WERTH Léon

Par Nicole Racine

Né le 17 février 1878 à Remiremont (Vosges), mort le 13 décembre 1955 à Paris ; critique d’art, écrivain, journaliste ; rédacteur en chef de Monde (1931-1933).

Né dans une famille juive de la petite bourgeoisie vosgienne, à Remiremont où il passa ses cinq premières années, Léon Werth fit ses études secondaires au lycée Ampère à Lyon. Il s’y révéla un brillant élève et obtint un prix de philosophie au Concours général. Neveu du philosophe Frédéric Rauh, il prépara au lycée Henri IV à Paris, le concours d’entrée à l’École normale supérieure, mais, déçu par l’aspect scolaire de ses études, il renonça à entrer rue d’Ulm.

Léon Werth exerça de nombreux petits métiers ; il passa une licence ès-lettres pour pouvoir faire un service militaire d’un an seulement. Il revint de l’armée avec un profond dégoût pour la vie militaire. Ami de Charles-Louis Philippe, il se lia avec le groupe d’écrivains et d’artistes qui se retrouvèrent en 1912 autour de George Besson* aux Cahiers d’aujourd’hui. Après la mort de Charles-Louis Philippe en 1909, il rencontra Octave Mirbeau* avec lequel il noua une grande amitié. Mirbeau le fit entrer à Paris-Journal. De 1910 à 1912,

Léon Werth donna des chroniques d’art à La Phalange sur le mouvement de la peinture de Cézanne à Marquet. Il collabora dès le premier numéro (octobre 1912) aux Cahiers d’aujourd’hui dont les collaborateurs étaient Octave Mirbeau, Francis Jourdain*, Marguerite Audoux, Pierre Hamp*, Régis Gignoux ; George Besson put dire que les Cahiers de 1912 à 1914 durent à Werth leur « ton général et enjoué » et qu’ils restèrent son œuvre aussi complètement que « s’ils eussent été un pamphlet à rédacteur unique ».

Sympathisant des idées anarchistes (il avait témoigné en faveur de Gustave Hervé* dans la Guerre sociale le 27 décembre 1911, cf. A. France, Trente ans de vie sociale, III), Léon Werth s’engagea cependant, ainsi qu’Élie Faure* et George Besson dans les rangs socialistes en 1912 : « Nous adhérons au PSU. Nous ne voyons pas d’autre moyen qui rende effective et matérielle notre adhésion sentimentale à toute doctrine et surtout à tout acte révolutionnaire » (la Guerre sociale, 11-17 décembre 1912, cité par C. Prochasson, Th., p. 220). En 1913, Léon Werth publia chez Fasquelle un roman autobiographique évoquant sa maladie et son séjour en clinique, La Maison blanche, avec une préface de Mirbeau, qui se trouva en concurrence avec Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier pour le prix Goncourt (mais aucun des deux ne l’obtint).

Début août 1914, mobilisé comme simple soldat, Léon Werth rejoignit son régiment, le 111e territorial à Montélimar. Volontaire pour le front, il fut envoyé fin septembre 1914 en Woëvre avec la 64e division ; il passa plus d’un an au front et en revint révolté par les atrocités dont il avait été témoin. Romain Rolland fit état dans son journal en août 1915 d’une lettre de G. Besson citant le nom de Werth comme un de ceux qui n’avaient pas renié leur « libre foi ». Léon Werth donna son témoignage en faveur de R. Rolland aux Hommes du jour que celui-ci reproduisit dans son journal : « Tous mentent : ceux qui écrivent et ceux qui parlent. Un homme a dit la vérité. C’est très simple, Romain Rolland, en ce moment, c’est la France. — Octobre 1915. Soldat L. W. » Réformé en 1916, il écrivit en 1916-1917 son Clavel soldat qui ne parut qu’en 1919, retardé par la censure, et dont Norton Cru disait qu’à la différence des romans de Barbusse et de Dorgelès, c’était un « roman vrai », rigoureusement conforme à la réalité même. Clavel soldat fut suivi par Clavel chez les majors dont la Librairie du travail publia quelques pages dans ses Bonnes feuilles en 1922. Werth exprima sa haine de la guerre dans de nombreux articles, notamment dans le Journal du peuple.

Léon Werth adhéra au mouvement « Clarté » lancé par Henri Barbusse* le 10 mai 1919 ; il fit partie du petit groupe d’amis de R. Rolland qui entra en désaccord avec Barbusse sur la politique et la composition du mouvement. Il signa, le 18 juin 1919, la lettre collective de démission du comité directeur, adressée au secrétaire général de « Clarté », Victor Cyril, par Vildrac, Chennevière, F. Crucy, Bazalgette, Doyen, Signac. Il signa la Déclaration d’indépendance de l’esprit de R. Rolland (l’Humanité, 26 juin 1919) et participa à la controverse entre Rolland et Barbusse sur l’indépendance de l’esprit (voir sa réponse dans l’Art libre, juin 1922).

