Par René Gaudy
Né le 17 juin 1935 à Bar-sur-Aube (Aube) ; professeur d’éducation physique puis permanent de la FSGT ; président de la FSGT ; militant syndicaliste du SNEP ; militant communiste ; initiateur de la coopération entre sportifs de France et de Palestine.
René Moustard naquit à la maternité de Bar-sur-Aube. Ses parents habitaient Meurville, village voisin où son arrière grand-père Prudent Moustard, mort en 1928, construisit la maison familiale en 1872 après son service militaire pendant lequel il avait participé au siège de Paris en 1870. Membre actif de la section de Bar-sur-Aube de la Libre pensée, comme délégué à un congrès international, il en avait fait un compte rendu dans un journal local. Il devint maire de Meurville. Son grand-père, Paul Moustard, participa aux combats de la Première Guerre mondiale dans les tranchées, à Verdun. Quand il revint en 1918, il fallut défricher les vignes, qui n’avaient pas été cultivées pendant la guerre, et cela avec l’aide de son fils aîné, Marcel (le père de René), qui avait alors treize ans. En 1925, au cours de son service militaire, il participa à la guerre du Rif et en revint antimilitariste. Jusqu’à la fin de sa vie, il fut adhérent de l’Association des anciens combattants républicains (ARAC).
L’atmosphère familiale était marquée par l’anticléricalisme. L’origine vigneronne de la famille remonte à 1830. À la suite de la lutte menée par les vignerons aubois entre 1908 et 1911, lutte à laquelle participa l’arrière grand-père Prudent Moustard, le vignoble de la région de Bar-sur-Aube, reconnu comme faisant partie de la région du champagne, bénéficia de l’appellation.
Le père de René Moustard cultivait à la fois des vignes et des champs pour nourrir le cheval, la volaille et les lapins. Sa mère, Fernande, née Vouriot, fille de cultivateurs du village voisin, institutrice, fit toute sa carrière à Meurville, de 1924 à 1960. Ils poussèrent, notamment sa mère, leurs trois enfants (son frère ne en 1931, sa sœur née en 1939) à faire des études. Aucun ne reprit la propriété, qui, pour l’essentiel, fut vendue à de jeunes vignerons.
Politiquement, les parents étaient d’esprit socialiste, républicains, anticléricaux, antimilitaristes. Ce milieu social et familial a marqué les choix de René Moustard.
À l’entrée en 6e , en 1945, interne au lycée de Troyes, il en sortit bachelier, section "sciences expérimentales". Il s’engagea vers le professorat d’éducation physique. Au lycée de Troyes, il avait fait la connaissance d’un lycéen africain, originaire d’une colonie française, qui le sensibilisa aux méfaits du colonialisme. En 1954, il entra pour une année au centre régional d’éducation physique de Reims (Marne). Pour payer ses études, il fut maître d’internat au centre d’apprentissage de Troyes. Délégué pour l’enseignement de l’EPS au collège technique de Dijon (Côte-d’Or) en 1955-1956, militant au Syndicat national des professeurs d’éducation physique, il participa au congrès national. Le 1er octobre 1956, il entra à l’École normale supérieure d’éducation physique, implantée dans les locaux de l’Institut national des sports, dans le bois de Vincennes et fut interne. Il signa un contrat de dix ans avec l’Éducation nationale. Avantage appréciable, il toucha une indemnité dès la première année et un salaire à partir de la troisième. Il devint secrétaire-adjoint de la section du SNEP de l’école dès sa première année d’école.
Dans une période riche en événements, René Moustard, à l’ENSEP, tomba dans un milieu politisé. Il eut comme professeur Robert Mérand*, très estimé des élèves, militant de la FSGT et du Parti communiste français. En 1956, année du 20e congrès du Parti communiste de l’URSS, des événements de Hongrie et de Suez, la guerre d’Algérie s’aggrava avec l’envoi des soldats du contingent, ce qui provoqua des actes de refus. Claude Despretz*, élève de l’ENSEP, refusa d’aller en Algérie et fut condamné à deux ans de prison.
