GRÉGORY Marie Virginie dite Virginia

Par René Lemarquis

Née le 3 janvier 1901 à Bastia (Corse) ; secrétaire de rédaction dans une maison d’édition (Armand Colin) ; militante communiste dans le XIVe arrondissement et à l’AEAR.

Marie Grégory était la fille d’un professeur au lycée de Bastia, mort en 1919 de la grippe espagnole, et d’une directrice d’école maternelle à Bastia. Son père était le fils d’un marin de Luri (Cap Corse) et sa mère d’origine paysanne était catholique pratiquante. Leur fille Marie fut baptisée, fit sa première communion et perdit la foi vers 1926. Élève à Bastia dans un cours secondaire elle obtint à quinze ans son brevet élémentaire puis fut boursière à l’internat du lycée Longchamp de Marseille où elle fut admise au baccalauréat avec mention Bien. Elle se spécialisa dans la langue et la littérature italiennes à la faculté des lettres de Grenoble. Licenciée en 1923, diplômée d’études supérieures (mention Très bien) elle prépara l’agrégation d’italien. Admissible en 1925 elle tomba malade au moment de passer l’oral puis échoua l’année suivante à l’admissibilité. Venue à Paris en 1925 elle obtint un poste de professeur d’italien au lycée de Versailles et, simultanément, fut employée comme bibliothécaire à la Chambre internationale de commerce (section américaine). Pour financer ses études d’agrégative sa mère, veuve, avait du emprunter 25 000 F à un parent que Marie Grégory devait rembourser. Le 29 juin 1927 elle put entrer à la librairie Armand Colin comme secrétaire de rédaction recommandée par deux de ses professeurs. Son salaire était de 30 000 F par an en 1934.

Marie Gregory avait cessé de préparer une thèse de doctorat sur « Guido Cavalcanti, poète athée du 13e siècle ». Devenue communiste elle déclarait en 1934 qu’elle ne ferait une thèse que si son parti « jugeait utile qu’un communiste porte devant la Sorbonne un sujet de nature à susciter un certain mouvement dans ce milieu-là ». De 1921 à 1927 elle avait voyagé en Italie et vécu les débuts du fascisme et l’affaire Matteoti mais « sans bien comprendre ». Elle avait connu des fascistes, dont elle citait les noms, à Rome et à Florence et même Edda la fille de Mussolini.

Marie Gregory avait deux frères : l’aîné Tony était un artiste musicien, « assez mondain » ayant parmi ses relations le député M° Campinchi, le cadet Laurent avait été élève d’une école d’agriculture mais, très malade, avait du abandonner tout emploi. Elle déclarait, dans son autobiographie, avoir « éliminé peu à peu les relations mondaines qui me venaient de mon frère ou de ma famille ». Certaines de ces relations furent relevées par la commission des cadres du PC : la famille Paul-Boncour chez laquelle elle avait passé des vacances et même Paul Doumer (qui fut président du Sénat puis de la République) qu’elle allait voir dans son cabinet du Luxembourg et qui était intervenu pour obtenir un emploi à son frère cadet. Elle avait par ailleurs interrompu en 1932 ses relations avec Julien Loeb, un ingénieur ex-polytechnicien qui était membre du Cercle de la Russie neuve qu’elle jugeait trop indécis en matière politique.

Marie Gregory qui lisait l’Humanité depuis 1928 et s’y était abonnée deux ans plus tard, adhéra au PC en mars 1933 et fut affectée le mois suivant à la cellule 631 (quartier de la Santé) laquelle fut divisée en deux : elle était ainsi en 1934 à la cellule 633 (son numéro de carte : 115 763), une « cellule prolétarienne où son éducation ne pouvait mieux se faire ». Avant son adhésion elle avait vu dès 1928 les premiers films et lu les premiers romans soviétiques. En 1930, lors de l’affaire Koutiepof elle avait, au meeting des Russes blancs, été écœurée par Farrère, Taittinger etc..., quelques jours après elle entendit Marcel Cachin à la Grange aux Belles. « Je sentis, dit-elle, que j’étais bien chez moi et que ma vie venait de trouver un sens ». En mai elle défilait au « Mur [des fédérés] » et se mit à lire de la littérature communiste « pour être digne d’entrer un jour au Parti ». Auparavant elle fut à l’AEAR, dès sa formation en mars 1932, où elle fut influencée par Moussinac et Vaillant Couturier.

