COURMEAUX Eugène [COURMEAUX Théodore, Eugène]

Né le 15 février 1817 à Reims (Marne), mort le 22 novembre 1902 à Reims ; bibliothécaire, journaliste, homme politique, démocrate socialiste, participant à la révolution de 1848, député sous la Troisième République.

Courmeaux était fils d’un vigneron de Faverolles, dans le canton de Ville-en-Tardenois (Marne), et d’une marchande de quincaillerie. Son père, soldat de 1793, avait été décoré de la Légion d’honneur, au camp de Boulogne, et mis en congé de réforme en 1806. Dans son enfance, Eugène Courmeaux fut pratiquement élevé par un de ses oncles, le pharmacien Leclerc, ancien condisciple de Saint-Just, fervent démocrate qui inculqua ses principes à son neveu et contribua à libérer sa conscience de tout dogme religieux. Enfin, il importe de préciser que la famille Courmeaux se trouvait parente ou alliée de plusieurs grandes familles de la bourgeoisie rémoise : les Arnould, les Drouet d’Erlon, les Lainé, les Henrot.
Dès l’âge de quatre ans, Eugène Courmeaux fréquenta l’« école des chiards », de l’impasse Saint-Jacques à Reims, tenue par le chantre de la paroisse. Plus tard, il suivit l’enseignement de l’institution Pardonnet, puis il entra au collège royal (lycée) de Reims.
Après d’excellentes études secondaires, il alla faire son droit à Paris. En décembre 1838, il fut compromis dans une affaire de duel où il avait figuré comme témoin. L’adversaire ayant été tué sur le terrain, Courmeaux s’enfuit à Francfort. Il se constitua prisonnier le jour où l’affaire fut appelée, et fut acquitté. Il revint à Reims en 1842. En 1843, il fut nommé conservateur-adjoint de la bibliothèque municipale. En 1846, il en devint le conservateur en titre.
De février à la fin d’avril 1845, avec Charles Béranger, Alfred Lejeune, G. Martin, Jules Perreau, il publia, dans L’Industriel de la Champagne, journal libéral de Reims, une série d’articles, « L’Agitation catholique », qui répondaient à une campagne menée par La Champagne catholique et qui concernaient presque tous la question de la liberté de l’enseignement. Courmeaux se proposait d’enlever toute fonction enseignante au clergé. Vers cette époque, il fut affilié à la loge de l’« Union parfaite ». Du 26 septembre au 4 octobre 1845, il fut auditeur assidu des conférences données à Reims par Considerant et il dira plus tard que, de ces conférences, dataient « ses conceptions socialistes ». Après le départ du disciple de Fourier, il fut du groupe des intellectuels rémois qui organisèrent des cours pour étudier les doctrines socialistes et les faire connaître dans le public. Lors des élections générales d’août 1846, comme beaucoup de démocrates, il fit campagne en faveur de Léon Faucher, alors irréductible adversaire du gouvernement Guizot.

