LATREILLE André, Auguste

Par Bernard Comte

Né le 29 avril 1901 à Lyon (Rhône), mort le 25 juillet 1984 à Neuville-sur-Saône (Rhône) ; historien universitaire, doyen de la faculté des lettres de Lyon (1955-1957) ; militant du catholicisme libéral et social, vice-président de la « Paroisse universitaire » ; sous-directeur des Cultes au ministère de l’Intérieur (1944-1945).

Fils de Camille Latreille, professeur de littérature française à Lyon, André Latreille fit ses études aux lycées et à la Faculté des lettres de cette ville. Agrégé d’histoire en 1923, professeur de lycée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), à Marseille (Bouches-du-Rhône), puis au lycée Ampère de Lyon (1928), il soutint en 1935 ses thèses sur Napoléon et le Saint-Siège (1801-1808) et Le catéchisme impérial. Nommé professeur à l’Université de Poitiers (1937-1944), il revint en 1945 à Lyon où il enseigna jusqu’à sa retraite (1971). Forte personnalité, il combinait son aisance intellectuelle, sa rapidité à comprendre et à réagir en trouvant les mots justes et son esprit de synthèse, avec de fortes convictions et le goût des initiatives et des responsabilités – d’où l’autorité qu’on lui reconnaissait. Assuré dans l’affirmation, il était tranchant dans la critique et souvent vif dans la remontrance, ce qui n’était pas toujours bien accepté. Il servit fidèlement, avec ces dons d’intelligence et de caractère, les institutions et les valeurs auxquelles il avait fait confiance dès sa jeunesse : l’Université et la discipline historique, la Nation et le bien commun, la foi catholique et l’Église qu’il souhaitait réconciliée avec le monde moderne.

Le professeur et écrivain d’histoire n’en resta pas à l’érudition, mais s’efforça toujours de dégager les grands traits des situations et des évolutions. Il choisit ses sujets pour leur signification humaine et leur rapport avec les problèmes intellectuels, civiques ou religieux du présent – non à cause de prétendues « leçons » de l’histoire auxquelles il ne croyait pas, mais pour aider son public, élèves ou lecteurs, à percevoir et à comprendre sa propre situation et devenir ainsi plus libre dans son action. C’est pourquoi les relations conflictuelles entre l’Église et l’État depuis la Révolution l’attirèrent : après sa thèse, il y consacra une série d’ouvrages de synthèse et un grand nombre d’articles et de conférences, dans le but de contribuer à déminer un terrain d’affrontement et de contribuer à la conciliation qu’il souhaitait. C’est dans la même ligne qu’il accepta en 1944 la fonction de sous-directeur des Cultes au ministère de l’Intérieur que le gouvernement provisoire de la Libération lui proposa, en spécialiste de cette histoire, connu comme catholique, républicain démocrate et résistant gaulliste. Après avoir contribué au compromis passé entre le Saint-Siège et le gouvernement sur la délicate opération d’épuration de l’épiscopat, il quitta ce poste dès l’été 1945, ayant constaté que la tournure prise par le débat politique ne laissait aucune chance de réalisation à son projet d’un règlement d’ensemble des problèmes qui polluaient les relations entre l’Église et la République ; il fit plus tard le récit de cet épisode de sa carrière.

L’universitaire qu’il redevint à Lyon fut très actif dans plusieurs domaines. Enseignant l’histoire moderne et contemporaine, il se voulut généraliste et insista sur l’histoire politique, institutionnelle et diplomatique, à l’heure où le succès de l’école des Annales amenait à la négliger pour l’histoire économique et sociale. Auteur d’importantes synthèses, études locales, nationales ou internationales, il se fit aussi agent de diffusion de la culture historique en tenant dans le quotidien Le Monde une rubrique régulière : « L’Histoire ». Il y consacra, de 1945 à 1971, plus de deux cents articles alternant présentation d’ouvrages et réflexion personnelle sur les thèmes de l’historiographie contemporaine. Il contribua surtout au développement dans l’Université laïque d’une histoire religieuse liée à l’histoire et à la sociologie politique et culturelle et dégagée des partis pris apologétiques ou anticléricaux. Après sa synthèse sur L’Église catholique et la Révolution française (deux volumes, Hachette, 1946-1950), il publia avec André Siegfried Les forces religieuses dans la vie politique (Cahier 23 de la Fondation nationale des sciences politiques, Armand Colin, 1951) et dirigea une Histoire du catholicisme en France dont il rédigea le troisième volume en y associant René Rémond (Spes, 1962). Après avoir lancé la revue Cahiers d’histoire soutenue par les Universités de Lyon, Grenoble, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand, il créa avec ses collègues grenoblois un Centre régional d’histoire religieuse, inauguré par un colloque international sur la déchristianisation (Lyon, 1964). L’équipe du Centre s’attacha ensuite au thème Églises et chrétiens dans la seconde guerre mondiale avec les colloques de Grenoble (1976) et de Lyon (1978), suivis par celui de Biviers (1984) sur le père Yves de Montcheuil « théologien au maquis du Vercors ».

