pendant toute la durée de la guerre, avec la majorité d’abord, puis dans la minorité à partir de 1918, il soutint la défense nationale, défendit la participation ministérielle. Il collabora à L’Action socialiste, organe de la majorité lancé le 27 septembre 1916. Il fut des quarante élus qui protestèrent contre l’adhésion à la conférence de Stockholm donnée le 27 mai 1917 par le Conseil national du Parti socialiste et il collabora à La France libre, quotidien lancé le 2 juillet 1918 pour combattre l’influence des fractions minoritaires. Toutefois, en 1917, il ne transgressa pas le veto du Parti socialiste et refusa le portefeuille de l’Instruction publique dans le cabinet Painlevé. S’il salua avec satisfaction la révolution russe de mars 1917, il se détourna vite de celle d’octobre. Il rapporta, durant plusieurs exercices, le budget des Travaux publics. En fin de législature, il fut un des pères de la loi électorale appliquée en 1919 et en 1924, loi qui n’avait guère de commun que le nom avec celle qu’il préconisait jadis aux côtés de Jaurès et de Charles Benoist.

En 1919, la fédération du Puy-de-Dôme le mit en tête de ses sept candidats : il réunit 34 721 voix sur 111 873 votants, la moyenne de sa liste atteignant 32 409, et Alexandre Varenne fut élu avec son second, le Dr Joseph Claussat*. Il enleva aussi, après une rude bataille, le siège de conseiller général dans le canton Sud-Ouest de Clermont. Ces succès étaient dus pour une large part au quotidien La Montagne qu’il lança à Clermont en 1919.

Sa réélection en 1924, sur la liste du Cartel des Gauches, marqua un tournant dans sa vie politique. Il fut d’abord élu vice-président de la Chambre des Députés et réélu en 1925. Le gouvernement du Cartel songea à en faire l’ambassadeur de France auprès du gouvernement des Soviets qu’il venait de reconnaître. Le 28 juillet 1925, le gouvernement Painlevé le nomma Gouverneur général de l’Indochine. Alexandre Varenne affirma vouloir répandre l’instruction, promouvoir des droits politiques, décentraliser, pratiquer une politique sociale. Il amorça une réforme fiscale, réglementa le régime des concessions, créa des Écoles normales, ouvrit aux autochtones quelques emplois de gestion dans l’administration financière, créa des assemblées locales françaises et d’autres indigènes et fixa en nombre égal d’Indochinois et de Français la composition du conseil de gouvernement. Ces réalisations ne parurent pas justifier la participation d’un des siens à la politique coloniale, pour la SFIO, revenue à l’opposition après la dislocation du Cartel des Gauches. Alexandre Varenne refusa de quitter son poste et se sépara du Parti socialiste.

En 1928, il fut élu comme socialiste indépendant, et sans concurrent de la SFIO, au second tour par 9 935 voix contre 7 446 au candidat modéré. Il se réclama du « socialisme réaliste et constructeur qui a été, disait-il, la doctrine de toute ma vie [...]. J’ai toujours été ennemi de la violence, ajoutait-il [...]. Le temps est révolu des équipées romantiques de quelques généreux utopistes. La vie sociale de notre époque est devenue trop complexe pour se prêter aux bouleversements d’une révolution économique soudaine et totale » (Arch. Ass. Nat.). Réélu, inscrit au groupe des Indépendants de gauche, Alexandre Varenne continua à exercer sa mission en Indochine jusqu’en 1930. En 1931, il demanda et obtint sa réintégration dans le Parti socialiste, sous le drapeau duquel il fut réélu député en 1932, au premier tour, par 9 938 suffrages contre 4 482, sur 21 687 nscrits. Le 8 janvier 1933, la fédération du Puy-de-Dôme le présenta au siège sénatorial rendu vacant par la mort du socialiste Dartayre : il recueillit 369 voix contre 659 au candidat radical-socialiste élu au premier tour. En fin d’année, A. Varenne quitta à nouveau la SFIO pour suivre la dissidence « néo-socialiste » animée par Marcel Déat*. Aux élections de 1936, bien que placé en tête au premier tour par 5 674 électeurs, il fut battu au scrutin de ballottage, avec 8 352 suffrages, par le candidat du parti agraire Ratelade qui en obtint 8 369, 17 de plus. L’élection de ce dernier ayant été invalidée, Alexandre Varenne ne se représenta pas. Il se consacra à la direction de son journal La Montagne.

