RENOU Victor [RENOU Louis, Victor]

Par Justinien Raymond

Né le 30 décembre 1845 à Paris, mort le 18 août 1904 à Paris (XVIIe arr.) ; ouvrier tailleur de pierre ; combattant de la Commune de Paris ; militant syndicaliste ; coopérateur et socialiste ; conseiller général et député de la Seine.

Victor Renou était fils d’un marbrier. En 1871, sa mère, veuve, chez qui il habitait, vendait encore des marbres funéraires, 114, boulevard de Clichy.
Il entra jeune dans les groupes blanquistes en 1867-1868 et, avec eux, combattit l’Empire. Pendant le siège de Paris, il appartint au 15e bataillon des Mobiles de la Seine. Après avoir été exempté comme fils aîné de veuve, il entra à la 1re compagnie de marche du 61e bataillon de la Garde nationale et y fut sergent-major. Il remplit également les fonctions de secrétaire du commissaire de police du quartier des Épinettes, XVIIe arr. Il combattit notamment aux Moulineaux. Les rapports de police le présentent comme « un garçon à craindre » (Arch. PPo., 22 juillet 1871) et comme ayant « été l’un des partisans les plus ardents de l’insurrection » (ibid. s.d.). Un rapport postérieur (29 mai 1873) le « soupçonne fortement d’avoir contribué à l’incendie », dans Paris, mais reconnaît qu’« on n’a pu [en] acquérir la preuve ».
Renou qui avait échappé à l’arrestation, vivait à Paris lorsqu’il épousa à la mairie du XVIIe arrondissement le 23 novembre 1872, Louise Justine Leber, couturière. Le 3e conseil de guerre de Versailles, le 31 octobre 1873, le condamna par contumace à la déportation dans une enceinte fortifiée « pour avoir en 1871, à Paris, exercé une fonction dans les bandes armées et, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes ».
Il s’était réfugié à Bruxelles où il vécut de son métier, mais sans déserter le combat social : il fonda parmi les proscrits le groupe « l’Égalité » et en fut le trésorier. Un rapport de police belge le situe, le 14 mai 1877, 11, rue des Trois-Têtes, à Bruxelles et en fixe quelques traits : 1 m 63, cheveux et sourcils châtains, moustache brune, visage rond, front bas et yeux bruns, joues légèrement enflammées près du nez.

