Né le 30 juin 1831 à Paris (Xe arr.), mort le 1er juillet 1913 à Aix-les-Bains (Savoie) d’une crise d’urémie ; homme de lettres, pamphlétaire, journaliste ; arrêté après la Commune et déporté, évadé de la Nouvelle-Calédonie ; franc-maçon (?) voir Thirifocq E. ; député (1885).
Le père d’Henri Rochefort, Claude, Louis, Marie était marquis de Rochefort-Luçay, de vieille noblesse bourguignonne ; en 1793, il avait été arrêté avec sa mère, tandis que son père avait émigré à Coblentz ; après 1815, il fut nommé gouverneur de l’île Bourbon. La famille maternelle d’Henri Rochefort était, par contre, roturière et comptait un soldat des guerres de la Révolution et de l’Empire. Henri Rochefort grandit dans une famille de la bonne société et mêlée à la vie intellectuelle ; son père était journaliste, romancier ; l’enfant voyait à la maison Adolphe d’Ennery, connaissait Rachel, rencontrait Lamartine. Il commença ses classes rue Croix-des-Petits-Champs, Ier arr., et n’entra au collège Saint-Louis qu’à douze ans ; il jouit d’une bourse et regagna vite son retard. Pensionnaire, il s’évada en février 1848 pour assister dans la rue à la révolution dont il suivit le deuxième chapitre, en juin, des toits du collège, alors rue de la Harpe (Ve arr.). Il avait pour compagnon d’études Floquet, rencontra à Saint-Louis le futur général de Gallifet et se lia avec Hérisson, plus tard maire républicain.
En 1849, Rochefort était bachelier ès lettres ; il prit une inscription de médecine, mais renonça vite à des études coûteuses et qui répugnaient à sa sensibilité ; il fut un instant précepteur chez la comtesse de Montbrun, puis, au début de 1851, obtint une place à l’Hôtel de Ville ; il l’abandonna quelques années plus tard, au moment d’atteindre le grade d’inspecteur : par haine de l’Empire, parce que plus ou moins mis à l’index et parce qu’il désirait surtout faire carrière dans la presse. À vingt ans, il avait présenté un manuscrit à Henri Murger ; il se vit offrir une place au journal le Mousquetaire par Alexandre Dumas, écrivit pour le Tintamarre et entra au Charivari après l’attentat d’Orsini : on le chargea d’y écrire des légendes aux dessins de Daumier ; il collabora au Nain Jaune et au Figaro, où Villemessant le congédia pour ses chroniques trop hardies. Le 30 mai 1868, il fit paraître le n° 1 de l’hebdomadaire la Lanterne, saisie dès le n° 11 et qui lui valut une condamnation, le 13 août, à un an de prison et 10 000 f d’amende ; mais il s’était exilé à Bruxelles, où il vivait dans l’intimité de la famille Hugo, puisqu’il était le parrain du petit Georges et assista aux funérailles de Mme Victor Hugo. Il continua à critiquer l’Empire, envoyant la Lanterne en France dans des bustes creux de Napoléon III !
En 1869, il rentra en France, malgré la condamnation qui pesait sur lui, pour faire acte de candidature aux élections législatives ; il fut arrêté à la frontière — excellente publicité ! — puis relâché pour la durée de la campagne. Tout d’abord, sa lutte contre le socialiste Cantagrel et le modéré Jules Favre se termina par le triomphe de celui-ci dans la 7e circonscription de Paris ; mais Gambetta ayant préféré représenter Marseille, Rochefort fut élu député de la 1re circonscription à l’occasion d’une élection complémentaire. Sa profession de foi, telle que la reproduit le journal le Pays (21 novembre 1869) était signée : « Henri Rochefort, candidat révolutionnaire socialiste » et assignait comme objectif à la Chambre le droit au travail, l’égalité des fortunes et des salaires, l’amélioration de la condition des femmes ; elle s’achevait par la formule « Salut et fraternité » ; de même Le Rappel du 11 mai disait sous sa plume : « En dehors des modifications politiques, les réformes sociales s’imposent avec plus d’urgence encore. Démocrate et socialiste, j’appuierai énergiquement tous ceux dont les efforts tendront à augmenter le bien-être du travailleur [...] Le travail doit être constitué de façon à développer les intelligences et non à les obscurcir ». Dès les premiers jours de la session, il demanda au Corps législatif une réforme de l’armée et proclama : « Nous demandons énergiquement le rétablissement de la Commune ».