Il le saborda pendant la première occupation allemande de 1940, le fit reparaître quand la ligne de démarcation le mit en zone non occupée. A. Varenne fit de son journal un des bastions de la résistance, lutta contre le gouvernement de Vichy, reçut maints avertissements, vit plusieurs fois suspendre son organe qui cessa de paraître en août 1943. Il défendit Jean Zay et imprima des pièces nécessaires à la défense de Léon Blum*.

La Libération venue, Alexandre devint maire de Saint-Éloy-les-Mines, retrouva son siège de conseiller général de Clermont-sud-ouest, siégea aux deux Constituantes, apparenté au groupe radical en 1945, inscrit comme socialiste indépendant en 1946. Cette année-là, il fut ministre d’État dans le cabinet Bidault, du 24 juin au 28 novembre. La constitution votée, il demeura député jusqu’à sa mort avant laquelle il participa à l’organisation du Rassemblement des Gauches républicaines.
Il existe une Fondation Varenne à Clermont-Ferrand.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article133748, notice VARENNE Alexandre, Claude par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 18 avril 2020.

Par Justinien Raymond

Alexandre et Jean Varenne à Bellerive-sur-Allier en 1923
Alexandre et Jean Varenne à Bellerive-sur-Allier en 1923
Fonds d’archives - Fondation Varenne
Alexandre Varenne et sa femme en 1904.

ŒUVRE : Journaux : En plus des journaux cités dans la biographie, A. Varenne dirigea à Paris, où il était imprimé, 25, rue Royale, le quotidien La Politique qui parut du 20 février au 31 octobre 1919 et dont Pierre Bertrand était le rédacteur en chef.
Écrits divers ou publications : Étude critique sur le droit de cession des offices ministériels, thèse pour le doctorat présentée le 30 octobre 1897, Paris, 1897, in-8° (Bibl. Nat. 8° F. 9 921). — Discours prononcé devant le conseil de gouvernement de l’Indochine. Session ordinaire de 1925, Hanoï, 1926, in-8°, 54 p. Ibid., 1927, in-8°, 88 p. — Préface à Le scrutin d’arrondissement et la politique, Paris, 1926, in-16, 169 p, (Bibl. Nat. 8° R. 34 436). — La Représentation proportionnelle, Paris, 1910. Nous n’avons pu retrouver trace de cette brochure signalée par l’Humanité du 9 avril 1910.

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Collection de l’Humanité (1904-1914). — Hubert Rouger, La France socialiste, Tome I de l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière publiée sous la direction de Compère-Morel,, Paris, Quillet, 1912, p. 164. — Hubert Rouger, Les Fédérations socialistes, Tomes II, p. 454 à 475, passim., III p. 274 à 595, passim, de l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière publiée sous la direction de Compère-Morel, Paris, 1913 et 1921. — Rapports et comptes rendus des congrès socialistes. — H. Bourgin, Le Parti contre la patrie, histoire d’une sécession politique (1915-1917), Plon, 1924. — G. Rousseau, "Alexandre Varenne, un des porte-parole de la droite de la SFIO avant 1914", Bulletin de la société d’études jaurésiennes, n° 91, octobre-décembre 1983. — J. Levitsky, Alexandre Varenne, MM, Clermont-Ferrand, 1991. — Jean-Étienne Dubois, Les députés du Puy-de-Dôme de 1919 à 1942, mémoire de maîtrise sous la direction de Mathias Bernard, Université Blaise Pascal, 2004. — Patrice Morlat, Le proconsulat socialiste d’Alexandre Varenne 1925-1928 : les aléas du réformisme colonial, Les Indes savantes, 2018, 1 vol, 540 p. — Des papiers (des lettres, des manuscrits et tapuscrits inédits ainsi que de nombreuses photographies d’époque) sont conservés par la Fondation Varenne à Clermont-Ferrand : responsable Luc Boëls. — L’Ami du Peuple, 2 août 1914.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 164.

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