Par Jacques Girault
Né le 12 décembre 1883 à Gonfaron (Var), mort le 19 septembre 1960 à Toulon (Var) ; ouvrier à l’Arsenal maritime de Toulon ; militant syndical ; militant communiste du Var.
Fils d’un employé à l’Arsenal maritime, Paul Viort fut admis comme ouvrier auxiliaire artificier à l’Arsenal maritime (direction de l’Artillerie navale) et affecté à la Pyrotechnie, le 16 septembre 1909. Il fut employé au groupe de la chaudronnerie comme secrétaire d’atelier, puis au magasin de munitions de Lagoubran. Après avoir réussi les essais d’ouvrier autographiste en décembre 1910, il passa ouvrier aux écritures au bureau du personnel de la Pyrotechnie, le 16 septembre 1919. Selon la photographie remise en 1909, il était assez fort et portait de petites moustaches.
Paul Viort se maria en janvier 1910 à Toulon. Le couple eut une fille.
Affilié au groupe anarchiste "La Jeunesse libre", en avril 1912, Paul Viort appartenait au groupe qualifié des "insurrectionnels" par la police, partageant les idées de Gustave Hervé et, en avril 1914, au Parti antiparlementaire, préconisant l’abstention lors des réunions électorales socialistes de Toulon. De tempérament frondeur, il fut cassé de son grade de caporal et changé de corps lors de son service militaire.
Inscrit au carnet B en 1914, mobilisé sur place comme ouvrier administratif à la Pyrotechnie, Paul Viort faillit être envoyé au front en raison de propos jugés subversifs. "Simple adhérent du syndicat" comme il le déclara en 1925, en mai 1920, il cessa la grève le troisième jour ce que ne manquèrent pas de lui reprocher, plus tard, Toussaint Flandrin et les autres militants révoqués pour avoir poursuivi le mouvement. Il subit 24 jours de retenue de salaire pour son absence du 6 au 8 mai. Comme d’autres membres des Jeunesses libres, il adhéra au Parti socialiste SFIC, devenu très vite Parti communiste dans le courant de 1921.
Paul Viort devint membre du conseil d’administration de la section communiste de Toulon, le 27 avril 1922. Secrétaire de la section peu après, membre de la commission de vérification des mandats au congrès fédéral du 24 septembre 1922, il y fut élu secrétaire-adjoint de la fédération communiste et nommé secrétaire de rédaction de l’hebdomadaire Le Var ouvrier et paysan. Parallèlement, il milita jusqu’en 1923 dans la section toulonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme où les socialistes n’étaient pas majoritaires contrairement au reste du département. Élu secrétaire fédéral, le 14 janvier 1923, au congrès communiste de Brignoles, il participa dès lors à toutes les activités de propagande et d’organisation prenant parfois des congés sans solde comme en avril 1923. Il subit huit jours de retenue de salaire en août 1923 pour le motif : "s’occupait à copier des articles de journaux pendant les heures de travail".
Dans la phase de préparation des élections législatives de 1924, Paul Viort polémiqua avec les socialistes, "Rouges du Var", qui s’efforçaient de reconquérir les sièges perdus en 1919, réclamant le "Bloc ouvrier révolutionnaire" (l’Humanité, édition de Nîmes, 16 mai 1923). Délégué au congrès national du Parti communiste de Lyon, il ne put s’y rendre faute d’avoir obtenu les permissions nécessaires. On lui reprocha cette "dérobade" par la suite d’autant plus qu’elle s’accompagnait d’un travail, lors du Premier mai, refus de chômage explicable par les sanctions prises contre lui l’année précédente.
Le 30 janvier 1923, Paul Viort devint membre du conseil d’administration du syndicat CGTU des travailleurs de la Marine et fut nommé rapporteur général. Le 30 août 1923, il succéda à André Robert au secrétariat du syndicat. Candidat aux élections de la commission locale des salaires comme ouvrier ex-auxiliaire, il fut élu suppléant, le 12 janvier 1924, avec 1 257 voix sur 5 889 inscrits. Le secrétariat du syndicat avait été occupé par des ouvriers révoqués en mai 1920. Sa nomination lui valut quelques rancunes. D’autre part, il devint membre de la commission exécutive de l’Union départementale CGTU, le 25 décembre 1923. Des heurts fréquents l’opposèrent à Flandrin et Paul Nicolini. Par exemple, il s’opposa à la création d’un comité d’usine à l’Arsenal que ce dernier proposa en mars 1924. Membre du Conseil d’administration de la Bourse du Travail, en avril 1924, il présida, le 19 juillet 1924, la coopérative des ouvriers de l’Arsenal.
