Né le 5 août 1835 à Valenciennes (Nord) ; mort le 12 avril 1882 à Paris ; cordonnier ; élu membre de la Commune de Paris, déporté en Nouvelle-Calédonie ; blanquiste ; élu conseiller municipal du XXe arr. le 13 juin 1880, non réélu en 1881.
Trinquet appartenait à une famille modeste ; il vint à Paris à quatorze ans, avec sa mère, et se maria à vingt et un ans avec une brodeuse qui, en 1870, travaillait depuis trois ans avec son mari pour une maison de chaussures ; ils habitaient à Belleville, 48, rue de la Réunion (XXe arr.). Ouvrier sérieux, il était employé depuis 1855 dans la même maison de chaussures et n’avait changé qu’une fois de logement ; sa mère tenait un magasin de ferronnerie-ferblanterie et, en 1859, il hérita d’elle une somme de 1 500 f ainsi qu’en attesta un notaire ; un fils lui était né en 1858.
En 1866, Trinquet fut l’un des fondateurs de L’Économie ouvrière, société coopérative installée rue Delaître à Belleville. Il appartint, en 1869, au comité électoral de Rochefort ; celui-ci l’employa alors à la Marseillaise, où il servit par exemple de comptable pour la souscription Victor Noir ; il prit la parole dans des réunions publiques, et fut arrêté le 8 février 1870 pour cris séditieux et port d’armes ; la 7e chambre le condamna, le 1er mars, à six mois de prison et 50 f d’amende.
Écroué le 18 août à la maison de correction de Beauvais, il fut libéré le 5 septembre, au reçu d’une dépêche de Gambetta. Pendant le 1er Siège, il fut sergent-major à la 7e compagnie du 147e bataillon. Puis ce fut la Commune et Trinquet fut élu le 16 avril 1871, par le XXe arr., avec 6 771 voix. Quelques jours plus tard, le 21 avril, il était désigné pour faire partie de la Commission de Sûreté générale avec Frédéric Cournet, Auguste Vermorel, Théophile Ferré et Aminthe Dupont. Les Procès-Verbaux de la Commune de 1871 montrent qu’il participa activement à la vie de l’assemblée parisienne et à la défense de la capitale : intervention, le 24 avril, en faveur du relogement des victimes du second bombardement de Paris par les Versaillais ; demande formulée le 25 pour que, " jusqu’à concurrence de 50 francs, tous les outils et objets utiles soient rendus par le mont-de-piété à nos frères les ouvriers " ; contribution, le 30 avril, à l’acheminement de troupes au fort d’Issy menacé par les soldats de Thiers ; prise de position le 1er mai en faveur d’un Comité de salut public ; résistance enfin, jusqu’au dernier jour, dans le réduit de Belleville.
L’attitude de Trinquet durant la Commune fut donc des plus énergiques. On ne le lui pardonna pas et une note de police du 21 août 1876 lui reproche les " mesures de répression les plus violentes ", les " perquisitions vexatoires " faites au domicile des membres du clergé, enfin " les assassinats qui ont été commis à la mairie du XXe arr. ". Quels assassinats ? Une exécution, une seule, est attestée par ses ennemis, mais aussi par ses amis. L’avant-veille de la chute de la dernière barricade, il présida " l’exécution de l’agent de paix Rothe " et, après que ce dernier fut tombé sous les balles du peloton, il déchargea dans la tête du fusillé un coup de revolver. Jules Vallès nous a retracé ainsi la scène dans L’Insurgé :
" Jeudi 25 mai, Mairie de Belleville.
" Dans la cour, du bruit.
" Je me penche à la fenêtre. Un homme, sans chapeau, en bourgeois, choisit une place commode, le dos au mur. C’est pour mourir.
" — Suis-je bien là ?
" — Oui !
" — Feu !
" Il est tombé... il remue.
" Un coup de pistolet dans l’oreille. Cette fois, il ne remue plus.
" Mes dents claquent.
" — Tu ne vas pas te trouver mal pour une mouche qu’on écrase, me dit Trinquet qui remonte en essuyant son revolver ".
