DELAHAYE Victor, Alfred

Né à Fougerolles-du-Plessis (Mayenne) le 13 décembre 1838 ; mort le 24 mai 1897 à Saint-Ouen (Seine) ; ouvrier mécanicien ; militant de l’Internationale ; communard.

Victor Delahaye, qui fut un des signataires du « Manifeste des Soixante » — voir Henri Lefort — était membre de la sous-commission adjointe au premier bureau de Paris de l’AIT installé, le 8 janvier 1865, dans le IIIe arr., rue des Gravilliers, n° 44, et dont les secrétaires-correspondants étaient Tolainvoir ce nom — Fribourg et Charles Limousin.

Après le congrès de Genève, en septembre 1866, le Bureau de Paris se donna un règlement qui institua une commission administrative de quinze membres. Elle fut élue en octobre, et Victor Delahaye en fit partie.

Cette commission fut renouvelée après le deuxième congrès de l’Internationale tenu à Lausanne en septembre 1867. Victor Delahaye fut encore une fois élu — voir Tolain. Il démissionna, ainsi que ses camarades, le 19 février 1868 quand des poursuites furent engagées contre eux. Chacun d’eux fut condamné, le 20 mars, par le tribunal correctionnel de Paris, à 100 f d’amende, condamnation confirmée en appel le 29 avril et en cassation le 12 novembre. En juin 1870, il protesta contre l’accusation de société secrète à l’encontre de l’AIT (cf. Le Rappel et La Cloche, 22 juin).
Victor Delahaye avait accompli cinq ans de service dans les Équipages de la flotte avant d’être libéré en 1863. Il exerça alors, jusqu’en 1870, le métier d’agent des Ponts et Chaussées, puis fut ouvrier mécanicien. Il habitait, 58, rue des Amandiers, XXe arr.

Victor Delahaye devint président du syndicat des mécaniciens. Sous la Commune de Paris, ce groupement, ainsi que l’Association métallurgique, décidèrent le 23 avril 1871, conformément au décret de la Commune en date du 16, de déléguer deux de leurs membres à la commission d’organisation du travail, et ils donnèrent à ces délégués les instructions générales suivantes :

— Supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme, dernière forme de l’esclavage.

— Organiser le travail par associations solidaires à capital collectif et inaliénable.

La réunion du 23 avril était présidée par Delahaye — Coudriet A. et Rigault A. étant assesseurs. (J.O. Commune, 25 avril 1871.)

Avec Faron, Jacquier, Lemel, L. Martin, Minet et Petit, Delahaye fit partie de la commission exécutive de la commission d’enquête et d’organisation du travail créée sous la Commune et qui tenta de grouper toutes les corporations ouvrières de Paris. (J.O. Commune, 10 et 17 mai 1871.) Delahaye exerça également, à partir du 17 mai, les fonctions de comptable à la Bibliothèque nationale (cf. J.O. Commune du 18).

Par contumace, le 3e conseil de guerre le condamna, le 26 janvier 1874, à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Dès août 1871, il se trouvait à Londres, puisque Marx écrivait à Bolte, le 25 (cf. Correspondance F. Engels, K. Marx et divers publiée par F. A. Sorge dans œuvres complètes de F. Engels, t. I, Paris, 1950, p. 39), que Delahaye faisait partie du conseil général, au titre d’« agent de la Commune » (il y fut appelé le 18 juillet selon A. Lehning. Cf. Archives Bakounine, vol. I, 2e partie, p. 488, n. 394.) En cette qualité, il fut un des signataires de la troisième édition de la Guerre civile en France, l’initiale de son prénom étant, à tort, donnée E. Il assista également, sans être toutefois délégué officiel, à la conférence de Londres, en septembre 1871. Le recueil de documents intitulé La Première Internationale, publié sous la direction de J. Freymond, en 1962, signale que c’est à la conférence de Londres que Delahaye Victor, Alfred — et non Pierre, Louis — proposa la résolution : « Il sera formé, pour chaque corps de métier, une fédération internationale de tous les groupes isolés et fédérés géographiquement » (cf. t. II, p. 181), résolution qui devint, très remaniée, la résolution VII de la conférence (cf. p. 235) : « Le conseil général est invité à appuyer, comme par le passé, la tendance croissante des sociétés de résistance d’un pays de se mettre en rapport avec les sociétés de résistance du même métier dans tous les autres pays. L’efficacité de sa fonction comme intermédiaire international entre les sociétés de résistance nationale dépendra essentiellement du concours que ces sociétés elles-mêmes prêteront à la statistique générale du travail poursuivie par l’Internationale. »