Lors de la révolution de Février, il fut de ceux qui parvinrent à canaliser l’émeute qui avait éclaté, à Reims, le vendredi 25. Il fut aussi de ceux qui réussirent à faire entrer dans la municipalité nouvelle les ouvriers Butot et Caze, chefs reconnus des icariens rémois.
Le 4 mars, David, commissaire spécial du Gouvernement provisoire pour l’arrondissement de Reims, s’adjoignit Courmeaux qui, dès lors, s’occupa activement de la situation des ouvriers sans travail : il y avait environ 6 000 chômeurs à Reims. Il fit augmenter de 25 centimes le salaire journalier des ouvriers embauchés dans les ateliers communaux, au nombre de 2 000, et procéder à des distributions de pain. Pour donner du travail aux ouvriers des ateliers communaux, il s’efforça d’obtenir du gouvernement l’autorisation de construire l’embranchement ferroviaire Reims-Épernay. Il obtint, finalement, l’autorisation de commencer le tronçon entre Reims et Rilly-la-Montagne, y compris le tunnel ; pour cela, il fit débloquer un crédit de 800 000 francs.
Le 20 mars 1848, avec Bienfait*, il fonda le « Club démocratique du faubourg Cérès ». Le 16 avril, à la tête d’une délégation de terrassiers de Reims, il participa, à Paris, à la fête de la Fraternité. Il se rapprochait de plus en plus des ouvriers, car il était persuadé que la République ne survivrait pas à une défaite du parti des réformes sociales.
Pour les élections municipales des 30 et 31 juillet, il figura sur une liste franchement socialiste avec Bienfait et les ouvriers Joriot*, Soreau*, Dasne*, Bonnaire* et l’instituteur Delbarre*, et sur la liste non moins socialiste du « Cercle de l’Union républicaine » avec les ouvriers tisseurs : Rève*, Rousseau*, Verjus*, Piettre*, Carnot*, Manget*, Richard*, le docteur Bienfait, les étudiants Ad. Henrot et Diancourt*, le filateur Dauphinot*, le négociant Faure*, ces trois derniers figurant comme « Socialistes pacifiques ». Ainsi que ses divers colistiers, Courmeaux ne recueillit qu’un nombre insignifiant de suffrages.
À la fin de l’année 1848, et au début de 1849, Courmeaux apparut à Reims, avec Bressy*, comme un des promoteurs de l’union des forces prolétariennes avec les éléments les plus démocratiques de la bourgeoisie. Il rédigea les statuts de la « Société rémoise d’assistance fraternelle » qui devait « venir en aide aux classes pauvres et réunir tous les prolétaires dans une commune pensée d’humanité et d’entraide sociale ».
Au moment de l’élection présidentielle de décembre 1848, il fut sollicité par Jean Macé*, alors secrétaire de Ledru-Rollin*, pour soutenir la candidature de celui-ci ; mais les socialistes rémois préférèrent celle de Raspail*, qui obtint 292 voix, contre 149 à Ledru-Rollin.
Tout au long de l’année 1849, Courmeaux poursuivit sa propagande pour le socialisme et recueillit des adhésions. Au moment des élections à la Législative, il présidait l’« Union démocratique », fondée par Bienfait, qui travaillait en parfaite entente avec l’« Association rémoise des corporations » présidée par Bressy. Ces deux organismes décidèrent la constitution d’un « Comité central démocratique des amis de la Constitution » présidé par Bressy avec Courmeaux pour secrétaire. Ce nouveau comité, en accord avec les démocrates-socialistes de Paris et d’Épernay, établit une liste de sept candidats dont les plus marquants étaient : le phalanstérien Allyre Bureau*, Ferdinand Flocon*, Félix Pyat* et l’ouvrier rémois Ferrand*. La liste arriva en tête, à Reims, avec environ 5 000 voix, mais fut battue dans l’ensemble du département avec 25 000 suffrages.
Après le scrutin, Bressy et Courmeaux décidèrent la constitution d’un « Comité électoral permanent », dont ce dernier reçut la présidence et qui travailla à resserrer les liens entre les démocrates et les ouvriers. Ce comité électoral permanent groupait des délégués des corporations ouvrières et des membres du « Cercle de l’Union démocratique ». Avec Lejeune, Courmeaux organisa la manifestation qui, à Reims, devait se dérouler en liaison avec les événements déclenchés à Paris, le 13 juin 1849, par Ledru-Rollin.
Avec Bressy, Bienfait, et autres, il fit partie de la délégation qui, le 12 au soir, fut reçue par la municipalité, à qui elle remit une pétition rédigée et signée par les membres des corporations ouvrières : Bressy, Génin*, Lecamp Louis*, etc., et par l’« Union du Cercle démocratique » (Henrot, Lejeune, etc.) Cette pétition protestait contre l’expédition de Rome, réclamait la suspension du sous-préfet hostile aux organisations ouvrières et aux revendications prolétariennes, exigeait la reconnaissance par les autorités rémoises d’une République démocratique et sociale, « comme étant conforme aux principes posés par la Révolution », et demandait, enfin, que l’on distribue des armes aux ouvriers et qu’on les enrôle dans la Garde nationale. Plus tard, on accusera Courmeaux d’avoir exhibé, le 13, une lettre de Paris, qui annonçait que la révolution « prolétaire » avait été victorieuse. Le 14 au soir, quand on apprit l’échec de l’émeute parisienne, Courmeaux s’efforça, avec Bressy et Bienfait, de calmer les ouvriers et, avec beaucoup de peine, il parvint à éviter que l’Hôtel de Ville ne fût saccagé. Il fut compris dans l’ordre d’arrestation, lancé de Paris, contre « dix-sept des chefs socialistes rémois », arrêté le 17 juin à Rethel, et transféré à Reims dans la nuit du 19 au 20.
Le 18 août 1849, le procureur de la République rédigeait son réquisitoire définitif. Courmeaux était poursuivi pour complot contre la sûreté de l’État et pour avoir fait partie de comités et de cercles politiques sans l’autorisation de l’autorité municipale. Dans l’acte d’accusation, dressé le 21 septembre 1849, on lui reprochait d’avoir annoncé « avec une grande puissance d’énergie et de conviction » que les corporations ouvrières de Reims défendraient la Constitution violée par le pouvoir exécutif et que 15 000 à 18 000 ouvriers étaient derrière elles, prêts à descendre dans la rue aux cris de « Vive la Constitution ! Vive la République démocratique et sociale ! » Pendant ce temps, la population de Reims tentait de le faire élire colonel de la garde nationale.
Le procès de Courmeaux et de ses compagnons s’ouvrit, le 26 décembre 1849, devant le tribunal de Melun. Un témoin dit de lui : « Parmi les citoyens de Reims, je n’en connais pas de plus estimable. » Quant à Courmeaux, il déclara : « Si je suis socialiste ? Mais en pensant ainsi, je ne fais que suivre la tradition des hommes qui, de Platon à Louis Blanc, ont étudié l’évolution de l’Humanité. » Après une brillante plaidoirie de Jules Favre, le procès se termina, le 29 décembre 1849, par un acquittement général.
Courmeaux fut révoqué de ses fonctions de bibliothécaire, où il ne sera réintégré que trente-sept ans plus tard. Il continua sa propagande socialiste et, au début de 1850, il participa à la publication de l’Almanach démocratique de Bressy. La « Société rémoise d’assistance fraternelle » qu’il avait créée, ayant recueilli un grand nombre d’adhésions, disposait de sérieuses ressources qui lui auraient permis, dès l’entrée de l’hiver 1849-1850, de réaliser ses projets d’aide efficace aux pauvres. Elle fut bientôt paralysée dans ses efforts, car le 19 avril 1850, le préfet en prononça la dissolution.
Au début de 1851, Courmeaux fit paraître un article qui fut reproduit par un grand nombre de journaux : « Où allons-nous ? Où nous conduit M. Bonaparte ? » Il y prédisait le futur coup d’État. Il fut poursuivi par sept parquets à la fois et déféré devant les assises de l’Aisne qui, le 12 mai 1851, le condamnèrent à un an de prison et à 500 francs d’amende. À ce sujet, le Journal de l’Aisne écrivait : « La condamnation de M. Courmeaux a été accueillie, dans toute la population, par un profond sentiment de tristesse. » Un immense déploiement de forces de police avait été prévu pour empêcher le peuple de manifester en sa faveur. Grâce à ses relations familiales, il put s’échapper et gagner la Belgique, où il retrouva les proscrits de 1849.
Au moment du coup d’État, le 4 décembre, avec quelques exilés comme lui, il repassa la frontière et essaya de soulever les ouvriers mineurs du département du Nord. Traqué par la police, il regagna la Belgique. Le 1er juillet 1852, le ministre de la Police générale informait le préfet de la Marne que Courmeaux était en correspondance avec ses anciens amis de Reims et avec les réfugiés de Londres. Le 9 septembre suivant, en effet, il réunissait à Bruxelles : Henrot, Lejeune, Bienfait, etc. Le 25 avril 1854, le ministre de la Guerre avisait le préfet de la Haute-Marne à Châlon (sic) que Courmeaux parcourait la Belgique comme représentant de la maison Soyez et fils, négociants en vins à Reims.

