LACOSTE Yves, Jean, Paul.

Par Jacques Girault

Né le 7 septembre 1929 à Fès (Maroc) ; professeur de géographie ; fondateur de la revue Hérodote.

Fils de Jean Lacoste, géologue au Maroc, décédé en 1941 et d’une bibliothécaire, Yves Lacoste reçut les premiers sacrements catholiques et passa sa jeunesse à Rabat au Maroc. Il effectua ses études secondaires au lycée Lakanal à Sceaux (Seine) et supérieures à la Sorbonne. Après avoir rédigé un diplôme d’études supérieures sur la géomorphologie de la plaine du Rharb (Maroc), il fut reçu à l’agrégation de géographie en 1952. Il enseigna au lycée Bugeaud (1952-1955) à Alger.

Membre de l’Union de la jeunesse républicaine de France à la Sorbonne depuis 1949, membre du Parti communiste français, Lacoste adhéra au Parti communiste algérien et participa, avec d’autres militants algériens, aux luttes contre le colonialisme. Découvrant les œuvres d’Ibn Khaldoun, il commença une approche théorique à base historique qui alimenta ses premiers travaux sur l’histoire du Maghreb (Documents EDESCO en 1957, chapitres sur l’histoire du Maghreb jusqu’au XVIIIe siècle de l’ouvrage L’Algérie, passé et présent, écrit en collaboration avec André Nouschi et André Prenant* aux Editions sociales en 1960) et sur le sous-développement (Que sais-je ? sur les pays sous-développés publié en 1959).

Lacoste, exempté du service militaire, se maria uniquement civilement en novembre 1950 à Bourg-la-Reine (Seine) avec Camille Dujardin, ethnologue qui enquêtait sur les Berbères, future directrice de recherches au CNRS. Le couple eut deux fils.

Yves Lacoste fut mis en demeure par le proviseur de lycée Bugeaud de rentrer en France en 1955. Militant de la cellule Sorbonne-Lettres, il quitta le PCF au début de 1956 après le vote par les députés communistes des pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement Guy Mollet pour sa politique en Algérie. Son épouse fit de même. Évoluant dans les milieux de gauche, il fit partie du bureau exécutif du Comité pour l’indépendance de l’Europe à la fin des années 1960 qui comprenait notamment Emmanuel d’Astier de la Vigerie, René Capitant, Pierre Le Brun, François Perroux, Maxime Rodinson*. Condamnant « la campagne antisoviétique des partisans de l‘hégémonie américaine », dénonçant l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, le CIE affirmait que l’« Europe véritable ne saurait se construire sans, et encore moins, contre l’Union soviétique » (Le Monde, 14 septembre 1968).

Assistant à l’Institut de Géographie de Paris (1955-1968), membre du SNESup jusqu’en 1980, Lacoste publia une série de manuels scolaires (collection Lacoste-Ghirardi) chez Fernand Nathan qui firent longtemps autorité. Il avait commencé des recherches pour une thèse de doctorat d’État de géomorphologie de la grande Kabylie sous la direction de Jean Dresch, qu’il ne termina pas en raison de la guerre d’Algérie. Son sujet de thèse complémentaire portait sur l’industrie du ciment sous la direction de Pierre George*. Docteur d’Etat en 1979 avec une thèse intitulée « Unité et diversité du Tiers-Monde. Des représentations planétaires aux stratégies sur le terrain » (publiée en 1980), il devint chargé d’enseignement en 1969 au centre universitaire de Vincennes puis professeur à l’Université de Paris VIII au début des années 1980. Il y créa en 1989 le Centre de recherches et d’analyses de géopolitiques devenu l’Institut français de géopolitique.

Yves Lacoste menait des recherches sur l’industrie du bâtiment, depuis les années 1960, qui se distinguaient de la géographie classique, de l’approche strictement marxiste en introduisant « les contraintes naturelles, le relief ou le climat », auxquels s’ajoutaient les enjeux politiques et les projets de développement dans une géographie qualifiés d’ « active » (théorisée en 1965 par Pierre George) dans l’organisation de l’espace. Il s’opposait ainsi aux orientations développées dans la géographie française autour de Roger Brunet et de « la nouvelle géographie » dégageant des modèles de développement de l’espace (analyse chorématique). Une étape de son évolution problématique fut la non-réédition de la troisième édition de sa Géographie du sous-développement dans la collection Magellan aux Presses universitaires de France dirigée par Pierre George. La direction des PUF désapprouvait l’idée émise par Lacoste d’une géographie utilisée à des fins de domination par les divers pouvoirs politiques.