Le 9 février 1924, la section communiste de Toulon proposa sa candidature pour les élections législatives, choix qui fut ratifié dans un premier temps par le congrès fédéral. Gabriel Péri, délégué par le Comité directeur dans le Var, ayant fait remarquer que l’organisation communiste risquait de souffrir de cette candidature et le syndicat des travailleurs de la Marine lui ayant demandé de renoncer au secrétariat, Viort décida de ne pas se présenter dès le 3 mars 1924. Président du comité électoral du Bloc ouvrier et paysan pour le département, son attitude suscita plus tard des critiques. On l’accusa même d’avoir noué des contacts avec Victor Brémond, candidat et futur député "rouge" de Toulon.
Paul Viort dirigea la réorganisation du Parti communiste dans le Var. En novembre 1924, on le donnait comme secrétaire de la cellule 12 de Toulon, celle des "entreprises interindustrielles". Réélu secrétaire fédéral au congrès de Carnoules, le 21 décembre 1924, il devint secrétaire du nouveau rayon de Toulon, le 24 juin 1925.
Toutefois, Viort se heurtait à de nombreux militants. Ainsi, en novembre 1924, pendant la réorganisation du Parti, les notices individuelles des militants disparurent. Nicolini l’accusa de les avoir fait disparaître. Il contre-attaqua ; c’était, selon lui, Nicolini qui les avait dérobées pour jeter la suspicion. Sans cesse, des tels échanges se répétaient. Ainsi, en avril 1925, il subit deux jours de retenue de salaire pour "altercations en dehors des heures de travail à l’intérieur de la Pyrotechnie avec un autre ouvrier". Le Bureau politique, le 24 février 1925, décida de limiter son activité "au travail courant du Parti". Cette décision reçut-elle une application ? En juin 1925, Victor Arrighi, puis Roger Duisabou, furent envoyés dans le Var. Leurs deux rapports concluaient à la nécessité d’une réorganisation. Le conflit Viort-Flandrin était en fait un conflit sur le rôle des syndicalistes dans le Parti. A la suite de la conférence du rayon du Var, le 23 juin 1925, il fut confirmé comme secrétaire du rayon et membre du bureau régional. Un nouveau comité de rayon fut désigné. Or, selon Duisabou, Viort continuait de réunir ses amis de l’ancien comité de rayon, se contentant dans les réunions du nouveau, d’exposés qualifiés de "long fatras détruisant tout ce qui avait été décidé". Arrighi, à la fin du mois, semblait plus optimiste.
Aux élections municipales de Toulon, le 3 mai 1925, avec la mention "délégué fédéral", Paul Viort obtint le meilleur résultat des candidats de la liste communiste (780 voix sur 21 841 inscrits). Candidat communiste aux élections pour le Conseil général dans le canton de Besse, région d’où il était originaire, il réunit, le 19 juillet 1925, 247 suffrages sur 1 712 inscrits. Son retrait permit l’élection du maire socialiste SFIO de Pignans Henri Mouttet. Lors de l’élection complémentaire pour le Conseil général dans le canton de Fréjus, sa candidature fut annoncée. Aucun bulletin ne fut distribué.
Lors de la lutte contre la guerre du Maroc, Paul Viort participa à de nombreuses réunions dans la région et fut délégué au congrès ouvrier et paysan de Marseille, le 23 août 1925. Il s’opposa alors à Flandrin, secrétaire de l’Union départementale CGTU, hostile, comme la majorité des syndiqués, à la grève générale de 24 heures lancée par la CGTU, le 12 octobre. Quelques jours auparavant, le syndicat des travailleurs de la Marine repoussa la grève soutenue par Viort.
