JUQUIN Pierre, Louis, Michel

Par Marco Di Maggio, Jacques Girault

Né le 22 février 1930 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; professeur ; membre du comité central du PCF (1964-1987) ; membre du bureau politique (1979-1985) ; député communiste de l’Essonne (1967-1968, 1973-1981) ; exclu du PCF en 1987, candidat aux élections présidentielles de 1988.

Pierre Juquin
Pierre Juquin
Cliché Gérald Bloncourt (Droits réservés)

Originaire d’une famille d’ouvriers (grand-père paternel mineur puis manœuvre chez Michelin) et d’artisans (grand-père maternel, tapissier) républicains, Pierre Juquin indiquait dans un questionnaire biographique rempli en 1958 et dans ses mémoires, que son père était dessinateur à la SNCF, « socialiste non organisé ». Il notait, trois ans plus tard, qu’il était « cheminot », sympathisant du PSU. Syndiqué, son père devint sous le Front populaire commissaire général au plein air de l’association touristique des cheminots.

Depuis l’adolescence, Pierre Juquin, qui avait une sœur, effectua de bonnes études secondaires au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. En 1947, il fut admis en hypokhâgne au lycée Henri-IV de Paris où il prit contact avec les milieux du PCF. En 1949, il entra à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm où il se spécialisa comme germaniste, obtenant sa licence en 1953. Il fut en 1951-1952 le secrétaire adjoint de la section de l’ENS du Syndicat national de l’enseignement secondaire. Par la suite, il séjourna en Allemagne à plusieurs reprises pour de longues périodes, comme boursier, dans les universités de Munich et de Cologne en RFA entre 1952 et 1955, puis en mai 1956, comme représentant de la Fédération internationale des syndicats d’enseignants au Veme congrès pédagogique à Leipzig en RDA.

Pierre Juquin commença son service militaire, en novembre 1956, dans l’infanterie en Allemagne et le termina à Billom (Puy-de-Dôme), en mai 1958, avec le grade de sergent.

À partir de 1958, il fut professeur agrégé d’allemand aux lycées Jean-Baptiste Say à Paris, puis Marcel Roby à Saint-Germain-en-Laye, puis Lakanal de Sceaux de 1959 à 1966, nommé en classes préparatoires (ENS et ENSET).

Pierre Juquin se maria avec Nicole Meunier, fille d’une commerçante de Troyes (Aube), élève-professeur à l’ENS de Fontenay-aux-Roses depuis 1951 (section des lettres), militante de l’UEC et du PCF, qui devint professeur au lycée Edgar Quinet. Le couple eut trois enfants puis divorça.

En 1953, Pierre Juquin adhéra au Parti communiste français à l’ENS. En 1956, il fut secrétaire de rédaction de la revue Triget organe du Mouvement pour la paix dans les universités. Parallèlement, il travailla pour une traduction aux Editions sociales de l’ouvrage, Histoire de la vie de Marx, de Franz Mehring.
Au retour du service militaire, Juquin, membre du comité et du bureau de la section communiste du XIVe arrondissement (il habitait alors rue Raymond Losserand), entra au comité de la fédération communiste de Paris en 1959. Membre du secrétariat de l’Union française universitaire en 1958-1959, il devint membre des comités de rédaction de La Nouvelle Critique et de L’École et la Nation en 1961. Il commença alors à collaborer avec la section de politique extérieure du comité central, participant notamment à la préparation de l’ouvrage d’Henri Claude sur le gaullisme et militant dans le Mouvement de la paix. Chargé de suivre la situation en Allemagne de l’Ouest, il publia de nombreux articles dans la presse communiste. Il joua un rôle dans les luttes nationales du Mouvement de la paix contre le réarmement allemand. En 1963, dans un numéro spécial de La Nouvelle Critique intitulé « Vivre ou périr, les communistes et la paix », furent réunis ses articles de la revue, où il exposait l’analyse du PCF sur la coexistence pacifique.