Courmeaux ne rentra d’exil qu’en 1860. Il se fixa à Paris, où il devint représentant pour le compte de Mumm, le grand fabricant de Champagne. À ce titre, il parcourut le littoral méditerranéen, la Crimée et l’Asie Mineure. Il ne revint à Reims qu’en 1867. Il prit part, tout de suite, à l’agitation républicaine. En relations constantes avec Jean Macé, il fonda, le 21 novembre 1867, une section de la Ligue de l’enseignement qu’il présida jusqu’en 1880. Après le 4 septembre, il alla porter à Gambetta, à Tours, l’adhésion des républicains rémois.
Il se présenta aux élections générales de février 1871 avec un programme nettement socialiste, prévoyant « la transformation de la société afin que soit améliorée la condition morale et matérielle des travailleurs » ; il n’obtint que 4 555 voix. Par contre les ouvriers du quartier Saint-Rémi de Reims l’envoyèrent au conseil général de la Marne où il devait siéger durant onze ans. Lors des premières élections municipales de la IIIe République, celles du 30 avril 1871, il figura ainsi que Génicot et de nombreux ouvriers sur une liste « socialiste ». Il fut élu, et lutta hardiment pour les revendications sociales, tandis qu’à l’extérieur de l’assemblée il s’efforçait de grouper autour de lui les éléments dispersés des groupes ouvriers et démocratiques désemparés par l’échec de la Commune, tels que le bonnetier Génicot et l’horloger Étienne Pédron. Il organisa des conférences, fit ouvrir des bibliothèques populaires, fit campagne pour l’impôt progressif, pour l’élection de tous les fonctionnaires, y compris les juges. La confiance dont il jouissait dans les milieux ouvriers ne l’empêcha pas d’être battu, comme tous les candidats d’extrême-gauche, aux élections municipales du 22 novembre 1874. En pleine crise du 16 mai, il fonda, le 21 juin 1877, avec un groupe d’ouvriers socialistes dont Génicot* et le typographe Dufour*, Le Franc-Parleur rémois, qu’il rédigeait et faisait imprimer lui-même et qui succomba dès le 16 septembre, à la suite de quatre procès intentés par les ministres de Broglie, Brunet, Fourtou et par l’archevêque de Paris, procès qui se soldaient, au total, pour Courmeaux, par six mois de prison et 12 000 francs d’amende.
Aux élections législatives de 1879, candidat de l’extrême-gauche, il arriva en tête au premier tour, mais fut battu au second, parce que les modérés et les radicaux avaient présenté un candidat unique. Il fut élu par contre à la Chambre, le 21 août 1881, au second tour, comme candidat de l’extrême gauche. En 1893, il était réélu comme candidat de nuance « radicale-socialiste ou socialiste indépendant ». En 1900-1901, il se fit, à Reims, l’artisan de l’alliance des radicaux et des socialistes dans le Parti républicain radical et radical socialiste.
Voir Béranger Charles*, Bienfait Jules*, Bonnaire*, Bressy Agathon*, Bureau Allyre*, Butot E.*, Carnot*, Caze*, Dasne*, Dauphinot Adolphe*, Delbarre*, Diancourt*, Dufour*, Faure*, Ferrand Joseph*, Génicot*, Génin*, Henrot Alexandre*, Joriot*, Leclerc*, Lejeune Alfred*, Manget*, Martin G.*, Perreau Jules*, Piettre*, Rève*, Richard*, Rousseau*, Soreau*, Verjus*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article135899, notice COURMEAUX Eugène [COURMEAUX Théodore, Eugène], version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 1er mars 2019.