Paul Viort continuait à être l’objet de critiques diverses. Sur le plan du Parti communiste, il fut blâmé, le 27 septembre 1925, "pour négligence dans le recrutement d’adhérents et retard dans le recouvrement des cotisations." En novembre 1925, pour surmonter les conséquences de la division syndicale, il projeta d’organiser à la Pyrotechnie un comité d’action pour le relèvement des salaires en dehors des syndicats et fit publier, dans la presse, sous des noms d’emprunt, des articles critiques à l’égard des dirigeants des deux syndicats (CGT et CGTU). Le 23 novembre 1925, il démissionna pour des "raisons personnelles" du conseil d’administration du syndicat des travailleurs de la Marine. Sa démission fut-elle refusée ? Fut-il réélu ? Dans l’année suivante, il continua de figurer par les membres du CA avec le titre de secrétaire.
Aussi bien dans la CGTU que dans le Parti communiste, Paul Viort fut une cible constante. Ici, Toussaint Orsini, secrétaire-adjoint de l’Union départementale CGTU, prononça un réquisitoire et provoqua la formation d’une commission d’enquêtes qui proposa son expulsion du syndicat. Là, Flandrin multiplia les attaques, revenant sur le passé du secrétaire du rayon, l’accusant d’avoir détourné de l’argent et d’avoir introduit une indicatrice de police dans le Parti. Viort ne resta pas silencieux et, pendant une année, la vie des organisations fut en partie paralysée par de telles querelles qui ne furent pas uniquement verbales. Ainsi, par exemple, dans une réunion antifasciste, à Toulon, le 21 février 1926, organisée par la Parti socialiste SFIO et la CGT entre autres, il essaya de prendre la parole. Les communistes le lui reprochèrent puisqu’il n’était plus mandaté. En effet, la conférence de rayon de Carnoules (le siège du rayon venait d’être transféré à Carnoules depuis quelques années pour l’éloigner du creuset toulonnais) lui retira toute responsabilité, le 29 novembre 1925.
Paul Viort veillait à conserver son influence syndicale et s’appuyait sur un groupe de fidèles. Ainsi, sans l’aide du syndicat, ils décidèrent, en février 1926, de ne pas toucher leur paye, le jour de l’échéance, pour réclamer une augmentation des salaires. Le 19 février, il harangua dans ce but les ouvriers à la Porte Castigneau. Le 23 février, dans une réunion syndicale, il préconisa une grève des bras croisés. Le Préfet maritime demanda alors son congédiement pour "provocation du personnel ouvrier à des actes susceptibles de porter atteinte à l’ordre et à la discipline à l’intérieur de l’Arsenal". Le Ministre refusa la sanction réclamée mais souhaita une surveillance accrue. Selon la police, un blâme lui fut attribué. Aucune trace n’en subsista dans son dossier. Il s’en suivit une campagne de presse animée par la droite et par certains syndicalistes qui lui reprochaient de n’avoir pas fait grève en mai 1920, d’être un "provocateur à la solde de l’administration".
Paul Viort, avec son "groupe", s’efforçait ainsi de peser sur la vie syndicale en s’opposant aux autres membres influents et notamment Flandrin qui venait d’être à nouveau révoqué de l’Arsenal. La réorganisation de la CGTU sur le plan régional et la création de la neuvième Union régionale CGTU permit d’éliminer Viort des instances dirigeantes. Le 25 avril 1926, au congrès de Saint-Raphaël, en présence de Julien Racamond, aucun toulonnais ne fut élu aux postes de direction de la nouvelle Union régionale CGTU dont le siège fut fixé à Nice. Dans une lettre au comité central, le 17 avril 1926, Viort protesta contre la décision de son exclusion décidée par le bureau de la région communiste et contre les calomnies qui le visaient. Il admettait que la « liaison organique entre le parti et le syndicat » mais dénonçait la « manœuvre stratégique […] en vue de décapiter l’organisation syndicale dont il était responsable ». Le comité régional élargi du Parti communiste, le 18 juillet 1926, se prononça pour l’exclusion définitive de Viort, décision que ratifia la commission centrale de contrôle politique, le 9 septembre 1926.