Nommé au lycée Lakanal, Pierre Juquin fut muté dans la fédération Seine-Sud du PCF. Membre de la cellule communiste du lycée et du comité de la section communiste de Sceaux, il habitait Fresnes où il fit partie en 1961 du bureau du conseil communal du Mouvement de la paix. Lors du putsch d’Alger en février 1961, il fut le responsable de l’organisation d’une éventuelle résistance communiste dans le sud de la Seine. Il devint membre du comité de la fédération communiste de Seine-Sud de 1962 à 1965. Par la suite, il habita le grand ensemble de Massy et fut muté dans la fédération communiste Seine-et-Oise-Sud où il devint membre du comité fédéral en 1965. Il conserva cette responsabilité à la naissance du comité fédéral de l’Essonne en 1966.

Dans cette période, Pierre Juquin rencontra George Marchais, alors secrétaire de la fédération Seine-Sud, et fut remarqué par les dirigeants du PCF, notamment Maurice Thorez et Waldeck Rochet. En 1961 il participa pour la première fois à une délégation du PCF, conduite par Raymond Guyot. Par la suite, il effectua de nombreux voyages en RDA comme connaisseur de la langue et de la culture allemandes.

À partir de la fin des années 1950, Pierre Juquin se rapprocha de plus en plus de ceux qui dans le PCF appuyaient avec discrétion et modération la politique de Krouchtchev. Derrière Waldeck Rochet, ils voulaient favoriser la réactivation d’une dynamique unitaire pour sortir le PCF de l’isolement dans lequel il avait été relégué dans le système politique national. En mai 1964, au XVIIe congrès, élu membre suppléant du comité central, il faisait partie de la nouvelle promotion de jeunes dirigeants qui accompagnaient le changement aux sommets du Parti. On lui proposa de s’occuper de l’enseignement, ensemble rattaché au secteur des intellectuels et de la culture. Il en fut responsable pendant dix ans et parvint à faire des propositions communistes pour l’Éducation nationale une des grandes originalités du programme du PCF.

Pierre Juquin devint membre titulaire du comité central en janvier 1967. Pour le développement de la section des intellectuels du comité central dont Henri Krasucki* était le responsable, il reçut, dans un premier temps, la responsabilité des écoles du parti. Lors d’une réunion du bureau politique en octobre 1965, fut discutée la question du choix des permanents pour la section des intellectuels. Jacques Chambaz et Jean Suret-Canale* furent envisagés. Le choix de ce dernier était rendu délicat par sa candidature au CNRS. Henri Krasucki proposa que Juquin devienne permanent comme responsable de la commission de l’enseignement. Dès lors, ce dernier effectua un travail considérable en relations avec les enseignants collaborant à la revue L’École et la Nation, portant surtout sur l’enseignement primaire. Il renforça cette commission en mobilisant d’autres enseignants du secondaire et du supérieur. Il fut le principal responsable du programme du PCF pour l’enseignement en France dont une première version parut au début de 1967 sous le titre Propositions pour une réforme démocratique de l’enseignement (170 pages) suivie d’une mise à jour, corrigée et augmentée en février 1970. Il devait reprendre cette question en 1973 pour illustrer la politique scolaire du PCF dans un ouvrage Propositions pour reconstruire l’école.

Avec la disparition de Thorez et le nouveau secrétariat de Waldeck Rochet, s’imposait à l’intérieur du PCF l’idée que la construction de l’Union de la Gauche passait aussi par l’aggiornamento du parti, un processus capable d’en changer l’image sans remettre en cause les fondements de sa structure et de son identité doctrinaire. En suivant cette orientation, Pierre Juquin participait à la lutte contre ceux qui revendiquaient une déstalinisation plus radicale, une modernisation plus profonde de l’organisation et un changement de stratégie. Entre 1964 et 1967, il collabora à la normalisation de l’Union des étudiants communistes et à la reprise de contrôle du débat théorique qui traversait les milieux intellectuels et qui tendait à déborder vers une discussion de l’identité et de la stratégie du PCF. Les 11-13 mars 1966, lors des débats à la réunion du comité central d’Argenteuil, tout en prenant position en faveur de la libéralisation culturelle, Juquin essaya d’endiguer le pluralisme philosophique de Roger Garaudy et critiqua durement les positions de Louis Althusser. Toujours au début du secrétariat de Waldeck Rochet, se produisit la progression du courant « Unité et action » dans les syndicats de la Fédération de l’Education nationale, présentée souvent comme une prise de contrôle du PCF sur le syndicalisme enseignant. La victoire de ce courant dans le SNES en 1966-1967 en constituait la première étape, selon certains, alors que la réalité était beaucoup plus complexe. Mais Juquin apparaissait comme le responsable de ce qui constituait une menace pour les orientations majoritaires dans les syndicats de la Fédération de l’éducation nationale. Au même moment, se produisait la marginalisation de mouvements d’extrême gauche dans lesquels se trouvaient les dissidents expulsés de l’organisation estudiantine du PCF.

