LAPIE Pierre-Olivier

Par Gilles Morin

Né le 2 avril 1901 à Rennes (Ille-et-Vilaine), mort le 10 mars 1994 à Paris ; avocat à la cour d’appel de Paris  ; résistant et élu socialiste de Meurthe-et-Moselle ; conseiller général de Nancy-Sud (1945-1949) ; député USR (1936-1940) ; gouverneur général du Tchad (1940-1942) ; membre de l’ACP à Alger puis à Paris ; député SFIO (1945-1946 ; 1946-1958) ; ministre de l’Éducation nationale ; membre de la direction nationale de la Ligue française de l’Enseignement (1947-1949) ; sous-secrétaire d’État aux affaires étrangères du gouvernement Léon Blum* (16 décembre 1946 au 22 janvier 1947) ; ministre de l’Éducation nationale du gouvernement René Pleven (12 juillet 1950-11 août 1951) ; membre de la Haute Autorité de la CECA (1959-1967).

Pierre-Olivier Lapie
Pierre-Olivier Lapie

Fils de Paul, Félix Lapie, philosophe, maitre de conférences à la faculté des lettres qui fut recteur de l’Académie de Paris et l’un des rédacteurs de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État, et de Marie-Louise Fauchon, professeur, Pierre-Olivier Lapie suivit les cours des lycées Buffon et Condorcet à Paris, puis de la Faculté de Droit de Paris, et obtint un doctorat d’économie politique, avec une thèse sur l’État actionnaire. Il fréquenta encore l’École des Sciences politiques dont il fut diplômé. Il fit son service militaire dans une unité de Tirailleurs sénégalais stationnée au Soudan.

Avocat au barreau de Paris de 1925 à 1967, spécialisé dans les affaires de droit international, Pierre-Olivier Lapie fut au Palais l’un des poulains de Joseph Barthelemy puis de Paul-Boncour dont il fut l’un des collaborateurs au Palais et probablement à son cabinet. Il appartenait à la Société de législation comparée et fut vice-président de la Section française de l’International Law Association. Il collabora à de nombreux journaux français et étrangers, et à des revues, comme la Revue de Droit comparé, la revue de législation du Tribunal de commerce de Paris et à la revue de Radio-électricité. Il fut aussi, de 1925 à 1928, attaché à la section juridique de l’Institut de coopération intellectuelle.
Selon un article de 1956, il se serait intéressé à la politique à partir des élections de 1924, participant à divers cercles, proche du surréalisme, fréquentant notamment L’Ordre nouveau, passant ses soirées dans divers mouvements minoritaires qui entendaient refaire la France et le monde. Il serait véritablement entré en politique à partir de février 1934.
Lapie appartint aux cabinets de Paul-Boncour* et d’Albert Sarraut dans le gouvernement de début 1936, comme attaché parlementaire. Il aurait tout d’abord appartenu au parti radical-socialiste. Il fut encore membre de la section française de la Société des Nations.

Pierre-Olivier Lapie fut élu député USR (Union socialiste républicaine) de la 3e circonscription de Nancy le 3 mai 1936, au deuxième tour avec l’appui des partis du Front populaire, par 12 642 voix contre le député sortant Désiré Ferry, ancien ministre, membre de Alliance démocratique (12 362 voix), soutenu par Louis Marin. Il aurait envisagé préalablement de se présenter à Villefranche-de-Lauragais ou à Dieppe. Il appartint à la commission des mines et de la force motrice, à la commission d’Alsace et de Lorraine et à la commission de l’aéronautique. Antimunichois, il rompit avec l’USR fin 1938, mais en démissionna officiellement en août 1939, pour protester contre les articles de Marcel Déat sur Dantzig. Il vota avec la SFIO dès 1938. Contacté par lui, il a été avant la défaite l’un des rares hommes politiques à soutenir les vues militaires du colonel de Gaulle.

