RENARD Georges [RENARD François, Georges]

Par Justinien Raymond

Né le 21 novembre 1847 à Amillis (Seine-et-Marne) ; mort le 17 octobre 1930 à Paris ; célibataire en 1871 ; professeur ; écrivain ; secrétaire, sous la Commune de Paris, du délégué à la guerre Rossel ; par la suite, membre éminent du Parti socialiste ; professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, puis au Collège de France.

Élève du lycée Napoléon (maintenant lycée Corneille ?) (Seine-et-Marne ?), Georges Renard entra en 1867 à l’École normale supérieure avec le n° 1 et se destinait à l’agrégation d’histoire ; il n’avait pas achevé ses études lorsque la guerre éclata : « Je fus alors une goutte d’eau emportée, roulée par un ouragan furieux, un pauvre être entraîné, enveloppé, broyé dans la catastrophe d’une nation entière », dit-il. Il s’engagea comme volontaire aux gardes mobiles de la Seine, 7e bataillon, 2e compagnie, et eut d’abord la déception de rester au dépôt, faute de fusils. Les recrues furent ensuite dirigées sur Saint-Maur-des-Fossés et Renard rentrait chaque soir dans sa famille à Vincennes. Les Bretons de sa compagnie, sales, illettrés en même temps que braves et pitoyables, lui firent perdre moins d’illusions sur l’armée régulière que son lieutenant incapable de lire une carte. Il reçut le baptême du feu vers le 15 août 1870 — et Sedan lui fit l’effet d’un coup de foudre ; mais une « fièvre bilieuse » et une chute malencontreuse faite en sautant un fossé lui valurent, avec des rhumatismes, un long séjour à l’ambulance.
Après l’armistice, ses parents s’installèrent, 80, boulevard de Port-Royal, au coin de la rue de la Santé, à la limite du XIIIe et du XIVe arr., et il se remit sérieusement à préparer l’agrégation tout en travaillant avec des camarades à une Histoire de la guerre. Il ignorait alors le monde ouvrier, mais ressentait la réprobation qui montait de toutes les couches de la population vers l’autorité légale ; il voyait, de par sa formation et son expérience, que l’opposition, sur le problème de la paix, des militaires pessimistes et du peuple exalté recouvrait celle, plus profonde, des bourgeois redoutant un nouveau 93 et des classes pauvres soucieuses de salut public.

Lorsque éclata la Commune, Georges Renard voulut prendre parti, et sa connaissance de Proudhon l’inclina vers les fédérés ; mais ses rhumatismes lui interdisant tout service actif, il s’adressa à Léo Seguin, son camarade de collège et de bataillon, qui l’introduisit auprès de Rossel. Le délégué à la Guerre le prit pour secrétaire et le jeune homme s’attacha à ce chef qui disait son amour des humbles en même temps que son désir de relever la patrie. Renard avait le grade de sous-lieutenant, une solde quotidienne de 5 F et, à partir du 9 avril 1871, travailla de 9 h à 18 h — quelquefois 12 ou même 24 heures — sauf un repas frugal pris avec Rossel et ses collègues place Sainte-Clotilde. Il s’occupait en particulier de l’organisation de chaque légion et distribuait le travail aux employés du bureau créé à cette intention. Lorsque Delescluze remplaça Rossel, il parut tenir en suspicion les employés de son prédécesseur, et Georges Renard préféra démissionner le 13 avril, écrivant dans sa lettre : « Je tâcherai de servir de quelque autre façon la cause que nous défendons » — phrase qui plus tard fut interprétée comme l’annonce de son engagement parmi les combattants.

En fait, il s’était retiré dans une maison amie, et la solidarité franc-maçonnique lui procura des asiles successifs. Il pensait que la répression serait brève et il se trouvait aux eaux de Forges — sans doute Forges-les-Eaux (Seine-Inférieure) — avec de nombreux cousins lorsque sa sœur lui apporta, au début de juillet, des nouvelles inquiétantes : l’École normale ne le soutenait pas, l’agrégation lui était défendue ; il fut tenté par l’annonce demandant à Vevey (Suisse) un professeur de français et paya d’audace : il emprunta l’uniforme d’un cousin, élève de Polytechnique, et un laissez-passer — qui ne l’autorisait d’ailleurs pas à sortir de France — pour gagner Genève. Professeur au collège de Vevey, il passa à la Faculté des lettres de Lausanne.

Le 20 février 1873, le 4e conseil de guerre le condamna par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée ; on faisait état contre lui de son instruction, de son intelligence mises au service de l’insurrection ; de surcroît, on le confondait plus ou moins avec Jules Renard et Charles Renard, affectés assez curieusement au même service. L’amnistie n’intervint pour lui que le 20 mars 1879.
Il porta sur l’insurrection un jugement aussi exact que nuancé dans l’article publié par la Revue blanche le 15 mars 1897 : « Un désordre extrême, le manque d’une claire idée directrice, des hésitations graves sur la question de savoir si la révolution devait être surtout politique ou sociale, purement parisienne ou faite par la France entière [...] et malgré tout un souffle généreux, une aspiration puissante vers la justice, un effort pour pousser le monde en avant sur la route ardue où il chemine. » Et il nota pour conséquences, au-delà du découragement immédiat, la tournure nouvelle, scientifique, d’un socialisme désormais inspiré de Marx et de la lutte des classes.

