VÉRECQUE Charles, Gabriel

Par Justinien Raymond

Né le 30 mars 1872 à Abbeville (Somme), mort à Amiens (Somme) le 11 novembre 1933 ; employé ; journaliste et militant socialiste.

Charles Vérecque était le fils d’un voyageur de commerce qui, enfant, fut l’élève de l’instituteur Verdure, futur élu du XIe arr. à la Commune de Paris, et mort au bagne de la Nouvelle-Calédonie en 1873. Ses ascendants paternels avaient entretenu des relations d’amitié avec la famille de Robespierre : toute la lignée en avait cultivé le souvenir. Sa mère était fille d’un exploitant de tourbière aux environs d’Abbeville. Ses parents voulaient faire du jeune Charles un dessinateur, et il commença son apprentissage à Calais. Mais son père mourut prématurément laissant un foyer dans la misère, une veuve sans profession, trois enfants, Charles, son frère et sa soeur.

Il lui fallut gagner son pain et aider les siens. Il travailla à l’imprimerie du Progrès de la Somme, y connut Lecointe — qui, après avoir été élu de la SFIO, sera dans l’entre-deux guerres député socialiste indépendant de la Somme — et il eut pour camarade de travail un ardent coopérateur, Georges Garbado. Aux dures leçons de la vie, à l’exemple des hommes il ajouta les préceptes des livres. Esprit curieux, il lut Hugo, Voltaire et Diderot. Il lut les poètes. Il avait une prédilection pour Musset. Poète lui-même, il rima toute sa vie. Il aiguisait ainsi la plume qu’il allait mettre au service de ses idées. Il fut conquis au socialisme par l’influence de son entourage et la lecture de vieux journaux socialistes et de brochures de propagande : ce fut son école élémentaire ; sa propre vie illustrait les doctrines qu’elle lui enseignait. Il entra en 1890 dans un groupe des socialistes picards, adhérant au POF, et en fut le secrétaire. Cet adolescent au corps frêle, à la santé délicate, commençait une vie d’activité débordante. Il milita au syndicat des ouvriers typographes. Après avoir entretenu une correspondance avec le coopérateur belge Anseele, il participa à la création de la coopérative « l’Union » d’Amiens, Il n’avait pas vingt ans quand il assista, à plusieurs reprises, les orateurs du PO en tournée dans la Somme : Guesde, Lafargue, Chauvin, Paule Mink. Il collabora en 1890-1891 au Peuple picard d’Amiens, en 1892 au Réveil de la Somme, et, en 1893, soutint dans Le Mémorial d’Amiens une controverse sur le collectivisme et une discussion publique avec l’abbé Naudet sur l’Église et le socialisme, mais il révéla surtout son talent de vulgarisateur et de polémiste dans Le Travailleur picard dont il fut le premier rédacteur en chef.

À ce titre, il défraya la chronique en 1893. Une grève avait éclaté dans la cordonnerie d’Amiens. Elle se prolongea, entraîna d’autres corporations, provoqua des remous dans l’opinion et attira d’imposantes forces de l’ordre. Le 28 avril, dans le quartier Saint-Leu, se déroula une manifestation animée par Besset, délégué de la Bourse du Travail de Paris. Arrêté le lendemain, ce dernier fut, le 9 mai, pour outrages à la gendarmerie, condamné en correctionnelle à trois mois de prison et déchu de ses droits civiques, malgré une éloquente plaidoirie de Viviani. Ch. Vérecque clama sa colère dans Le Travailleur picard du 13 mai. « On devrait, écrivit-il, coller la plaidoirie de Me Viviani dans le dos du procureur de la République et de ses amis toqués, pour la dégradante besogne qu’ils ont faite ». Ce procureur, Grenier, avait été le condisciple du père de Vérecque ; le fils, inculpé d’outrages à un magistrat, fut condamné à un mois de prison, à une réparation par écrit, le temps de son emprisonnement ne courant que du jour où cette réparation aurait eu lieu.

Il lui fallait se renier ou encourir la prison perpétuelle, par l’application de l’article 226 du code qui ressuscitait en quelque manière l’amende honorable. L’affaire fit grand bruit, au Parlement et dans la presse. « Et c’est pour cet incident, écrivit J. Guesde, qu’un jeune homme, presque un enfant — Vérecque a à peine vingt et un ans — a été frappé. Ajoutons pour compléter la morale de la chose que Vérecque est malade, que la prison, pour lui, c’est la mort. Et crions : À l’assassin ! » (Le Socialiste, 24 juin 1893). Vérecque, en effet, refusait de faire amende honorable, même sur les instances de ses amis socialistes d’Amiens. Il s’inclina sur une lettre pressante de Jules Guesde. Le groupe socialiste amiénois organisa un cérémonial qui se déroula le mercredi 21 juin 1893 à 14 heures sur le parvis de la cathédrale. Devant quelques centaines de personnes, Ch. Vérecque parut, la chemise par-dessus le pantalon, pieds nus, un cierge à la main, dans l’autre, le texte d’une adresse au Procureur qu’il lut à haute voix. Il nia avoir porté sur la voie publique, comme on l’en accusait, les menaces écrites dans Le Travailleur picard. Il déclara que le PO avait décidé lui-même d’exécuter jusqu’au bout la sentence prononcée au nom d’un droit moyenâgeux. En conséquence, conclut-il, « je m’incline donc et je déclare [...] que j’ai eu tort de confondre, une seule minute, le dos d’un magistrat avec une de ces murailles sur lesquelles nous aurons, dans quelques mois, l’honneur de coller le programme victorieux du socialisme » (Eugène Aubey, op. cit., p. 165).

