VACHER Jacques (parfois écrit VACHEZ Jacques)

Par Jean Lorcin

Né le 24 décembre 1842 à Saint-Étienne (Loire), mort le 4 juin 1897 à Saint-Étienne, ouvrier menuisier à Terrenoire (Loire) et chansonnier, républicain radical, franc-tireur garibaldien en 1870-71, soupçonné d’avoir adhéré à la Première Internationale en 1871.

Jacques Vacher descendait d’une dynastie de paysans de Riotord (Haute-Loire). Son père, Marie Thomas Vacher, fut le premier à exercer un métier d’ouvrier. Trop malingre pour cultiver la terre, il fut placé en apprentissage chez un maître rubanier de Saint-Étienne. Comme son patron, compromis dans les troubles du début du règne de Louis-Philippe, fut obligé de prendre la fuite, Thomas dut reprendre le chemin de la montagne où il fut mis en apprentissage chez un menuisier à Saint-Didier-la-Séauve (Haute-Loire), avant que l’attraction de la grande ville ne le fit redescendre à Saint-Étienne où il se fit ébéniste. Jacques Vacher fut, comme son père, un humble artisan, lui-même ouvrier menuisier et ébéniste à Terrenoire, qui ne dut qu’à son établi de connaître une " honnête aisance " (Jacques Vacher, " Ma famille et mon établi ", Chants Ségusiaves, pp. 119-120). Entré en apprentissage chez un menuisier dès l’âge de onze ans, il s’est formé tout seul, en autodidacte, avant de fréquenter l’une de ces " goguettes " où des générations d’ouvriers, apprentis chansonniers, se sont initiés à la poésie à l’école de leurs aînés. Lui-même en a fondé une en 1869 sous le titre prestigieux de " Caveau stéphanois ", emprunté au " Caveau " parisien où s’était illustré Béranger. Ces sociétés chantantes avaient leur siège dans des cabarets, à l’abri des regards de la police : en effet, les ouvriers qui les fréquentaient y frondaient volontiers le régime impérial et les cléricaux.

Son origine sociale et l’exemple de son père, devenu républicain sous la monarchie de Juillet, expliquent que Jacques Vacher se soit engagé contre l’Empire et plus tard contre l’Ordre moral, au nom " d’une République de solidarité, de fraternité, doux rêve " qui lui a inspiré la plupart de ses couplets, véritable " propagande rimée " (J.Vacher, Chants Ségusiave, préface d’Eugène Imbert, pp. III-IV) en français et, plus rarement, en patois, à partir de 1858. Les deux plus célèbres chansons politiques de Jacques Vacher sont en patois. Elles se placent à la fin du Second Empire, période marquée chez Vacher par une intense activité politique qu’il résuma en ces termes dans une adresse " Au lecteur ami " (Les Ségusiennes, p. 293) : " Ex signataire du manifeste du mot non, membre du Comité Central - Ex soldat de Cremer - Ex franc-tireur et volontaire à la 4e brigade de l’Armée des Vosges sous le commandement du grand Garibaldi 1870-1871 - Victime de l’Empire et de l’Ordre moral, un des 40 prévenus de l’Alliance Républicaine de la Loire ".
Son soutien affiché à la candidature de Dorian aux élections législatives de 1869 lui valut d’être incarcéré à la prison de Bellevue, à Saint-Étienne, en compagnie de journalistes de l’Eclaireur, un journal républicain qui n’hésitait pas à proclamer son intérêt pour les idées socialistes. C’est donc de la prison de Bellevue, à Saint-Étienne, que le poète républicain a célébré " la Marianna ", " la Marianne ", le 15 août 1869, avant de bénéficier de l’amnistie de la saint Napoléon.
Dans La Marseillaisa doeu Panassa _ " la Marseillaise du Panassat ", quartier des poètes patoisants depuis le 17e siècle, datée du 4 septembre 1870, Jacques Vacher, qui venait de hisser " le drapeau de la République " au fronton de la mairie de Terrenoire, à la barbe des " gardes chiourmes de ce bagne industriel, enfer des malheureux " _ il s’agissait d’une grande forge spécialisée dans le puddlage _, avant de porter un toast " au vent démocratique (...) à la France, à la République, au Progrès, au droit social, à l’instruction (...) " (" Toast ", Les Ségusiennes, p. 800), esquisse de nouveau le portrait de la Déesse Liberté, " la grande Marianne ". Mais il s’agit maintenant de Défense nationale, comme en 1792, d’où le refrain : " Comme de vrais soldats, affrontons le trépas / Partons, ne reculons pas, en avant les " Gagas " ! ". En effet, Jacques Vacher, opposé à la guerre en 1870, comme les rédacteurs de L’Eclaireur, qui suivaient sur ce point l’exemple de Blanqui, s’est rallié à la défense nationale dès lors qu’il s’agissait de défendre la jeune République contre l’invasion prussienne. Jacques Vacher prêcha d’ailleurs d’exemple : il fut en effet l’un des premiers à s’enrôler dans les rangs d’un " corps franc " de Chasseurs républicains levé à l’appel de son ami politique Albert de Laberge, rédacteur de L’Eclaireur, dans le but de " voler au secours de nos frères d’Alsace " en harcelant les Prussiens (" Avis aux Patriotes ", L’Eclaireur, 2e année - N° 612, 14 septembre 1870), sous le commandement de Garibaldi. Lorsque les Prussiens tentèrent de reprendre Dijon, les francs-tireurs se distinguèrent en repoussant leurs assauts au prix de lourdes pertes.
Ce succès chèrement payé ne rendit que plus amers l’évacuation de Dijon et le repli des garibaldiens sur Châlons-sur-Saône, aux termes de l’armistice. Son engagement politique n’alla pas jusqu’à pousser Jacques Vacher dans les rangs des Communards du Comité central à qui il reprochait de diviser les républicains, dans une chanson adressée " A Antoine Chastel qui voulait faire proclamer la Commune à Saint-Étienne " (Les Ségusiennes, pp. 801-802) : " Tu fais rire les cléricaux / (...) / Nous passons tous pour des nigauds / L’Alliance et le centre / Lors qu’avec un peu d’union / (...) / Nous ne serions qu’un peuple uni ". il partageait sur ce point les sentiments nuancés des radicaux de l’Alliance républicaine.
Cette relative modération n’empêcha pas Jacques Vacher et ses amis de l’Alliance républicaine, César Bertholon, Boudarel, Delaye, etc., d’être l’objet des attentions de la police. Elle voyait dans le menuisier de Terrenoire, dont le nom est orthographié Vachez, " ex-franc tireur républicain et ancien Président de la Commune à Terre-Noire " (Archives départementales de la Loire, 1 M 503. Commissaire de Police " spécialement chargé de la Sûreté publique ", Saint-Étienne, 13 août 1871), un dangereux agent de l’Internationale, en relations avec les exilés de Genève (Suisse), camouflé sous " la livrée de l’Alliance Républicaine " (Ibid. Préfet Loire, Saint-Étienne, 23 août 1871).
On perquisitionna, de ce fait, son domicile, tout comme celui de nombre de ses amis de l’Alliance républicaine. Les uns et les autres, au nombre d’une trentaine, furent en définitive assignés à comparaître devant le juge d’instruction sous le chef d’accusation " d’avoir assisté à des réunions illicites et fait partie d’une société non autorisée " (" Poursuites contre les Associations républicaines ", L’eclaireur, 18 décembre 1871), dissoute par le préfet Ducros en octobre 1871. Ils furent acquittés le 14 octobre 1872, la société étant considérée comme autorisée par la présence dans ses rangs de l’ancien préfet de Gambetta, César Bertholon.