Depuis 1955, à Reims, René Moustard fréquentait des étudiants communistes (notamment Claude Compeyron, futur directeur du groupe Messidor). À leur initiative, il participa en 1955 au festival mondial de la jeunesse à Varsovie, premier contact avec un pays du "camp socialiste", occasion d’une visite du site du ghetto. En 1955 encore, par des relations avec des communistes, il projeta d’aller camper. Pour avoir une "carte camping", il devint membre de la FSGT, dont la branche "Amitié et nature" délivrait des licences camping. En juillet 1957, il participa, avec un groupe de vingt-cinq étudiants de l’ENSEP au festival mondial de la jeunesse à Moscou. Il fit un compte rendu à la tribune du congrès national de la FSGT à Strasbourg en novembre. En octobre 1956, à l’ENSEP, il adhéra à la fois à l’Union des étudiants communistes et au Parti communiste français. Il fit partie du premier bureau national de l’UEC de 1957 à 1959 et participa, en 1960-1961, au comité de rédaction de L’Avant-Garde, journal des Jeunesses communistes. Participant aux festivals mondiaux de la jeunesse en Pologne (1955), en URSS (1957), en Tchécoslovaquie (1959), il fut responsable d’un chantier de travail organisé en 1960 par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique. Il fit la connaissance de Serge Magnien*, secrétaire de l’UEC, qui fit lui aussi de la prison pour refus de faire la guerre en Algérie. Emprisonné, il fut autorisé à se marier et plusieurs étudiants communistes, dont René Moustard, furent présents à la cérémonie à la mairie de Fresnes.
René Moustard se maria en juillet 1958 à Valaurie (Drôme) avec Jeannine Tournigand, fille d’agriculteur, professeur d’éducation physique et militante communiste. Le couple eut trois enfants.
En 1959. René Moustard obtint le CAPES d’EPS et comme premier poste fut nommé au lycée Buffon à Paris. Sursitaire de 1959 à 1961, marié et ayant deux enfants en 1961, exempté d’Algérie, il fit son service militaire à Mourmelon (septembre 1961-mars 1963). Militant dans sa caserne, il fut sanctionné de huit jours de prison au moment de Noël 1961, "sans preuves" selon lui, pour avoir écrit des inscriptions anti-OAS sur les murs de la caserne.
Après le service militaire, René Moustard, en 1963, fut nommé au lycée de Troyes, établissement où il avait fait ses études secondaires. Il fut responsable départemental du SNEP et membre de la commission administrative nationale du SNEP. Dans le bulletin du SNEP, en mars-avril 1960, il signa un article visant à condamner toute bienveillance à l’égard des mesures gouvernementales, comme semblait le proposer la direction nationale. Il participa aux critiques, dans les congrès nationaux, notamment en 1964, contre la tendance « autonome » qui dirigeait le syndicat.
En 1963, René Moustard devint secrétaire de la fédération des jeunesses communistes jusqu’en juin 1964. Il entra au comité et au bureau de la fédération communiste en 1962 et suivit l’école centrale du PCF en août 1963.
En 1965, l’année de la grande décision, se posa la question de son champ de militantisme. Il militait en effet sur trois fronts, parti, syndicat, FSGT. Membre de la commission sportive du PCF sous la direction de Paul Laurent*, il travaillait dans le mouvement sportif et dans l’éducation physique scolaire. Lors d’une rencontre entre le secrétaire fédéral et Guy Ducoloné*, le 19 juin 1963, l’accord se fit sur la nécessité de s’orienter vers une responsabilité nationale dans le mouvement sportif et dans le syndicalisme. Jean Guimier*, responsable national du SNEP, souhaitait mettre fin à ses responsabilités nationales dans le syndicat. Il fut demandé à Moustard d’être son successeur. Son activité nationale au comité directeur de la FSGT fut encouragée par les dirigeants du PCF. Dans le même temps, la fédération communiste pensait qu’il devrait prendre la tête de la liste communiste pour les prochaines élections municipales à Troyes et devenir secrétaire fédéral chargé de l’organisation. Il fut placé en 1965 à la tête de la liste "d’union démocratique et laïque pour l’avenir de Troyes" comprenant des communistes, des socialistes SFIO et des membres du Parti socialiste unifié aux élections municipales de Troyes. Réunissant 49 % des voix, elle manqua de peu l’élection à la mairie. En 1967, il fut le suppléant du candidat communiste dans la circonscription de Troyes 2 et de Nogent.
