WALUSINSKI Gilbert

Par Louis Botella, Alain Dalançon

Né le 31 janvier 1915 à Paris (XXe arr.), mort le 13 janvier 2006 à Brou (Eure-et-Loir) ; professeur agrégé de mathématiques ; militant syndicaliste du SNES puis co-secrétaire de la FEN-FO, secrétaire adjoint du SPIE ; militant pédagogique, président puis secrétaire général de l’APMEP, responsable du CLEA.

dans les années 1990

Son grand-père paternel, Clément, né en 1850 à Varsovie, avait émigré à 18 ans pour Vienne, puis Paris où il s’était installé comme ébéniste au Faubourg Saint-Antoine. Il avait épousé Henriette Dewever, une institutrice de père belge, avec laquelle il eut quatre enfants naturalisés Français en 1893, dont Joseph. Ce dernier, dessinateur industriel dans une petite entreprise de fonderie fabriquant de pompes, rue des Pyrénées à Paris, épousa la fille de son patron, Georgette Soyer. Gilbert Walusisnki était leur second enfant, après Denise.

Il effectua ses études secondaires au lycée Charlemagne à Paris, obtint le baccalauréat et entra dans le même lycée en classe de mathématiques spéciales. Il était déjà passionné par les mathématiques que lui avait fait découvrir son professeur, Francisque Marotte. Mais il ne persista pas en deuxième année de cette classe préparatoire, indisposé par la brutalité du professeur de mathématiques, Lucien Sauvigny. Il alla donc en Sorbonne suivre avec passion les cours d’Elie Cartan, obtint sa licence de mathématiques en 1935, puis son diplôme d’études supérieures et commença à préparer l’agrégation en 1936, tout en étant maître d’internat à l’école de la Ville de Paris Jean-Baptiste Say, de 1935 à 1938.

Durant l’année scolaire 1938-1939, il exerça comme professeur délégué au lycée de garçons de Troyes (Aube). Le 25 juillet 1939, il épousa Janette Illet, jeune institutrice à Neuilly-sur-Marne (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis), qu’il avait rencontrée en 1937. Ils eurent deux fils : Gilles, né en 1945, devenu photographe, et Olivier, né en 1949, futur médecin.

Jusqu’alors sursitaire, Gilbert Walusinski fut mobilisé le 16 septembre 1939. Démobilisé le 5 août 1940, il enseigna comme professeur délégué du 1er octobre 1940 au 8 février 1942 au lycée Condorcet à Paris. Reçu en décembre 1941 au concours de l’agrégation de mathématiques, qu’il avait préparé en étant auditeur libre à l’École normale supérieure, il fut nommé professeur, à compter du 1er janvier 1942, au lycée de garçons Henri IV à Poitiers (Vienne). Inscrit en mars 1944 sur la liste des fonctionnaires mariés sans enfants au Service du travail obligatoire, il ne fut cependant pas contraint à partir.

Gilbert Walusinski vécut avec enthousiasme la Libération à Poitiers, participa à la fondation du nouveau Syndicat national de l’enseignement secondaire et représenta la section académique au conseil national des 3 et 4 mars 1946 : il insista dans les débats sur l’indépendance syndicale et fut élu suppléant à la commission exécutive nationale au congrès d’avril 1946. Il exerça également brièvement la responsabilité de secrétaire du Syndicat départemental de la Vienne (section de la FEN).

Il obtint sa mutation à la rentrée 1946 au lycée Claude Debussy à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise, Yvelines). Il n’y resta qu’un an, puis fut muté à la rentrée 1947 au lycée Claude Bernard à Paris, puis en 1949 au lycée Voltaire où il demeura jusqu’en 1957, avant de terminer sa carrière au lycée de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) en 1976.

Comme plusieurs dirigeants ex-confédérés du SNES (notamment Maurice Janets et Lucien Mérat) et de la Fédération de l’Éducation nationale (le secrétaire général Adrien Lavergne), Gilbert Walusinski appartenait au groupe des Amis de Force Ouvrière de l’Éducation nationale dans la CGT. Demeuré membre suppléant de la CE nationale du SNES après son départ de Poitiers, il se signala dans la critique des « unitaires » de la CGT et, après la scission de la confédération et la création de la CGT-FO les 18 et 19 décembre 1947, il signa au début de l’année 1948 plusieurs appels aux enseignants syndiqués pour rejoindre la nouvelle confédération, avant la tenue des congrès qui devaient choisir entre le maintien à la CGT, le passage à la CGT-FO ou l’autonomie. Il fut ainsi un des 48 signataires appelant les syndiqués du SNES à opter « Pour un syndicalisme indépendant » ; dans la tribune libre parue dans L’Université syndicaliste du 23 février 1948 : « Polémiquer, attendre… ou faire « demain » », il apparaissait comme un des principaux militants favorables à cette option. Il signa également l’appel s’adressant à tous les syndiqués de la FEN avec notamment Francis Perrin, Maurice Janets, Lucien Mérat, Pierre Galoni...