ŒUVRES : L’essentiel de la pensée de Courmeaux se trouve dans ses notes personnelles, renfermées dans le dossier « Courmeaux », de la Bibl. Mun. de Reims, au cabinet des manuscrits (sans cote).
_ Courmeaux a également collaboré aux journaux suivants : l’Industriel de la Champagne (Reims, à partir de 1845), L’Indépendant rémois, Le Progrès de la Marne, Le Franc-Parleur rémois (1877). Il a publié des études de critique littéraire, des comptes rendus de congrès scientifiques. Il a rédigé, également, un volume de souvenirs : Notes, souvenirs et impressions d’un vieux Rémois. Première série : de 1817 à 1825, Reims, 1891 (Arch. Dép. Marne, L. B. 5601, existe aussi à la Bibl. Nat. à Paris).
_ Parmi ses ouvrages à caractère politique, on peut citer :
_ Sur l’agitation catholique à Reims (avec Béranger, Lejeune, Martin). Reims, 1846, in-8°, 103 pp. — Le programme des catholiques rémois, s.l., [Reims], 1846, in-8°, 10 pp. (Arch. Dép. Marne, Ch. 6915). — Lettre à M. le rédacteur du journal de Reims sur la question de l’enseignement, s.l., [Reims], 1846, in-8°, 8 pp. (Arch. Dép. Marne, Chp. 6915). — Quelques mots sur la situation des classes ouvrières au Moyen Age, Reims, 1846, in-8°, 11 pp. — République ou royauté (1871). — Ne touchez pas à la République (1873). — Ce que valait le plus grand des rois de France (1873).

SOURCES : Arch. Dép. Marne, 30 M 17 et 30 M 18. — Arch. PPo., B a/1020. — Le Grapilleur, 18 décembre 1833 et 16 août 1834 (Bibl. Mun. Reims, CRV 1202). — Boussinesq et Laurent, Histoire de Reims depuis les origines jusqu’à nos jours, t. II, 2e partie. — — Dr Pol Gosset, Catalogue des Lettres autographes de Rémois Célèbres exposées dans l’une des Salles de l’Hôtel de Ville à l’occasion de la Séance Publique de l’Académie Nationale de Reims le 30 juin 1910, Travaux de l’Académie Nationale de Reims. 127ème volume. Année 1909-1910.- Tome Ier, p. 90. — John M. Merriman, The Margins of City Life : Explorations on the French Urban Frontier, 1815-1851, New York, Oxford : Oxford University Press, 1991.- X-318 p.

ICONOGRAPHIE : Dans l’ouvrage ci-dessus, portrait et caricature, p. 631 et p. 763.

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