Finalement, son point de vue l’emporta. René Moustard quitta l’Aube en 1967 pour devenir professeur au lycée de Thiais (Seine/Val de Marne) pendant l’année scolaire 1967-1968. À partir de ce moment, s’imposa la nécessité de faire définitivement un choix dans l’engagement militant entre la voie politique (responsable communiste à Troyes), la voie syndicale (devenir secrétaire du syndicat national de l’EPS), la FSGT. Ce fut la FSGT. En 1965, deux dirigeants importants étaient morts brutalement, René Rousseau, président et Maurice Baquet. En 1967, au congrès FSGT, à Tarbes, élu membre du comité national, il continua son activité professionnelle pendant une année avant de devenir permanent.
En juillet 1965, à Sète, débutèrent les stages, organisés par le conseil pédagogique et scientifique de la FSGT qui prirent le nom de Maurice Baquet. Aux côtés de Robert Mérand, président du CPS-FSGT, responsable des stages, René Moustard, secrétaire du CPS-FSGT, en devint un des responsables. Ces stages étaient le socle de tout son parcours militant professionnel. Ils furent à l’origine d’une recherche pédagogique nouvelle concernant le sport de l’enfant : mettre le sport au service de l’enfant et non l’inverse. Durant quinze ans, ils contribuèrent largement au développement des innovations dans la FSGT. Il s’intéressa de près à la formation de l’esprit sportif dans la jeunesse notamment en dirigeant d’une colonie de vacances Gai Soleil de 1966 à 1975. Il rendit compte, plus tard, de son expérience en coordonnant l’ouvrage collectif Les stages Maurice Baquet 1965-1975 Genèse du sport de l’enfant, Paris, L’Harmattan, collection "Espace et temps du sport", 2004.
Devant le risque de surcharge de responsabilités, René Moustard estimait, comme les dirigeants communistes, qu’il lui fallait devenir permanent. D’où son entrée comme permanent à la FSGT en 1968, choix que regretta la fédération communiste de l’Aube. Élu au secrétariat fédéral de la FSGT, il se consacra à la FSGT pendant trente ans de 1968 à 1998. En 1974, il devint vice-président de la FSGT. En 1976, il fut élu président, succédant à Raoul Gattegno. Sa carrière de responsable FSGT dans les fonctions de président (1976-1986), puis co-président (1986-1998), se poursuivit jusqu’à la retraite en 1998. Il multiplia les articles dans la presse, les interventions dans des colloques. Vice-président de l’Association française pour un sport sans violence et pour le fair play de 1983 à 1994, membre du comité exécutif du Comité sportif international du travail de 1981 à 1984 puis de 1987 à 1990, il participa à des réunions nationales ou internationales, ainsi le Forum international de l’éducation physique et sportive (4-6 novembre 2008) où il prononça une intervention sur l’olympisme. De 1991 à 2004, au titre de la FSGT, il fut membre du collectif de pilotage du mouvement des Assises nationales du sport et continua à y militer par la suite à titre individuel.