Pendant le mouvement de mai-juin 1968, Pierre Juquin fut un des protagonistes de la dure confrontation entre le PCF et les groupes d’extrême gauche. Le 25 avril, il fut contraint à renoncer à intervenir à l’Université de Nanterre face à la contestation gauchiste. Pendant cette période, il soutint la ligne de Waldeck Rochet ayant pour but de mettre au centre du mouvement les actions revendicatives des syndicats, de marginaliser les groupes gauchistes et de faire du mouvement l’instrument d’une victoire électorale de la gauche unie. Il fut aussi aux côtés de Rochet dans la tentative de médiation du secrétaire du PCF pour trouver une solution positive à la crise tchécoslovaque. Il fit partie, dans le PCF, de ceux qui voyaient dans la politique de Dubcek la possibilité de gagner des marges d’autonomie plus larges pour la stratégie nationale sans mettre en discussion le lien avec l’Union Soviétique et avec le bloc socialiste.

Avec la répression du Printemps de Prague, il était toujours aux côtés du secrétaire dans le refus des positions philosoviétiques de Jeannette Vermeersch, mais, en même temps, il participait à la marginalisation de Garaudy* et de la rédaction de la revue Démocratie Nouvelle, qui, tout en critiquant la politique soviétique, tentait de comprendre le radicalisme du mouvement estudiantin et contestaient les choix du PCF en mai-juin 1968. À partir du rôle joué dans la double crise de 1968, dans la période de passage du secrétariat Rochet à celui de George Marchais*, Pierre Juquin faisait partie des dirigeants susceptibles d’incarner une ouverture modernisatrice pour assurer le renouvellement dans la continuité. Une émission de télévision dans un ensemble « Les cadets de la politique » lui fut consacrée. Son ouvrage Le Sens du réel, paru en 1971 aux éditions Grasset, présentait prudemment une analyse qui montrait une ouverture aux nouvelles formes du conflit social et au mouvement estudiantin mais qui ne mettait pas en discussion la ligne du PCF depuis 1968.

Le rôle de Pierre Juquin grandissait d’autant plus qu’il était devenu parlementaire. Candidat en 1967 dans la troisième circonscription de l’Essonne (Longjumeau), il obtint 29 012 voix sur 115 940 inscrits, progressant de plus de 8 000 voix. Bénéficiant du désistement du candidat de la FGDS, il battit largement le candidat de droite avec 47 119 voix. Mais il perdit son siège en 1968 (28 535, puis 40 574 voix sur 116 424 inscrits). Il le regagna dans la circonscription de France la plus peuplée, en 1973 (37 487 puis 60 580 voix sur 145 833 inscrits) et le conserva en 1978 (42 860 puis 76 323 vois sur 181 284 inscrits). La presse notait alors que la campagne du candidat socialiste avait été menée contre le candidat sortant, qui, à la différence des scrutins précédents, ne recueillit pas toutes les voix des candidats de gauche. Il perdit son siège en 1981 au bénéfice du candidat socialiste Claude Germon pour lequel il se désista pour le deuxième tour. « Il est dur d’être battu par la gauche après avoir travaillé à l’unir » commenta-t-il plus tard.

Après la montée de George Marchais* et la signature du Programme commun de gouvernement en juin 1972, aux côtés de Jean Kanapa et Charles Fiterman, Pierre Juquin devint un des principaux inspirateurs de la politique du PCF, participant à de nombreuses réunions avec les partenaires. Jusqu’à l’élection présidentielle de 1974, il fut un défenseur convaincu de l’alliance avec le Parti socialiste et essaya de favoriser la transformation du PCF de parti d’opposition représentant les intérêts de la classe ouvrière, en parti capable d’assumer les responsabilités du gouvernement et d’interpréter aussi les revendications des classes moyennes.