Privé de toute responsabilité politique, Paul Viort créa un cercle marxiste au début de l’été 1926. La ratification de sa demande d’exclusion tendait à accroître l’indécision des communistes toulonnais. Il écrivait régulièrement dans la presse locale. Il était attaqué par d’autres militants qui lui reprochèrent entre autres de n’avoir pas organisé de réception des journalistes de l’Humanité lors du passage du Tour de France. Le congrès régional de Beaucaire, le 7 août 1926, prononça son exclusion pour un an ainsi que celle de Flandrin. Cette sanction ne donna pas satisfaction aux adversaires de Viort. Finalement, le comité central du Parti communiste accepta, le 20 octobre 1926, la proposition de la commission centrale des conflits pour son exclusion définitive.
En octobre 1926, Paul Viort, candidat à la commission locale des salaires de l’Arsenal, fut battu par Laurent Roubaud, candidat officiel du syndicat CGTU. Il abandonna alors définitivement le secrétariat du syndicat. Son cercle, dit "cercle Karl Marx", destiné à vulgariser la politique du Parti communiste, disparut très vite. La presse locale cessa de lui ouvrir ses colonnes. Viort fit moins parler de lui. Pourtant, il posait la question de sa réadhésion et désirait que la dizaine de membres du cercle soient réadmis collectivement. Le 14 juin 1927, une réunion élargie des communistes les accueillit et refusa toute réadhésion en bloc ; Viort, au nom de ses camarades, récusa toute demande individuelle. Il continua à prendre la parole dans des réunions contradictoires à la veille des élections cantonales et législatives. On le vit affronter Pierre Renaudel à Ollioules en avril 1927, Jacques Toesca dans le quartier de Saint-Jean-du-Var en mai 1927 où il s’exprima au nom des "sympathisants communistes", selon ses termes. Il annonça sa candidature aux élections cantonales mais, au cours d’une réunion publique, se désista pour le candidat communiste. Le 9 janvier 1928, les membres du comité du rayon communiste de Toulon envisagèrent sa réintégration, sous réserves toutefois qu’il ne s’exprime pas publiquement au nom du Parti communiste. Une nouvelle fois, l’unanimité des délégués à la conférence du rayon, le 2 juin 1929, refusa sa demande de réintégration. Il semble ne pas l’avoir renouvelée.
La police s’inquiétait de ses liens supposés avec les marins communistes qui fréquentaient le bar Beauséjour, avenue de Valbourdin, tenu par son épouse. Ces faits reviennent souvent dans de nombreux témoignages qui tous concordent, Viort en fut jamais considéré par la suite comme un adversaire du Parti communiste. Selon certains témoignages de socialistes, il aurait vendu des médailles et des objets de piété lors des pèlerinages traditionnels à Notre-Dame-du-Mai. Pressenti par Louis Sellier en 1930 pour une adhésion au Parti ouvrier et paysan, il refusa vraisemblablement.
Paul Viort continua à travailler comme ouvrier aux écritures et passa à la section du matériel de l’atelier de dessin de la Pyrotechnie, le 1er avril 1936. Titularisé en janvier 1937, il devint chef d’équipe temporaire, le 1er février 1938, puis chef d’équipe permanent, le 16 décembre 1938. Il partit à la retraite le 12 décembre 1943 et vécut alors à Gonfaron, commune où il avait passé sa jeunesse.
Paul Viort fut un des fondateurs du Parti communiste dans le Var. Issu de l’anarchisme, son passage au poste de responsabilité la plus importante dans la région toulonnaise correspondit à une crise interne du Parti communiste au moment même où celui-ci amorçait sa réorganisation. Cet épisode causa un profond malaise qui marqua durablement le développement du communisme dans le Sud du département.
Par Jacques Girault
SOURCES : Arch. Nat. F 1CIII 1133, F7/12948, 13021, 13096, 13097, 13107, 13118, 13163. — Arch. Dép. Var, 2 M 3 46 1, 5 265, 269, 7 30 3, 4 M 45, 56 7, 59 4 21, 3 Z 2 5, 9, 10, 4 21, 23, 28, 29. — Arch. IIIe Région maritime, 2 A 2 55, 4 21, 28, registre des matricules 5011, dossier individuel. — BMP, Mfm n° 95, 122, 145, 186. — RGASPI, 495 270 7508. — Presse locale et nationale. — Sources orales. — Note A. Olivesi.