Selon Testut — Arch. PPo., B a/435 — Victor Delahaye fut, l’année suivante, à Londres, un des organisateurs, avec Joffrin, du meeting du premier anniversaire du 18 mars 1871.

Il vota avec Eccarius et Hales contre Marx le 29 mai 1872, à une réunion du conseil général (cf. lettre de Marx à Sorge de ce jour dans Correspondance F. Engels, K. Marx... citée plus haut.)
En août 1872, furent déposés à Londres les statuts d’un Comité révolutionnaire du prolétariat. Delahaye en était un des animateurs et, le 1er octobre 1874, les dirigeants du comité définissaient ses buts et ses moyens d’action dans une brochure intitulée À la classe ouvrière :

— Pendant la « période militante » :

« 1° Au point de vue politique — Nous voulons constituer le parti socialiste ouvrier.

« 2° Au point de vue économique — Nous nous efforçons de propager les sociétés ouvrières de prévoyance et de résistance, de les fédérer nationalement et internationalement » (p. 8).

Toujours en ce qui concerne les moyens, le comité se prononçait, à l’occasion, pour le bulletin de vote : « L’abstention politique est le pire de tous les moyens, quand, à défaut d’un fusil, nous n’avons d’autre moyen de lutte que le bulletin de vote. Il faut voter » (p. 8).

Mais il convenait de voter en faveur de candidats appartenant à la classe des travailleurs et non pour « des propriétaires, pour des exploiteurs, des avocats, des journalistes, des hommes de lettres, des banquiers, etc... »

— Au lendemain de la prise du pouvoir, le comité envisageait avec faveur la dictature :

« Quant à la forme du gouvernement, bien que, en principe, nous soyons fédéralistes, nous croyons que la dictature de la classe ouvrière est indispensable, tout au moins pendant la période de transformation, pour fonder une société ayant pour base l’égalité sociale. Nous sommes persuadés que le moyen qui sert si bien la minorité bourgeoise pour nous opprimer pourra, à plus forte raison, servir la majorité ouvrière à s’émanciper » (p. 11).

— Pour finir, le comité déclarait que « le programme de la classe ouvrière se réduit à ceci :

« S’emparer du pouvoir politique ;

« Décréter aussitôt l’abolition de la propriété individuelle et privée, l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ;

« Mettre immédiatement en pratique le nouveau mode de production ;

« Organiser l’armée de la révolution, les finances, la police, l’enseignement, écraser la réaction clérico-bourgeoise à l’intérieur ;

« Se préparer à vaincre la coalition étrangère à l’extérieur. »

« Quand le terrain sera déblayé, quand la destruction de la bourgeoisie et de ses institutions sera complète, la forme du gouvernement ne sera évidemment plus qu’un détail, une simple question administrative » (p. 14).

Et les rédacteurs concluaient ainsi cet exposé relatif au Comité révolutionnaire du Prolétariat :

— Son but : L’émancipation immédiate et absolue de la classe ouvrière.

— Ses principaux moyens d’agitation : les élections, les grèves et la propagande antireligieuse.

Le document était signé :

— La commission exécutive : A. Dardelle, dessinateur ; E. Maujean, ouvrier en pianos ; C. Simonaud, ouvrier tailleur.

