Par Notice revue par Laure Piguet
Née le 6 mars 1831 à Issoire (Puy-de-Dôme), morte le 16 août 1895 à Neuilly-Sur-Seine (Seine, Hauts-de-Seine) ; institutrice, ouvrière lingère, inspectrice des écoles de filles du XIIe arrondissement sous la Commune de Paris ; membre de l’Internationale ; auteure de romans et d’ouvrages de pédagogie.
Née dans une famille de petits artisans, Marguerite Guerrier ouvrit en 1848 une école pour filles qui fut rapidement fermée à cause des activités politiques de deux de ses frères. Pendant quelque temps ouvrière lingère à Paris, elle obtint en 1856 à Lyon son brevet de capacité pour être institutrice. Elle épousa un clerc de notaire nommé Tinayre qui "ne se faisait remarquer en aucune manière", mais elle-même "manifestait les opinions les plus avancées" et "on ne connaissait qu’elle".
Après avoir dirigé une école libre à Issoire, elle revint à Paris et organisa des écoles libres et " protestantes " à Neuilly, Bondy, Noisy-le-Sec, Gentilly. Son mari fut clerc de notaire à Choisy-le-Roi (Seine, Val-de-Marne).
Victoire Tinayre fut aussi romancière sous le pseudonyme de Jules Paty. En 1864, elle écrivit ses deux premiers romans, La Marguerite et Un rêve de femme.
É. Thomas jugeait ses écrits comme « longs, pathétiques et filandreux », mais il s’agit de romans sociaux qui étaient alors dans l’air du temps et qui permettent de mieux connaître les idées de l’auteur qui attachait une grande importance à l’éducation des masses par une participation active aux sociétés de secours mutuels et aux coopératives de consommation. Dans Un rêve de femme, elle décrivait comment un village miséreux se transforme peu à peu grâce à une réorganisation du travail.
En 1866, Victoire Tinayre fonda avec Louise Michel, Étienne Delamarche et le cordonnier fouriériste Fortuné Henry Les équitables de Paris, coopérative de consommation dont les réunions se tenaient chez le président, Fortuné Henry, qui habitait rue des Vieilles-Haudriettes. _ Victorine Tinayre, qui appartenait à la commission de contrôle, fit « adhérer l’association à l’Internationale et à la Fédération des Sociétés ouvrières » (É. Thomas, Les Pétroleuses, op. cit., p. 24). Elle ouvrit en outre une maison d’édition, Tinayre-Guerrier, qui éditait des méthodes d’enseignement, probablement rédigées par elle et signées du pseudonyme de Jean Tinayre. Sa pédagogie se fondait sur l’idée qu’il faut suivre les dispositions naturelles de l’enfant et élaborer des méthodes par rapport à ses goûts.
"Après avoir continué sa propagande communiste pendant le siège de Paris", Mme Tinayre fut nommée inspectrice des écoles de filles du XIIe arrondissement sous la Commune — elle habita alors au 16, rue de Gentilly (XIIIe arr.) vers la fin de mars 1871, elle aurait signifié à la supérieure de l’École du passage Corbes, à Bercy, "d’avoir dorénavant à s’adresser directement à elle et à la mairie du XIIe arrondissement pour les demandes, plaintes et réclamations qu’elle aurait à faire". Quinze jours plus tard, "un adjoint au maire insurgé Philippe est venu, accompagné de dix femmes, expulser les sœurs qui se sont réfugiées à Charenton".
Victorine Tinayre fut arrêtée le 26 mai par les troupes de Versailles et enfermée au Châtelet. Son mari, décrit selon les sources comme attentiste ou favorable à Versailles, l’avait suivie pour la défendre. Il fut arrêté et aussitôt fusillé. Relâchée le 27, elle réussit à gagner Genève. Son frère - voir Guerrier Antoine, Ambroise - fut condamné pour participation à la Commune.
Le 3e conseil de guerre la condamna par contumace, le 9 janvier 1874, à la déportation dans une enceinte fortifiée pour faits insurrectionnels.
