GUILLEMIN Léon

Par Philippe Darriulat

Né vers 1808 ; chansonnier de années 1830-1860.

Léon Guillemin, qui signait le plus souvent Juvénal, et surtout L. de Chaumont ou L. C., est sans aucun doute le plus mystérieux des chansonniers du XIXe siècle. Presque jamais mentionné par les contemporains - seul Charles Nisard y fait référence dans ses Chansons populaires chez les anciens et chez les Français (Paris, E. Dentu, 1867) - présent dans aucun dictionnaire biographique, il est pourtant un des plus prolifiques auteurs de chansons imprimées pour le colportage. Une recherche à son nom dans le fichier de la Bibliothèque nationale de France renvoie à 388 occurrences, dont une très grande majorité de brochures de ce type, et il est le chansonnier le mieux représenté dans les dossiers de la commission de l’estampille pour 1855. Nous ne savons rien sur sa formation et son enfance, si ce n’est qu’il a dû la passer aux Etats-Unis. C’est tout du moins ce qu’il affirme dans un fascicule intitulé Souvenirs des États-Unis (Paris, Jacques Lecoffre et Cie, 1859) où il dit avoir vécu les « vingt-cinq meilleures années de ma vie » dans les comtés de Jefferson et de Lewis de l’État de New York, à l’extrémité Est du lac Ontario. Si ces informations sont exactes il devrait être né au plus tard en 1808, la plus vieille chanson signée de sa main date de 1833 (L’Épée de Napoléon), et avoir vécu au moins jusqu’en 1859, année de parution de ses dernières œuvres. Nous ne savons pas non plus s’il a participé aux goguettes parisiennes, aucun goguettier ne faisant allusion à sa présence alors qu’il a pourtant cosigné plusieurs recueils avec des personnalités importantes de ces sociétés lyriques. Il se spécialise vite dans les chansons d’actualité et les titres qu’il propose sont empreints d’une note patriotique très accentuée. Admirateur inconditionnel du « Grand homme », il chante la conquête de l’Algérie (Les Français en Afrique, 1836, Constantine, 1837) et propose une féroce critique de la politique de rapprochement avec l’Angleterre menée par Guizot. En 1844, l’affaire Pritchard suscite ainsi de très violentes satires qu’il signe sous le nom de Juvenal (Lettre d’un Anglais de Londres à Guizot, Anglais de Paris, 1844, 1845, Étrennes de la France ou le dernier jour de Guizot d’outre-mer, par un anti-guizophile, 1845, Les anti-guizotides, satires politiques, 1845, Vérité sur l’épée d’honneur du contre-amiral Dupetit-Thouars, 1845). En 1846, il prend aussi la défense de la cause polonaise au lendemain de l’insurrection de Cracovie (Pauvre Pologne, Marseillaise des Polonais) et, dans Gloire aux électeurs de Paris – qu’il signe « par l’auteur de la Marseillaise des Polonais » ce qui suppose un certain succès pour ce titre - il félicite les électeurs de la capitale pour n’avoir pas plébiscité les candidats gouvernementaux. Dans Les électeurs et le Pritchardiste ou les carottes électorales, il se moque d’un député ministériel en campagne, « futur ventru » et « Lieutenant de Guizot (…) l’homme de Gand. » Il chante aussi la défense de Michelet dont le cours est suspendu le 2 janvier 1848 (Hommage à M. Michelet et aux étudiants de Paris, Paris, février 1848) et reproche aux Icariens de déserter la France plutôt que de continuer le combat contre la Monarchie (L’Exil de la liberté ou le projet de départ en Icarie) Autant de chansons qui permettent de le situer dans le groupe des paroliers proches de l’opposition républicaine au régime de Louis-Philippe. Lorsqu’interviennent les journées de février 1848, il multiplie les compositions qui semblent montrer son attachement à la cause républicaine (Lettre de la république italienne à sa sœur la république française, Fête du Champ de Mars). Il propose même un éphémère journal chantant intitulé Les Lunettes du père Duchêne qui prétend faire revivre la feuille hébertiste : « Vieux jacobin je suis ressuscité./ Le revenant de quatre-vingt-treize / Vient saluer la jeune liberté. » En dénonçant les ambitions de ceux qui sollicitent le suffrage des électeurs, il se singularise pourtant très tôt par une certaine défiance vis-à-vis de la démocratie (Les Papillons de la présidence, ou le jardinier de la république et La Marseillaise électorale ou la course à la souveraineté). Au lendemain des journées de juin il chante à la fois la gloire de Monseigneur Affre (Le Bon pasteur, hommage adressé à la mémoire de l’archevêque de Paris), les généraux morts en réprimant « l’affreuse barricade » (Les Glorieux martyrs), et la souffrance des victimes de la répression (Pétition des femmes de Paris en faveur des déportés ; Pauvre enfant, ou le fils du déporté ; Adieu de la France, chant de nos frères les exilés). Sans donner raison aux insurgés il prône la réconciliation et le pardon : « Dans la clémence, imitons le Messie,/ En pardonnant, l’homme égal les dieux !