Dans la deuxième moitié des années 1970 et dans le cadre de la tentative de modernisation, Pierre Juquin essaya d’introduire dans le discours du parti des thèmes d’écologie et aussi quelques références vagues à l’autogestion. En raison de sa capacité à utiliser un langage moderne et peu doctrinaire, en 1976 il fut nommé responsable de la section « Cadre de vie-consommation » du comité central qu’il avait contribué à créer. Cette année-là, lors d’une élection complémentaire en Indre-et-Loire, il convainquit Vincent Labeyrie d’afficher au grand jour les revendications écologiques dans sa campagne, option matérialisée par le remplacement de la faucille et du marteau par un point vert. Georges Marchais cautionna ce choix lors d’un meeting à Tours mais des contestations s’élevèrent chez les communistes. Aussi, le bureau politique, le 15 novembre 1976, décida-t-il de retirer à Juquin sa responsabilité pour la confier à Mireille Bertrand et de l’affecter à la section de la propagande, comme adjoint de René Piquet* et responsable du bureau de presse.

Dans le cadre de ces nouvelles fonctions, Pierre Juquin fut chargé de diriger la campagne du parti pour les libertés démocratiques, intitulée Vivre libres, dans laquelle il impliqua un certain nombre d’intellectuels communistes. Avec cette campagne de propagande, le PCF voulait répondre aux accusations d’être une organisation qui ne respectait pas les valeurs démocratiques. Pendant cette période, avec Jean Kanapa, il fut un des membres de la direction du PCF qui soutenaient avec conviction l’eurocommunisme et la prise de distance du parti français vis-à-vis de l’Union Soviétique, qui devait favoriser l’image du PCF comme parti apte à assumer les responsabilités du gouvernement de la France. En effet, en 1976-1977, Pierre Juquin représenta le PCF dans des initiatives en faveur des intellectuels dissidents soviétiques. Il participa, le 21 octobre, à la réunion à la Mutualité organisée par le Comité des mathématiciens qui avait obtenu avec l’aide de la Fédération de l’Education nationale la libération du mathématicien dissident soviétique Leonid Plioutch. Le matin, le bureau politique avait donné son accord au texte de son intervention et lui avait demandé de serrer la main de Plioutch, geste qui symbolisait un désaccord avec l’attitude du gouvernement soviétique vis-à-vis des intellectuels contestataires.

Le 18 mai 1977, le bureau politique du PCF désigna cinq dirigeants, dont Pierre Juquin pour les institutions et les questions de la liberté, pour négocier avec les socialistes et les radicaux de gauche l’actualisation du Programme commun de gouvernement. Il fut chargé de prendre des notes. Dans ses mémoires, il livra le résumé de certains thèmes de ces discussions lors des quinze séances (13 mai-28 juillet), du sommet du 14 septembre et des séances qui suivirent. Il composa aussi, à partir des notes prises dans les discussions, un récit des propositions communistes pour une « actualisation du Programme commun ».

Après la rupture, toujours chargé d’animer l’activité de propagande, en 1978, Pierre Juquin fut contraint d’annuler la diffusion d’une brochure électorale, Vivre, affirmant que le PCF était favorable aux droits de l’Homme dans le monde et contenant notamment la photo de sa poignée de main avec Plioutch en 1976. L’épisode montrait le changement de climat régnant dans le PCF après la rupture de l’Union de la gauche et la mort de Jean Kanapa. Après avoir été un des principaux inspirateurs de la politique unitaire, Pierre Juquin accepta ce changement. Dans la préparation des élections législatives de 1978, dans la perspective d’une victoire de la gauche, des bruits circulèrent sur la participation de ministres communistes au gouvernement et pour Juquin, on parla avec insistance du ministère de l’Éducation nationale.