En 1926, sur l’invitation de Paul Monin, avocat au barreau de Saïgon, anticolonialiste (fondateur avec Malraux du journal l’Indochine qui parut de juin 1925 à février 1926), Léon Werth se rendit en Indochine. Ses « Notes d’Indochine », dédiées à Paul Monin, parurent dans Europe de septembre à décembre 1925, puis chez Rieder en 1926, sous le titre Cochinchine.

A la fin des années vingt, Léon Werth bien que, n’ayant pas adhéré au Parti communiste, put faire figure de compagnon de route. Il adhéra au Comité de défense des victimes du fascisme et de la terreur blanche, fondé par H. Barbusse en 1927. Ce dernier l’appela en 1928 au comité directeur de l’hebdomadaire international qu’il venait de lancer avec l’appui des Soviétiques, Monde. L. Werth était responsable de la rubrique des Arts. Il s’intéressa au problème des rapports de l’art et de la société comme le montre sa réponse à l’enquête sur la littérature prolétarienne (8 septembre1928) et sa participation au débat sur la littérature prolétarienne en 1931. En février 1931, Werth devint rédacteur en chef de Monde. A partir de 1933, Léon Werth prit des positions qui se révélèrent incompatibles avec la nouvelle orientation de Monde. En mai 1933, il adhéra au comité pour la libération de Victor Serge*, constitué ainsi que l’annonça l’œuvre (11 mai) d’amis de l’Union soviétique ; en juillet 1933, avec d’autres rédacteurs de Monde, il adressa à H. Barbusse une « Lettre ouverte sur le silence imposé à Monde dans l’affaire Victor Serge » que l’hebdomadaire ne publia pas et qui parut dans La Révolution prolétarienne, le 10 août 1933.

Léon Werth collabora à Excelsior  ; par l’intermédiaire de René Delange, il rencontra A. de Saint-Exupéry et une profonde amitié naquit entre eux : Lettre à un otage, publiée aux États-Unis en 1943, fut adressée à Werth ; celui-ci fut le dédicataire du Petit Prince, publié également aux États-Unis. Werth collabora à Marianne à partir de 1939.

Le 11 juin 1940, pressé par ses amis de quitter Paris, Léon Werth et sa femme prirent la route de Saint-Amour (Jura) où ils possédaient une maison de vacances. Ils mirent trente-trois jours pour arriver ; Werth fit le récit de cet exode qu’il confia à Saint-Exupéry venu le voir à Saint-Amour. Celui-ci l’emporta aux États-Unis, le proposa à l’éditeur Brentano’s et un contrat fut signé ; l’ouvrage ne parut pas et resta inédit jusqu’en 1992. Léon Werth tint son journal durant l’Occupation (de la fin juillet 1940 au 26 août 1944) à Saint-Amour où il se cacha. Il confia son manuscrit à Lucien Febvre*, qui avec son accord, le publia chez Grasset en l’élaguant. La version complète de cette Déposition, document exceptionnel sur la France occupée, parut intégralement en 1992.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article135337, notice WERTH Léon par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 16 décembre 2019.

Par Nicole Racine

ŒUVRE : œuvre choisie à dominante sociale et politique : Clavel soldat, Albin Michel, 1919. — Clavel chez les majors, Albin Michel, 1919. — Cochinchine, Rieder, 1926. — Cour d’assises, Albin Michel, 1932. — « Tel que je l’ai connu » dans La vie de Saint-Exupéry, Le Seuil, 1948. — Préface à Victor Serge, L’affaire Toulaev, Club français du livre, 1948. — 33 jours, Viviane Hamy, 1992. — Déposition. Journal 1940-1944. Texte de L. Febvre. Présentation et notes de J.-P. Azéma, Viviane Hamy, 1992.

SOURCES : Repères biographiques fournis par Claude Werth. — Les Cahiers d’aujourd’hui, 11, 1923. — J. Norton Cru, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants, édités en français de 1915 à 1918, Paris, Les Étincelles, 1929. — Fr. Jourdain, Né en 76, 1951  ; Sans remords ni rancune. Souvenirs, 1953 ; « Mon ami Léon Werth », Les Lettres nouvelles, février et mars 1958. — M. Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française,1895-1914, Toulouse, Privat, 1960. — R. Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, Albin Michel, 1968. — J. Relinger, Recensement analytique des articles de critique littéraire dans Monde, (1928-1932), Reims, Presses universitaires de Reims, 1984-1989. — Arlette Barré-Despond (avec la collaboration de Suzanne Tise), Jourdain : Frantz, Francis, Frantz-Philippe, Éd. du Regard, 1988. — C. Prochasson, Place et rôle des intellectuels dans le mouvement socialiste français (1920-1920), Th., Paris I, 1989.

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