De formation littéraire, G. Renard fut de plus en plus attiré par les sciences sociales. C’est cette vocation qui explique son retour en France où, à l’appel de Millerand, ministre du Commerce, il vint occuper la chaire d’Histoire du Travail créée au Conservatoire national des Arts et Métiers. Parallèlement, il assura un enseignement au Collège libre des Sciences sociales. Dans ces deux établissements son influence fut grande. Il a éveillé des vocations, orienté des convictions : François Simiand, Charles Péguy, Albert Thomas ont été parmi ses premiers disciples. En 1907, la ville de Paris ayant décidé la création d’une chaire d’Histoire du Travail au Collège de France, l’État décida d’y transférer celle du Conservatoire avec son titulaire. G. Renard ne fut donc pas coopté par ses pairs selon l’usage du Collège, mais accueilli avec sympathie sur sa réputation et adopté sur ses mérites. Avec « scrupule », avec une « naturelle allégresse », au témoignage de l’administrateur du Collège de France (J. Bédier, op. cit., p. 511), il se plia à la règle de l’illustre maison qui veut qu’un cours n’y soit jamais répété, que chacun représente un effort neuf, la recherche de la veille. G. Renard en publiait le contenu et en prolongeait ainsi l’effet : quinze volumes sont sortis de ses vingt-trois ans d’enseignement. L’Histoire du Travail à Florence, publié en 1913 seulement, est le fruit de son cours inaugural poursuivi pendant deux ans, de 1907 à 1909. Il était consacré à la ville qui, au Moyen Âge, incarnait le régime de la république municipale et corporative. Mais son enseignement plongeait aussi dans la réalité contemporaine.
Ainsi, de 1909 à 1911, il étudia l’évolution industrielle depuis 150 ans et, sous ce titre, en fit, en 1912, un des volumes de la collection Histoire universelle du Travail dont il était le fondateur. Trois volumes d’une autre collection lancée et dirigée par lui, la Bibliothèque sociale des métiers, reproduisent trois cours professés au Collège de 1920 à 1923. Sa production littéraire ou historique ne se bornait pas à divulguer le contenu de son enseignement. Elle est aussi pour une large part création directe et neuve.
Professeur au Collège de France, G. Renard restait fidèle aux convictions embrassées dans sa jeunesse, même quand, le socialisme s’épanouissant sous une forme nouvelle, il se tint en dehors de ses organisations. On peut mettre au compte d’un témoignage de foi socialiste la critique littéraire qu’il mena à La Petite République, de 1893 à 1898. Elle suscita un vif intérêt dans la jeunesse intellectuelle et il en publia l’essentiel sous le titre « Critique de combat ». Il n’était pas homme à abaisser pour vulgariser. Il poursuivit cette œuvre dans l’esprit qui guida son enseignement littéraire et qu’il définit lui-même dans le titre d’un ouvrage de 1900 : « La méthode scientifique de la critique littéraire. » Il rapportait toute œuvre d’art à son auteur et l’intention de celui-ci à l’état psychologique dans lequel il baignait avec tous ses contemporains. Georges Renard se rangeait donc dans l’école déterministe.
Plus directement engagé dans la mêlée sociale, il fut directeur de La Revue socialiste et c’est à la revue qu’il publia son Régime socialiste. Il appela à y collaborer de jeunes universitaires comme Albert et Edgard Milhaud, Simiand. Il y maintint l’esprit de son prédécesseur Benoît Malon.
Les liens étroits qui l’unissaient à Millerand, à l’homme dont il fut le collaborateur à La Petite République (voir la Revue socialiste n°34, janv.-fév. 1950 pp. 94-110) et dont il partageait les conceptions socialistes, tinrent G. Renard à l’écart du socialisme unifié en 1905. Mais il resta toujours attaché à la cause du peuple et de la démocratie comme en témoigne une bonne partie de son œuvre écrite, comme en témoignèrent l’esprit qui animait son enseignement et les domaines qu’il explorait. Il a défini lui-même son socialisme idéaliste et optimiste quand il a dit : « Le meilleur de moi-même, c’est ma pitié pour ceux qui souffrent, ma foi en l’avenir, mon amour de la justice et de la vérité ; c’est une résolution, calme et invincible, de m’efforcer de rendre plus humaine, plus fraternelle, plus rayonnante, la société où vivront nos successeurs sur la terre (J. Bédier, op. cit., p. 512). Il rêvait d’une société qui tout entière serait élite » (ibid.). Il croyait l’édifier par la démocratie qu’il définissait comme « un arbre qui voudrait tout entier être en fleur » (ibid.). Une telle conception du socialisme pouvait lui montrer dans la chaire professorale qu’il occupait le poste idéal de combat. Il croyait aux progrès de l’esprit humain et faisait confiance à la raison en rationaliste, militant de la Libre Pensée qu’il était. « À toutes les internationales déjà connues, la nôtre, la rouge, la jaune, il faudrait, disait-il, joindre l’internationale blanche, celle de la lumière, celle de la Science. Elle prépare l’union des cœurs par l’union des intelligences. » (J. Bédier, op. cit., p. 510).