L’analyse de la défaite de la gauche par la direction du PCF donna le signal d’une expression publique des contestations. Pierre Juquin ne s’exprima pas dans un premier temps. Il essaya de bloquer la sortie du numéro de la Nouvelle Critique sur la défaite électorale de l’Union de la Gauche aux élections législatives, numéro qui exprimait un point de vue critique sur la ligne du Parti.

Au XXIIe congrès de 1979, Juquin devint membre suppléant du bureau politique, avant d’être nommé titulaire au congrès suivant de 1982. Entre 1979 et 1982, il dirigea, d’abord comme co-responsable avec Charles Fiterman, puis responsable en titre, la section de propagande et le bureau de presse, englobant la communication et l’information. Il promut une image moderne tout en défendant le parti des accusations d’un retour à l’orthodoxie ouvriériste et philosoviétique.

Lors de l’élection de François Mitterrand en mai 1981, un grand rassemblement commença place de la Bastille dès la proclamation des résultats. Pierre Juquin prit la parole au nom du PCF pour exalter les perspectives ouvertes par la victoire de la gauche. Ce ralliement permit notamment de faciliter la revendication du PCF de participer au gouvernement, ce qui fut acquis et souleva de nombreux espoirs, corrigeant le score décevant de Georges Marchais au premier tour de l’élection présidentielle. Après la formation du gouvernement, Pierre Juquin négocia avec les ministères pour obtenir l’entrée dans les médias nationaux de journalistes et cinéastes communistes.

Sa position de dirigeant d’origine intellectuelle chargé de contribuer à construire une image moderne et démocratique du PCF fut emportée par la crise dans laquelle le Parti communiste tomba dans les années 1980. Alors que le gouvernement renonçait à la profonde réforme de l’enseignement et acceptait le tournant de la rigueur, le PCF quittait les responsabilités gouvernementales tout en continuant à soutenir épisodiquement la politique mise en place par le Parti socialiste.

Pierre Juquin commença, dans ses contacts personnels, à exprimer des réserves sur la stratégie du PCF. Le 19 juin 1984, lors de la réunion du bureau politique, pour la première fois, insistant notamment sur la mauvaise image de l’URSS, il approuva les critiques faites par Claude Poperen* dans son rapport. Le 24 juin, lors d’une fête communiste à Limoges, dans son discours, il proposa « d’opérer en nous-mêmes les changements qui s’imposent, sans tabou ». Il apparut dès lors comme un des dirigeants appelant à une rénovation du PCF tout en restant porte-parole du parti dont il contesta les choix stratégiques, notamment le départ des ministres communistes du gouvernement en juillet 1984. Le « camarade tabou », comme la plupart des dirigeants communistes le désignaient, fut un de ceux qui dirigeaient le courant qualifié de « liquidateur » par la majorité des membres du bureau politique. Au XXVe congrès (6-10 février 1985), il intervint longuement et vota contre la résolution finale. Il ne fut pas réélu au bureau politique, mais resta membre du comité central, ainsi que Félix Damette et Marcel Rigout*, à la différence d’autres contestataires. Perdant la direction de la section propagande, il passa à celle de l’action pour la paix et le désarmement, « travail symbolique, sans moyens, la politique extérieure restant confiée à Maxime Gremetz ». En octobre 1985, son désaccord s’approfondit avec la publication chez Grasset d’Autocritiques, où il passait en revue tout son militantisme et proposait une modernisation radicale du Parti et de la gauche : « Le socialisme sera autogestionnaire ou ne sera pas ». La modernisation qu’il souhaitait pour le PCF se rapprochait de celle qu’essayait d’accomplir le parti italien dans la même période. Il s’agissait de tenter de le transformer en parti de la « gauche européenne », capable d’interpréter les nouvelles instances écologistes et démocratiques provenant de la société civile.