Elle poursuivit en Suisse son action révolutionnaire tout en travaillant comme institutrice. D’après Le Pays, 5 mars 1873, on l’a vue présider à Genève "la cérémonie d’un baptême civil et donner aux nouveau-nés les noms de Danton, de Millière et de Flourens".
Faisant face à une situation financière difficile, elle rejoignit en 1873 deux de ses enfants qu’elle avait placés en Hongrie. Elle y vécut en donnant des leçons privées, notamment à Pesth où elle se trouvait en 1879. Elle sollicita alors l’autorisation, qui lui fut tout d’abord refusée, de résider trois mois à Paris. Le consul général de France en Hongrie, comte de Bourgoing, fit connaître "que cette dame a su s’entourer à Budapest des dehors de la plus parfaite honorabilité, que sa tenue et sa conduite irréprochables lui ont valu le respect de tous". Il ajoutait : "Aussi, a-t-elle pu, grâce aux leçons qu’elle donne avec un zèle infatigable, pourvoir six ans à l’entretien de sa famille composée de cinq enfants mineurs". Pour finir, il la présentait "comme une coupable à coup sûr très amendée et qu’il ne peut se résoudre à considérer comme une personne dangereuse".
Victorine Tinayre bénéficia de la remise définitive de sa peine le 27 novembre 1879. Graciée en janvier 1880, elle retourna alors en France.
Déçue par les divisions des socialistes, Tinayre se rapprocha du courant positiviste d’Auguste Comte. Selon la police, début février 1881, s’étaient réunies au domicile de Clémence Kéva une quinzaine de femmes dont Marcelle Tinayre, Eugénie Pierre et Debrossie, en vue de constituer "La Solidarité des femmes", une nouvelle société pour l’amélioration du sort des femmes et la suppression de la prostitution réglementée.
Elle ouvrit à nouveau une maison d’édition d’ouvrages pédagogiques, Kéva & Cie, et écrivit avec Louise Michel, deux nouveaux romans sociaux à succès, La misère et Les méprisées. Cette collaboration fut difficile en raison notamment de divergences idéologiques, Tinayre adoptant petit à petit une perspective réformiste sur les luttes sociales. À partir de 1883, elle travailla au Familistère de Guise (Aisne) notamment en tant que Directrice de la section des écoles. De retour à Paris trois ans plus tard, elle œuvra comme institutrice déléguée à l’Hospice.
Marguerite Tinayre était mère de cinq enfants ; l’un est devenu graveur, un autre peintre, l’un et l’autre d’une certaine notoriété. Le premier fut le mari de la romancière connue Marcelle Tinayre.
Par Notice revue par Laure Piguet
ŒUVRES : (sélection) La Marguerite : nouvelle villageoise, (sous le pseudonyme de Jules Paty), Argenteuil, Imprimerie Worms, 1872. — Un rêve de femme, (sous le pseudonyme de Jules Paty), (Tome I et II), Argenteuil, Imprimerie Worms, 1865. — Edgar Quinet et Alfred de Musset enfants, Paris, Kéva, 1880-1881. — Raspail, Michelet enfants, Paris, Kéva, 1881. — avec Louise Michel, La Misère, (sous le pseudonyme de Jean Guêtré), Paris, Librairie républicaine, 1881. — avec Louise Michel, Les méprisées. Grand roman de mœurs parisiennes, (sous le pseudonyme de Jean Guêtré), Paris, Fayard, 1881-1882. — Manuel de calcul, à l’usage des mères et des maîtresses d’école maternelle, Paris, P. Guérin, 1884. — Victor Hugo enfant, Paris, Kéva, 1885.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/852, n° 732. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil, n° 1416. — Arch. PPo. BA 90. — C. Pelletan, La Semaine de Mai, Paris, 1889, pp. 231-236. — Zévaès, Les Proscrits de la Commune, Paris, s.d. — É. Thomas, Les Pétroleuses, op. cit. — Claude Schkolnyk, Victoire Tinayre 1831-1895. Du socialisme utopique au positivisme prolétaire, Paris, L’Harmattan, 1997. — Caroline Constant, « Victoire Tinayre (1831-1895). L’enseignement comme arme révolutionnaire », l’Humanité, 31 août 2011. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021.