Par Jean Prugnot
Né le 29 janvier 1894 à Esquelbecq (Nord), mort en février 1945 à Socx (Nord) ; instituteur ; anarchiste et syndicaliste ; écrivain ; co-fondateur et directeur de la revue Les Humbles (1916-1940).
Natif d’une famille de petits paysans flamands dont cinq des huit enfants moururent en bas âge, Maurice Wullens perdit sa mère à neuf ans et eut la charge d’élever son frère Marcel Wullens et sa sœur. Passionné de lecture comme sa mère et très doué pour l’étude, il réussit, grâce aux privations de son père et au dévouement de son instituteur à l’école primaire de Bergues, à passer le Brevet élémentaire en 1910 puis à entrer à l’École normale d’instituteurs de Douai. C’est là que lui et quatre de ses camarades, Maurice Bataille, Marius Daillie, Alexandre Desvachez et Florimond Wagon, tous élèves de Jules Leroux* (voir Jules Auguste Leroux*), formèrent le projet de créer une revue. En octobre 1913 parut le premier numéro des Humbles, « Revue littéraire de la région du Nord » dont Maurice Bataille fut le directeur. Le numéro 2 (novembre) dédié à Maurice Barrès porte comme sous-titre : « Revue littéraire des Primaires » et le texte de présentation s’intitulait « La revanche des Anes » : « Nous croyons que le moment est venu d’activer l’orientation de nos efforts vers notre but : détruire cette légende stupide que se sont plus à créer et à entretenir quelques intellectuels au dilettantisme mondain et qui fait prononcer le mot « primaire » avec tant de pitié et de dédain. »
À la veille de la guerre, Les Humbles avaient publié six cahiers, dont Le Chapeau de Velours de Maurice Bataille et une série de Croquis Flamands de Wullens. En août 1914, Maurice Wullens, jeune instituteur stagiaire à Steenvoorde (Nord), fut mobilisé au 73e régiment d’Infanterie. Envoyé à Pont-Audemer, puis à Saint-Astier, en Dordogne, et au camp de La Courtine, il refusa de suivre le peloton des élèves-caporaux, ce qui eut pour conséquence de le faire incorporer au premier détachement envoyé au front. En décembre, il fut grièvement blessé (jambe gauche fracassée, index de la main gauche arraché) en Argonne. Relevé par les soldats allemands, il fut transporté à l’hôpital de Stenay, puis à celui de Darmstadt (Hesse) et, en juillet 1915, fut rapatrié en France comme grand blessé. Dans un livre qui ne put paraître qu’en 1920, Pages de mon Carnet, souvenirs de voyage, de campagne et de captivité, livre qui est un témoignage direct, suite de faits et d’impressions notés au jour le jour, Maurice Wullens raconta son aventure des dépôts de l’arrière aux tranchées et enfin dans les hôpitaux allemands et le camp de prisonniers. Dédiées à « l’anonyme soldat wurtembourgeois qui, suspendant généreusement son geste de mort », lui avait épargné la vie, ces pages voulaient « sauver du désastre mondial les quelques bribes dignes d’être sauvées », c’est-à-dire le sens de la fraternité entre les hommes par delà les frontières. Le terrible drame de la guerre devait durablement marquer Wullens et conditionner son attitude ultérieure. Ses amis dispersés, certains tués comme Desvachez, Wagon, Dalleré et aussi Jules Leroux, Maurice Wullens se retrouva seul à Paris en novembre 1915 et reprit son métier.
À partir de mai 1916, il fit reparaître Les Humbles dans les conditions difficiles de l’époque soumise à la censure militaire. L’année suivante, la revue fut suspendue jusqu’en mars 1918 sur ordre du ministre Paul Painlevé. Mais Maurice Wullens tourna l’obstacle en publiant des numéros spéciaux consacrés à Émile Verhaeren, Gabriel Belot, A. M. Gossez, à Romain Rolland devant la guerre, à une Anthologie des Humbles. Cependant, le recueil Le Cœur de l’ennemi, anthologie des poètes et écrivains allemands pacifistes, interdit par les autorités militaires, ne put être publié qu’en avril 1919.