L’énergie que Trinquet avait déployée durant la Commune ne se démentit pas. Arrêté à Charonne le 8 juin, son attitude devant ses juges contraste avec celle de beaucoup d’autres. La Gazette des Tribunaux des 16-17 août 1871 rapporte ainsi sa déclaration devant le 3e conseil de guerre : " J’ai été envoyé à la Commune par mes concitoyens ; j’ai payé de ma personne ; j’ai été aux barricades, et je regrette de ne pas y avoir été tué : je n’assisterais pas aujourd’hui au triste spectacle de collègues qui, après avoir eu leur part d’action, ne veulent plus leur part de responsabilité. Je suis un insurgé, je n’en disconviens pas ".
Il fut condamné, le 2 septembre 1871, par le 3e conseil de guerre, aux travaux forcés à perpétuité et déporté à l’île Nou. Il se refusa à solliciter une grâce. Gaston Da Costa qui le connut à cette époque nous a laissé de lui ce portrait : " L’œil gris, avec des reflets bleutés, sous un front large et droit, sillonné de rudes rides horizontales, éclairait la physionomie intelligente et sympathique de ce petit homme trapu ". (La Commune vécue, Paris, 1905, t. III, p. 207).
Cependant Trinquet voyait peu à peu sa santé décliner. Déjà malade, il tenta alors une folle évasion en novembre 1876, avec Jean Allemane. Repris, il fut condamné le 23 décembre 1876, par le 1er conseil de guerre de la colonie, à trois ans de double chaîne.
Un rapport sans date, mais qui fut vraisemblablement rédigé vers 1879 lorsqu’on songea à l’amnistie, résume ainsi l’opinion de l’administration pénitentiaire sur le bagnard : " Tranquille et soumis. A longtemps été employé à l’atelier des cordonniers à l’île Nou, où il s’est fait remarquer par son assiduité au travail. Fréquente peu les autres condamnés. N’a subi que deux condamnations légères. Vient d’être récemment déclassé de cordonnier et mis aux impotents. Proposé pour une commutation de peine. A refusé de former un recours en grâce ".
En France, cependant, un républicain, Jules Grévy, remplaçait Mac Mahon à la présidence de la République le 30 janvier 1879. Trinquet se décida alors à lui adresser la lettre suivante :
" Les événements qui viennent de s’accomplir en France et dont votre avènement au pouvoir présidentiel est le résultat heureux me font espérer que vous voudrez bien écouter la voix éprouvée qui s’adresse en toute confiance au premier fonctionnaire de la République.
" La démarche que je fais auprès de vous, Monsieur le Président, n’aurait jamais été et à aucun prix faite sous le pouvoir de votre prédécesseur.
" La République sauvée des mains réactionnaires, votre présence à la tête du gouvernement viennent ranimer l’espérance que les dernières années avaient grandement diminuée.
" Condamné le 2 septembre 1871 par le 3e conseil de guerre aux travaux forcés à perpétuité, je ne récriminerai pas contre la décision des hommes qui composèrent ce conseil, lesquels ont voulu m’assumer une responsabilité bien au delà de la part que j’ai prise comme membre de la Commune pendant l’insurrection. J’ai la conviction d’avoir, étant du nombre de ceux qui ouvrirent les conseils de guerre, été jugé et condamné par des adversaires qui n’ignoraient pas mon passé et la part active que j’avais prise au renversement de l’Empire.
" Républicain dès mon enfance, j’ai été élevé dans l’amour le plus profond de la République et de la Révolution. Au coup d’État de 1851, j’ai, tout jeune encore, fait mes premières armes sur les barricades en jurant une haine implacable à l’Empire et aux ennemis de la révolution.
" À la suite de nos désastres et au milieu de la tourmente révolutionnaire, dans ces jours de fièvre ardente, j’ai, comme beaucoup, vu la République naissante menacée dans son berceau par l’assemblée réactionnaire de Bordeaux. J’ai partagé l’enthousiasme du grand nombre de ceux qui prirent les armes pour renverser la coalition royaliste et cléricale.