Aux congrès du SNES (22-24 mars 1948) qui dut interpréter les résultats de la consultation des syndiqués (refus de rester à la CGT et d’aller à la CGT-FO et majorité pour l’autonomie), Gilbert Walusinski participa à la commission où fut débattue la possibilité de la double affiliation individuelle à une confédération, qui fut finalement votée par le congrès : « L’adhésion au SNES autonome n’est pas incompatible avec l’adhésion à une autre centrale syndicale d’esprit laïque ». Cette solution fut également adoptée au congrès de la FEN qui suivit (25-27 mars).

Tout en étant élu membre suppléant de la CE du SNES au titre des partisans de FO, il fut donc un des principaux organisateurs de la transformation du Centre de liaison des syndicalistes CGT-FO dans l’Éducation nationale qu’il dirigeait, en Fédération de l’Éducation nationale Force Ouvrière qui tint son congrès constitutif immédiatement après, le 8 avril 1948, suivi par le congrès constitutif confédéral le 12 avril. Il fut élu co-secrétaire général de la direction tricéphale de cette fédération, ayant en charge l’enseignement du second degré ; les deux autres secrétaires généraux étant Francis Perrin pour l’enseignement supérieur et Gaston Pollet pour l’enseignement technique. Il fut également désigné, avec Pierre Galoni et Maurice Janets, pour représenter sa fédération au sein du Comité interfédéral des fonctionnaires FO. Il prit part deux ans plus tard au 2e congrès confédéral de la CGT-FO tenu en octobre 1950 et s’y montra très actif. Il était alors toujours double affilié et avait été candidat en mai-juin 1950 aux élections à la commission administrative nationale du SNES sur la liste « C » des partisans de FO, conduite par Paul Ruff.

Durant toute cette période, Gilbert Walusinski adhérait à l’orientation de La Révolution prolétarienne dirigée par Pierre Monatte dont il resta l’ami jusqu’à la mort de ce dernier en 1960. Il donna plusieurs articles dans cette revue, dont il s’inspira pour la publication des Cahiers Fernand Pelloutier, « cahiers de recherche et de libre discussion sur les problèmes de l’éducation et de l’action ouvrières », patronnés par le Centre d’éducation ouvrière de la confédération mais autonomes financièrement, et qui n’eurent que 6 numéros.

Il s’investit dans l’éphémère « Groupe de liaisons internationales » qui se réunissait à la CGT-FO, côtoyant Albert Camus dont il resta l’ami et qui lui dédicaça un exemplaire de son Homme révolté. Après la dissolution du GIL, il participa à la réunion des enseignants, lors du congrès mondial des travailleurs intellectuels de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres), tenu en avril 1951. Il fit partie du comité préparatoire de trois membres, avec Maurice Van De Moortel (CGSP-Belgique) et Irwin Kuenzi (AFT-États-Unis) pour la reconstitution du Secrétariat professionnel international de l’enseignement (SPIE), fondé en 1926, dont le congrès eut lieu les 6 et 7 août 1951 à Paris, en présence de délégués d’Autriche, de Belgique, d’Espagne (UGT en exil), des États-Unis, de France (CGT-FO), de Suisse et de la CISLE (Confédération internationale des syndicats libres en exil). Le GEW/DGB d’Allemagne fédérale et la FEN française y assistèrent comme observateurs. Il fut élu secrétaire général adjoint, le secrétaire général étant le Belge Maurice Van De Moortel (jusqu’en 1966) et le président l’Américain, Irwin Kuenzi, qui resta en fonction de 1951 à 1955.

À partir de 1954, après que le bureau confédéral eut mis fin à la double affiliation, on ne trouve plus trace dans les comptes rendus des congrès confédéraux de son activité syndicale au sein de FO, ni d’ailleurs au sein du SNES ou de la FEN.

Gilbert Walusinski se consacra dès lors surtout au militantisme en faveur d’un enseignement moderne des mathématiques, dans le cadre d’une réforme générale de l’enseignement conforme aux orientations du plan Langevin-Wallon, en utilisant des méthodes pédagogiques nouvelles dont les « classes nouvelles » avaient montré la voie. Membre de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public depuis 1946, il en devint un des principaux animateurs durant deux décennies, et en fit un laboratoire d’idées avec André Revuz (qu’il avait connu comme collègue au lycée de Poitiers), Paul Vissio, Maurice Glaymann, Paul-Louis Hennequin.

Entré au Comité en 1954, il en devint immédiatement président de 1955 à 1958, puis secrétaire général, puis responsable du Bulletin qu’il transforma, y compris dans sa présentation. Il mobilisa ainsi l’APMEP pour multiplier les initiatives et obtenir leur institutionnalisation, renouveler simultanément les programmes et la pédagogie en « les attachant indissolublement ». Il souhaitait s’éloigner d’un enseignement des mathématiques réservé à des minorités privilégiées, et développer une mathématique vivante, unifiée par les structures et directement accessible, en multipliant les observations dans des domaines les plus divers et en s’adaptant à la diversité des élèves, puis abstraire et dégager le concept-outil.

