WEIL Simone

Par Géraldi Leroy

Née le 3 février 1909 à Paris, morte le 24 août 1943 à Ashford (Grande-Bretagne) ; professeure agrégée de philosophie ; militante de la Fédération unitaire de l’Enseignement et du Cercle communiste démocratique ; pacifiste.

« Depuis l’enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale » : ce passage d’une lettre (1938) à Georges Bernanos atteste l’éveil très précoce de Simone Weil, fille d’un médecin, aux questions politiques et sociales. Cet intérêt devait la conduire, après l’École normale supérieure (1928-1931) et l’agrégation de philosophie, à occuper des postes dans des villes ouvrières comme Le Puy (1931-1932) ou Roanne (1933-1934). Elle avait été également nommée à Auxerre (1932-1933) et à Bourges.

Proche du syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914, Simone Weil adhéra à la Fédération unitaire de l’Enseignement (CGTU) par opposition au réformisme de la CGT. Elle chercha à partager les conditions de vie des mineurs, s’associant à leurs manifestations et donna des cours à des auditoires ouvriers. Collaborant fréquemment à des organes syndicalistes comme L’Effort (Bâtiment, Lyon) et L’École émancipée, elle se lia d’amitié avec des militants tels Albertine Thévenon et Urbain Thévenon.

Parallèlement, Simone Weil écrivait dans Les Libres propos d’Alain. Son pacifisme opposait alors un refus absolu à l’égard de toute guerre. Elle dénonçait même la guerre révolutionnaire comme porteuse à terme d’un régime dictatorial. Selon elle, la lutte contre le fascisme devait se mener sur le seul plan intérieur.

Un voyage en Allemagne (été 1932) — au cours duquel elle rencontra Léon Sedov — amena Simone Weil à un approfondissement et à un infléchissement de sa pensée. Dans une série d’articles, elle insista sur la spécificité de la nature du nazisme, et surtout souligna l’inconséquence de la politique de l’Internationale communiste se refusant à l’alliance avec le SPD. Ce comportement ajouté à l’industrialisation à outrance en URSS et les contraintes qui en résultaient pour la masse du peuple, attestaient à ses yeux que le pays de Staline avait cessé d’être la « patrie internationale des travailleurs » pour développer une politique classique de grande puissance. Ces considérations la rapprochaient encore plus des « communistes oppositionnels » comme Boris Souvarine — qu’elle avait rencontré par l’intermédiaire de Nicolas Lazarévitch — et dont elle allait devenir la collaboratrice à La Critique sociale.

En avril 1933, Simone Weil participa à la Conférence d’unification des groupes de l’Opposition (Paris, 22 avril) et rédigea la déclaration signée par Aimé Patri, Robert Petitgand, Édouard Labin, Jean Rabaut, Albert Treint et elle-même, qui affirmait « impossible de considérer l’État russe actuel (...) comme un état des travailleurs s’acheminant vers l’émancipation socialiste ». Elle plaidait néanmoins pour l’unité syndicale. Au congrès de Reims (août 1933) de la FUE, elle prit la parole pour dénoncer la fermeture des frontières de l’URSS à l’émigration allemande, provoquant un tumulte de la part des enseignants communistes de la Minorité oppositionnelle révolutionnaire (MOR).

Le succès du nazisme ayant confirmé ses appréhensions, Simone Weil conclut à la nécessité de procéder à un réexamen des certitudes sur lesquelles vivait le mouvement socialiste et ouvrier. Dans « Perspectives. Allons-nous vers la révolution prolétarienne ? » (la Révolution prolétarienne, 25 août 1933), elle opposa point par point les ambitions de la Révolution d’octobre au devenir réel du communisme soviétique. Elle détecta dans l’économie moderne une tendance à la spécialisation dans un but productiviste qui conduisait à la formation d’une caste bureaucratique. Or, cette orientation était à l’œuvre dans toutes les grandes puissances industrielles, y compris en Union soviétique (voir M. Yvon* ou Robert Guiheneuf). Ainsi naissait une nouvelle forme d’oppression qui n’était pas liée spécifiquement aux démocraties capitalistes. Ces considérations furent développées dans les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale qui débouchèrent sur la critique de l’optimisme historique de Marx et de la notion de révolution. Désormais, l’infléchissement réformiste de la pensée de Simone Weil l’amena à chercher des solutions pragmatiques aux impasses auxquelles se heurtait le socialisme contemporain.

Ce souci renforçant un désir déjà assez ancien de connaître les réalités du travail manuel dicta chez elle la décision de travailler dans une entreprise industrielle à la rentrée scolaire de 1934. Simone Weil fut employée, notamment, chez Alsthom et Renault. Cette expérience fut relatée dans les notes d’un Journal d’usine qui dit combien les conditions de travail avaient été éprouvantes pour elle ; la fatigue, les affections physiques, la peur de l’encadrement, l’obsession des normes et du rendement avaient engendré en elle la sensation de l’esclavage et du malheur. Ce fut donc avec joie qu’elle accueillit les réformes sociales de l’été 1936 car elles conféraient aux travailleurs un sentiment exceptionnel de dignité. En juin 1936, elle avait publié dans La Révolution prolétarienne, sous le pseudonyme de S. Galois, un article sur la grève des ouvrières de la Métallurgie.