Il prit également une part active au développement et à la mue de l’Université en crise de croissance, soucieux de maintenir la qualité de l’enseignement et de servir au mieux la nation. Doyen de la faculté des lettres (1955-1957) et membre du comité consultatif des universités qui veillait aux nominations, il défendit la tradition de pluralisme et de tolérance et mit en valeur dans de nombreux articles l’importance civique de la culture, notamment historique. Il le fit parfois en des termes trop marqués par l’expérience de sa génération et par ses convictions personnelles pour être compris des nouveaux venus, étudiants et enseignants, mais lorsque, à la veille de sa retraite, éclata la crise de Mai 68 qui balaya les structures anciennes de l’institution universitaire, il sut être présent dans la faculté occupée, écouter les contestataires et ensuite participer à l’œuvre de réforme, même s’il en jugeait certains aspects dangereusement utopiques. Il contribua aussi à la création de l’Université de Saint-Étienne et donna des enseignements dans divers établissements en France et à l’étranger, notamment à l’Université Laval du Québec dont il fonda l’Institut d’histoire (1955-1959).

Parallèlement à cette activité professionnelle, André Latreille fut constamment engagé, par la pensée et l’action publique, comme citoyen et chrétien. Ayant reçu dans sa jeunesse l’exemple de Marius Gonin, le fondateur lyonnais de la Chronique sociale de France, il en retint le goût et le devoir, pour les plus instruits, d’aller à tout public, par la parole ou l’imprimé, pour l’aider à comprendre la marche du monde. Il eut le souci de faire servir sa culture historique au développement d’un civisme et d’un patriotisme intelligents ; il exprima à plusieurs reprises dans Le Monde et dans diverses revues ses réflexions de citoyen éclairé, attentif aux problèmes du moment. Attaché au courant démocrate chrétien, il fut gaulliste dès 1940 et soutint les actions résistantes, sans y participer directement à cause de ses charges familiales. Il multiplia les démarches privées auprès des notabilités catholiques, à commencer par le cardinal Suhard en décembre 1940, pour les mettre en garde contre l’empressement à cautionner un pouvoir qu’il estimait condamné à servir les buts des nazis. Dans l’été 1944, il fut nommé membre du Comité de Libération de la Vienne, et soutint par la suite le MRP en ami de ses dirigeants.

Le catholique enfin, héritier des deux écoles libérale (qu’il préférait appeler « transigeante ») et sociale, consacra de nombreux articles et conférences aux questions soulevées par la présence active des Églises dans la vie publique. Président dès 1929 du groupe lyonnais des membres catholiques de l’enseignement public, il fut après 1945 vice-président national de leur association, la « Paroisse universitaire », exerçant une influence médiatrice entre les courants « progressiste » et « spirituel ». Attaché à une laïcité essentielle à l’unité nationale dans le pluralisme des convictions, il plaida en expert, en cinq articles du Monde, pour la négociation d’une « séparation concordataire » (1950). Il avait auparavant accepté de signer, avec son ami Joseph Vialatoux, professeur aux facultés catholiques de Lyon, un article (« Christianisme et laïcité », Esprit, octobre 1949) rédigé par le théologien lyonnais Joseph Colomb, qui fit sensation. C’était un exposé des motifs proprement chrétiens d’adhérer à la laïcité, considérée comme le régime juridique qui garantit la liberté de l’acte de foi, liberté qu’une saine théologie tient pour nécessaire à la validité de cet acte. Il chercha obstinément à concilier cette liberté avec sa soumission de fidèle à l’autorité de la hiérarchie ecclésiastique, qu’il incitait à reconnaître les droits de l’Homme et à défendre, à la fin du pontificat de Pie XII, les théologiens français atteints par des sanctions romaines. Collaborateur des Semaines sociales et du Centre catholique des intellectuels français, il fut aussi parmi les premiers soutiens, dès 1950, de l’œuvre lyonnaise de Notre-Dame-des-Sans-Abri, fondée par son ami Gabriel Rosset.

En 1923, il avait épousé Suzanne Ruplinger dont il eut dix enfants de 1926 à 1944.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136592, notice LATREILLE André, Auguste par Bernard Comte, version mise en ligne le 6 avril 2011, dernière modification le 5 octobre 2020.

Par Bernard Comte

ŒUVRE : Histoire de la France pour tous les Français, t. I, Des origines à 1772, Hachette, 1950. – En collaboration avec A. Kleinclausz et F. Dutacq, Histoire de Lyon, t. III, L’époque contemporaine, Lyon, Masson, 1951. – La Seconde Guerre mondiale, Hachette, 1966. – L’ère napoléonienne, A. Colin, 1973. – De Gaulle, la Libération et l’Église catholique, Cerf, 1978.

SOURCES : Hommage au doyen André Latreille, Lyon, CRDP, 1975. – Centre régional interuniversitaire d’histoire religieuse, André Latreille. Journée du 16 janvier 1985, Lyon, 1985. – Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 6, Lyon et le Lyonnais, Beauchesne, 1994.

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