Gracié par décret du 17 mai 1879, V. Renou rentra à Paris, s’installa rue des Dames au loyer annuel de 400 f., reprit sa profession et sa vie de militant. Il s’attacha à l’organisation corporative des travailleurs. Il fut secrétaire adjoint du Comité de Vigilance des conseillers prud’hommes ouvriers, délégué au secrétariat national du Travail et aux congrès ouvriers internationaux de Bruxelles (1891) et de Zurich.
Mais il participa aussi, dans Paris, à l’organisation du Parti ouvrier après le congrès de Marseille de 1879 : il fut un des fondateurs du Cercle des Batignolles (XVIIe arr.). Au cours des scissions qui affectèrent le jeune Parti ouvrier, Renou se rangea chaque fois dans la majorité des groupes parisiens, avec les possibilistes contre les guesdistes en 1882, avec les allemanistes contre les broussistes en 1890. Avec la FTSF, Renou combattit le boulangisme et, plus tard, lutta pour la révision du procès Dreyfus avec les groupes allemanistes. En 1893, il représenta ces derniers au Comité de la Ligue d’action socialiste révolutionnaire pour la conquête de la République sociale qui groupait cinq organisations socialistes et des délégués des syndicats. Le 30 janvier, il y fit décider que les membres de la Ligue exerçant des professions libérales devaient être étroitement surveillés et exclus à la première incartade. Renou nourrissait contre les intellectuels toutes les préventions du POSR. Ce dernier vit, en cet ouvrier, en ce syndicaliste, un militant de choix, l’utilisa dans son quartier, dans la région parisienne et l’envoya aux quatre coins du pays comme orateur de réunions publiques ou agitateur sur les champs de grève. En province, son passage fut signalé à Armentières, à Thizy, à Cognac, à Angoulême, à Nantes, à Pouilly-sur-Saône, dans plusieurs localités des Ardennes et à Arles où, en 1897, il tenta vainement d’entraîner la fédération des Bouches-du-Rhône au POSR. En juillet 1899, il passa huit jours auprès des grévistes de Gueugnon. Le POSR lui ouvrit enfin une carrière politique qui devait l’éloigner de lui.
Quand survint la scission de Châtellerault (1890) où il avait été délégué et d’où sortit le POSR, Renou venait d’être candidat aux élections municipales du quartier des Batignolles où il avait recueilli 722 voix sur 8 417 votants. Il habitait alors, 3, rue Mariotte, XVIIe arr., au loyer annuel de 480 F. Toujours ouvrier tailleur de pierre, il gagnait de 8 à 9 f par jour et assurait à sa femme et à ses cinq enfants « une certaine aisance » à leur « façon de vivre » (Arch. PPo., 18 avril 1890). Renou était alors depuis plusieurs années administrateur de la Caisse des écoles du XVIIe arr. Il était « bien connu » dans son quartier où, malgré le reproche de « fréquenter un peu trop assidûment les débits de boissons... » on le représente comme un très honnête homme » (ibid.). Cette première tentative électorale infructueuse dans un quartier où il était enraciné ne semblait pas lui promettre, au dehors, une fortune politique, d’autant qu’il n’était « pas un orateur » (ibid.). Il rencontrera pourtant le succès après un nouvel échec dans le XVIIe arr. (quartier des Épinettes) où, en avril 1893, il porta les couleurs du POSR contre Brousse aux élections municipales : il fut battu avec 422 voix contre 5 138 sur 10 507 inscrits. Mais, le 14 mai, dans le canton de Clichy, il fut élu conseiller général au second tour de scrutin par 1 595 électeurs, le républicain modéré Ponce et le conservateur Bienaimé en rassemblant 1 531 et 976 sur 5 834 inscrits. Il abandonna ce mandat en 1896 quand il fut élu député, le POSR ne permettant pas le cumul. La mort d’Avez avait libéré le siège de la 3e circonscription de l’arrondissement de Saint-Denis (communes de Clichy et Levallois-Perret). Le POSR y posa la candidature de Renou. Au premier tour, le 23 février, il talonna le maire de Levallois-Perret Jean-Baptiste Trébois, avec 2 761 suffrages contre 2 962 sur 10 201 exprimés, et distança l’autre candidat socialiste, Aristide Briand (1 820), et le radical Allaire (1 391). Le désistement de ces derniers lui permit de l’emporter au second tour par 5 120 voix contre 4332 à Trébois.
Il ne pouvait guère être un député éloquent. Au cours d’un compte rendu de mandat à Clichy en avril 1898, un auditeur lui reprocha de n’avoir jamais pris la parole à la Chambre. C’était inexact. Renou rappela être intervenu à propos de bagarres survenues au cimetière de Clichy et à l’occasion d’une grève à Pantin. Il témoigna parfois de quelque compétence dans les débats de politique sociale. Il déposa en 1896 une proposition de loi interdisant retenues, amendes et mises à pied dans les magasins et ateliers : elle n’aboutit qu’en décembre 1898. Renou venait d’être réélu député le 22 mai 1898 dans un ballottage triangulaire : 6 276 voix sur 13 343. Il avait été épaulé par « un groupe de coopérateurs » qui adressa par affiches un appel aux six mille coopérateurs de Clichy-Levallois. « Renou, il est plus que notre ami, y était-il dit, il est de notre famille. C’est un coopérateur comme nous. C’est un ouvrier comme la plupart d’entre nous [...] Il nous a défendus à maintes occasions et, rappelait-on, au congrès d’où est sortie la Verrerie d’Albi, cette œuvre superbe d’émancipation prolétarienne, c’est lui qui a dignement représenté l’Alliance des Travailleurs. À ceux que son titre de révolutionnaire pourrait effrayer nous demanderons si la coopération n’est pas elle-même une œuvre révolutionnaire ? » (Arch. PPo.).
Mais Renou devait surtout son succès au contact étroit qu’il gardait avec ses électeurs. Il multipliait les comptes rendus de mandat ; il y appelait souvent les orateurs écoutés du socialisme. Le 9 février 1900, à Clichy, étaient à ses côtés son ancien adversaire Briand et Jaurès qui célébra en Renou « le vaillant défenseur du peuple » (Arch. PPo.). À ce dernier, Renou ne ménagea pas les éloges bien qu’il n’ait pas toujours été dans les mêmes sentiments à son égard. En décembre 1895, devant l’union fédérative du Centre, le groupement régional de son parti, il fustigea les « intellectuels, tels que Fournière et autres [...] qui ne s’occupent de la question Dreyfus que parce qu’ils sont commandés par le pontife Jaurès... » (Arch. PPo., 8 décembre 1898).
Le 16 septembre 1901 devant les instances de son parti, il regretta, à propos de la communion de la fille de Jaurès, que ce dernier, « qui prêchait la libre pensée, n’ait pas la fermeté d’imposer à sa femme de repousser les préjugés de la religion » (Arch. PPo.). Pourtant, Renou finit par se rapprocher de Jaurès en s’éloignant du POSR : au reproche qu’on lui en fit à Levallois le 5 avril 1902, il répliqua qu’il était « pour l’unité » (ibid.). Il avait assisté, sans éclat, aux congrès généraux de Paris, salle Japy (1899), où il représenta l’un des deux seuls groupes allemanistes des Bouches-du-Rhône, celui d’Arles, salle Wagram (1900), ainsi qu’au congrès international qui suivit ce dernier et dont il présida la troisième séance en compagnie de Vaillant. Sur le cas Millerand déjà, il se sépara des socialistes révolutionnaires. Il se déclara « ministériel » tant que le cabinet Waldeck-Rousseau maîtrisait les cléricaux et les nationalistes et qu’il déplaçait ou cassait les généraux factieux... » Mais il « s’est vu obligé de voter contre le ministère » après « les grèves du Havre et de Saint-Étienne » et « depuis le massacre de Chalon-sur-Saône », tout en reconnaissant « que Millerand pouvait faire de la bonne besogne, même dans un ministère bourgeois » (ibid., 27 octobre 1900). Bien que n’étant pas des vingt et un députés socialistes qui votèrent pour le ministère après les incidents de Chalon, Renou les défendit devant le congrès de la salle Wagram et attaqua les doctrinaires. Cette attitude ne pouvait manquer de l’opposer à son parti. Peut-être aussi le député Renou commençait-il à trouver lourde la sujétion qui pesait sur les élus allemanistes. En mai 1899 déjà, il avait demandé à conserver 1 200 F de plus de son indemnité parlementaire. Il s’engageait d’ailleurs à payer les déplacements, très nombreux, qu’on lui imposait. En 1901, il fut délégué au congrès de Lyon.