Inscrit à la CGT et militant à la Fédération de l’Enseignement, Maurice Wullens adhéra à la CGTU après la scission de 1921 et, à partir de 1929, il fit partie des deux centrales syndicales. Polémiste ardent, Wullens réussit, pendant vingt ans, à faire vivre sa revue, dont la collection, aujourd’hui, demeure une source d’informations sur les événements et les hommes. Dès 1917, Maurice Wullens avait collaboré à Par delà la mêlée d’Émile Armand, puis aux Tablettes de Claude Le Maguet*, ainsi qu’à Ce qu’il faut dire de Sébastien Faure, en 1916-1917 et en 1920. Il devait, un peu plus tard, donner des articles à la Mêlée de Pierre Chardon, Notre Voix de Gérold, Un et l’Ordre naturel de Marcel Sauvage. Les opinions nettement déclarées de Maurice Wullens, son intransigeance, son mépris de la compromission, lui valurent des sanctions. Déplacé dans le Nord, à Treton, dès la fin de la guerre, il y fonda en 1921 une section du Parti communiste dont il assura le secrétariat. Ce n’est qu’en 1929 qu’il put revenir enseigner dans la Seine, à Gentilly d’abord, enfin à Paris, grâce à la campagne menée par un comité composé d’amis et de personnalités : Henri Barbusse*, Georges Duhamel, Han Ryner*, Victor Margueritte*, Romain Rolland, Henri Poulaille*, etc.
Maurice Wullens collabora au Libertaire où il tint en 1921 la rubrique « Littérature communiste ». Il fut élu collaborateur « remplaçant » du journal par le IVe congrès qui eut lieu à Paris les 12 et 13 août 1923. Il fut également rédacteur à La Revue anarchiste et collabora à L’En Dehors.
Dans les années vingt, Maurice Wullens fut, comme bien d’autres, attiré par l’Union soviétique. En août-septembre 1925, il participa à un voyage d’étude organisé pendant les vacances par une cinquantaine d’instituteurs — dont Célestin Freinet* — sur l’initiative du syndicat pan-russe des travailleurs de l’Enseignement. Au cours de son voyage, il intervint en faveur de Nicolas Lazarévitch*. A son retour, il tenta d’adapter la pratique soviétique du journal mural mais, surtout, se rapprocha des communistes et s’opposa aux défenseurs de Lazarévitch parmi lesquels se rangeait son frère (voir Marcel Wullens*).
En 1927, il publia son livre Paris-Moscou-Tiflis, recueil de notes et de souvenirs rapportés de son voyage, préfacé par Henri Guilbeaux*. Maurice Wullens avouait avoir été impressionné : « Là-bas, un effort immense, colossal, prodigieux est fait pour l’éducation, l’instruction de cette masse de plus de cent millions de paysans incultes, mi-barbares », effort qui, à ses yeux, devait perdurer même en cas d’échec de la République soviétique. Mais cette sympathie manifestée par Maurice Wullens pour les réalisations de l’Union soviétique fut remise en cause par deux épreuves : la rupture avec son frère et son conflit, en septembre 1929, avec le Parti communiste à propos des dettes que l’Humanité avait envers Henri Guilbeaux, qui menait alors une vie matériellement très difficile à Berlin. Il devait publier plusieurs cahiers consacrés à la défense de son ami. L’ère stalinienne allait enlever à Maurice Wullens toutes ses sympathies prosoviétiques et il participa à la campagne pour la libération de Victor Serge*. Ayant adhéré au Parti d’unité prolétarienne, il en fut le candidat aux élections législatives de 1936 dans la 2e circonscription de Dunkerque. Sur 14 475 inscrits, il ne recueillit à l’unique tour que 224 voix. Sur le plan syndical, il fut l’un des deux élus de l’École émancipée au conseil syndical du SNI de la Seine en 1937.
Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Les Humbles, à côté de leurs numéros ordinaires, publièrent une trentaine de numéros spéciaux, et les Éditions des Humbles une soixantaine de cahiers rassemblant les textes de nombreux écrivains et essayistes : Guilbeaux, l’égyptien Georges Henein, Pierre Ganivet (voir Achille Dauphin-Meunier*), Maurice Parijanine*, Ernst Toller, André Prudhommeaux (« Catalogne 1936-1937 », mars 1937 ; « Où va l’Espagne », février 1938). Maurice Wullens rendit hommage à André Gide (« Respects à Monsieur Gide », juin 1936), à Léon Trotsky (mai-juin 1934), à Marcel Martinet (janvier-mars 1936), publia un compte-rendu du Congrès des écrivains pour la défense de la culture (juillet 1935) donnant la parole à André Breton, Magdeleine Paz, Henri Poulaille. En avril 1938, il publia la brochure d’Alfred Rosmer, Victor Serge et lui-même sur l’assassinat d’Ignace Reiss.
Si Maurice Wullens ne cessait de dénoncer les crimes staliniens, la « dégénérescence » de la Révolution russe et la politique du PC, il n’en demeurait pas moins l’adversaire du capitalisme à l’origine du déclenchement de la guerre de 1914 et de l’élaboration des traités de paix. La position de Maurice Wullens, dans les années trente et quarante, fut celle de nombreux pacifistes, pour qui le mal absolu demeurait la guerre. Pour eux, l’objectif primordial était de l’éviter, une paix précaire, même avec l’Allemagne hitlérienne, étant préférable à une victoire par les armes, « victoire » qui, de plus, en aucun cas ne pourrait en être une pour le mouvement ouvrier. Cependant il ne tint pas à un pacifisme intransigeant. Fin 1938, Victor Serge, considérant que Maurice Wullens publiait des textes complaisants vis-à-vis de l’Allemagne nazie, rompit avec lui.
Le dernier numéro des Humbles parut censuré en mars 1940. Relevé de ses fonctions le 8 février 1941, il devait être réintégré le 26 mai 1942 mais en fait, trop malade, ne put exercer à nouveau. Pendant l’occupation allemande, à l’opposé de bien de ses camarades qui se réfugièrent dans le silence, Maurice Wullens ne cacha pas ses opinions : partisan d’un rapprochement avec le IIIe Reich, il donna des articles aux journaux collaborationnistes, Je suis partout ou Révolution nationale de Drieu La Rochelle (article sur la mort de Marcel Martinet — voir ce nom). Dans Jeune Force de France, Maurice Wullens accusa Giono d’avoir incité à l’objection de conscience tandis que lui-même, après avoir signé le tract « Paix immédiate », s’était rendu à sa convocation lors de la mobilisation de 1939. La presse clandestine de la Résistance dénonça l’attitude de Wullens et à la Libération son engagement lui fut reproché, mais il ne fut pas inquiété en raison de son état de santé. Grabataire, Maurice Wullens succomba à une crise cardiaque, en février 1945, à l’hôpital de Socx.
Par Jean Prugnot
ŒUVRE : Profils de Flandre... et d’ailleurs, Éd. des Humbles, 1916. — La littérature et la guerre, 1917. — Pages de mon Carnet, souvenirs de voyage, de campagne et de captivité, 1920 (réédition 1939, préf. de Marcel Martinet). — Littérature et pognon, 1922. — En marge d’un feuilletoniste, réponse aux calomnies d’Henri Béraud, 1925. — Eroines, balades à travers la vieille carte du Tendre, Lille, Éd. du Mercure, 1925. — Paris-Moscou-Tiflis, notes et souvenirs d’un voyage à travers la Russie soviétique, Éd. des Humbles, 1926. — Vacances en Flandre, (notes et aquarelles de Parijanine), 1935. — Huit jours à Barcelone, 1937. — Le CERMTRI a publié une table des principaux articles des Humbles.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13610. — Arch. Dép. Nord, M 35/8, 37/90B et 154/191. — Collection des Humbles et correspondance de Maurice Wullens. — Michèle Chevalier, Les Humbles (Revue littéraire des Primaires), 1919-1939. En marge du syndicalisme révolutionnaire, MM, Paris I, 1973-1974. — Le Cri du peuple, 21 janvier 1931. — Libertés, mars 1944. — Révolution nationale, 26 février 1944. — Jeune Force de France, 1er septembre et 15 septembre 1943. — Notes de C. Guihaumé.