G. Renard gardait cependant un lien avec la vie militante, au sein du syndicat des Journalistes socialistes qu’il avait contribué à fonder le 1er mai 1893. De 1928 à sa mort, il en fut le président et, jusqu’au bout, se consacra à la défense des intérêts de ses confrères. Il s’intéressait aussi à ce qui, dans le Parti socialiste, lui paraissait effort de pensée, de réflexion. Il communiqua à La Nouvelle Revue socialiste (n° 32, 1930, p. 404) deux lettres par lesquelles Maurice Barrès lui disait en 1895 se sentir attiré vers le socialisme. À cette revue, il donna lui-même un « Hymne au Travail » qui est le témoignage d’un homme laborieux et d’un ami des travailleurs.
Aux amis et disciples qui, en 1927, fêtaient ses 80 ans, G. Renard déclara « en guise de testament philosophique [...], je finis ma vie, croyant à la noblesse et à l’efficacité du travail humain pour assurer à tous savoir et bien-être, croyant à l’avenir de la France et de l’Europe démocratique, croyant à l’avènement certain de la paix universelle et de la justice sociale sur une terre fédérée et unifiée » (J. Bédier, pp. 512-513). Trois ans après cet acte de foi dans l’épanouissement de la future cité socialiste, il prépara, à 83 ans, un cours d’adieu au Collège de France sur les « Cités imaginaires » que la mort l’empêcha de professer.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136011, notice RENARD Georges [RENARD François, Georges] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 7 février 2020.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE :
_ Journaux et revues auxquels collabora Georges Renard : La Petite République. — La Dépêche de Toulouse. — La France libre, organe des fidèles de la politique de défense nationale au sein de la SFIO, à dater du 2 juillet 1918. — La Raison, organe de la Libre Pensée. — La Revue socialiste (il en fut le directeur de 1894 au début de 1898). — La Revue politique et littéraire. — La Revue du mois. Les écrits essentiels de G. Renard publiés dans ces trois dernières revues ont parfois connu des éditions à part : elles ne sont pas signalées ci-dessous.
_ Écrits divers. De l’œuvre abondante de G. Renard, nous n’avons retenu que les écrits intéressant le mouvement socialiste (cotes de la Bibl. Nat.) :
_ La Conversion d’André Savenay, roman socialiste (Paris, Dentu, 1892). — Un exilé, Paris, 1893. — Critique de combat (Paris, Dentu, 1894). Même titre, 2e série, Paris, V. Giard et E. Brière, s.d., et 3e série, Paris, Société libre d’édition des gens de lettres, 1897. — Socialisme intégral et marxisme, Paris, Librairie de la Revue socialiste, 1896. — Le Régime socialiste, principes de son organisation politique et économique, Paris, 1898, in-18, 188 p. (8° R. 15 044). — La Deuxième République française (1848-1851, Paris, s.d., in-4°, 384 p. fig. (4° La 31/ 47 (9)) in Histoire socialiste (1789-1900) publiée sous la direction de J. Jaurès. — La République de 1848. Notes et références avec index alphabétique. Complément de l’ouvrage publié par l’auteur sous le même titre. Paris, 1906. Gr. in-8°, 33 p. (4° Lb 57/ 105). — Paroles d’avenir, Paris, 1904, in-16. 101 p. (8° R. 17 152). — Le Socialisme à l’œuvre, ce qu’on a fait, ce qu’on peut faire. En collaboration avec A. Berthod, G. Fréville, A. Landry, P. Mantoux, F. Simiand, Paris, 1907, in-16, VII-493 p. (8° R. 21 349). — Syndicats, Trade-Unions et Corporations, Paris, 1909, 413 p.

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/860 B et BB 27. — La Revue Blanche, 1897. — Paul Louis, Le Parti socialiste en France, Paris, 1912 (p. 44). — Compère-Morel, Grand Dictionnaire socialiste, op. cit., p. 716. — Jean Longuet, « Georges Renard » in La Nouvelle Revue socialiste, 4e année, n° 33, 15 septembre-1er novembre 1930, pp. 505-507. — Joseph Bédier, de l’Académie française, administrateur du Collège de France : « Discours prononcé le 20 octobre 1930 au Columbarium du Père Lachaise devant le cercueil de G. Renard », publié in extenso in La Nouvelle Revue socialiste, 4e année, n° 33, pp. 508-513. — E.-W. Schulkind, La Littérature de la Commune de 1871, thèse, Paris, avril 1951. — Hélène Heinzely, Le Mouvement socialiste devant les problèmes du féminisme, 1879-1914, DES, Paris, 219 p. 1 carte, exemplaire dactylographié p. 116. — Syndicat des Journalistes socialistes. Annuaire pour 1935, voir : « La Fondation du syndicat » par A. Chaboseau, pp. 16-18. — L’Actualité de l’Histoire, n° 6, janvier 1954, pp. 24-25.

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