" Je vous avouerai, Monsieur le Président, que je n’ai été guidé dans ces terribles événements que par la conviction de sauver la République des mains des hommes qui avaient démasqué leurs sentiments monarchiques et montré l’espérance de rétablir, sur le corps encore chaud de la République, un passé condamné par trois révolutions. Je ne suis qu’un ouvrier, je n’ai jamais eu la ridicule prétention de jouer l’homme important. Je n’ai pas recherché le vote de mes concitoyens, j’étais connu comme un honnête ouvrier, j’avais l’estime du grand nombre ; cette honnêteté ne s’est jamais démentie. Devant le conseil de guerre, mes juges incertains, indécis m’épargnaient la peine de mort pour me condamner à une peine cent fois plus horrible : le bagne : Ah ! Monsieur le Président, si vous saviez ce que l’on souffre au bagne, si vous connaissiez la torture morale qui tue lentement dans ce milieu infâme, la promiscuité affreuse à laquelle vous ne pouvez échapper, les insultes, les menaces, la faim, la plus grande misère : voilà le sort que je subis depuis huit ans.
" Après de si longues années de souffrances, je viens vous demander, Monsieur le Président, de changer la peine ignominieuse que je subis en celle de bannissement.
" Exténué, brisé de fatigues et de privations, couché sur un lit d’hôpital depuis sept mois, j’ose espérer, Monsieur le Président, que vous daignerez accueillir la demande d’un homme qui a tant souffert et qui n’a cessé d’être Républicain. Rendez-moi à ma femme et à mon fils, accordez-moi de passer le peu de temps qui me reste à vivre sur une autre terre que celle de l’île Nou, et de mourir en paix sur une terre étrangère près de la France bien aimée.
" Quelle que soit votre décision, Monsieur le Président, j’accepterai mon sort sans murmure et sans plainte et resterai toujours
" Votre dévoué serviteur et soldat de la République
Alexis Trinquet
n° 3328, île Nou, ce 15 avril 1879.
Le Communard n’obtint pas pour autant d’être libéré. Julien Trinquet, fils du condamné, s’adressa, lui aussi, en termes dignes (seule la femme d’Alexis Trinquet avait écrit, le 12 juillet 1876, une demande de grâce en insistant sur le " repentir sincère " de son mari, " ce malheureux qui n’a pas su se défendre de l’entraînement qui est cause de sa perte ") au ministre de la Justice et au président de la République — 6 janvier 1880 — et ces démarches pressantes n’aboutirent qu’à une commutation des travaux forcés en déportation simple le 21 février 1880. Nouvelle lettre de Julien Trinquet, 17 avril, au président de la République. Enfin, candidat de l’amnistie, Trinquet fut élu, le 13 juin 1880, conseiller municipal du XXe arr. La loi d’amnistie, promulguée le 11 juillet 1880, permit le retour du bagne. Trinquet rentra par le Navarin et Clovis Hugues salua ce retour par son poème Trinquet. Après son échec au renouvellement de 1881, Trinquet obtint une modeste fonction, celle d’inspecteur du matériel de la Ville de Paris ; elle " ne devait l’aider qu’à mourir " (Da Costa, op. cit., t. III, p. 208), ce qui eut lieu le 12 avril 1882 ; il avait quarante-six ans. On l’enterra civilement le 13 avril.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/824, n° 6039. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Arch. PPo., B a/1288 et E a/104. — J. Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, Paris, t. II, p. 11. — J. Vallès, l’Insurgé, Paris, 1926, pp. 353-354. — Jean Maitron, « Le cordonnier Alexis Trinquet », La Révolution prolétarienne, n° 440, juin 1959. — Le " Journal de Bagne " manuscrit de Trinquet, redécouvert dans l’Yonne en 1971, a été confié au Musée d’Histoire vivante de Montreuil par Jean Cordillot ; il figura ensuite dans les fonds du PCF. Il a été publié en 2013 aux Editions Arênes sous le titre L’enfer du bagne.