Ch. Vérecque purgea alors sa peine à la prison de Bicêtre — aujourd’hui détruite — à Amiens. Il y retrouva Besset. Après les élections de septembre 1893 et une interpellation de Millerand, une proposition de loi fut déposée par le groupe socialiste aux fins d’abrogation de l’article 226, qui fut rayé du code pénal français le 1er janvier 1895. Au sortir de prison, Vérecque eut la vie difficile à Amiens. Soutenu par la jeune militante orpheline Marguerite Dupuis, qu’il avait épousée, il se rendit dans le Nord, auprès de Guesde, au service du PO, de sa propagande, de ses journaux. De 1896 à 1906, il fut employé à la bibliothèque communale de Lille. Après un bref retour à Amiens (décembre 1894-avril 1895), il resta dans le Nord jusqu’à la grande Guerre. Il fut délégué aux congrès du POF de 1900 et de 1901, à celui du PS de F. en 1904, aux congrès des salles Japy (1899) et Wagram (1900) et aux congrès nationaux de la SFIO à Toulouse (1908), à Saint-Étienne (1909), à Nîmes (1910) et à Saint-Quentin (1911). Il fut secrétaire de la section socialiste de Lille, membre du comité fédéral du Nord et candidat aux élections municipales de La Madeleine (1900) ainsi qu’aux élections législatives à Soissons (Aisne) en 1902. En 1906, il remplaça Ghesquière, élu député, comme rédacteur en chef du Travailleur. L’invasion de 1914 le chassa. Réfugié à Montluçon, il trouva asile et gagne-pain auprès de Paul Constans, qui en fit son archiviste à la mairie.

La paix ramena définitivement Vérecque à Amiens où il vécut employé de bureau aux hospices de la Ville. Sa santé compromise ralentit son activité, à peu près bornée sur le plan politique à une collaboration au Cri du Peuple, organe de la fédération socialiste SFIO de la Somme après la scission. Par contre, ce fut l’époque où il écrivit le plus grand nombre de ses poésies inédites. Après sa mort, sa femme continua son action.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article133957, notice VÉRECQUE Charles, Gabriel par Justinien Raymond, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 21 septembre 2021.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Journaux : Le Peuple Picard (1891-1892). — Le Réveil de la Somme (1892-1893). — Le Travailleur Picard (1893-1895). — Le Réveil du Nord : Il y écrivit de 1895 à 1896. — Bulletin mensuel des élus socialistes créé par décision du XVIe congrès national du POF à Epernay (1898). Organe de liaison des élus du PO, il parut de décembre 1899 à octobre 1902 en 35 numéros. Jusqu’au n° 22e inclus, son titre fut Bulletin mensuel de la Fédération nationale des élus du POF Ch. Vérecque en fut le principal rédacteur. — Le Chambard. — Le Socialiste, organe du POF, puis de la SFIO. — Socialisme, revue doctrinale du guesdisme. — Le Travailleur, organe de la fédération socialiste du Nord. Ch. Vérecque y entra en 1906. — L’Humanité : quelques articles dans les années qui précèdent la guerre, L’Humanité étant passée sous le contrôle du Parti socialiste. — Le Cri du Peuple.
Brochures et ouvrages (cotes de la Bibl. Nat.) : Trois années de participation socialiste à un gouvernement bourgeois, Paris, 1904, in-8°, 38 p. (Lb 57/ 13 717). — La Conquête socialiste du pouvoir politique, Paris, 1909, in-28, 256 p. (8° Lb 57/ 14 578). — Dictionnaire du Socialisme, Paris, 1911, in-18, 503 p. (8° R.24 811). — Histoire de la famille, des temps sauvages à nos jours, Paris, 1914, in-18, 283 p. (8° R. 27 742).
N.B. : Outre ses poésies inédites, Ch. Vérecque, sur les instances de la Société des Amis de Jules Guesde, achevait, à sa mort, une biographie de son maître. Elle est restée manuscrite et a été utilisée par Compère-Morel dans son Jules Guesde, le socialisme fait homme.

SOURCES : Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes II, op. cit., p. 623-624. — Compère-Morel, Grand Dictionnaire socialiste, op. cit., p. 1003. — Léon Osmin, Figures de jadis, p. 163 à 175 (témoignage d’un compagnon et d’un ami). — Eugène Aubey, « Charles Vérecque et l’amende honorable » in Almanach populaire, Paris, 1939, pp. 163-165. — Charles Vérecque, Dictionnaire du Socialisme, op. cit., 1911. — Cl. Willard, Les Guesdistes, op. cit., pp. 648-649.

Version imprimable