L’Empire le considérait comme l’un de ses plus grands ennemis, et son journal la Marseillaise, dont il partageait la responsabilité avec Millière, groupait bien des chefs de file de l’opposition. Après le meurtre de Victor Noir, Henri Rochefort, qui avait pris la direction du cortège funèbre, ne donna toutefois pas l’ordre de marcher sur l’Élysée comme l’espéraient plusieurs de ses amis. Il fut arrêté néanmoins le 7 février 1870, à une réunion, et emprisonné à Sainte-Pélagie : incarcéré au pavillon de la presse, il put y recevoir des visites. Est-ce là qu’il fut sollicité pour donner son adhésion à l’Internationale et qu’il aurait accepté d’être inscrit à la « section littéraire » (?), en même temps que d’entrer dans les rangs de la franc-maçonnerie ? En 1872, il affirma que, malade, il n’avait donné suite ni à l’une ni à l’autre de ces propositions (il fut pourtant question de lui, le 24 avril 1871, au Châtelet, au cours d’une des réunions des francs-maçons parisiens qui précédèrent la manifestation du 29 avril en faveur de la Commune de Paris — voir Sources : Arch. Grand-Orient). Avec Millière et Paschal Grousset, il fut transféré à Tours comme témoin au procès de Pierre Bonaparte ; condamné à six mois de prison et 3 000 f d’amende, il fut libéré le 4 septembre par le peuple et figura parmi les membres du nouveau gouvernement, qu’il proposa de nommer « Défense nationale ». S’il était à l’Hôtel de Ville le 31 octobre 1870, c’était en conciliateur, dit-il ; il avait pourtant, lui, membre du gouvernement, communiqué verbalement à Flourens la nouvelle de la reddition de Metz qui, publiée par le journal de Félix Pyat, était à l’origine du soulèvement. Rochefort démissionna le lendemain, tout en restant président de la commission des barricades. Il réduisit en fait son activité au journalisme et fonda le Mot d’Ordre en vue des élections : il y faisait un tableau pittoresque des Parisiens visitant les quartiers bombardés. Élu à l’Assemblée de Bordeaux, sixième de la Seine, avec 163 248 voix, il en démissionna le 2 mars parce que l’armistice était signé ; il souffrait d’ailleurs d’un érésipèle. Lorsque éclata la Commune, c’était « un convalescent mal guéri : teint livide semé de plaques rougeâtres, figure boursouflée, cheveux rasés ». D’Arcachon, il regagna Paris, mais refusa d’être candidat à la Commune après le 18 mars 1871 : « Toutes mes sympathies allaient naturellement au mouvement de la Commune qui était à la fois socialiste et patriotique ». Mais il restait incurablement libéral, à moins qu’il ne fût un critique-né : il protesta contre la suppression de certains journaux — dont le sien, le Mot d’Ordre, qui s’était inscrit contre l’exécution des otages ; au vrai, il était l’adversaire des mesures violentes, comme la peine de mort, et rencontrait des inimitiés : celle de Félix Pyat entre autres, dont le Vengeur rivalisait avec le journal de Rochefort. La Commune ménageait celui-ci, connaissant bien sa popularité ; elle ne l’arrêta qu’après la publication par le Mot d’Ordre du document par lequel Rossel donnait sa démission.