Cependant, Simone Weil estimait que le problème fondamental du travail industriel restait posé : comment humaniser le travail sans désorganiser l’entreprise ? A cette fin, elle participa aux travaux de plusieurs groupes réunissant syndicalistes, patrons, intellectuels (X-Crise, Union des techniciens socialistes, Nouveaux cahiers) afin d’imaginer des solutions neuves à la crise. Dans ses articles ou dans sa correspondance avec René Belin, l’adjoint de Léon Jouhaux, ou avec l’ingénieur Bernard, elle préconisait ce que nous appellerions l’enrichissement des tâches et le « contrôle ouvrier », c’est-à-dire l’association des ouvriers à la gestion des entreprises.

Le bilan du Front populaire déçut Simone Weil. Elle déplora que les accords Matignon n’aient pas débouché sur des réformes de structure dans l’organisation industrielle. Elle s’attrista surtout de sa timidité dans le domaine de la politique coloniale. Elle redoutait enfin les risques de guerre aux côtés de l’URSS que recelait la présence des communistes au sein de la coalition antifasciste. Cette crainte augmenta au moment du conflit espagnol. Elle s’engagea dans la colonne Durruti au mois d’août 1936 par souci de cohérence personnelle mais elle se prononça vigoureusement pour la non-intervention de la France elle-même.

A son retour (25 septembre) provoqué par une brûlure accidentelle dans un campement, Simone Weil obtint un congé de maladie d’un an qui allait être prolongé jusqu’à la guerre (à l’exception d’une brève reprise de service au lycée de Saint-Quentin, fin 1937), à la suite des intenses maux de tête dont elle souffrait. Sans négliger les questions sociales, elle dirigea alors l’essentiel de ses efforts à combattre en faveur de la paix et à lutter contre le colonialisme. Elle entendait démystifier les raisons qui étaient invoquées pour justifier les guerres : les hommes s’y battaient pour des mots abstraits pourvus de majuscules de sorte que « la chasse aux entités dans tous les domaines de la vie politique et sociale est une œuvre de salubrité publique » (Ne recommençons pas la guerre de Troie, Les Nouveaux cahiers, 15 avril 1937). Elle consentait d’avance à toutes les concessions. Au moment de l’Anschluss (14 mars 1938), elle signa, avec Marcel Martinet, Léon Émery, Jeanne Alexandre et Michel Alexandre, Madeleine Vernet un texte de soutien à la politique de N. Chamberlain, réclamant également que « le gouvernement français se joigne résolument » à l’action de ce dernier (Feuilles libres de la Quinzaine, 25 mars 1938). Le 15 septembre 1938, en pleine crise germano-tchèque, elle s’associa à l’appel lancé par l’équipe des Nouveaux cahiers qui invitait les gouvernants à la prudence et demandait l’élargissement de la négociation à tous les problèmes européens. L’annexion de la Tchécoslovaquie mit fin à ce pacifisme outrancier qu’elle ne cessa de se reprocher amèrement par la suite. Sur le moment, elle avait jugé que le comportement de la France dans ses colonies avait discrédité ses protestations contre l’hégémonie allemande. Au Maroc, en Tunisie, en Indochine, elle dénonça les exactions et appela à des évolutions profondes.

Sous l’Occupation, Simone Weil passa un an et demi à Marseille. Elle y aida des travailleurs indochinois et des exilés antifascistes internés dans des camps. Elle participa au réseau de Témoignage chrétien dont elle s’employa à diffuser les brochures clandestines (elle fut à plusieurs reprises interrogée par la police). Elle travailla trois mois dans deux exploitations agricoles dont celle de Gustave Thibon. Elle gagna New York d’où elle rejoignit Londres (14 décembre 1942). Les autorités de la France libre refusèrent toutefois d’accéder à son désir d’être envoyée en mission sur le continent. On lui confia le soin d’étudier des projets de réorganisation du pays une fois qu’il serait libéré mais ses nombreuses contributions (L’Enracinement, Écrits de Londres) furent jugées trop spéculatives et peu opérationnelles. Fin juillet, elle démissionna de son poste déplorant que la résistance gaulliste dérivât en une volonté de conquête du pouvoir dans la France libérée. Déjà hospitalisée, elle mourut peu après d’épuisement sous l’effet de l’excès de travail, de la tuberculose et des privations alimentaires qu’elle s’était imposées pour ne pas être privilégiée par rapport aux Français occupés.

Fin décembre 1938, Simone Weil, à la suite d’une expérience d’origine mystique, avait inauguré une intense méditation religieuse qu’elle avait poursuivie jusqu’à sa mort. Des témoignages forts en furent donnés dans Attente de Dieu et dans Intuitions préchrétiennes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article135278, notice WEIL Simone par Géraldi Leroy, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 19 août 2022.

Par Géraldi Leroy

ŒUVRE : Écrits historiques et politiques, 3 volumes, Gallimard, 1988-1991 (œuvres complètes en cours de publication).

SOURCES : Simone Pétrement, La Vie de Simone Weil, Fayard, 1978. — Cahiers Simone Weil. — J. Rabaut, Tout est possible, Paris Denoël, 1974 ; réédition Libertalia, 2018. — J.-F. Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au XXe siècle, Fayard, 1990. — Jean-Marc Ghitti, "Simone Weil au Puy, du scandale à la pensée", Histoire sociale Haute-Loire, n° 1, année 2010, p. 173-184.

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