Par lettre du 14 avril 1902, Renou prit congé du POSR « pour rester au comité d’entente socialiste » (ibid.). Il promettait de payer ses cotisations arriérées s’il était réélu. Il ne le fut pas, malgré le soutien que lui apportèrent Briand et Renaudel. Dans sa circonscription devenue la 4e avec le passage de l’arrondissement de Saint-Denis de 5 à 6 députés, il fut le candidat du PSF qu’il avait rallié. En tête au premier tour devant cinq concurrents, il devançait avec 6 408 des 16 774 suffrages exprimés, le nationaliste Firmin Faure (5167) qui le battit le 11 mai par 8 559 contre 7 725. Renou continua à militer. Il demanda l’attribution d’une recette buraliste, mais n’avait pas encore obtenu satisfaction quand il mourut. Il fut enterré civilement, le 21 août 1904, au cimetière de Saint-Ouen.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136012, notice RENOU Victor [RENOU Louis, Victor] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 27 mai 2021.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Renou a publié une brochure sur le chômage que le journal l’Éclair juge « intéressante » (n° du 19 août 1904). Il s’agit de la brochure Le Chômage : ses causes, sa durée et ses effets dénoncés par les Chambres syndicales ouvrières de France et d’Algérie, impr. Jean Allemane, 1893 (Musée social, 6304 B8/38).
Le Contrat de louage et les lois ouvrières, conférence, Paris, 1897, 24 p.

SOURCES : Arch. Nat. BB 24/859 B. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil (n° 1311). — Arch. PPo., B a/ 1240. Deux dossiers : « Pièces et rapports » et « Affiches ». — Arch. Ass. Nat. dossier biographique. — Arch. Paris, état civil reconstitué et état civil du XVIIe arrondissement. — Le Matin, 9 mars 1896 p. 1, 23 mai 1898 p. 1, 12 mai 1902 p. 1 (BNF, Gallica). — Henri Perrin, Document n° 32 (voir Perrin). — M. Poujade, Les Allemanistes à Paris, DES, Paris, p. 45 à 84, passim. — J. Verlhac, La Formation de l’Unité socialiste en France : 1898-1905, DES, Paris, p. 119. — M. Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire..., op. cit. — F. Sartorius, J.-L. De Paepe, Les Communards en exil. État de la proscription communaliste à Bruxelles et dans les faubourgs, Bruxelles, 1971. — Notes de M. Cordillot et de J. Chuzeville. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979. — Notes Roland Andréani.

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