Sous le nom de Virginia, Marie Gregory milita activement dans sa cellule où ses camarades lui demandèrent dès mai 1933 d’écrire dans leur journal Le Haut Parleur de la Santé. En septembre la conférence de Rayon du XIVe arr. l’élut au comité de Rayon. « Trop tôt », pensait-elle, se jugeant incapable d’une telle responsabilité. Désignée pour la documentation et la diffusion de la littérature, elle trouvait que par manque d’expérience et de temps son travail ne serait pas satisfaisant. Très occupée par l’AEAR elle ne pouvait en même temps remplir des tâches dans le XIVe, aussi la conférence de Rayon de mars 1934 la déchargea de celles-ci.

Virginia vécut les journées de février 1934 comme « ses premières journées révolutionnaires ». Elle fut partout les 6,9 et 12 où elle participa à la préparation de la grève. Elle reconnut alors une erreur politique en acceptant la présence du PUP à une réunion d’action commune avec les socialistes. Avec un autre camarade elle fut blâmée car le PUP acquérait ainsi une « apparence de masses ». Au moment de la « crise Doriot » elle se déclara d ‘accord avec le « magistral exposé de Duclos le 6 mai », d’autant plus qu’elle avait fait le même raisonnement auparavant.

La culture politique de Marie Gregory apparaît assez considérable. Dès 1926 elle avait voulu en finir avec son ignorance de l’économie politique en lisant des « spécialistes bourgeois », puis passionnée d’histoire et de philosophie, elle arriva à Marx connaissant déjà les philosophes du 18e siècle, la révolution française, les socialistes utopiques... Elle citait parmi ses lectures l’essentiel des œuvres publiées alors des classiques du marxisme. Elle avait acquis une bonne expérience littéraire (analyse, critique, exposé...) dont elle pensait qu’elle pourrait être utilisée dans la propagande du parti. Elle effectua une traduction (non signée) de La Démocratie de l’ex-président du Conseil italien Nitti. La liste des périodiques, lus plus ou moins régulièrement, est importante. Outre ceux de la IIIe Internationale et les Cahiers du Bolchevisme, elle citait : Commune, Prolétariat, Avant-Poste, Masses, Jeune Révolution, l’Etudiant d’Avant Garde, Esprit, Front Social, La Lettre des Jeunes, ainsi que les grandes revues bourgeoises depuis La Revue des Deux Mondes, La Nouvelle Revue Française et Europe...

Tout en militant au niveau local elle fut surtout active dans les milieux intellectuels et estudiantins. C’est à l’AEAR, dont elle était membre de la section littéraire, qu’elle consacrait « tout son temps en dehors du parti ». Faisant partie de la Commission exécutive et du Bureau qui dirige et surveille le travail de toutes les sections, elle organisait les manifestations publiques. De juillet 1933 à mai 1934 elle put ainsi recruter quinze membres, onze abonnés à Commune et une trentaine d’Amis. Dans le milieu étudiant l’AEAR fit « un excellent travail à l’ENS rue d’Ulm, à la Fondation Thiers, aux Langues Orientales, à l’École Coloniale. Elle proposa au parti qu’une Direction unique où les responsables de l’AEAR seraient en liaison étroite avec ceux de l’UFE. Une fraction devrait coordonner leurs efforts en présence des responsables des JC.

Dans une remarque finale de son autobiographie, Marie Gregory indiquait que seuls les responsables du parti savaient son nom de famille, les communistes ne connaissant que Virginia. Selon elle, les Éditions Armand Colin, Maison très bourgeoise, la remercieraient immédiatement si elles soupçonnaient simplement qu’elle était communiste. Son licenciement serait alors « une véritable catastrophe » : pour elle-même (remboursement de sa dette, aide à son frère malade sans travail) et pour le parti. En effet dans son emploi elle avait « tout crédit pour rejeter net certains manuscrits et pour en appuyer chaudement d’autres » (comme par exemple : Henri Wallon, Marcel Prenant, les classiques de la Révolution française...). Cette confiance provenait de ce que l’on ne connaissait pas sa position politique et qu’on la croit rigoureusement objective (« c’est le dada bourgeois ! »). Elle faisait donc confiance à son parti pour qu’on l’utilise de la façon la plus rationnelle et la plus féconde possible. Ce qui impliquait évidemment le maintien du secret de son appartenance.

Au début de l’année 1934 Virginia venait d’adhérer au Syndicat Unitaire des Employés de librairie, elle regrettait de ne pas l’avoir fait plus tôt. Elle habitait alors 12 avenue Paul Appell dans le XIVe arr. La commission des cadres jugea A et AS cette « très bonne biographie...presque un roman ». Elle proposait de vérifier et voir pour renforcer la Direction à l’AEAR.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136429, notice GRÉGORY Marie Virginie dite Virginia par René Lemarquis, version mise en ligne le 16 mars 2011, dernière modification le 16 mars 2011.

Par René Lemarquis

SOURCE : RGASPI 495 270 1572 (autobiographie du 11 mai 1934, 18 pages)

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