Lieutenant de réserve, mobilisé en septembre 1939, il fut officier au front sur la ligne Maginot, puis partit comme volontaire pour l’expédition de Norvège. Rapatrié, il refusa l’armistice, « s’évada de France » en 1940 pour rejoindre le général de Gaulle le 20 juin, s’engageant comme simple soldat et ne participa donc pas au vote de Vichy le 10 juillet 1940. Il fut le premier parlementaire français à rallier la France Libre. Il fut l’un des animateurs de l’Association des « Amis des volontaires français » qui prêtait assistance aux troupes ralliées et négocia avec l’Angleterre le traité du 7 août 1940. Collaborateur de Pleven, à partir du 14 juillet, il exerça l’intérim de ce dernier en mission en Afrique, à la direction du service des Affaires étrangères et coloniales de la France Libre jusqu’en novembre. Il exerça comme speaker à la BBC.

Alors que ses camarades du groupe Jean-Jaurès de Londres, Louis Lévy*, Gustave Moutet*, Georges et Charles Gombault*, et les animateurs du journal France, adoptaient une position résolument antigaulliste, Lapie tenta de jouer les intermédiaires, leur montrant les instructions envoyées au nom du Général, tentant de les convaincre en vain qu’elles respectaient la légalité républicaine.

En novembre 1940, l’ancien député fut nommé Gouverneur général civil du Tchad (Leclerc ayant la direction militaire), sous les ordres du gouverneur général Éboué, organisa la colonie et participa à la préparation de l’expédition Leclerc. Volontaire à la Légion étrangère en 1942, il fut promu capitaine et participa aux campagnes de Libye et de Tunisie, qui lui valurent la médaille coloniale. De Gaulle préfaça un de ses ouvrages dans l’été 1941 Les déserts de l’action, écrit en pleine guerre, sans document.

Vichy déchut Lapie de la nationalité française par le décret du 8 décembre 1940 qui visait aussi les généraux de Gaulle, Legentilhomme et Catroux, le colonel de Larminat, et le privait de ses mandats parlementaires (J.O. du 13 janvier 1941). « L’autorité de fait » lança le 25 juin 1942 un mandat d’arrêt pour “trahison”.
Membre de l’Assemblée consultative provisoire (ACP) d’Alger en novembre 1943, Lapie appartint à sa commission des affaires étrangères. Il fit une intervention remarquée sur une organisation fédérale de l’Empire et siégea ensuite à l’ACP à Paris.

P.-O Lapie adhéra à la SFIO le 28 décembre 1944, avec l’approbation unanime de la fédération et de la section de Nancy. En septembre 1945, il n’avait toujours pas réglé sa cotisation, ni à la fédération ni au secrétariat national, qui n’avait pas de nouvelles de celle-ci. Il fut néanmoins élu conseiller général de Nancy-sud en septembre 1945. Selon le préfet, il aurait été élu plutôt comme gaulliste et résistant que comme socialiste. Il fut battu au premier tour en 1949, lors du renouvellement de l’Assemblée départementale par un candidat RPF.

Réélu député de Meurthe-et-Moselle à la première Assemblée nationale constituante, en octobre 1945, en deuxième position derrière René Peeters*, Lapie appartint de nouveau à la commission des Affaires étrangères. « Attristé » après le départ du général de Gaulle en janvier 1946, il ne le suivit pas au RPF, voulant « donner une chance aux institutions » ; mais il conservait ce qu’il nommait « un lien inconscient ».

Battu aux élections législatives en juin 1946 en dépit d’une progression des suffrages socialistes par une droite plus rassemblée – Peeters fut seul réélu sur la liste SFIO –, Lapie bénéficia aux élections suivantes du retrait de la tête de liste SFIO qui reprit ses activités syndicales : il retrouva son siège de député en novembre 1946, et fut reconduit régulièrement jusqu’en 1958, à chaque scrutin législatif de la IVe République. Très actif au plan international, il représenta la France à de grandes conférences, à Londres, à Lake-Succes.
PO Lapie ne semble guère avoir joué un rôle important dans la fédération socialiste de Meurthe-et-Moselle, même si on le repère comme membre de la commission exécutive fédérale en 1951 et 1952. Ses camarades semblent lui avoir reproché son peu d’influence locale, son activité réduite et ce qu’ils estimaient être de la désinvolture. Son action soulevait « l’indifférence » de la population selon des rapports de RG. Mais, il est vrai que la fédération socialiste était peu influente localement, surtout présente parmi les milieux de l’enseignement et les fonctionnaires, à l’exception du secteur de Longwy.
PO Lapie appartint à deux gouvernements, correspondant à ses principaux domaines d’intervention.