Lors de son élection à la présidence de la FSGT en 1976, René Moustard engagea son organisation dans une voie nouvelle sur le plan international. À partir de 1980, les relations entre la FSGT et les pays "socialistes" (URSS, RDA, Pologne…) se distendirent. Les échanges sportifs continuaient mais le sentiment grandit d’un décalage entre les valeurs affichées et la réalité observable. À la fin des années 1970, alors que le Comité national olympique français poursuivait ses relations avec l’Afrique du Sud, la FSGT, plutôt que de boycotter purement et simplement l’Afrique du Sud, proposait de soutenir ses militants du sport non-racial en maintenant les échanges sportifs. René Moustard participa à toutes les conférences internationales de lutte contre l’apartheid dans le sport (1983, 1985, 1987) et au premier congrès du nouveau mouvement sportif unifié et non-racial en Afrique du Sud (1992). La FSGT, par ailleurs, signa, en 1981, un accord de reconnaissance réciproque et de coopération avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cette coopération, selon René Moustard, devait et pouvait s’accompagner d’une double reconnaissance entre sportifs palestiniens et israéliens. Ces actions se traduisirent par la reconnaissance du sport palestinien par le Comité sportif international du travail (1996). Selon lui, ces expériences résultaient de sa volonté de "penser autrement" le rapport entre la politique et le sport, et plus largement la vie sociale, en organisant des actions "sportives" avec des objectifs de nature politique. Il est resté très proche de la cause palestinienne.
René Moustard collaborait aux recherches sur le sport et les activités physiques dans le cadre du Centre d’études et de recherches marxistes depuis la fin des années 1960. Il continuait à jouer un grand rôle dans les diverses commissions du comité central du PCF appelées à se pencher sur les questions de la jeunesse et du sport.
Membre d’ATTAC depuis 1998, René Moustard prit des distances avec le PCF, rejoignit les "réformateurs" puis les "refondateurs" tout en restant cotisant au PCF. Adhérent en 2009 à l’Association des communistes unitaires, il maintenait sa cotisation au PCF. Soutenant en 2012 la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la Présidence de la République, il déclara sur Internet "Comme d’autres, j’étais un communiste perdu, orphelin" en annonçant qu’il reprenait contact avec la section communiste de Thiais où il habitait.
René Moustard, en décembre 2012, écrivait : "Je fais partie de cette catégorie de communistes, à la fois fidèles aux idées incarnées dans la visée communiste, solidaires des luttes et critiques, notamment à l’égard du fonctionnement du parti et des conséquences que cela engendre dans la politique menée à cause de la conception d’organisation et de direction qui est restée dans la logique du modèle du parti d’avant-garde de ses origines. Je ne réduis pas la façon de penser d’être communiste à l’acte d’être adhérent au parti. Je reconnais la diversité et l’existence de nombreux communistes hors du parti". Il précisait "Je considère que les activités physiques et sportives font partie des besoins fondamentaux des êtres humains et constituent une dimension essentielle de leur développement dans une perspective émancipatrice. A ce titre le domaine « éducation physique et sport » nécessite un travail politique au sens fort comme les autres domaines fondamentaux pour le progrès humain (l’éducation, la santé, la culture…). C’est la raison principale de mon engagement au parti communiste, au SNEP, à la FSGT, tout au long de ma carrière professionnelle et de ma vie militante active et retraitée."
Par René Gaudy
ŒUVRE : Voir texte. René Moustard, Sport populaire, Paris, Redditions sociales, 1983.
SOURCES : Entretiens avec René Moustard (R. Gaudy) et compléments transmis à Jacques Girault (décembre 2012). — « René Moustard et la Palestine », in A contre fil, de René Gaudy, ed. La Verdine 2009, pp 18-28. — Archives du comité national du PCF. — Divers sites Internet. — Gérard COUTURIER, dir, A l’épreuve de la Guerre d’Algérie Des profs d’EPS témoignent, Paris, Institut de recherches de la FSU-Centre EPS et société, Syllepse, 2005. — Michaël, ATTALI Le syndicalisme des enseignants d’éducation physique 1945-1981, Paris, L’Harmattan, Espaces et Temps du Sport, 2004.