Dans le même temps, Yves Lacoste accordait une grande place aux luttes de libération des peuples du tiers-monde. Revenant d’une mission d’enquête, à la demande des Vietnamiens, sur le bombardement des digues dans le delta du Fleuve Rouge, dans un article du Monde, le 16 août 1972, il dénonça ces bombardements par les avions américains, expliquant que la rupture de ces digues aurait été présentée comme la conséquence des crues et des aléas climatiques. Les expériences qu’il rapporta du Vietnam contribuèrent à créer une image de géographe engagé qu’il s’efforça de théoriser dans ses écrits. Il effectua plusieurs missions en Afrique noire et entretint des liens particuliers avec l’Algérie et avec Cuba.

Dans le même temps, il lançait, en 1976, aux éditions Maspero une revue Hérodote. Revue de géographie et de géopolitique où se croisaient tous les spécialistes de sciences humaines, engagés dans les divers combats des forces de gauche françaises et mondiales. Il s’agissait aussi de combattre l’idée que la géopolitique était une discipline d’extrême-droite. Ces démarches débouchèrent sur une spécialité nouvelle, la géopolitique où il introduisait le rôle des politiques et des rapports de force dans l’aménagement de l’espace. Il dirigea de grandes entreprises, parfois rééditées, dans ce domaine : Géopolitique des régions françaises (Paris, Fayard, en trois volumes, 1986) et le Dictionnaire de géopolitique (Paris, Flammarion, 1993), De la géopolitique aux paysages. Dictionnaire de la Géographie (Paris, A. Colin, 2003), Atlas de géopolitique (Paris, Larousse, 2006), Géopolitique de la Méditerranée, Paris, A. Colin, 2006. Ainsi il contribua à la réflexion sur le sens de la discipline géographique et reçut en 2000 le prix international de géographie Vautrin-Ludd.

Tout en poursuivant ses encouragements des travaux de chercheurs en géopolitique dans le séminaire qu’il dirigeait (« Méthodes d’analyse et représentations géopolitiques »), Yves Lacoste intervint dans les médias sur des questions géopolitiques et parfois directement politiques, comme au moment du démantèlement de l’ancienne Yougoslavie, rappelant l’ancienne amitié franco-serbe. Électeur socialiste, proche de Jean-Pierre Chevènement dans les années 1990, Yves Lacoste indiquait dans une interview à Libération, le 2 septembre 2006, avoir été marqué par l’expérience révolutionnaire cubaine, avoir voté positivement au référendum sur la constitution européenne avant de conclure « On dit aussi que je suis islamophobe parce que je suis contre les islamistes et leur refus de la laïcité. » Dans un ouvrage d’entretiens avec Pascal Lorot, il indiquait que le début du XXIe siècle était caractérisé par « l’extension du mouvement révolutionnaire islamiste », à la fois « réactionnaire » et « internationaliste ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136403, notice LACOSTE Yves, Jean, Paul. par Jacques Girault, version mise en ligne le 7 mars 2011, dernière modification le 1er juin 2021.

Par Jacques Girault

ŒUVRE :
Parmi les nombreux ouvrages de Lacoste, distinguons :
Les pays sous-développés, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1959,. — Ibn Khaldoun, naissance de l’histoire du Tiers-Monde, Paris, Maspero, 1965,. — Géographie du sous-développement, Paris, PUF, Magellan, huit rééditions à
partir de 1965. — La géographie, ça sert, d’abord à faire la guerre, Paris, Maspero, 1976. — Contre les anti-tiers-mondistes et contre certains tiers-
mondistes
, Paris, La Découverte, 1985. — Questions de géopolitique, Paris, Le Livre de Poche, 1988. — Vive la Nation. Destin d’une idée géopolitique, - .Paris, Fayard, 1998. — L’eau des hommes, Paris, Le Livre d’Art, 2001. — Maghreb, peuple et civilisation, (avec Camille Lacoste-Dujardin), Paris, La
Découverte, 2004. — L’Eau dans le monde : les batailles pour la vie, Paris, Larousse, 2006. — Géopolitique. La longue histoire d’aujourd’hui, Paris,
Larousse, 2006. — La question post-coloniale, une analyse géopolitique, Paris, Fayard, 2010. — La géopolitique et la géographie. Entretiens avec Pascal
Lorot
, Paris, Choiseul éditions, 2010. — La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, nlle édition, La Découverte, 2012.

SOURCES : Divers sites Internet. — Presse. — Article de Jacques Lévy dans le Dictionnaire des intellectuels français, sous la direction de Julliard (Jacques) et de Winock (Michel), Paris, Seuil, 1996. — Renseignements fournis par l’intéressé en 2009-2010. — Sources orales.

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