— La commission de propagande : V. Delahaye, ouvrier mécanicien ; J. Joffrin, ouvrier mécanicien ; J. Rinck, ouvrier feuillagiste.

— La commission de contrôle et d’enquêtes : E. Blond, doreur sur métaux ; A. Cannesson, ouvrier en pianos ; M. Delacroix, ouvrier mécanicien.

Cette brochure en annonçait d’autres sur l’organisation du travail, de l’armée, des finances, de la police... Elles demeurèrent à l’état de projet.
En avril 1879, Victor Delahaye était père de quatre enfants dont l’aîné avait six ans. Il fut gracié le 24 mai 1879.

De retour en France, il travailla chez lui à la fabrication d’appareils télégraphiques pour des maisons anglaises, ou encore, et le plus souvent, dans une maison anglaise, sise, quai de Jemmapes, n° 152.
Il continua de participer au mouvement social. De 1883 à 1888, il fut conseiller municipal radical socialiste de Saint-Ouen. Le 4 octobre 1885, il fut candidat aux élections législatives (comité Tolain), mais non élu. Un Victor Delahaye — il y a vraisemblablement identité — qui représentait les ouvriers mécaniciens Professionnelle (sic) de Paris assistait comme délégué au congrès constitutif de la Fédération nationale des syndicats qui se tint à Lyon en octobre 1886.

Membre de l’union des mécaniciens de la Seine, Victor Delahaye fut, à plusieurs reprises, délégué à l’étranger : en 1876, à l’exposition de Philadelphie ; en 1883, à l’exposition d’Amsterdam.

Membre du conseil supérieur du Travail depuis 1883, il fut, en 1890, délégué par le gouvernement français à la 1re conférence internationale du travail, à Berlin. Il fut décoré de la Légion d’honneur.

En 1882, il avait demandé, ainsi que chacun de ses deux frères encore vivants, une indemnité comme fils d’une victime du coup d’État de 1851, son père Victor, François, serrurier mécanicien, né à Landivy (Mayenne) en 1799, décédé en 1863, ayant été détenu six mois et son établissement, d’une valeur de 25 000 à 30 000 f et qui occupait trois ouvriers, ayant sombré. Il était veuf quand il fut arrêté, et élevait six enfants dont l’aîné avait treize ans. Il fut astreint à résidence surveillée à Laval.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article135906, notice DELAHAYE Victor, Alfred, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 30 juin 2020.

ŒUVRE : À la Classe ouvrière. Par le Comité révolutionnaire du Prolétariat, Londres, le 1er octobre 1874, Londres, Delahaye (1874) in-16°, 16 p., Bibl. Nat., Lb 57/5055. — Rapport sur l’exposition internationale d’Amsterdam de 1883 (titre approximatif) Paris, Imprimerie nouvelle, c. rendu dans la Revue socialiste, n° 21, septembre 1886, dont Delahaye était le collaborateur.

SOURCES : La signature autographe de Delahaye figure à Arch. PPo., B a/441, pièce 6543. ;
Arch. Nat., BB 24/855, n°2035 et BB 27, F15 4054 ; Arch. PPo., Ba/435, rapport Testut, 29 novembre 1875, Ba/465, Ba/1028, Ba/441, pièce 6543 (signature autographe de Delahaye) ; Le Rappel et La Cloche, 22 juin 1868 ; J.O. Commune, 10 mai, 17 mai, 18 mai 1871 entre autres ; La Torpille, passim ; J. Freymond (dir.), La Première Internationale. Recueil de documents, Genève, Droz, 4 vols, 1962-1971 ; Miklos Molnár, Le Déclin de la Première Internationale, Genève, Droz, 1963 ; Denise Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Paris, Arch. nat., 1992. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021.

ICONOGRAPHIE : L’Éclair, 20 mars 1890.

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