On retrouve un peu plus tard Jacques Vacher à Villeurbanne (Rhône), dans la banlieue industrielle de Lyon (Rhône), où il s’est exilé après 1876. Resté fidèle à son idéal de jeunesse, il participa, le 6 avril 1888, à saint-Étienne, à une réunion de socialistes révolutionnaires qui se réclamaient d’Allemane. Il se présenta enfin aux élections législatives de 1893 dans la circonscription de Villeurbanne comme " candidat ouvrier et républicain radical " (Arch. Dép., Rhône, 3 M 1350. Déclaration de candidature, Villeurbanne, 8 août 1893) contre le maître de forges Edouard Prénat, député sortant, mais son propre comité lui préféra en définitive le conseiller général radical Eugène Genet, de sorte que Vacher, qui avait apparemment maintenu sa candidature, ne recueillit aucun suffrage.

Le vieil ouvrier revint ensuite à Saint-Étienne où une place de concierge d’école devait lui assurer une retraite tranquille dont il ne jouit pas bien longtemps : il mourut à la veille de la publication trop longtemps attendue d’une sélection de ses meilleures chansons, d’autant plus sévère qu’elle fut renforcée par la censure exercée par les notables libéraux.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136031, notice VACHER Jacques (parfois écrit VACHEZ Jacques) par Jean Lorcin, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 31 juillet 2021.

Par Jean Lorcin

ŒUVRE : Manuscrits (Bibliothèque municipale, Saint-Étienne) : Les Ségusiennes (MS 230), 923 pages — Poésies (MS 231), 269 pages — Les Derniers Chants Ségusiaves (MS 261), 247 pages <-> Imprimés : Chants Ségusiaves. Poésies et chansons, Saint-Étienne, Imprimerie de La Loire Républicaine, 1898, 256 pages.

SOURCES : Arch. Dép. Loire, 1 M 503 [10 M 72]. — 4 M 153, Commissaire central, Saint-Étienne, 8 avril 1888. — Arch. Dép. Rhône, 3 M 1350, déclaration de candidature, Villeurbanne, 8 août 1893 — Préfet Rhône, Lyon, 16 août 1893. — L’Eclaireur, Saint-Étienne. — " Les Elections législatives ", Le Progrès, Lyon, 12 août 1893. — Jean-François Gonon, Histoire de la Chanson stéphanoise et forézienne depuis son origine jusqu’à notre époque, Saint-Étienne, " L’Union typographique ", 1906, XXXII+535 pages. — Gérard Millet, Chansons populaires et vie politique dans la région stéphanoise de 1868 à 1914, Mémoire de maîtrise (Bibliothèque municipale de Saint-Étienne, MS 458), Saint-Étienne, 1977. — Paul Castella, La Chanson ouvrière en dialecte de Saint-Étienne (Loire). 1848-1900 (Thèse 3e cycle : Dialectologie et géolinguistique. Grenoble III, 1978). — Jean Lorcin, Jean-Baptiste Martin et Anne-Marie Vurpas Le rêve républicain d’un poète ouvrier. Chansons et poésies en dialecte stéphanois de Jacques Vacher (1842-1898). Edition avec traduction, Jean-Pierre Huguet, Saint-Julien-Molin-Molette, 1999, 346 pages.

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