Il laissa par ailleurs sans réponse la lettre écrite de Londres par le comte de Chambord (25 avril 1871), où celui-ci faisait appel à la solidarité nobiliaire contre « l’idiotisme de la plèbe de Paris ».
En mai, Rochefort quitta Paris : était-ce crainte d’une arrestation de Raoul Rigault ? Il semble qu’il ait été obsédé par l’incarcération de G. Chaudey . Était-ce comme il le dit pour raison de santé ? Il aurait supprimé volontairement le Mot d’Ordre, réapparu après son interdiction par la Commune, aurait voulu rejoindre sa sœur et ses enfants à Arcachon pour les emmener à Uriage. Avait-il simplement voulu fuir sous un faux nom ? Les Prussiens l’arrêtèrent à Meaux et signalèrent le fait à Versailles ; Rochefort dit que le commandant prussien, dont le père avait connu son grand-père émigré de la Révolution, lui avait offert la liberté ; mais il refusa ; on l’écroua cinq mois à Versailles où son gardien le laissait communiquer avec Rossel.
On instruisit son procès devant le 3e conseil de guerre. Jugé conjointement avec Henri Maret et Eugène Mourot, ses collaborateurs du Mot d’Ordre, il fut condamné, le 21 septembre 1871, à la déportation dans une enceinte fortifiée.
Puis on le dirigea sur le fort Boyard entre les îles de Ré et d’Oléron , « sorte d’éléphant en pierre, calfaté en goudron noir et qui le soir apparaît comme un immense catafalque au milieu de la mer », où il demeura du 9 novembre 1871 au 22 juin 1872. Il fut transféré au fort du Château d’Oléron après une tentative d’évasion (22 juin 1872 au 20 août 1872) puis il fut détenu à Saint-Martin-de-Ré, mais on autorisa un voyage à Versailles pour qu’il épouse — devant un prêtre, — le 6 novembre 1872, la mère de ses enfants, très malade, qui mourut en avril 1873. Il est indiqué comme étant père de deux enfants, mais il eut en fait un troisième enfant : Octave de Rochefort Luçay, né le 14 juillet 1861 à Paris (IIe arr.).
Le 10 août 1873, Rochefort fut embarqué sur la Virginie. pour être déporté en Nouvelle-Calédonie. Thiers serait, paraît-il, intervenu pour empêcher sa condamnation à la peine de mort et l’on aurait un instant envisagé pour lui l’île Sainte-Marguerite, mais elle avait été réservée à Bazaine ; l’intercession de Victor Hugo resta sans effet. Il semble que Rochefort ait été tout à la fois poursuivi par les bonapartistes, voire les cléricaux, et soutenu par les conservateurs intelligents sachant ou supposant que ce bourgeois était révolutionnaire par accident et reculait au moment de bouleverser l’ordre social : « La province, de loin, a confondu pompier et incendiaire », écrivit Destrem qui l’approcha en 1871 et dont Rochefort reconnut (Le Jour, 22 février 1896) qu’il avait fixé exactement son rôle pendant la période communaliste.
Bourgeois ou aristocrate incomplètement émancipé de sa mentalité de classe et poussé à l’action — plus verbale que réelle — par le poids de sa réputation ? Il fut envoyé à la presqu’île Ducos voisine de Nouméa, lorsque Mac Mahon prit le pouvoir ; voisin de Louise Michel sur le bateau, il avait pour compagnons de déportation Cipriani, Henry Bauer, Olivier Pain, Grousset, Champy, Caulet du Tayac, etc. Il bénéficia à bord d’un régime plus doux que ses codétenus, mais eut le mal de mer durant presque toute la durée de quatre mois du voyage. Ils débarquèrent le 8 décembre 1873.