Il fut désigné tout d’abord pour siéger dans l’éphémère cabinet socialiste homogène dirigé par Léon Blum, comme sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947. Le vieux leader socialiste étant titulaire du titre de ministre, Pierre-Olivier Lapie se trouva donc en première ligne et à ses côtés sur les dossiers du moment. En janvier 1947, il retrouva ses fonctions de député et de membre la Commission des affaires étrangères dont il fut l’un des membres influents. Il s’exprima à ce titre dans les grands débats de la législature, proposant l’acceptation du Plan Marshall, puis du traité de l’Atlantique-nord,. Résolument anticommuniste, partisan d’une troisième force internationale, il se prononçait pour une construction européenne fédérale, notamment pour contrôler la reconstruction de l’Allemagne. Adversaire de l’annexion de la Sarre, « contraire à l’idéal socialiste », il en prônait le rattachement économique, car correspondant selon lui au vœu de la population sarroise et à l’intérêt économique de la France. L’ancien gouverneur général d’un pays africain, intervint aussi régulièrement sur la situation des pays membres de l’Union française.

Puis, spécialiste des questions d’enseignement et culturelles, Pierre-Olivier Lapie fut ministre de l’Éducation nationale, du 12 juillet 1950 au 11 août 1951, dans le gouvernement René Pleven. Lapie était influent dans les milieux laïcs, comme vice-président de la Ligue de l’Enseignement en 1947-1949, et il militait aussi à la Ligue internationale de l’enseignement, de l’éducation et de la culture populaire. Il avait encore été rapporteur sur « les problèmes culturels » lors de la semaine d’études internationale organisée par la SFIO à Saint-Brieuc, du 25 juillet au 1er août 1948. Sa présence comme ministre dans un gouvernement de Troisième force était, de fait, une garantie donnée aux milieux laïcs. Il mit en place une commission présidée par son vieux mentor, Paul-Boncour pour tenter un compromis sur la question scolaire, mais elle échoua.

Pour les élections législatives de 1951, Lapie fit campagne contre le double danger communiste et RPF, se démarquant alors nettement du général de Gaulle. Il déclarait dans sa profession de foi : « Ce n’est pas sans nostalgie et sans regret que nous avons vu un général, pour qui en 1940 nous avions de l’admiration, adresser (...) un véritable défi à la République. »

Naturellement, dans la nouvelle assemblée, Lapie vota contre l’adoption des lois Marie et Barangé qui accordaient des subventions à l’enseignement privé.
Pierre-Olivier Lapie, qui avait voté et milité en faveur de la CECA et de 1949 à 1958 siégea à l’Assemblée consultative de Strasbourg prévue par le statut du Conseil de l’Europe, où il était l’un des huit députés socialistes français (1951) et à la Commission de coordination chargée des questions relatives à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1953). Député d’une région frontalière, où la question du réarmement de l’Allemagne était très sensible, il avait proposé une « communauté de l’armement » en 1952 et s’opposa au projet de Communauté européenne de défense. Il participa ainsi à un meeting salle de Mutualité à Paris au côté du gaulliste Gaston Palewski et d’Édouard Daladier en novembre 1953.

Lapie vota, le 30 août 1954, la question préalable du général Aumeran qui déboucha sur le rejet du traité sans débat, après avoir le 29 août 1954, en qualité de rapporteur pour avis de la Commission de la production industrielle, approuvé le rapport présenté par Jules Moch qui concluait au rejet du traité. Il fut exclu pour ces indisciplines répétées par le comité directeur du 28 septembre 1954. Il se prononça ensuite pour les accords de Londres et Paris en 1954-1955, expliquant qu’ils assuraient la participation anglaise et le contrôle des armements. Il fut réintégré avec les autres élus amnistiés au printemps 1955 et, réélu, fut vice-président de l’Assemblée nationale de février 1956 à juin 1958.