/ Des exilés qui pleurent la patrie/ Respectons les derniers adieux ! » À partir de ce moment, il devient le principal auteur de chansons bonapartistes, se félicitant de l’élection de Louis-Napoléon, insistant sur la filiation entre l’oncle et le neveu et affirmant que ce dernier est le meilleur défenseur des valeurs républicaines contre les « faux républicains » du National (Élection de Louis-Napoléon le 21 septembre 1848 ; Capot, ou les adieux au pouvoir ; Quinte et quatorze, à Louis-Napoléon Bonaparte ; Serment à la république). Ces ambiguïtés, qui cherchent à concilier les aspirations de l’extrême gauche avec le politique du nouveau président de la République, se retrouvent dans ses autres compositions écrites avant le coup d’État. Il peut ainsi à la fois promettre les pires châtiments à Bugeaud accusé de vouloir écraser la « république rouge » (Halte-là ! Les amis de Paris sont là ! réponse au citoyen Bugeaud), tresser les lauriers à des démocrates convaincus comme le sergent Boichot (Le peuple et l’armée, chanson nouvelle dédiée au sergent-major Boichot) ou Louis Blanc (Les fleurs du peuple et la République au pilori), défendre les revendications sociales (Du Pain : Cri du peuple) et continuer à s’affirmer comme un des meilleurs défenseurs de Louis-Napoléon, pourtant élu avec le soutien des conservateurs (La Bonne prise, chanson nouvelle dédiée aux électeurs de Louis-Napoléon Bonaparte ; Napoléon prophète de la République). Il est alors le parfait porte-parole de ce bonapartisme populaire qui continue à affirmer son attachement à la République. Au lendemain du coup d’État il n’hésite cependant pas à continuer de chanter la gloire de celui qui vient de renverser la République par la force. Il multiplie les petites feuilles destinées au colportage, souvent naïvement illustrées, où sont développés tous les thèmes pouvant servir le régime : la grandeur de la dynastie (L’épée de mon père ou Napoléon 1er et le prince Eugène, 1853 ; Le Berceau de Napoléon IV, 1856 ; L’Étoile de Napoléon, 1856 ; Baptême du prince impérial, 1856 ; Le Bonheur de la France ou Le Règne de Napoléon III, 1858 ; etc.), la générosité du souverain (Couplet de remerciements des dames des Halles, hommage au prince Louis-Napoléon, 1852 ; Sœur Hélène, ou La Mère des pauvres malades, décorée par son altesse impériale le prince-président, 1852), la saint Napoléon (15 août 1853, La Fête de la France, chant national), les voyages impériaux (Le retour de son altesse impériale le prince Louis-Napoléon) et de très nombreux refrains patriotiques composés à l’occasion des guerres de Crimée et d’Italie. La chanson n’est d’ailleurs pas son seul mode d’expression, il écrit aussi de petites brochures édifiantes devant transmettre, par le biais des marchands ambulants, la gloire de la famille impériale (Histoire populaire et anecdotique de son altesse impériale le prince Louis-Napoléon, Paris, chez l’auteur, 1852). Le répertoire de Léon Guillemin ne se limite cependant pas aux seuls textes napoléoniens. Il rédige et coordonne un nombre très important de petits recueils de chansons de tous genres, destinés au colportage. Rien que pour l’année 1855, la seule pour laquelle nous ayons conservé des archives, quinze brochures de ce type sont présentées à la commission de l’estampille. Tous les styles sont abordés : l’Exposition universelle, la guerre de Crimée, des collections de chansons à la mode (plusieurs numéros du Nouveau chansonnier parisien du Chansonnier des dames et des Chansons en vogue) et Les petits métiers de Paris, où il ambitionne, à la manière de [Charles Poncy], de rédiger une chanson pour chacun des métiers manuels pratiqués dans la capitale. Charles Nisard qui, bien que partisan du coup d’État, n’est pas tendre avec les chansonniers serviles vis-à-vis de l’Empire, avoue sa sympathie pour ces refrains. Léon Guillemin est aussi l’auteur de nombreux almanachs chantants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136146, notice GUILLEMIN Léon par Philippe Darriulat, version mise en ligne le 14 janvier 2011, dernière modification le 24 août 2017.

Par Philippe Darriulat

ŒUVRES : Il n’existe pas recueil des chansons de Guillemin et il n’est pas possible de reproduire tous les feuillets de chansons signés par lui et conservés à la BNF. Nous proposons donc au lecteur d’en rester aux références citées dans le corps de cet article.

SOURCES et bibliographie : AN : F18 553. — Philippe Darriulat, La Muse du peuple, chansons sociales et politiques en France 1815-1871, Rennes, PUR, 2010. — Léon Guillemin, Souvenirs des États-Unis, Paris, Jacques Lecoffre et Cie, 1859. — Charles Nisard, Chansons populaires chez les anciens et chez les Français, Paris, E. Dentu, 1867.

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