Edmond Adam, le tuteur de ses enfants, put lui envoyer 25 000 f grâce auxquels, avec quelques amis, fut organisée à peine quatre mois après son arrivée une évasion couronnée de succès, dans la nuit du 20 mars 1874. Il gagna Sidney et Melbourne (avril), New-York, l’Irlande, Londres et la Suisse (Vevey) — voir Langevin P. Ses amis jubilèrent tandis que les déportés voyaient la surveillance renforcée en Nouvelle-Calédonie, et que Rochefort donnait au New York Herald, le 31 mai 1874, un article fort modéré : « La Commune a été, comme les pouvoirs nés d’une insurrection, un gouvernement de fait ». Avec un autre esprit de conciliation, « la démocratie n’aurait pas perdu 35 000 de ses meilleurs soldats, massacrés au nom de la République ».
À Londres, il reprit la publication de la Lanterne, âprement surveillée et dont un policier dit que son danger résidait en ce qu’elle reflétait la pensée du monde ouvrier français ; Camille Barrère en assurait la traduction en anglais. Rochefort lança également dans les droits de l’Homme le mot « opportuniste » appliqué à « celui qui vote l’amnistie en temps opportun ». Il était lié d’amitié avec Eudes qui le dit « remarquable par ses qualités d’homme d’action et d’entraîneur de foules », et le nomma tuteur de ses enfants ; lié à Jules Vallès également, au point de prononcer plus tard son éloge funèbre.
L’amnistie acquise, son arrivée à Paris, le 14 juillet 1880, déchaîna une manifestation quasi révolutionnaire. Il fut, en 1881, l’un des fondateurs de la « Ligue de l’intérêt public - Société protectrice des citoyens contre les abus » créée à l’initiative de son ami le docteur Edmond Goupil. Il fonda l’Intransigeant ; il fut élu député de Paris en 1885 ; il devint boulangiste, antidreyfusard. Sans doute avait-il toujours été différent des chefs socialistes : « Il a une tactique, j’ai un tempérament » dit Vallès ; « il déteste la foule, je l’adore ». Mais ce « prince de l’Ironie, duc de l’Insolence » (Drumont, la France juive, t. I) ne perdait pas le contact avec la classe ouvrière : « Il est pour la République que les Montagnards et les socialistes de 1848 appelaient « démocratique et sociale »... « Ce socialisme n’est-il point — dit Zévaès — celui des trois quarts des socialistes français ? » Son évolution était pourtant très contestée. En 1898, lors de la montée au Mur des Fédérés, on entendit le chant : « Rochefort est un vieux cochon / Plus il devient vieux, plus il devient con. »
ŒUVRE : La liste de ses ouvrages occupe quatre grandes colonnes au catalogue de la Bibl. Nat. Au titre de la période qui nous occupe, il convient d’en retenir des journaux : La Lanterne (30 mai 1868-20 nov. 1869). — Le Rappel (1869). — La Marseillaise (1869-1870). — Le Mot d’Ordre (3 février-20 mai 1871). — La Lanterne (1874-1876). — Les droits de l’Homme (1876) ; une autobiographie : Les Aventures de ma vie, P. Dupont, Paris 1896-1898, cinq volumes ; un roman : l’Évadé, roman canaque, Paris, Baillière et Messager, 1880 et 1884 (deux réimpressions).
SOURCES : Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Arch. PPo., B a/1245. — Notice individuelle in La répression judiciaire de la commune de Paris : des pontons à l’amnistie (1871-1880), base de données sous dir/Jean-Claude Farcy, LIR3S - (Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 26 septembre 2019, URL : https://communards-1871.fr. — Arch. Grand-Orient (Bibl. Nat.). Cote 1632, vol. III. — Rochefort, Les Aventures de ma vie. — J. Destrem : Rochefort et la Commune, Paris, 1871, 15 p. — L. Scheler : Correspondance de Vallès. — Zévaès : Henri Rochefort, le pamphlétaire, Paris, 1946. — — Madeleine Rebérioux, « Le mur des Fédérés », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire.— Note d’Alain Dalançon et de Marc Etivant.