Candidat non élu au comité directeur de la SFIO en 1957, PO Lapie participa au congrès de la Ligue de l’enseignement en juillet 1957. Il versait une cotisation au Comité socialiste d’études et d’action en 1957, mais cessa en janvier 1958, sa fédération « ne le suivant pas du tout » selon lui.

En mai 1958, il approuva le retour au pouvoir du général de Gaulle, seule voie possible après l’affaire corse, selon lui. S’il fut approuvé dans un premier temps par la section de Nancy, il fut mis en minorité (67 mandats contre 62) au congrès fédéral du 7 septembre, les militants s’opposant de plus à son entrée au Comité départemental d’Union républicaine.

Battu aux élections législatives de novembre 1958 par Joseph Nou (UNR), bien qu’ayant augmenté d’un tiers ses voix, Lapie accepta de présider la Commission scolaire créée par le gouvernement Debré et son camarade socialiste André Boulloche en juin 1959, pour étudier un projet de loi prolongeant la loi Barangé, officiellement afin de « présenter des éléments de réflexion en vue d’une réforme des rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privé ». Le congrès socialiste exigea sa démission, mais il refusa la demande du comité directeur de la SFIO d’abandonner la présidence de la commission, puis, avec l’appui de sa fédération, proposa le 29 juillet 1959 sa mise en congé du parti (comme André Boulloche en janvier précédant) à la suite de sa désignation comme membre de la Haute Autorité de la CECA, nommé par les ministres des Affaires étrangères des six. La commission nationale des conflits de la SFIO considéra le 8 octobre 1959 qu’il s’était volontairement exclu du parti.

Membre de la Haute Autorité jusqu’au 6 juillet 1967, il présida le groupe de la CECA chargé de la coordination des politiques énergétiques, puis le groupe traitant des questions de concurrence en 1960. Il présida la commission interministérielle pour les questions de coopération entre la France et l’Allemagne, fondée en février 1968 (il en était toujours président en 1976) et l’année suivante fut élu à l’Académie des sciences morales et politiques.
En 1960, Lapie fut candidat à l’Académie française. En 1965, il appela à voter pour le général de Gaulle.

Pierre-Olivier Lapie s’était marié, à Neuilly-sur-Seine, le 10 juillet 1945, avec Blanche, Berthe, Yolande, Emma Friedmann, veuve, née le 20 avril 1904 à Paris, mère d’un enfant. Ils eurent ensemble un autre enfant.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136629, notice LAPIE Pierre-Olivier par Gilles Morin, version mise en ligne le 7 avril 2011, dernière modification le 10 juin 2016.

Par Gilles Morin

Pierre-Olivier Lapie
Pierre-Olivier Lapie

ŒUVRE : Pierre-Olivier Lapie collabora à diverses reprises à la Revue Socialiste .— Certitudes anglaises (1936).— Vie de Paul Lapie (1938) .— Tournées au Tchad (1944) .— La légion étrangère à Narvik (1945) ;.— Les déserts de l’Action, Flammarion, 1946 .— Cromwell (1949) . Lisos ou de l’action (1956). — Les Trois communautés (1960). — Edouard Herriot, Les grandes idées contemporaines, Fayard (1967) .— Aujourd’hui l’Angleterre (1972).

SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/270, 278, 153 ; CAC, 19850085/8, dossier 4563 ; 19980221, art. 7 ; 3/AG/1/329. — Archives de l’OURS, dossiers Meurthe-et-Moselle. — Archives André Seurat. — Bulletin Intérieur de la SFIO, n° 41, 114. — Rapports des congrès de la SFIO, 1944-1959. — L’Action laïque, septembre-octobre 1949. — F. Pique, La SFIO en Meurthe-et-Moselle, sous la IVe République, Mém. Maîtrise, Nancy, 1992. — État civil.

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