POINSARD Jeanne-Marie, Fabienne (dite parfois POINSARD Jenny). Pseudonyme littéraire : Jenny P. d’HÉRICOURT

Par Karine Pichon

Née le 9 septembre 1809 à Besançon (Doubs), morte le 12 janvier 1875 à Paris (XVIIe arr.) ; institutrice puis docteur en médecine et sage-femme ; romancière et femme de lettres ; communiste icarienne et pionnière du féminisme social.

En hommage à son père, fervent protestant et doreur d’horloges, mort quand elle avait huit ans, Jeanne-Marie Poinsard prit pour pseudonyme le nom du village natal de ce dernier, Héricourt (Haute-Saône). Elle aurait été apparentée au grand savant Georges Cuvier.
A la mort de son père, elle quitta Besançon pour Paris. Après avoir reçu une éducation protestante éclairée et républicaine, elle obtint à dix-huit ans son diplôme d’institutrice. En 1832, elle épousa Michel, Gabriel, Joseph Marie, professeur de langue résidant au Palais Bourbon, qu’elle quitta après quatre années d’union malheureuse. Elle se fit dès lors la fervente avocate d’une légalisation du divorce, encore impossible en France à cette date.
Passionnée de science, elle entreprit des études de médecine homéopathique et revendiqua pour les femmes le droit de devenir médecin. Elle publia parallèlement plusieurs romans.

Durant les années 1840, Jenny Poinsard adhéra au communisme icarien. C’est vraisemblablement elle qui, sous le pseudonyme de Félix Lamb, donna au Populaire un roman paru en feuilleton, Le Fils du réprouvé, et fut l’auteur de plusieurs hymnes icariens, parmi lesquels Le Chant du départ icarien.
Lorsqu’éclata la Révolution de février 1848, Jenny Poinsard s’engagea sans hésiter aux côtés des révolutionnaires et fonda une Société pour l’Émancipation des femmes réunissant une trentaine de femmes « dans le but de demander leur affranchissement, de les aider à socialiser le travail, d’établir une école pour les ouvriers des deux sexes, et d’influencer les élections » (cf le Manifeste daté du 16 mars 1848, signé par Longuevilly, prés. et J. P. d’Héricourt, secrétaire). Elle était à cette date en relations avec Eugénie Niboyet et Jeanne Deroin, mais aussi avec Étienne Cabet*. Membre du Club des femmes, très populaire parmi les ouvriers et ouvrières de la capitale, elle prit la parole dans divers clubs et participa à une immense assemblée populaire patronnée par les dames républicaines. Au lendemain de la manifestation du 15 mai 1848, elle aurait caché Auguste Blanqui* chez elle durant quelques jours. En 1849, elle collabora vraisemblablement au journal L’Opinion des femmes lancé par Jeanne Deroin, signant ses articles Jeanne-Marie*.
Au lendemain du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Jenny Poinsard reprit ses études et obtint son diplôme de sage-femme. À partir de 1855, elle écrivit pour de nombreuses revues. La Ragione, revue philosophique italienne très libérale, publia quatorze de ses articles ayant pour thèmes les droits de la femme, le mariage et le divorce. Dans la Revue philosophique et religieuse, de Paris, elle proposa une critique des positions d’Auguste Comte et de Pierre-Joseph Proudhon* sur l’infériorité intellectuelle des femmes, ainsi qu’une série d’articles intitulée « La Bible et la question des femmes ». Ces travaux eurent une résonance dans toute l’Europe, et ses écrits contribuèrent à lancer ou relancer le débat sur la condition féminine. Ses articles furent alors publiés aussi bien dans la presse genevoise et londonienne, qu’en Russie et en Allemagne, mais son influence fut plus grande encore en Italie, lors de la naissance du mouvement féministe italien.
En 1860, Jenny Poinsard publia simultanément à Bruxelles et à Paris son œuvre majeure, La Femme affranchie : réponse à MM. Michelet, Proudhon, É. de Girardin, A. Comte et autres novateurs modernes, une critique virulente des écrits de certains des auteurs français les plus en vue. Jenny Poinsard attaquait particulièrement leurs idées qui faisaient des femmes des êtres physiquement et intellectuellement inférieurs. Elle exposait ensuite clairement et de manière argumentée sa propre philosophie de la femme. Cet ouvrage allait exercer une influence décisive sur la pensée féministe européenne du dix-neuvième siècle.
En 1864, La Femme affranchie fut publié aux États-Unis sous le titre A Woman’s Philosophy of Woman, or Woman Affranchised : an Answer to Michelet, Proudhon, Girardin, Legouvé, Comte, and Other Modern Innovators. Jenny Poinsard s’installa à la même époque à Chicago (peut-être pour tenter d’y récupérer un héritage), où elle se lia avec Marie Livermore, fondatrice du journal The Agitator, qui publia sa première biographie (1er mai 1869) en réponse à un article de la Genevoise Marie Goegg sur le mouvement féministe en Europe publié dans The Revolution (15 avril 1869) qui omettait le mouvement français. Par l’intermédiaire du club littéraire de dames, le Fortnightly Club, dont Kate Newell Dogget était la fondatrice, Jenny Poinsard fit la connaissance de l’état-major du mouvement américain pour le droit des femmes, notamment Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony.
Aux USA, Jenny Poinsard s’employa à resserrer les rapports entre féministes du Nouveau Monde et féministes européennes, en favorisant par exemple une correspondance suivie entre Léon Richer, éditeur du Droit des femmes à Paris, et les femmes américaines. Elle publia notamment dans The Agitator un texte intitulé « Women’s Rights in France » (1er mai et 7 août 1869). En mai 1869, elle proposa également dans un discours prononcé en français à l’occasion du congrès de l’American Equal Rights Association, la création d’une ligue internationale des femmes, dont le texte fut reproduit dans The Revolution le 3 Juin 1869.
Elle rentra en France fin 1872 et fut très active dans le cercle qui s’était formé autour de Léon Richer jusqu’à sa mort, au début de l’année 1875 à son domicile 11, avenue de Clichy (Paris XVIIe arr.). Il est intéressant de noter que les deux témoins signataires de l’acte de décès étaient Charles Fauvety et le consul de France Paulin Niboyet, fils d’Eugénie Niboyet.
Jenny Poinsard fut enterrée à Saint-Ouen. Son testament demandait à ses héritiers de détruire ses papiers et de préparer une version bon marché de La Femme affranchie dont les droits d’auteur seraient partagés entre eux-mêmes et une école professionnelle pour jeunes filles fondée par Élisa Lemonnier.

Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136001, notice POINSARD Jeanne-Marie, Fabienne (dite parfois POINSARD Jenny). Pseudonyme littéraire : Jenny P. d'HÉRICOURT par Karine Pichon, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 18 septembre 2022.

Par Karine Pichon

SOURCES : Lucas, Les Clubs et les clubistes, Paris, Dentu, 1851. — Biographie de Jenny P. D’Héricourt parue dans The Agitator, 8 mai 1869. — Alessandra Anteghini, Socialismo e femminismo nella Francia del XIX secolo : Jenny d’Hericourt, Gênes, 1988. — Karen Offen, « Qui est Jenny P. D’Héricourt ? Une identité retrouvée », 1848, révolutions et mutations au XIXe siècle, n° 3, 1987. — Karen Offen, « Jenny P. D’Héricourt », Encyclopedia of Continental European Women Writers, Garland, 1991. — Frauen in der Soziologie : neun Portraits ; hrsg. von Claudia Honegger und Theresa Wobbe, München, Beck, 1998, 336 p. — Notes de Jean-Pierre Bonnet et de Pierre Baudrier.

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