Il participa au premier tome d’Apprentissage mathématique, ouvrage collectif publié aux éditions du Syndicat national des instituteurs SUDEL et donna à L’École libératrice deux séries de fiches pédagogiques « Sur les pas d’Evariste Dupont » et « En compagnie d’Evariste Dupont ». Ses articles et documents publiés dans l’organe du SNI servirent de points d’appui aux positions élaborées par le syndicat à son congrès de juillet 1967, « Vers une rénovation de l’enseignement des mathématiques ». Initiateur de brochures et d’équipes de Chantiers de mathématiques, auteur principal ou co-auteur des Chartes fondamentales de l’APMEP (1968, 1972), il fut un des principaux fondateurs des IREM (Instituts de recherches sur l’enseignement des mathématiques) avec Vissio, Revuz et André Lichnérowicz, qui commencèrent à être créés en 1969. En 1970 la réforme des « mathématiques modernes » tant espérée le laissa déçu car il n’y avait « pas plus de place (ni moins, heureusement) que par le passé pour l’initiative du maître ».

Dans les années 1970, il écrivit plusieurs articles dans les Cahiers pédagogiques où il collaborait depuis longtemps ; il analysait les causes profondes de la « fièvre lycéenne », les rapports discipline et éducation et conclut en 1973 : « Il n’est point de malheurs dont je ne sois coupable ! ».

En 1978, épaulé par Lucienne Gougenheim au sein du Comité de liaison des enseignants astronomes, Gilbert Walusinski défendit une autre passion : transmettre, par la pratique notamment, son goût de l’astronomie aux élèves et, pour cela, former des enseignants en liaison avec des astronomes universitaires. Pendant 20 ans, il imprégna sa marque dans son bulletin, les Cahiers Clairaut, depuis leur début jusqu’au n° 80, à la fin de 1997.

Par ailleurs, critique littéraire dans La Quinzaine Littéraire de Maurice Nadeau, il se consacra à la lutte contre les sectarismes et pour la liberté de l’esprit, dans le sillage d’un Siècle des Lumières qu’il affectionnait particulièrement.

Gilbert Waluzinski refusa la Légion d’honneur mais accepta en 1976 le titre de Président d’honneur de l’APMEP, puis en 2001 le Grand Prix, avec médaille, de l’Académie des Sciences, partagé avec Lucienne Gouguenheim pour leur action en faveur de l’enseignement de l’astronomie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136499, notice WALUSINSKI Gilbert par Louis Botella, Alain Dalançon, version mise en ligne le 1er avril 2011, dernière modification le 19 janvier 2022.

Par Louis Botella, Alain Dalançon

dans les années 1990
Réunion du CRAP à Royan en 1966
Gilbert Walusinski
Gilbert Walusinski
Couverture de la brochure d’hommage de l’APMEP

ŒUVRE : Outre les nombreux articles dans les revues et bulletins cités : Z.P. Dienes, traduction par G. Waluzinski, Construction des mathématiques, PUF, 1966. — Pourquoi une mathématique moderne ? Guide blanc, Armand Colin, 1971. — Ciel, Passé, Présent : les grandes découvertes de l’Astronomie, Études Vivantes, 1981. — Planètes et comètes, Épigone, 1987. — La lune et ses satellites, Épigone, 1988. — Astronomes et observatoires, Épigone, 1990.

SOURCES : Arch. Dép. Vienne, T10-1832. — Arch. IRHSES (L’US, c.r. de congrès du SNES et de la FEN, Points de Repères n° 20, 22, 23 consacrés à la naissance du SNES et de la FEN autonomes). — Force Ouvrière, hebdomadaire de la CGT-FO, 1er, 8, 15 et 22 avril 1948. — Comptes rendus des congrès confédéraux de 1948 à 1956 de la CGT-FO. — Louis Botella in Les syndicalismes en Europe :, mise à jour (inédite) en décembre 2009 de l’ouvrage paru en 1999, édité par Technologia-Le Petit Pavé. — Alain Bergounioux, Force Ouvrière, Seuil, 1975. — Paula Cristofalo, Karel Yon, « De la fabrique des libres-penseurs à l’administration des dévouements : Force Ouvrière et la mise en cursus de la formation syndicale (1948-1971) », Le Mouvement social, avril-juin 2011, p. 71-87. — E. Barbazo, L’influence de Gilbert Walusinski dans la création des IREM, mémoire de DEA dirigé par Jean Dhombres, EHESS, 2005. — « Gilbert Walusinski ou l’esprit des Lumières », Tangente, n°109 (mars-avril 2006). — Hommage à Gilbert Walusinski, supplément au n° 471 du Bulletin de l’APMEP, 2007. — Notes de Jacques Girault.

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