En 1986, Pierre Juquin signa pour la première fois une pétition qui demandait la convocation d’un congrès extraordinaire. Le 31 janvier 1987, un Comité de coordination des rénovateurs communistes, baptisé « Cocoreco », se constitua. Cette initiative marqua la naissance d’un courant interne au PCF qui obtint des appuis dans plusieurs fédérations départementales. Au printemps de 1987, une partie de ces Rénovateurs proposèrent sa candidature à l’élection présidentielle de l’année suivante. Il démissionna du comité central en juin 1987 en déclarant vouloir travailler pour la naissance d’un mouvement qui devait aboutir à une candidature capable de rassembler ceux qui, à gauche, ne se reconnaissaient ni dans le PCF ni dans le PS. Quand, le 12 octobre, il annonça publiquement sa candidature, il fut exclu du Parti communiste français lors de la réunion du comité central, le 14 octobre. Le communiqué indiquait les raisons suivantes : « Refus de s’inscrire dans l’élaboration démocratique de la politique du PCF, participation active à une organisation fractionnelle destinée à la combattre, candidat à l’élection présidentielle, Pierre Juquin n’a plus rien à voir avec le PCF . » Seul, Félix Damette refusa de prendre part au vote. Cette exclusion directement par le comité central s’expliquait par le fait qu’il « avait quitté sa cellule dans l’Essonne ». Un tract explicatif fut tiré.
Aux élections présidentielles de 1988, soutenu par une coalition composée d’anciens communistes, du Parti socialiste unifié, de la Ligue communiste révolutionnaire, de la Fédération pour la gauche alternative, Pierre Juquin obtint 2,1 % des suffrages. Après les élections présidentielles, il fonda la Nouvelle gauche pour le socialisme, l’écologie et l’autogestion qui, en 1989, devint l’organisation « Alternative rouge et verte ». En 1991, il adhéra aux Verts puis s’en retira. Ayant refusé la proposition socialiste de retrouver un siège de député, il présida en Auvergne le mouvement « Agir » créé par Martine Aubry, soutint la candidature de Lionel Jospin* aux élections présidentielles de 1995 et celle de Robert Hue en 2002. En 2006, il soutint Laurent Fabius aux primaires du Parti socialiste pour déclarer après l’échec du dirigeant socialiste son refus de soutenir Ségolène Royal aux élections présidentielles. Il écrivit dans Le Monde un article qui montrait sa proximité avec les aspirations du communisme en France ; aux élections régionales de 2010 il soutint les listes d’Europe Écologie.

Pierre Juquin, remarié en juin 1965 à Morsang-sur-Orge (Essonne) avec une originaire de République démocratique allemande, père de deux enfants, retraité, vivait en 2011 dans le Puy-de-Dôme et travaillait à un ouvrage sur Aragon*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136472, notice JUQUIN Pierre, Louis, Michel par Marco Di Maggio, Jacques Girault, version mise en ligne le 29 mars 2011, dernière modification le 6 avril 2022.

Par Marco Di Maggio, Jacques Girault

Pierre Juquin
Pierre Juquin
Cliché Gérald Bloncourt (Droits réservés)
Pierre Juquin en 2013
Pierre Juquin en 2013
Cliché Claude Pennetier

ŒUVRE : Le sens du réel - Un communisme pour notre temps, Paris, Grasset, 1971. — Propositions pour reconstruire l’école, Paris, Éditions Sociales, 1973. — Liberté, Paris, Grasset, 1975. — Le Grand Défi. Produire Français, Paris, Éditions Sociales, 1983. — Autocritiques, Paris, Grasset, 1985. — Fraternellement libre, Paris, Grasset, 1987. — Pour une alternative verte en Europe, Paris, La Découverte, 1990. — De battre mon cœur n’a jamais cessé, Paris-Montréal, Éditions de l’Archipel, 2006. — C’était les Rouges, Paris, Éditions Scali, 2007.

SOURCES : « Aragon et le comité central d’Argenteuil », in Les Annales de la soc. des amis de L. Aragon et E. Triolet, 2, 2000. — M. Di Maggio. Evoluzione del Partito comunista francese attreverso il dibbattito interno e il ruolo degli intellettuali. Thèse de doctorat d’Histoire Contemporaine sous la direction de Serge Wolikow et Giorgio Caredda, “Sapienza” Université de Rome, Université de Bourgogne, 2009. — F. Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005. — P. Juquin, De battre mon cœur n’a jamais cessé, Paris Montréal, Éditions de l’Archipel, 2006. — Entretien avec Pierre Juquin, 23 avril 2007.

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